lundi 22 décembre 2014

I AM ERROR

Celui qui avant moi porta cette camisole avait dû profusément saigner, elle était toute humide, comme un sexe de femme en contact avec Dieu...

Quelqu'un dans mon dos actionna les ficelles.
J'étais perdu.
Ainsi tombait le ciel.

J'avais 26 ans, et suite à la signature de différents formulaires par mes proches, frères et parents, on venait, posément, de m'arracher la tête.

Naturellement, en toute légalité, je disparaissais, futile, au fond de quatre murs où s'étiraient de longues peaux cramoisies.

Je ne serai plus lavé si ce n'est à ma mort.
Je ne rêverai plus si ce n'est par erreur.


Jackson Pollock - The Flame

dimanche 21 décembre 2014

La nuit et son contenu

"Il est impossible d'en voir toutes les graduations, même des yeux de la puissance d'un Dieu échoueraient à cela."

Froid et noir le linceul recouvre les abris de ceux qui n'en ont pas. Il peint de sa couleur les torses des plus âgés puis descend aux chevilles des pauvres jeunes-nés. Il y découpe des chiffres arrêtées à la date du jour, comme ça en une seconde, et l'on clôt des casiers déjà pleins de silence.

Ceux qui scellent ces chambres ne gagnent pas mieux leurs vies, ils boivent du café bas et ignorent la romance d'un coucher de soleil. Ils fument tandis qu'ils repensent aux organes vitaux versées dans la poubelle. Combien de vies furent bues et combien d'alcools forts ? Combien de draps changés parce que tachés de sang ?

Ces chiffres-là la nuit ne les donne à personne, pas plus qu'elle donne sa main à ceux qu'elle abandonne.

Ainsi vont les odeurs d'hommes quittant leurs corps : lentement et sans bruit pour ne pas effrayer les jouisseurs dans leurs lits.

C'est une réalité pourtant que nous mourrons vraiment et qu'il n'est pas de chose telle la résurrection. C'est une réalité pourtant qu'on finira sans rien, sinon le souvenir qu'avant vécurent les roses...les érections, les chants, les pluies que l'on veut fuir et celles que l'on prolonge, les maladies, les soins et les orgasmes longs. Les sirènes, les dangers, les corps qu'on serre contre soi avec l'encore en bouche. Les libertés et les emprisonnements. Lui, elle, et la mort tout au bout comme seul épanouissement.

Quand la nuit répugnante se pose sur la ville âme, quelques murmures parfois écharpent son armure, des sortes d'illuminations, des séries de baisers à la vitesse du son.
Et quelquefois, même, le jour se lève, se sert un thé et me regarde, nue, comme une intime copie du jeu des voies lactées.

La nuit et son conte nu


Suzanne Duchamp - Solitude-Entonnoir

jeudi 18 décembre 2014

Américaine lenteur

Il nous fallait combattre au-delà des fatigues et des résignations.
Nous relever dans la neige, dans la boue, dans le sang, sur un sol mouvant, sans aucune ration.
C'était un chemin froid, une torturante route bordée d'épouvantails à l'apparence humaine.
C'était de ça dont il fallait sortir, coûte que coûte et peu importe si un de nos bras tombait ou si une clavicule soudainement éclatait.
Nous étions sous la lune et dans une pesanteur qui nous vidait les os...

A sept mille kilomètres de là, on fêtait Thanksgiving,
A sept mille kilomètres de las, nous mourrions parce que juifs.


Moholy-Nagy - Between Heaven and Earth

jeudi 4 décembre 2014

Jésus de Nazareth, en direct du ventre des Grandes Impatiences

Je sectionnerai, à la scie, tes nerfs les plus complexes
Je te regarderai te vider de ton sang
Et j'aurai des regrets, papa, et des soulagements
Et j'aurai l'impression de n'être rien qu'un sexe
Garance et plein de dents.

Je rêverai du Sommeil et de mondes mystiques
Du fond de ma cellule...aux murs faits de plastique
Pour ne pas que je tranche, à coups de brique, mes nerfs les plus fins

Pour ne pas que je nage, noyé, dans ce lac sous-marin
Où flottent des poissons d'un âge imaginaire
Et où Dieu-même, comme Ophélie, demeure à la surface
Gonflé pire qu'une paupière.

Je brûlerai tous les livres et avalerai les cendres
Il y a trente jours de trop dans le mois de décembre.



mercredi 26 novembre 2014

Ressusciter 2007 : Pareille que Marie Trintignant

Le texte qui va suivre a été écrit et mis en ligne le 9 mai 2007 par une version plus jeune de moi-même.



Pareille que Marie Trintignant 

 

Chéri ce soir c'est sushi

Hmmm Miam Miam !

Je suis en train de finir ma maquette (bruits de poésies dissonantes et d'appel au calme derrière les grues)

Oh mais tu m'énerves j'aime pas les sushis en fait mon cœur cœur !

Ah mais que fais tu cheveux-gueule-poison ?

Je te fous dans les escaliers, je vais devenir une légende !

O K

C'est douloureux

Tu es morte ?

Oui oui je t'assure, maman va être très triste

On l'emmerde c'est rien qu'un mouchoir noir

Trop beau.


Les enfants sages, peignés et alignés en rang, regardaient les tables où les piles de dragées brillaient comme une Espagne. L'un d'eux, époustouflant d'empruntement, péta si fort que la chaise en fut percée en son centre. L'autre, le plus rouge, considéra la distance et cracha sur la toute nouvelle robe d'Eliette. Bien sûr, moi dans tout ça, je me tournais les pouces en projetant par imaginations tous les tiroirs et dessous de meuble susceptibles de détenir des piles LR6 pour ma Game Boy. Peut-être qu'un jour aux toilettes, j'aurais la fusée et que j'en serais pris d'une satisfaction diabolique. "Famille de ratés ! Vous n'êtes qu'une famille de ratés ! "

Tonton Hub' avait toujours eu le chic pour trouver les phrases chocs mais cette fois il était tellement imbibé qu'il radotait comme un pianiste répète ses gammes avant le concert de Moscou, -35° C, 2584 spectateurs dont deux Général. La plupart du temps les plats tombaient de la longue table en glissant sur la nappe blanche, la sauce, les abats et les vins se mélangeaient pour former une espèce d'épaisseur satinée. L'ombre de la jeune fille morte l'été précédent se tenait en équilibre sur l'antenne de télévision et mon père chassait les mouches blanches qui couraient sur l'écran. Je ne l'ai jamais vu chasser la neige autrement que maintenant, avec son journal plié en U, flagellant l'image sans vie dans un instinct primitif. Dire que des arcades sourcilières se sont décrochées sur des sols froids parce que des enfants casse-cous voulaient à tout prix foutre leurs doigts sales dans de la compote infecte.
Pendant que tous ses mômes finissaient dans des fauteuils roulants pour un peu de sucre, moi je contemplais la dictature en observant les rues se couvrir de cadavres. Chaque jour je les comptais, chaque jour on augmentait d'une dizaine de corps supplémentaires disposés grossièrement sur la chaussée, la plupart d'entre eux étaient nus et mangeaient la boue qui coulait des chaussures des militaires de carrière. Une fois je les vis même mettre à genoux mon cousin Petofif et Schproung le canon s'en alla ficher la mâchoire de mon cousin de l'autre côté de la rue. Mon carnet se remplissait et mon père un soir est revenu avec un bras en moins. Souvenir de l'usine qu'il disait.

J'ai sommeil, les orangs-outangs en gardent le cul garance mais j'ai sommeil comme un vélo que l'on quitte et qui chancelle doucement jusqu'à vriller sur le pavé dans un ballet aléatoire. Collection numéro 38 : Punchs d'acteurs trentenaires après tournage de l'épisode pilote d'une série télé jamais diffusée. Pourquoi le pipi des bébés serait-il plus joli que le pipi des pépés ? Parce que pépé sait ce que c'est que le pipi et alors...Rien ne nous dit que bébé ne soit pas qu'une excroissance osseuse fourrée de vices et d'assassinats. Le restaurant est désert, soudain BOUM la valise explose, le restaurant est désert. Lèvres, petit sourire, je bouge la tête comme un fou qui se rend compte que je la désire, lèvres, petit sourire, je m'accroche à autre chose, lèvres, petit sourire, yeux et cheveux impecs, lèvres, petit sourire, je fais semblant de dormir, j'éveille mes tactiques, lèvres, petit sourire, je me retourne discrètement, lèvres, petit sourire, elle m'a vu, lèvres, petit sourire, c'est cool.

Président - Malte - Bastille - Concorde - Bouteilles - Gaz - Inquiétudes - Ruées - Flammes - Démocratiquement - Fantoche - Jeunesse - Défroquée - Dézonée - Hallucinée - Bouffée - Clameur - Rock'n'roll - Fachos - Bisous - Charlot - Visières - Relève - Putain - Président.

Les gens dans vingt ans, quand on me lira au supermarché sur un écran incrusté au-dessus du rayon Surgelés, les gens diront : "Au mois de mai, il s'est détachée un peu de la beauté et est retournée à ses jeux pénibles, à ses marelles hiéroglyphiques qui nous pompent l'air en grand."
Et là, parce que je pousserai des chariots pas loin en ayant le cheveu gras et toujours peu de barbe je dirai : "Tout juste" et les gens se volatiliseront dans une distorsion sublime de l'oxygène.



c'est marqué dessus

mardi 25 novembre 2014

A l'avenir, espérons

En cette journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes, j'ai décidé de me pencher sur les violences faites à l'homme...


Le train, au départ de Ricourt-Angieux, est arrivé à Paris à une heure convenable. En son sein, un être excellent aux joues rasées de près. Cet être est écrivain et il a même un petit carnet noir avec plein de ses travaux dedans pour en attester. Cet être est fatigué, aussi, parce qu'il dort mauvaisement. Alors fermant ses yeux pour se reposer un peu, il s'imagine qu'il dort tout en ne parvenant pas à lâcher pleinement prise (il entend des bruits de rhume, des conversations en langue étrangère et les éclats de rire d'une femme à grande gueule, même à sept heures du matin, même par haut brouillard). Il s'imagine qu'il rêve et dans ce rêve-ci, il met au point un homicide.

Il s'agit du meurtre de sang froid d'un polémiste aisé, survenant dans une rue déserte, après des mois d'observation et de filatures longues. Des semaines et des mois pour déduire que, ce jeudi-là, sa victime serait seule dans cette rue précise et qu'il pourrait à sa guise la poignarder au ventre.

Puis, le meurtre ne suffisant pas, il imagina l'après : la cavale, les poursuites et la peur pour sa peau à chaque nouvelle seconde. Il lui fallait impérativement un moyen de ne pas être repéré, de passer sous les radars, de s'en tirer sans mal. Sans doute parce qu'il n'était pas loin du sommeil véritable, il pensa qu'il pouvait utiliser ses cheveux...
Il en balancerait quelques mèches sur le corps encore chaud afin qu'on le soupçonne, qu'on l'interroge et qu'enfin l'on déduise que le tueur jamais ne serait bête au point de donner de la sorte son précieux ADN. Que c'était du suicide, de la pure folie dure là où leur tueur paraissait méthodique et serein. Elles devaient en conclure, ces forces policières, qu'un mystère plus grand planait au-dessus d'eux et que ces mèches de cheveux n'étaient qu'un fil d'Ariane menant vers Le coupable. Elles devaient l'innocenter ensuite - l'être excellent - peu de temps après avoir questionné la plupart de ses connaissances qui assurèrent à l'unisson que c'était une crème qui ne ferait même pas de mal à une bouche, fût-elle aigrie et mauve.

Une fois l'enquête terminée, il songea à la portée de son geste et au fait que, peut-être, il se révélerait vain voire, pire, qu'il ferait du polémiste jaune un martyr génial qu'on a souhaité faire taire parce qu'il avait Raison.

Le train fit un arrêt gare d'Antilly, une petite grand-mère tirée à quatre épingles monta et s'assit à côté de l'assoupi meurtrier. Elle avait à sa main un sac plastique blanc, elle le déplaça légèrement histoire d'être à l'aise une fois assise sur son siège. Ce mouvement eut pour effet de produire un bruit fort et caractéristique de plastique qu'on froisse, et ce assez logiquement. Ce bruit eut pour effet de réveiller celui qui ne l'était pas.

Dans la foulée de son installation sonore, la grand-mère sortit un livre de son plastique blanc. Il s'agissait de l'essai "Le Suicide français" de monsieur E. Zemmour...et à sa vue, notre écrivain pensa :

"Et si c'était un rêve du genre prémonitoire ?"


The Dakota Building - 1890



samedi 22 novembre 2014

One Hundred Voodoo Dolls / 5. Les coupées russes

Elles venaient toutes du même cercle, d'amies on ne peut pas dire, disons de connaissances. Certaines étaient mêmes cousines. Elles venaient toutes de la même barre d'immeubles, en fait, du même puits d'amertume. Elles n'avaient pas d'avenir dans ce lieu sans lumière, du moins le pensaient-elles. Elles fixaient chaque soir le long ciel de gaz en quête d'un courant favorable, d'une tape amicale, d'une main faite d'étoiles. 

Elles vivaient de ravins et de mélancolie, de l'argent de poche parental et d'un job d'été qui, même en hiver, tristement continuait. Elles n'avaient que les os sur la peau et qu'une moitié de robe à mettre pour les bals où, résignées, elles priaient pour qu'un homme les remarque et leur dise :

" Je veux bien te marier mais tu dois être sage, accepter la raclée, t'occuper du ménage, et ne pas trop te plaindre quand je rentrerai mort."

Elles ne priaient pas le beau chevalier mais le sale enfoiré pourvu qu'il ne soit pas le plus sale d'entre eux.
Elles buvaient puis tombaient ivres en un claquement de doigts, car trop maigres pour tenir sous l'alcool et ses lois. Elles se retrouvaient vite devant la bande de gaz, patraques, à se demander si derrière elle quelque astre y respirait encore. Elles vomissaient et devenaient plus blanches à chaque boyau vidé. Elles avaient manqué d'enfance et de nuits sans dispute, sans baffe sur la joue, sans crachat dans la menthe.

Elles s'adonnaient parfois aux plaisirs de la main, pour ne pas devenir folle et pour moins avoir faim.
Mais c'était tout pour elles.
Avant, bien sûr, qu'un homme les interpelle.

*

Il était du genre superbe, anachronique, plein de délicatesse. Il les invita toutes au soir de la rencontre dans un beau restaurant couchée dans la vieille ville. Il leur paya des verres, des bouteilles et des jarres. Il les fit rire jusque très tard. Il faut dire qu'il avait le verbe pour lui seul, en cette région du monde où le langage meugle.

Il les fit monter chez lui, sous prétexte d'avoir à leur montrer quelques photographies. En vérité, il ne mentait pas, il y avait en effet dans son trop vaste appartement divers clichés punaisés sur les murs. Ils représentaient tous des femmes épuisées, aux yeux jaunes et au teint balafré. Il ne désirait pas leur faire peur en affichant ainsi de si tristes portraits, simplement les mettre en garde.

Il avait vu tant d'âmes tomber dans le canal sans un seul sous en poche. Il ne voulait plus voir ça. Il se proposa, par conséquent, à la protection de ces jeunes femmes pauvres. Il s'engagea à leur offrir gîte et couverts en échange du fait qu'elles prennent des cours du soir et donnent chaque jour leurs corps de midi à seize heures. Il promit que les clients seraient proprets et respectueux et que leurs seuls caprices seraient de passer parfois par là où l'on ne passe pas. Il reçut des claques, des larmes et des menaces de mort. Il n'échoua pourtant pas complètement.

Deux femmes étaient restées. Une blonde et une brune aux yeux d'un vert constant.

Marianne von Werefkin - On the Bridge


*

à suivre...

mercredi 19 novembre 2014

Le ciel s'éclaircissa quand tu soudain vers moi

Néron quand il laissa Rome à la merci des flammes, des viols et des pillages, ignorait que l'hiver serait incompétent.
Il pensait comme un singe que les nuits floconneuses suffiraient à faire taire son fleuve rougissant,
Que la pluie et le froid feraient l'affaire et blanchiraient bientôt ces rues pavées de sang.

Contre ses dents les fruits explosaient des saveurs, des goûts de profondeur,
Des fièvres dont on ne veut pas guérir chahutaient ses viscères alors que lentement
Il pénétrait les chairs de ses jeunes servantes.

Néron allait mourir mais pas sans avoir joui
Dans le plus de conduits à sa disposition.
Néron allait mourir mais pas dans l'incendie
Mais dans son lit, dans sa maison.

Sous ses draps, il allait rêver comme au temps de la sieste obligée.
Il allait rêver des rêves d'une Rome renaissante
Lavée par le feu, toute nue, éblouissante.

Ensuite, un homme viendrait recoudre ses paupières et lui couper la gorge.
Ensuite il coulerait, perdu sur les eaux blanches,
Serein comme un enfant et sage comme un mort.

*
La vie devait reprendre son cours normal, 
Avec ses rebellions, avec ses esclavages, 
Avec ses gladiateurs face à des lions en nage.

La vie devait tuer d'un coup sec l'Image
De ces grises parois concassées ardemment,
Ce symbole émouvant d'un monde qui s'achève et de l'Art revenant.

La vie devait tout ça et même plus :
Construire des usines et des places pour les bus. 
Mais la vie elle aussi ignorait l'essentiel ;

Cachée, là, dans la pierre, à deux cheveux du ciel
La flamme avait survécu bizarrement.

*

Et comment et pourquoi on ne le savait pas 
Mais elle était bien là cette légendaire fournaise...
Quelques siècles plus tard...en banlieue parisienne...
Elle était là.

Tableau qu'on ne peut pas peindre
Musique sans oreille
Impossible à éteindre 
Étendue dans mes bras. 

Je prends, chaque jour à cause d'elle, 
Des bains d'onguents et de pommade.
Je prends, chaque soir grâce à elle, 
De puissants bains de lave espérant la noyade. 


Arnold Böcklin - L’Île des morts

vendredi 14 novembre 2014

Ce miracle qu'est l'homme pour la femme moderne

Tu sors sans protection puis tu rencontres un mauvais homme.
C'est pas qu'il est violent, c'est qu'il est plein de promesses : de mondes sans montagnes et d'univers sans pluie, de couchers de soleil trempés dans le café et de nuits délicieuses à renverser la vie.
Tu sais qu'il ment, que profonde est la nuit et qu'elle est dans ses yeux.
Tu sais bien, toi, qu'il finira par s'obscurcir comme l'ont fait tous les autres.
Qu'il finira par préférer le pain au jeu, le vin au jeu, le vain au jeu.

Qu'il te frappera.

D'abord sur le coeur en fuyant ton regard, en refusant ta main
Puis sur la gueule un soir de match piège.
Tu sais qu'il fera partie de ceux qui rêvent que la jeunesse ne vieillisse jamais, que les seins ne tombent pas
Et que le désir apparaît sur commande.
Tu sais qu'il vous ruinera en pariant tout l'argent sur un cheval malade comme tu sais aussi que de feux d'artifice il n'y aura jamais, pas plus de lac de Côme.

Tu sais que son sommeil sera des plus bruyants et qu'il te rabaissera s'il a trop mal dormi.

Tu sais que ton sexe sera mis de côté, ton clitoris de même
Et ainsi de suite jusqu'à ton âme...mais qu'il n'y aura pas la paix tant qu'il n'aura pas joui
Dans ta bouche si possible.

Tu sais tout cela et pourtant, tu sors, sans protection
Tu te dis que peut-être...
Tous les hommes ne sont pas...

Et dix-huit mois plus tard
Derrière tes lunettes noires
Tu n'espères rien d'autre qu'une dernière rencontre.

Avec une balle, avec une lame,
Avec un trente-six tonnes t'emmenant sous ses phares.


Maria Helena Vieira Da Silva - Les Grandes Constructions




lundi 10 novembre 2014

One Hundred Voodoo Dolls / 4. En revenant

D'abord, des cercles colorés puis de rouges rayons, puis des méduses, puis comme des pulsations d'énergies enflammées...comme des cylindres creusés dans la lave...Un enchaînement vertigineux d'images et d'émotions, un déferlement, une longue et délirante vague portant vers une plage froide, vers du sable neigeux, vers là où la buée sort par la bouche et où l'urine gèle. Aussi des écrans verts, d'énormes récepteurs d'amazonite ainsi que quelques postes de radio visiblement cassés. Des mouvements, des murmures fomentant, des prières répétées à voix basse pour ne pas se faire prendre. De l'agressivité, des pensées autodestructrices, une douleur tenace au niveau de la poitrine, pas un cancer mais presque, une tumeur d'abandon.

Nous nous sommes supprimés en même temps elle et moi. Nous avons choisi la mort faute de mieux. Nous aurions préféré continuer à nourrir nos bas-ventres en mélodies superbes plutôt que de s'achever en flaques noircissantes. Mais le temps nous manquait.

A vrai dire, il a toujours manqué mais nous faisions comme s'il était infini. Nous nous accordions des trimestres sans se voir, juste pour cultiver un peu la frustration. Juste pour se persuader qu'individuellement la vie gardait son charme. Nous étions d'insouciants jeunes humains qui s'aimaient avec humour et légèreté. Ce n'est qu'à partir du moment où l'épidémie toucha l'Europe que nous comprîmes l'ampleur de notre idiotie. L'horloge venait de se figer et d'emporter sous elle les futurs espérés. 

Il n'y aurait pas de gloire ni pour elle ni pour moi, pas de voyage autour du monde ni de verres sur les toits. Nous étions condamnés et nous regrettions, tout en nous embrassant, ces jours nombreux où par orgueil nous fûmes séparés. Les combinaisons n'étaient pas efficaces, on les avait payé à prix d'or pourtant. Les combinaisons n'étaient pas efficaces, elles fondaient sous le gaz et bientôt notre peau commença à bouillir. Elle n'hésita pas à appuyer sur la tête de la seringue. Moi non plus, même si c'était comme mourir deux fois. 

L'équipe de nettoyage en découvrant nos corps ne vit dans les faits qu'une flaque de chair noire, qu'un lac uni d'épidermes. 

Une série d'éclairs. La peur, la force, la terrifiante envie de subsister ici. Des flocons qu'on jette au feu et qui soudain deviennent des nerfs et des visages. Un estomac vide qui a toujours faim. Des dents apparaissent, des dents apparaissent et mordent le squelette. Ces dents seraient capables d'arracher jusqu'à Dieu. Enfin, une contraction, l'univers qui se replie sur lui-même et ensuite s'étire projetant les étoiles à l'autre bout de lui. Le silence comme seul son audible. Et les dents se réveillent. Et Dieu qui s'endort et ne veut pas voir ça.

Avec ou sans ce mal, je crois que j'aurais tué. Je veux dire, passer toute sa vie à n'avoir aucune prise sur rien, à craindre pour sa peau, pour ses jambes, pour son dos, pour son foie, pour sa vessie et pour son sexe. Craindre aussi de perdre son travail et de ne pas rencontrer de gens suffisamment plaisants. De ne pas lire les bons livres, de ne pas avoir les références qu'il faut, le profil adéquat. Craindre que le bus soit en retard, qu'il fasse mauvais temps, que la crise économique se fasse ressentir sur notre fiche de paie ou que l'eau du bain pour une fois soit trop chaude. Craindre les guerres, qu'un chef d'état d'un pays pauvre ait un accès de folie et appuie sur le gros bouton rouge. Craindre d'être quitté ou de ne pas être aimé vraiment. Craindre que ses parents meurent ou qu'ils vieillissent trop vite. Passer toute sa vie comme ça, entre deux eaux, sans jamais avoir un coup d'avance...Je n'aurais décidément pas pu. Alors j'ai profité de l'effondrement d'une partie de la civilisation. J'ai profité du massacre ambiant pour massacrer de même. J'aurais pu me contenter de briser les vitrines ou de voler l'argent de riches gérontiques. J'aurais pu trouver une satisfaction dans ce besoin désespéré qu'avaient les autres à tout faire pour que tout redevienne normal...

Je me demande pourquoi d'ailleurs ils voulaient à ce point que les choses rentrent dans l'ordre...Eux qui étaient les premiers à se plaindre de tout en temps normal et qui même en plein orgasme ne paraissaient jamais satisfaits. Et voilà que les mêmes se serrent les coudes pour pouvoir, s'il vous plaît mon Seigneur, retourner dans les bouchons, se lever au milieu de la nuit à cause de leur fils qui fait ses dents, imprimer de nouveau trois cents photocopies par jour de factures inutiles. Quel comportement barbare et dénué d'ambition ! Les catastrophes ne sont pas faites pour revaloriser le banal quotidien, elles sont faites pour permettre de le dépasser et de participer à quelque chose d'extrême. 

Pour ma part, l'extrême c'est poignarder. Je vais dans les villes avec mon petit sac, tout heureux de vivre, et je poignarde au hasard les passants souffreteux. Je les vois s'effondrer comme l'ont fait les tours et les supermarchés et je suis fier de moi. Je goûte à la vie-même et partage mon repas avec ces gens qui meurent de ma main. Je sens qu'ils me remercient au fond quand ils s'écroulent, parce qu'après tout, il vaut mieux crever sans prévenir qu'au bout de trois mois d'agonie à cracher tous ses os un par un. Je suis une sorte de bon samaritain, en fait. Un tueur hors pair et un bon gars. Si ce monde survit, peut-être que j'aurais droit à ma statue ou à une rue à mon nom. Et peut-être que les automobilistes, ruminants leurs inassouvissements tout en maudissant la lenteur du trafic, verront tous les matins ma plaque en se demandant qui est-ce que j'ai pu être. 

Féroce volonté d'étriper, de démembrer, de piocher dans les côtes les fluides et les organes.


L'école venait à peine de se terminer. Je traînais les pieds comme jamais. J'avais reçu un avertissement à cause de mon comportement et je craignais la réaction de mes parents, surtout celle de mon père. J'avais peur de prendre une raclée et de me sentir honteux pour le reste de la semaine et par conséquent, dans un cercle vicieux, que mes camarades de classe, reniflant cette honte, me flanquent une raclée à leur tour. 

Je ne le savais pas à ce moment-là mais c'était la toute dernière fois que j'allais avoir peur. 

A reculons, j'ouvris la porte avant de poser mon sac dans l'entrée et de sortir mon carnet de correspondance sur lequel figurait ma pénible sanction. Mon professeur principal avait griffé deux courtes phrases qui insistaient sur mon côté turbulent et sur ma roublardise. Ces phrases étaient écrites avec une morgue et une gravité que Staline aurait certainement applaudi des deux mains. Je connaissais par cœur chaque mot de ce commentaire et j'appréhendais l'impact de chacun d'eux d'abord sur le cerveau de mon père puis sur mes joues d'enfant. 

J'avançai jusqu'au salon comme un pirate sur sa planche tendue au-dessus des squales. Mais il n'y avait personne dans le salon pas plus que dans la cuisine qui était restée malgré tout allumée. Mes parents étaient peut-être à l'étage en train de batifoler, de faire du "remuement" comme ils aimaient à le dire dès qu'ils avaient bu trop. Je trouvais cela dégradant mais quelque part, s'ils étaient effectivement en train de jouer à "mets-toi là où il y a de la place", cela m'offrait peut-être une chance considérable. Car après avoir "emmené le serpent dans la cage", mon père était toujours des plus guillerets et il se pouvait bien qu'il prenne mon avertissement à la légère et se contente de me rabrouer mollement. 

Mais le lit ne grinçait pas, mais ma mère ne criait pas exagérément. J'entendais seulement le silence et le soleil couchant. Curieux, je montai les escaliers doucement afin de ne pas les déranger si jamais ils étaient effectivement en train de "peindre la petite chambre en blanc". Mais toujours rien, seulement la disparition du jour et comme un bruit liquide. Pas un bruit d'écoulement ni de clapotement, un bruit d'absorption, de succion perpétuelle. 

Pour justifier la suite des événements, sachez qu'à cette époque quand on atteignait mon âge, il était tout à fait fréquent d'être obsédé par la chose sexuelle. Alors, même quand c'était vos parents...quand vous entendiez des bruits bizarres, vous aviez envie de savoir...quelle pratique cela pouvait cacher, quel enchantement ou quel charivari ! Voilà pourquoi je ne suis pas redescendu et ai préféré regarder par le trou de la serrure. 

Mes parents étaient bel et bien nus mais ma mère plus que lui. En ceci qu'elle avait le crâne largement entrouvert et que mon père y buvait, son sang, assez avidement.



Nature morte au Hasard




jeudi 6 novembre 2014

Transition

Garry n'aimait rien de mieux que de se masturber deux à trois fois par jour. Cela libérait chez lui suffisamment d'endorphine pour calmer tous ses instincts vicieux et rehausser aussi, d'une perverse façon, son ego suspendu au bord du précipice. De fait, ses envies assassines ou suicidaires diminuaient de moitié dès lors qu'il pouvait se purger à son rythme habituel. Les yeux absorbés par ces reconstitutions éclatantes d'actes de copulation tous plus sauvages les uns que les autres, Garry ne se rendait pas compte qu'il se sauvait la vie à mesure qu'il jouissait.

Bien sûr, il se la détruisait d'égale manière, bien sûr, il aurait été plus sage de sortir, de rencontrer des gens, d'aller à la bibliothèque se cultiver ou de faire du vélo tout terrain. Bien sûr que c'eût été plus sain de collectionner fleurs et arômes en s'adonnant à de longues promenades en forêt, et plus épanouissant de se passionner par exemple pour la mythologie - nordique tant qu'à faire - et de devenir incollable sur le Codex Regius tout en ayant régulièrement des cours de piano avec une professeure aux lèvres permanentes. Mais Garry n'aimait pas ça, Garry aimait voir de jeunes asiatiques se faire chausser par d'illimités membres tout en ayant la main dans son caleçon.

Garry était un produit d'une génération privée d'intelligence réelle. Il était l'un de ses adolescents chez qui l'écran a remplacé le miroir, le livre et le chemin de terre. Un organisme d'à peine vingt ans déjà sur le point de rompre à force d'exister sans grande occupation. Un homoncule qui ne verrait jamais le soleil se lever à l'autre bout du monde parce qu'en quelques manipulations sur son ordinateur, il croyait pouvoir déjà le voir. Une mémoire qui faisait tout pour ne pas se souvenir.

Alors qu'elle en a vu des choses en vingt ans d'existence : des rousses qui boivent dans une coupe la semence de trente messieurs masqués, des noires aux reins de diable fou qui feignent l'apothéose tandis qu'un vieux gaillard s'échine en elles, des centaines de filles aux airs enfantins qui ne tournèrent qu'une fois, un nain monté comme Lautrec, un homme équipé d'une prothèse à la jambe droite faire l'amour à une lycéenne coiffée d'une perruque bleue, des tonnes de sexes énormes et de seins illogiques parce que siliconés, des seins posés et comme morts, des fesses magnifiques qu'on force à s'entrouvrir pour le plaisir de quelques yeux maniaques, des gorges profondes qui se perdent dans la bave ou bien dans le vomi, des humiliations, des crucifixions avec du scotch, de l'ennui, de l'urine, des jours entiers de gros plans inutiles sur les parties intimes des acteurs principaux, de l'amusement, des moments de comédie réussis car mal joués, de la merde, du sang, du sang de première fois, du sang menstruel, du sperme par hectolitres, des femmes enceintes, des filles en uniformes qui ont l'air d'aimer ça, des hommes qui geignent comme s'ils venaient de se faire décapiter un bras alors qu'en fait ils jouissent quatre gouttes compactes, des éjaculations féminines qui mouillent jusqu'à la caméra, des corps bodybuildés, des corps rasés, des corps unis pour de l'argent, parfois même un peu plus...de la gloire, du tapis rouge et de l'estime de soi.

Pétrifiés, fossilisés, semblables aux habitants balayés par la Bombe, les spermatozoïdes s'éteignent au fond de mouchoirs blancs. Avec eux disparaissent des Mozart et des Napoléon, des Véronèse et des Claude Rutilon. Garry ne le sait pas lorsqu'il s'essuie piteusement l'entrejambe mais il a peut-être empêché la pire des dictatures, car peut-être que s'il avait joui au sein de parois vaginales, son amante et lui-même auraient enfanté le démon terminal. Ou bien leur bel enfant aurait été musique, poème et rêve puissant. Il aurait su réenchanter ce monde et tisser de ses doigts la toile des plénitudes...

Garry n'en saurait rien, il n'aurait pas d'enfant.
Ce n'est pas pour autant qu'il n'aurait pas de femme. Encore que, la question se pose.
Cette histoire qui ne commence pas vraiment est, figurez-vous, une vraie histoire d'amour.
De ce genre d'histoire qui change tout et montre, à l'animal, à quel point l'Homme est plus foutu que lui.

Garry était aux abords de sa deuxième masturbation quotidienne et comme souvent, il peinait à trouver la vidéo parfaite. Il lui fallait une fille jolie, naturelle, presque encore innocente bien qu'ayant un regard noir et péripatétique. Il lui fallait un homme bien bâti sans qu'il donne l'impression d'être sous stéroïdes, et il fallait qu'il ait un sexe lourd non circoncis. Ces deux conditions physiques réunies, il fallait que la scène nous offre une belle qualité d'images, des positions variées, de l'intensité et, surtout, une pointe de réalisme au moment où les deux corps céderaient l'un à l'autre. Il fallait des baisers et des mordillements, de la mouille et des halètements. Du réel dans tout ce que cet univers pouvait offrir de plus superficiel, soit l'obéissance de deux êtres humains à leurs instincts procréatifs contre une faible somme d'argent.

Garry était aux abords de sa deuxième masturbation quotidienne et comme souvent, il peinait à trouver la vidéo parfaite. Il aurait pu fouiller dans ses souvenirs afin de palier à ce manque mais il n'en avait pas. Il aurait pu lire plutôt une bande-dessinée d'un des maîtres italiens mais il n'en avait pas. Au bout de vingt et une minutes de recherches infructueuses, il tomba malgré tout sur son clair objet de désir. La vidéo avait pour titre : "Candy Surprise". Son postulat de départ était simple : une jeune étudiante afro-américaine avait un cours particulier avec son professeur, un blanc bec trentenaire aux traits paramilitaires, et ce cours qui restait tout à fait courtois pendant quarante secondes dérivait rapidement vers une scène de sexe extrême. Sur l'aperçu qu'il avait de la vidéo, sur ces quelques vignettes qui défilaient quand il passait sa souris, Garry vit que l'homme avait l'air admirablement doté et que la femme avait l'air d'aimer ça. Il lança donc la vidéo.
Une fois celle-ci achevée, Garry n'avait pas joui mais avait eu, excusez-le, un profond coup de foudre.

La surprise de Candy était qu'en vérité Candy était un homme avec des implants. Un homme avec des implants qui initiait aux plaisirs du derrière notre professeur du dimanche qui n'avait jamais été aussi beau et viril qu'avec un sexe vif enfoncé dans sa chair. Un homme avec des implants et un visage sublime, concentré archangélique de douceurs et de démolitions. Garry était tombé amoureux de Candy. Lui qui n'avait pas pour habitude de fantasmer tellement sur les hommes se retrouvait foudroyé par cet homme modifié.

Garry ne savait rien sinon qu'il désirait voir Candy pour de vrai. Connaître son vrai nom, son vrai goût, savoir d'où elle venait et si elle comptait faire du porno son métier pour de bon. Il avait envie de caresser sa poitrine et puis de la branler, il avait envie de boire du thé en sa compagnie ou d'aller au cinéma voir la dernière adaptation sortie. Heureusement pour Garry, ses connaissances acquises sur Internet et le recoupage des données lui permirent de connaître l'identité de Candy en une heure même pas...

Garry éteignit son ordinateur et respira avec soulagement. Enfin, il savait.
Et pour fêter cela, ce soir-là, il sortit sans penser à quand il rentrerait.


William Blake - Jérusalem



jeudi 30 octobre 2014

L'Idéal, aveugle et silencieux

Exauçons-nous vraiment quoi que ce soit ici ?
Toutes ces cruautés qu'on rapatrie, toutes ces beautés qu'on laisse en vie...
Tous ces souvenirs laids, tous ces prestiges unidimensionnels qui gonflèrent notre cœur d'idées de profusion
Sont-ils davantage que du vide en mouvement ?

Et la procréation, et le divertissement, et la visite de pays prétendus exotiques,
Et ce bruit, tout ce bruit
Cette musique des rues qui vivantes s'enterrent :

Grincements, grognements, ronflements, cliquetis, martèlements, tout cet ensemble qui constamment performe, assiégeant nos tympans et nos pensées profondes, faisant du recueillement une bouillie colorée et ravie et massacrant la joie pour la rendre aussi noire qu'un verre de vin qu'on brise...

Et la fumée mon Dieu et les volts qui pulsent, qui jouissent en s'injectant dans nos canaux optiques qui ne réclament que ça...
De l'amusement visuel, de la nudité, de la petite déchetterie d'images impénétrables étudiées pythagoriquement pour retirer nos neurones en masses.

/ Les gens intelligents n'achètent pas ou peu, ils préfèrent observer les courbes où qu'elles soient.
Ils n'ont que faire des appareils, des greffons, des machines ou des lampions ovales à tête rétractile.
Ils vivent eux d'angoisse et de mains sur la joue, de lacs peints, de blessures à la jambe ou de liberté prise.

Ces gens-là existent dans un relief plus grand mais ils demeurent captifs néanmoins, du temps, comme tout un chacun. Ils vieillissent et font à la folie une fête pas possible.

Mais eux aussi peinent à exaucer.
Ce sont des chiens qui savent le goût des nourritures et jusqu'à leur provenance mais pas plus que cela.
Ce sont des chiens qui pensent et dorment en silence.

A quelques kilomètres de ce bruit permanent qu'est le corps citadin, cette peau complotante dont l'envie résurgente est d'obtenir une guerre et que celle-ci soit sale. Car il faut bien les vendre nos gels nettoyants et nos rediffusions du Conflit encore chaud.
Il faut bien le vendre le chagrin de ceux qui sont restés alors qu'ils auraient pu combattre et être tués.

C'eût été pour eux un souhaitable destin, bien plus à portée de main que le four du savoir de ceux qui souriants s'éteignent chaque soir.

Avec un livre blanc ouvert à côté d'eux
Comme un cœur comme une âme lestée de toute sa graisse, de tout son bruit et puis de tout son jeu.
Comme un vœu qui finalement s'abandonne de peu.


Timide Rentrée





jeudi 23 octobre 2014

One Hundred Voodoo Dolls / 2. Nue

Tu fixes trop le ciel comme s'il détenait seul le goût des vérités.

Mais sais-tu que là-haut tout est dur silencieux, que les étoiles ne sont que des masses de gaz hautement réfrigérés, que le soleil n'est qu'un monstre jaune moutarde avare en gentillesse et que la lune est un désert où passent çà et là d'horribles araignées ?
Sais-tu aussi que les planètes sont des toupies mortelles où l'homme ne peut faire que mourir atrocement ?
Sais-tu cela ?
Que ce que tu perçois dans le ciel comme infini et tendre n'est rien qu'un piège visuel et qu'au fond tu fais face à mille et une façons de clamser piteusement ?
Brûlé, asphyxié, démembré ou les trois en même temps avec un peu de sang qui jaillirait des yeux.

Vois le ciel et l'espace comme une mer à jamais démontée ou comme une autoroute sans signalisation qu'il faudrait traverser les yeux bandés et sur ta mauvaise jambe.
Pas tout à fait poétique cette dangerosité-là, voire plutôt cauchemardesque...et sans même avoir à s'attarder sur les tortures spatiales, il suffit de comprendre le ciel comme un rideau de microbes d'un nombre insurmontable qui t'envelopperait continuellement, de penser à lui comme à une couette couverte de vomi que l'on frotterait contre ta joue vingt-quatre heures par jour.

C'est ça le ciel mon vieux, et rien de plus, une couche de peinture belle qui vise à camoufler maints océans malades et purement dégueulasses.
Ce n'est ni plus ni moins que la version naturelle de ce que l'on nomme, habituellement, l'amour parental.


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dimanche 12 octobre 2014

05/10/2014

Dimanche, je rentrai par le train d'un week-end parisien totalement consacré au plaisir. J'avais, par conséquent, dans le torse un cœur aux contours  merveilleusement solaires voire somptueusement boréaux.

Et puis je les ai vues :

Deux familles bien comme il faut avec des enfants blondinets et rieurs. Pourtant, j'aime bien les enfants d'habitude. Qu'ils aient l'air de sortir d'un conte d'Andersen ou d'une planche de Takahata, je les trouve amusants et parfois même ils m'émeuvent lorsqu'ils parviennent à renverser le monde de par leur naïveté. 
Mais ceux-là me dégoûtaient et leurs parents pareil comme ensemble ils représentaient la plus dysfonctionnelle des communautés. 

C'est que ces gosses-là portaient sur eux un sweat d'un goût apostrophant. Un vêtement gris, informe, sur lequel trônait une rangée de silhouettes de toutes les couleurs. 

J'ai fait de mon mieux pour conserver mon calme à la vue de ce tissu abjectement conçu - je n'avais pas envie de gâcher mon plaisir solitaire d'homme quittant à peine les rives du fleuve Amour - mais c'était un effort tout à fait hors de ma portée. De voir ces mômes manipulés ainsi puis emmenés de suite sur le champ de la Haine afin d'être brandi tels des idoles pieuses ou de blancs sachets de preuves que " Oui, notre combat est juste car oui il est soutenu par les plus innocents qui soient !"...ça a plongé mon soleil de cœur dans de longues eaux bileuses !

Je n'y pouvais rien, j'étais glacé.

Glacé qu'on puisse s'opposer à la passion d'humains ne souhaitant rien qu'aimer. Glacé que ces idées existent encore et gagnent même en popularité au fil des rumeurs et exagérations alors que, bon sang, aucun bébé congelé ni gentil papa pédophile n'ont été détectés dans ces si dangereuses familles LGBT. Glacé qu'autant de personnes sacrifient un de leurs rares jours de repos afin de défiler fièrement dans les rues contre la liberté. Glacé au point de ne plus sentir rien que du froid et magmatique mépris à l'égard de ces "manifestants". Ces terribles idiots qui prétendent défendre la famille véritable et ses valeurs les plus nobles alors qu'ils balancent un " Si ça continue tu vas t'en prendre une ! " à la moindre agitation du petit.

Ils vous diront qu'une bonne claque ça vous apprend le respect, qu'il n'y a pas trop de mal à boire ou que rien ne vaut une bonne engueulade pour resserrer les liens...
Comme il est bien connu que ce genre de climat abîmé est plus favorable au bon épanouissement de l'enfant que le fait d'être élevé par deux parents qui s'aiment, fussent-ils du même sexe. 

Alors oui, il y a des homos et des lesbiennes pervers ou désaxés mais tenez-vous bien...
C'est pareil en pire au cœur du modèle patriarcal que vous portez malhonnêtement aux nues.

Enfin, le train est bientôt arrivé...
Je vais me retenir d'arracher la tête de cette gosse qui récite son catéchisme avec grand sérieux.
Je ne vais pas non plus égorger ses parents devant ses yeux ou tous les tabasser à mort sous prétexte qu'ils vivent et pensent différemment de moi.

Non, je ne vais rien faire de cela car après tout...je ne suis pas un de ces hétéros à la sortie d'une boîte gay.
Je ne tue pas moi...j'essaie d'aimer.
Et j'espère vraiment qu'un jour vous qui belliqueusement manifestez, vous comprendrez ce verbe. 



P-S :

Pardonnez cet évangélisme quelque peu enfantin
Il est celui d'une âme émue et dramatiquement triste. 


vendredi 3 octobre 2014

The Green and Blue sorrow

Des pierres écorchent ses joues. Elle a regardé un autre homme.
Des pierres écorchent ses joues. Dans cinq minutes, elle sera morte.

*

Il avait de la glace dans le fond de la gorge. La foule criait autour de lui mais il ne l'entendait pas. Il terminait la saison complètement exténué, bien qu'il soit un véritable athlète, il avait l'impression qu'à la moindre mauvaise chute, tous ses muscles risquaient de se crisper au point de céder sèchement et de briser ses os par la même occasion. Il ne craignait pas vraiment cette blessure. Une part de lui l'espérait même.
Il voulait quitter ce monde de performances, de crépitements, d'intérêts et de propositions pour rejoindre celui plus simple d'une chambre d'hôpital. Redécouvrir l'humain derrière le footballeur, sentir la valeur d'une minute ou d'un quart de seconde passé à ne rien faire. Il n'avait que 27ans mais il se sentait déjà vieillard tant les événements s'étaient précipités en peu de temps.
Il aimait marquer des buts, voir les filets trembler, se retourner vers ses coéquipiers et leurs sourires, leur amitié, c'était ça qu'il aimait. Mais il ne pouvait pas toujours faire ce qu'il aimait, il fallait bien qu'il grandisse et lorsqu'on a l'opportunité de faire un job si scintillant, on ne la refuse pas.
Les vestiaires s'étaient modernisés, les maillots étaient chaque fois davantage recouverts de sponsors divers et ses coéquipiers étaient de plus en plus des étrangers pour lui. Il n'était qu'un autrichien parmi pléthore de nationalités allant de l'Afrique noire au coeur de Rosario. Il ne parlait pas la langue du pays dans lequel il jouait désormais. Il était seul, un attaquant vieux de mille ans plus riche que la plupart des hommes.
Les transferts successifs lui avaient permis de voir du monde mais pas d'en profiter, il avait joué et marqué contre des clubs mythiques sans même savoir qu'ils l'étaient. Il ne se souvenait que des coups réussis et des coups pris, que d'une anthologie de sensations qu'il répétait chaque jour jusqu'à ce que quelqu'un siffle.
Il n'écoutait plus de musique à part quelques standards. Il n'allait pas au cinéma, à peine regardait-il avec sa fille les derniers dessins-animés sortis. Il n'avait pas lu de livre depuis son premier contrat pro.
Il avait peur de rencontrer quelqu'un.
Et si jamais ce quelqu'un essayait de profiter de lui ou de sa fortune, et si jamais ce quelqu'un influait sur ses performances et sur sa ligne de statistiques ?
Il avait souvent sa mère au téléphone qui était fière de lui. Lui, il avait honte. Honte d'avoir abandonné sa vie sur l'autel d'un jeu. Honte d'avoir délaissé son âme de la sorte et tout ça pour un corps qui ne lui servait à rien. Il ne pouvait pas avoir de relation sexuelle avant les matchs...et même s'il avait voulu...comme il y a des caméras et des appareils partout, rien ne lui garantissait qu'une heure seulement après avoir joui, il ne retrouverait pas l'image de sa jouissance sur les réseaux sociaux.
Son jeu dos au but était un modèle du genre, il avait un bon pied droit et un jeu de tête de qualité. Il n'était pas le plus rapide sur un terrain loin de là mais comme il s'arrangeait toujours pour faire le geste juste, il marquait beaucoup, il marquait énormément. Plus d'un but tous les deux matchs, tel était son ratio. Seule une poignée d'autres joueurs étaient aussi décisifs que lui en Europe.

Il avait de la glace dans le fond de la gorge. La foule qui criait son nom ne manquerait pas de le siffler après deux trois face à face manqués ou une défaite contre un adversaire largement à portée. Son compte en banque était blindé ? Il n'en savait rien, il ne payait plus rien par lui-même depuis un bout de temps, tout semblait comme téléguidé. Repas, avion, taxi, repas, heures de sommeil, entraînement, taxi, repas, avion, heures de sommeil, visionnage tactique, sauna, repas, avion, heures de sommeil, match, entrainement, injection, match, décrassage, avion, repas, orgasme, injection, décrassage, avion, heures de sommeil, taxi, repas, match, entraînement, injection, match, match, match, match...

Il ne vivait que pour le match. 90 minutes d'effort et de tension. Comprendre les signes de ses partenaires qu'il connaissait à peine. Leur faire une passe ou faire l'appel qu'il faut pour que vienne la passe. S'élever dans les airs, passer devant son défenseur et marquer comme on a toujours su le faire. Se retourner et voir de la tristesse dans les yeux de certains. Untel aurait aimé marquer à sa place. Un autre lui en voulait pour un fait de jeu dans un match il y a six mois de cela. Il n'en savait rien. La foule faisait trop de bruit. Il courait à toute vitesse mais avait l'impression qu'à la prochaine foulée il s'effondrerait et ne pourrait plus jamais marcher. Il courait vers les tribunes, vers cette montagne multicolore de gens venus de toutes sortes de vies et dans sa tête il leur criait :

"Fuyez, mon Dieu, fuyez ! Vous n'avez pas plus important à faire ? Fuyez, mon Dieu, fuyez. Je ne suis qu'un rien qui meurt sous vos yeux ébahis, je ne suis qu'un rien qui meurt et que vite on oublie."

La foule en délire resta à l'applaudir.

Il mit un doublé ce soir-là et se fit les croisés quelques semaines plus tard.

Au bout de plusieurs mois de rééducation, désespérant de ne pas pouvoir revenir à temps pour la coupe du Monde, il tomba en dépression.

L'année d'après, il mit fin à ses jours en se taillant les veines.

Stefan Blaureiser : 29 ans (0,64 but/match).

*

dimanche 28 septembre 2014

Lever les yeux au ciel

Le soleil et la brume s'étaient donnés rendez-vous en ce matin d'été gare de Rieu. Et j'étais là, parmi ces couleurs pleines dignes d'un rêve éveillé, et j'attendais mon train. A mes côtés se tenaient une exacte dizaine de passagers futurs. Sept femmes et trois hommes, la plupart trentenaires. La brume et le soleil m'empêchèrent de distinguer correctement leurs traits et leurs cheveux. Alors j'imaginais qu'ils étaient blonds et qu'ils faisaient partie, tous, d'une seule et même corporation et qu'au sein de celles-ci, ils étaient...peintres sur ciel.

Ceux de jour traçaient le ciel des nuits profondes, à grand renfort d'étoiles et de lune laiteuse.
Ceux de nuit dessinaient le ciel de journée, à coups d'aubes, de feux et d'océans lointains où baignent des nuages.

Ce qui me fit monter en tête une pensée à ce point saugrenue tenait tant dans mon manque de sommeil que dans l'attitude adoptée par cette dizaine lisse. Car sous la brume ensoleillée, ils semblaient tous ensorcelés, non par l'apaisante majesté du tableau naturel - qui n'était pas encore couvert par la montée urbaine et ce malgré tous les grillages d'ores et déjà posés - mais par le cercueil noir qu'ils serraient dans leurs doigts.

Sur ces boîtiers étaient vissés des écrans lumineux qui paraissaient bien fades en comparaison du jour s'ébattant. Mais il aurait été malhonnête ma foi de leur en vouloir de préférer ce jour-ci à ce jour-là, quand bien même si entre les deux c'était le Jour et la Nuit. Malhonnête parce qu'ils s'abîmaient les yeux et l'âme pour une bonne raison : parce que le ciel était leur pain quotidien et qu'à la longue ils avaient fini à s'en dégoûter presque.

Et donc ils se divertissaient en plongeant dans des cadres inertes et sans beauté où voletaient de maigres informations rapidement oubliées. Ils se reposaient le cœur de toute cette nature, de toute cette campagne, bue et rebue chaque jour.

Enfin ça, c'est ce que j'imaginais tandis qu'au fond de moi, le gâchis rigolait.



William Turner - Rain, Steam and Speed - The Great Western Railway

dimanche 14 septembre 2014

Looking for Stamina

Les deux genoux brisés, les sensations ne sont plus les mêmes
J'en ai fait la douloureuse expérience...
Le corps est un orgueil et j'étais devenu le plus humble des Hommes.

Fatigue, épuisement, mal être, courbatures, membre fantôme.
Il marche au point de se désintégrer, dort très mal, se nourrit with anarchy.
Sa haine des autres va grandissante, il se déchire de l'intérieur, muscle noirci.
Ses rares passions sont devenus des poids et l'orgasme même l'harasse et le laisse froid.
Les plaintes ont passé la démultipliée.

Il a envie d'arracher la peau du visage de ses contemporains, de taper à coups de marteau contre leurs côtes merdeuses...
Se faire un festin de chaque organe vain de ces débiles mentaux, et puis, de les recracher sur la tombe de leurs ancêtres. Mais ces gens-là n'ont même pas de tombe ! On les a foutus dans de larges caveaux communs, en compagnie de cadavres de chiens et d'écureuils roux.

Ils sont le fruit de l'union entre des fluides divers : urine, diarrhée, sperme, purée d'asperges...

Comme nous le disions, sa haine des autres allait grandissante comme il ne pouvait pas se détester lui-même plus fortement qu'alors. Ventripotent, maladroit, retardataire et gras, il avait, de surcroît, perdu toute forme d'imagination. Avant dans sa tête croissaient d'illimitées forêts peuplées de fleurs déraisonnables aux parfums surpuissants qu'on croyait abolis...il se réinventait les senteurs d'origine, le goût de la lumière, de la terre et du feu.

Il faisait partie de ceux qui vivent vraiment rien qu'en fermant les yeux.
Avant.

Il n'avait pas saisi l'exact point de rupture mais la mort de son lion avait sans doute à voir.


Remedios Varo - Simpatía


dimanche 24 août 2014

A Serious Ghost

Il fait beau. Une grande variété de fleurs s'épanouissent par un temps aussi clément tandis que sous les pierres, des colonies d'insectes bicolores font et défont un sol qui, un coup de tondeuse plus tard, ne leur appartiendra plus. Des enfants jouent à la marelle, l'un d'entre-eux, une fillette prénommée Arlene, perd lors d'un saut l'élastique rose attachant ses cheveux. Son grand-frère et son père regardent le match à la télévision. Sa mère est occupée à préparer du thé glacé. Elle le fait avec plaisir en pensant à la joie qu'aura Arlene quand, fatiguée, elle viendra se rafraîchir auprès d'elle. Elle pense que toutes ces petites attentions, du thé glacé au baiser sur le front en passant par ses encouragements feront d'Arlene une femme formidable qui ne l'oubliera pas. Elle espère ne pas finir seule dans le fond d'une chambre vaguement éclairée et ne jamais voir de près le badge d'une infirmière.

Arlene a douze ans, un visage gracieux, des jambes appétissantes. Les gens du village disent d'elle qu'elle finira danseuse. Personne, dans sa famille ne sait si c'est un compliment ou bien une allusion. Une allusion à quoi au fait ? Des céréales couvertes de sucre glace nagent dans du lait blanc. Avec sa cuillère, Arlene pioche plusieurs de ces hexagones protéinés qu'elle enfonce ensuite dans sa bouche. Le matin est là, le thé glacé de la veille a été entièrement descendu, le match est terminé et les Ours ont perdu. Le frère d'Arlene a trois ans de plus qu'elle mais paraît si débile ! C'est un élève catastrophique mais un ami sur qui on peut compter, sans cesse en recherche du coup fourré à faire mais qui toujours s'excuse quand la bêtise l'emporte. Il sera tout de même retrouvé pendu à quelques deux mille kilomètres de la maison familiale après un divorce mal enjambé.

Enfin qu'en savons-nous ? Nous savons qu'il fait beau mais sommes-nous vraiment avec ces gens jusqu'au cœur du lactose, jusqu'au bout de la corde qui vient serrer leur cou ? Arlene pense certainement à tout autre chose, tout comme sa mère qui n'a pas peur des infirmières. Est-on bien sûr que les Ours aient perdu ? Peut-être le match a-t-il été rejoué ou peut-être était-ce simplement le match aller...

Nous n'avons de certain que ce qui n'existe pas. Le vent du soir, les branches qui sifflent et appellent à l'aide, les rivières silencieuses encore chaudes des corps des baigneuses totalement dénudées. L'absence d'un proche, la maladie, le fait qu'irrémédiablement nous disparaîtrons tous autant que nous sommes aussi violemment qu'une allumette. Nous serons dans une pièce, nous aurons les yeux ouverts et affamés, et l'instant d'après, nous ferons comme l'allumette. Crac.
Nous n'assisterons pas par quelque magique désincarnation à notre mise en terre, nous ne flotterons pas par-dessus la foule - quinze, vingt personnes - des gens qui nous aimaient. Nous ne verrons pas leurs larmes et nous ne verrons pas non plus leur retour en voiture. Nous ne verrons pas qu'aussitôt rentrés chez eux, la masse de leurs soucis reprendra le dessus. Des histoires d'assurances, de loyers, d'ambitions...Nous ne traverserons pas, tel un fantôme, les vies des uns et des autres. Nous ne verrons rien grandir, nous ne verrons même pas le fond de notre boîte.

Nous aurons disparu.
Comme Arlene disparaît lorsque je l'abandonne et préfère me soucier des questions d'outre-tombe.
Arlene est en pleine suspension, ses pieds se joignent, se crispent et forcent l'impulsion. Elle saute les cases, vise le ciel en coups rapides. Elle sait que ce jeu n'est plus tout à fait de son âge mais elle l'adore et puis, elle fait ce qu'elle veut. Le thé glacé tient dans un long récipient transparent qui peut contenir deux litres. L'électricité, influant sur le système de réfrigération, va bientôt lui donner sa température optimale, soit à la frontière de zéro. Il fait chaud rappelons-le dans cette région-là. Les cas d'insolation chez les personnes âgées sont tout sauf rares et c'est pourquoi la mairie a fait distribuer, fin mai, toute une armée de brumisateurs dernier cri. Arlene revient sur le devant de la scène, elle est rentrée, a bu un demi-litre de thé glacé sous les yeux couveurs de sa mère, s'est douchée, s'est couchée, s'est rêvée. Le lendemain, céréales, toilette faite en vitesse et direction l'école. Elle pourrait aller à l'école en bus mais comme elle sait que ses jambes, sont, comme ils disent des jambes de danseuse, elle préfère y aller à vélo afin de les renforcer, de les viriliser. Le contact de son sexe avec la selle n'éveille pas encore chez elle d'émois cataclysmiques. Elle suit d'un seul œil le cours de biologie, Arlene est fatiguée et se demande ce qu'elle fait en classe, en plein été. Elle est à deux doigt de découvrir le pot-aux-roses quand du mur devant elle s'échappe un papillon.

Ce n'est pas un mur à proprement parler, c'est un mur de classe, c'est un mur avec un tableau d'ardoise bleue posée par-dessus. Un mur avec des inscriptions bonnes à savoir en quantité modeste...des additions, des soustractions, des règles de grammaire élémentaires. Et puis un papillon, là, vient de sortir du mur...par on ne sait quelle faille...au bout d'une phrase, le papillon s'échappe ! Magistralement composé, aux ailes comme peintes, il vole, malicieux, dans la salle de classe. L'institutrice n'est pas emballée par cette insecte apparition mais ne peut s'empêcher d'avoir un tremblement sur la lèvre inférieure. Un tremblement qui, sous l'analyse d'une loupe dévoile son flashback.

Vincent aimait les papillons encore plus que les hommes et c'est souvent qu'il partait en forêt pour apercevoir les premiers et fuir les seconds. L'institutrice était encore une jeune fille qui ignorait tout de son destin d'institutrice quand elle croisa par hasard Vincent. Vincent laissa tomber les papillons et la jeune fille cessa d'en être une pour être avec Vincent. Ils achetèrent un appartement en banlieue Est, l'ancienne jeune fille devint institutrice et Vincent, sans ses papillons, goûta aux affres de la nostalgie. Ils baisaient merveilleusement mais cela ne suffisait pas à Vincent qui se languissait de sa forêt d'enfance. Alors ils quittèrent la banlieue Est et allèrent vivre à la campagne, après plusieurs crises profondes. Revenu proche de la nature, Vincent espérait retrouver la fougue de ses jeunes jours. Mais il était trop tard, dans son esprit, tous les papillons étaient devenus gris, stupides et disgracieux. L'institutrice dût se rendre à l'évidence, la vie de Vincent n'avait plus de sens. Alors ils allèrent une dernière fois dans la forêt, s'y aimèrent passionnément, avec des rires, avec des larmes. Et finalement, ils se rendirent au Nord de celle-ci, là où la terre est creuse et où le vide est grand. Vincent posa un baiser sous la joue de l'institutrice et sauta depuis le précipice prévu à cet effet. Effrayé par la mort à venir, le corps de Vincent eut la réaction escomptée et de son dos sortirent deux ailes vives et noires. Vincent était parti.

Il faut savoir qu'Arlene avait mal compris la scène. Le papillon ne s'était pas extirpé du mur comme un virtuose d'une prison, il était rentré par la fenêtre que l'on laissait ouverte par ses grandes chaleurs. De même, c'était un papillon finalement assez standard et il ne devait son apparence forte qu'aux lumières estivales. De même, son frère avait été retrouvé à temps, vingt ans plus tard, et n'était donc pas mort suite à sa pendaison. De même, les Ours ne jouaient pas en ce jour d'été, il s'agissait d'une rediffusion du match de la veille. De même, le thé glacé n'était pas fait maison, c'était du thé industriel, acheté en packs par sa mère pour gagner du temps. De même, sa marelle n'était pas une marelle ordinaire.

"Veux-tu dire au médecin ce que tu as noté au sommet de ta marelle ?"
- Non...
"Je t'en prie, Arlene, c'est important, il est là pour t'aider."
- M'aider à quoi ? Je n'ai pas de problèmes...
"Arlene..."
- Bon, si vous tenez tant à le savoir...j'ai écrit, en lieu et place du mot ciel, ceci : Papa va mourir.

Une fois cette phrase prononcée, Arlene se passa la main dans les cheveux, faisant tomber par la même occasion, un élastique blanc.


Francis Bacon - Head I


mercredi 13 août 2014



Il serait tout à fait abject de faire ça.

Pour ma famille, mes enfants et mes petits-enfants, pour les amis que je me suis fait et que j'ai su garder. Pour Susan aussi, qui essuya tant de fois ces larmes brûlantes sur mes joues. Pour ceux qui souffrent plus que moi, ceux qui n'ont pas connu la joie, même en vitesse. Ceux qui sont nés dans ces pays où la guerre est tout le temps voisine, où l’on a le choix seulement de mourir d’une balle ou de la maladie.

Cela ne serait pas sain de disparaître ainsi, sous prétexte que mon corps me fait mal atrocement et que je m’enlaidis à force de vieillir. Mais je ne vois pas comment faire autrement. Je suis fatigué de devoir jouer la comédie même en fin de carrière. Fatigué de devoir sourire, toujours, quand je vais à la pharmacie prendre des antidépresseurs et que les autres clients s’attendent à ce que je sois gentil, beau, aimable et bon comme dans mes films…

Je sais que je ne suis pas le plus à plaindre et qu’il s’agit-là de la rançon d’une gloire que très peu connaîtront mais j’en ai assez…Que ce soit ces clients de pharmacie ou mon entourage proche, personne ne peut plus compter sur moi…

Je suis devenu un triste épouvantail, une figure en pleurs constamment, une angoisse sur pattes.

Je ne veux pas que la vie de Susan se résume à me rassurer jusqu’à la fin de ses jours, je ne veux pas que mes enfants se souviennent de moi comme d’un fou. Je veux qu’il se souvienne que si j’ai joué tous ces braves personnages, c’était parce que j’aspirais à leur ressembler ne serait-ce qu’un peu…

Je sais que j’ai échoué là-dedans en faisant preuve d’une vanité sans race mais certains continuent de penser le contraire alors…
Je ne veux pas que le temps noircisse tout le tableau ni que le maquillage ne s’efface jusqu’au bout…Je dois partir en laissant quelques illusions, quelques rêves, intacts derrière moi.

C'est une œuvre égoïste et minable mais elle permettra de ne pas oublier le bien que j'ai pu faire, que ce soit dans mes rôles ou dans la vie réelle. De toute façon, je n'en peux plus, mes articulations me donnent le tournis et je ne pense qu'au pire à longueur de journées et ce même aux mariages et banquets où je suis poliment invité. J'aimerais garder en mémoire mes plaisirs plutôt que mes effrois. La dentelle plutôt que les hôpitaux. Je veux arrêter de jouer avant de perdre tout.

En fin de compte, je ne serai ni bicentenaire ni doué d'une éternelle jeunesse. Je serai Robin McLaurin Williams, mort futur comme tout le monde. Tétanisé de peur comme tout le monde. Amoureux de la vie comme tout le monde. Enfin, ici s'achève la romance et non l'amour j'espère...

J'espère...que mon deuil n'éclipsera rien...que l'on continuera de parler de l'Irak, de la Palestine et d'Ebola.
J'espère que mon geste idiot ne sera dans les journaux qu'une colonne discrète car c'est tout ce que j'ai toujours voulu être. Une colonne discrète sur laquelle tous les gens que j'ai aimé pouvait s'appuyer en cas de pâleur. Une colonne discrète maintenant rasée, détruite, rien. Sinon un comédien.

R.W.




jeudi 31 juillet 2014

Une infinité de plaies diverses

Il rêvait à de démentielles pluies qui parviendraient, en deux jours d'un continu bombardement, à griser les déserts et à les rafraîchir.
Similairement de l'élévation de flammes insupportables, là-bas, sous les banquises premières.
De même, les forêts chez lui finissaient toujours par être balayées d'un revers de main divine et les cités par exploser au cœur d'un gros nuage fait d'électricité.
Pas un paysage n'échappait à ses envies d'entier renversement.
Les pupitres des écoles primaires goûtaient à des baignades interdites, dans du sang d'enfants, dans des organes débutants...
Les musées voyaient toutes leurs toiles brunir dramatiquement et tous leurs bronzes blanchir au point de ne plus être.
Aucun lieu n'était épargné et lentement la Terre, dans son esprit, passait du bleu des océans au jaune flétri des sols.
Il ne souhaitait pas pour autant une telle Apocalypse et c'est chaque fois avec effarement qu'il découvrait, sur une colonne de journal, à la télévision, que ses rêves déjà prenaient forme de vie.

Ils appelaient ça la guerre.
Et bientôt, sûrement, la fin du monde.


Isao Takahata and Others - Fuite sous la lune

lundi 14 juillet 2014

Uiradnon

Je n'ai pas eu une éducation des plus élaborées. A peine m'enseigna-t-on à reconnaître les couleurs, les chiffres et les bruits. A peine eu-je l'occasion d'apprendre mon prénom. Aussi, je connais tout de même quelques noms de fleurs mais si peu et pas les plus jolies.

Je ne connais pas mes parents, juste le maître et sa femme, une brune extravertie au visage brûlé. Je n'ai pas la télévision, je dispose seulement d'un transistor qui diffuse toute la journée de la musique classique. Je suis incollable sur Massenet ! Enfin, je préférerai quand même savoir ce qu'il se passe en dehors de chez moi, en dehors de cette chambre en peau de craie dans laquelle on exige que je reste tout le temps.

Soi-disant parce que dehors, tout est un grand danger. Qu'il y a de vénéneuses bombes qui croissent tous les cinq mètres et que l'air y est liquide, vert et mortel. Je ne crois pas exactement à ces histoires mais comme on me donne le fouet si j'essaie de m'esquiver, je n'ai pas trop le choix. Toujours est-il qu'en fait, je ne connais rien du monde. Je n'en devine que des ombres, que des lignes impossibles au travers de mes nuits, que des fumées magnifiques et des lieux complètement faits de verre et d'électricité. Je ne sais pas si ces visions ont un quelconque rapport avec ce qu'il y a, réellement, au dehors. Cela me fait peur très mais comme le maître n'est pas méchant et qu'il m'assure régulièrement que j'aurais le droit de sortir une fois que la sécurité sera revenue ci-bas, je fais de mon mieux pour m'accrocher. 

Enfin, je deviens fou quand même. J'ai beau n'avoir rien qu'onze ans, je deviens fou quand même. La répétition pince chaque relief de mon cerveau et décapite mes nerfs. J'ai l'impression de n'être qu'une boule de graisse désavantagée, bougeant terriblement mal au sein d'une fosse rieuse ! Et qu'il y a quelque chose au fond de cette fosse, comme un regard, une traîtrise. 

Puis il y a des journées où j'oublie tout cela, où je me concentre sur les accords mielleux de la musique, sur ces nombreuses plantes bleues que le maître m'a apporté tant pour mon éducation que pour mon divertissement, et où je m'attarde également sur les caresses que me faisaient sa femme quand j'étais encore frêle. Comme c'était chaud son sein ! Comme c'était bon de dormir dans son cou, moi, à cinq ans, dormir contre sa chair pour guérir d'une fièvre. 

J'ai bien essayé depuis de me faire du mal pour rattraper la fièvre et retrouver ces sensations mystiques mais désormais, on ne me fait rien qu'une injection et le lendemain, après douze heures de sommeil, je suis de nouveau opérationnel. Opérationnel pour quoi ? Je ne le sais pas mais opérationnel. Le maître et sa femme semblent redouter que je ne le sois pas sans pour autant tenir à moi d'une amoureuse façon. Je sens bien dans leurs yeux que je ne suis qu'un outil pour eux et non quelque fruit d'affection mais je ne sais pas encore pour quel type de manifestation je dois donc outiller.

Alors j'y pense et m'imagine des choses, des possibilités. Du genre qu'en vérité, je suis l'élu d'une prophétie vieille de plusieurs âges et qu'il faut attendre mes vingt ans pour me libérer et que ma force puisse correctement être répandue de par le monde. Du genre qu'en dehors de ma chambre, tout est calciné et qu'on doit patienter encore six hivers avant que la végétation ne se rappelle à nous. Du genre que tout ceci n'existe pas, que ma vie n'est rien qu'une maladie, une dérivation, la monstrueuse résultante de deux comètes qui se seraient percutées tout là-bas dans l'espace ou l'excroissance pauvre d'un cauchemar magistral fait par un autre enfant.

Mais bon je vis, cela n'a aucun sens mais je vis. Je ne sors quasiment jamais de ma chambre - enfin si une fois par an, nous allons au jardin mais je ne peux que ressentir l'herbe sous mes pieds, le vent à mes narines mais pas plus puisqu'on me bande les yeux - mais je vis. Mes poumons se vident et se remplissent, ma langue exprime de la satisfaction ou du regret selon les plats que l'on me fait manger. C'est donc bien que je vis. 

Pour quelqu'un de mal éduqué comme je disais, on peut penser que j'en connais un rayon. Mais je ne connais rien que des livres. Et des livres tellement anciens qu'ils n'ont pas l'air de parler du monde dans lequel, mon maître, sa femme, et moi vivons. Ce sont des livres où les protagonistes ont les cheveux longs alors que j'ai le crâne rasé. Ce sont des livres où des forêts entières - les forêts, je ne sais pas exactement ce que c'est, mais j'imagine que c'est comme l'herbe du jardin multipliée par mille - sont brûlées par des hommes en armure. Ce sont des livres où le peuple a faim et où le printemps manque. 

A vrai dire, ce sont des livres plutôt déprimants.
Malgré tout, ils dépeignent des vies qui, bien que courtes et cruelles, paraissent beaucoup plus qualitatives que la mienne et bien oui ! 

*

Tiens. 
Je ne pensais pas cela possible mais voilà que l'on m'invite à sortir en ne me mettant pas, cette fois, un bandeau sur les yeux. Certes, je suis menotté aux pieds et aux poignets mais c'est une avancée. 

Mince, mince, comme le ciel est immense ! Je n'imaginais pas que c'était à ce point ! Et l'herbe, ça n'a pas une couleur géniale en fin de compte. Le maître et sa femme me tiennent par les bras et me font marcher. Je prends le vent à plein poumons et mes yeux font un festin de tout l'environnement : l'aspect carré de la chambre derrière moi, le cercle jaune-croix qui se cache dans le ciel, les longues vagues noires qui s'avancent au loin etc...

Le maître vient de me donner un violent coup de pied dans le dos. Sa femme, toujours ravissante, toujours douce, alors que j'étais à terre, m'a donné un baiser sur le front avant de me donner un coup puissant sous la pointe du menton. J'ai cru un moment m'évanouir mais ça va. Je regarde à gauche, à droite, le maître et sa femme ont apparemment fui. 

Peut-être est-ce là une façon de me donner ma liberté ? Je reste pieds et poings liés mais je vais bien trouver un moyen de m'en sortir, grâce à un clou, une brindille...Peut-être ont-ils déguerpi parce que cela fait partie de la prophétie dont je suis, oui, l'élu complet ? Du sang coule de mon menton, lentement. L'herbe est fraîche sous moi, je me relève tant bien que mal. 

Les vagues noires approchent encore.

*

Emmanuel F. - Verre noir





samedi 12 juillet 2014

N'écrivez jamais rien

Un grand nombre d'histoires furent racontées sur nous.
Soi-disant qu'on n'était pas des hommes, qu'on ne savait pas se laver ni manger sans se mordre.
C'était des racontars mais ils en firent des bibles et tout le monde goba tout.

Alors on nous parqua, derrière du barbelé ou du grillage mis sous tension. Et on laissa ça faire car on ne voulait pas, en se rebellant, donner raison à ces rumeurs débiles. Et ils en profitèrent et ils nous tuèrent bien, presque, jusqu'au dernier. Ils violèrent tant les hommes que les femmes et les enfants. Ils appelait ça de la médication. Ils n'avaient pas tout à fait tort...

Après ça on avait plus mal car après ça on était mort.

Heureusement pour nous je crois, peut-être parce que nos chaînes faisaient tout de même beaucoup de bruit, d'autres histoires commencèrent à éclore.
Soi-disant que c'était des vrais tyrans, nos maîtres, des malades de l'or, et qu'ils méritaient d'êtres punis violent.

Une nouvelle bible fit vite, trop vite son apparition.
480 mille exemplaires vendus en une semaine.
Quant aux crânes explosés, il y en eut plus du double !


Léon Spilliaert - Faces

lundi 7 juillet 2014

Recensement

L'Amérique, synthétique.
L'Europe, la corde au cou.
L'Australe, à bout de souffle !
Tout comme l'Afrique, le corps à terre...
Asie soie île.

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