jeudi 28 mai 2015

Dame magique

Je vous demande pardon peut être que je ne me trompe pas. Seulement, je vous ai vu au centre commercial. Vous oubliez pas la jeune fille en robe noire? Je donnai une promesse que je vais transférer des photos. [+ lien URL crypté vers le site : www.test.com] 

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J'ai trouvé ça ce matin dans ma boîte électronique, ce message envoyé par une certaine Dame magique. Il était en tête de liste parmi mon courrier indésirable et il a eu de la chance de ne pas être supprimé sans ménagement aucun. Ma vie n'aurait pas été très différente si j'avais choisi de ne jamais l'ouvrir. Certes, ce texte n'aurait pas existé mais dans le fond ce texte existe-t-il ? S'il suffit que vous ayez à changer une roue ou à veiller votre père mourant pour oublier tout ce qui constitue ce texte, est-ce qu'on peut vraiment dire qu'il existe ? 


Les grandes oeuvres humaines sont celles qui savent survivre aux maigres aléas de la vie ordinaire. Et ce texte n'en fait pas partie, il n'en a pas les qualités, ce n'est pas un de ces monstres décisifs qu'on ne peut s'empêcher d'emmener sur la plage fiévreux que nous sommes d'en connaître la suite. Déjà, ce texte n'a pas de suite puisqu'il n'a même pas de début à proprement parler. Cette histoire de Dame magique n'est pas un début, c'est un faible prétexte pour relancer la machine littéraire. 


Pour donner aux doigts de l'écrivain un semblant d'importance. Mais le problème, c'est qu'on le sait bien qu'on nage dans le semblant et non dans le vérace. Mais on ne peut pas faire autrement, chaque nuit vient casser un os différent de notre petit corps et il est fort probable qu'on finisse sanglé au lit avant la fin du mois. Alors on fait semblant d'écrire tout en pensant, intimement, fermement, améliorer le monde. 


Enfant, on allait même jusqu'à croire qu'on finirait par le sauver...c'est profondément débile mais c'est tristement vrai. On était là, à ramper parmi les épines et à s'écorcher les genoux avec les copains et on pensait, tandis que le ciel et la sueur nous cramaient les paupières, que dans dix ou vingt ans, nous sauverions le monde d'une façon ou d'une autre.

Sacré rêve !

Sauf que l'énergie nous a assez vite manqué ou plutôt, tout autour de nous s'est mis en place pour que l'énergie manque. Nos amis nous ont délaissé nous jugeant arrogant, trop fat, notre famille s'est engraissée à cause du micro-ondé et les tours new-yorkaises sont tombées. Tout un tas d'événements sont survenus comme ça à l'affilée, tremblements de terre, tromperies et désarrois et hop, voilà qu'on est lessivé à même pas 25 ans. 


C'est terrible tout de même cette impression sonore d'avoir comme tout vécu alors qu'on a rien fait. C'est terrible mais répandu. C'est ce qu'on appelle l'épuisement. Comme s'il n'y avait plus sur Terre de matières à façonner qui ne soient pas déjà corrompues par quelqu'un de plus vieux. Comme s'il ne restait ci-bas que de la boue piteuse qui ne saurait faire que salir nos mains. Comme s'il n'était plus possible de tenter d'être un mythe sans être savamment moqué par ceux qui les défont. 


Vous savez, ces gens dont le talent repose sur bien peu de choses, ces gens qu'on voit sans cesse à la télévision alors qu'ils n'ont jamais rien fait de bon à part peut-être une fois il y a vingt ans...mais, on les voit encore et toujours parce que c'est l'épuisement, l'absence de renouvellement parce que les forces vives sont délaissées sous de longs soupiraux...
 

Et puis il n'y a plus de professeurs, et puis il n'y a plus de maîtres...car chacun aujourd'hui essaie d'être une idole plutôt qu'être un exemple.
 

"L'écrivain fait son art parce qu'il se pense comme quelqu'un de bon
Mais il devrait savoir qu'écrire c'est être sale, pour ne pas dire très con."


Quand Alain Jouffroy s'exprima ainsi auprès d'un de ses collègues néo-surréalistes à la chevelure pauvre, il ne put entièrement refréner son grand rire intérieur. Sorte de vacarme de cathédrale aux murs capitonnés, ce rire connaissait l'exacte vérité. C'est-à-dire que ce rire était au courant que cette grande phrase était une grande phrase et que dans un monde un peu moins par-dessus la jambe, elle aurait valu à son auteur coups de fouet et lancers d'oeufs. 


Le problème, c'est qu'aujourd'hui, tous les rires sont intérieurs. 
Et il n'y a rien ni personne pour tenter de les sortir de là. 

Les gens de scène ne font que les enfoncer plus avant à force d'artifice ou de mimiques bravaches tandis que les plumitifs s'échinent à faire passer leur rire pour un long pleur salin. 


Sérieusement, quand est-ce qu'on se marre dans l'Art actuel ? Quand est-ce qu'on est ému ?
Quand le personnage principal meurt ou qu'il embrasse les lèvres de l'actrice principale ? 
Est-ce là tout ce que la vie propose, ce que l'image propose, ce que le mot propose ? 

N'existe-t-il pas ici-bas des nuances et toute une infinité de moments où nous nous sentons bizarres et interdits ? Où nos dents nous font mal, où nos veines se remplissent, où l'on hésite pour l'amour de Dieu ?
 

L'hésitation dans l'Art aboutit chaque fois à une décision. Alors qu'au fond, dans la vie réaliste, l'hésitation est perpétuelle. Elle est là avant, après, et pendant le choix. Elle est là tout le temps pour chaque action. Or l'Art s'évertue à nous donner du linéaire, de l'ordonné, et persuade ses fanatiques que qui hésite a comme déjà perdu. 

Mais hésiter c'est vivre autant que faire l'amour. 
Il n'y a pas de honte à osciller, c'est un mouvement comme un autre, parfois plus grand que les autres. 


Enfin, comme je vous le disais, ce texte n'existe pas. Ni sa verve, ni sa science légère ne persisteront. Aucune bibliothèque ne donnera sa main copieusement satinée à ce texte tremblant. Alors que le message de ce matin lui...a sans doute déjà été lu par un millier de personnes. 

Un millier de femmes, d'enfants ou d'hommes qui se sont acharnés à comprendre le sens de ce message. 
Et qui y repenseront sûrement quand ils verront les mots "Dame" ou "magique".  
Un lectorat inespéré...

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Je vous demande pardon peut être que je ne me trompe pas. Seulement, je vous ai vu au centre commercial. Vous oubliez pas la jeune fille en robe noire? Je donnai une promesse que je vais transférer des photos. [+ lien URL crypté vers le site : www.test.com] 

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Et mérité. Parce que dans ce "Je vous demande pardon peut-être que je ne me trompe pas", il y a et de l'absurde et un début de menace. Parce que dans ce "je vous ai vu au centre commercial", il y a tout pour qu'on soit obligatoirement transporté dans le temps et l'espace, pour qu'on soit forcé à revivre notre dernière visite dans un de ces temples coiffés d'une verrière et peuplés de boulangeries et de mères à caddies. Parce que dans ce "Vous oubliez pas la jeune fille en robe noire ?", on l'imagine jolie. On imagine qu'on ne sait comment on a peut-être batifolé avec elle il y a un certain temps. On imagine. Parce que dans ce "Je donnai une promesse que je vais transférer des photos", on sent la menace tout en se demandant de quels photos il s'agit, après tout, elle va peut-être simplement transférer ses photos de vacances de son portable à son ordinateur et elle veut juste m'en faire part. 


Enfin, je dis elle à cause de la Dame magique et de la jeune fille en robe noire mais il est possible que ce "Je" soit masculin. Il se peut que ce soit un tiers qui chapeaute tout ça. Ou alors, la Dame magique est le nom de l'arnaqueuse, soit, mais la jeune fille en robe noire est sa fille ou quelque chose dans le genre. Ce qui est sûr, c'est que quelqu'un nous a vu au centre commercial. Mais bon, on nous apprend pas grand chose, il y a tellement de gens dans ces endroits que même un invisible comme nous finit par être vu par certains. 


"Je vous demande pardon peut être que je ne me trompe pas"...le reste du message fait penser à une sorte de menace mais ce "Je vous demande pardon" laisse quand même perplexe. De toute façon, l'ensemble de ce message est écrit plus que maladroitement et pourtant...il obtient le résultat escompté au contraire de la plupart des oeuvres dites modernes. 


Parce que ce message ne vise qu'à nous faire cliquer, curieux, sur le lien qui le suit. Et parce qu'on clique même s'il on craint la venue d'un virus. Et pourquoi cliquons-nous ? A cause de cette histoire de photos, à cause de la jeune fille en robe noire. 


Nous suivrons toujours la jeune fille en robe noire, fut-elle un amour de supermarché. Parce qu'elle incarne...parce que ces mots incarnent à merveille ce que serait une deuxième vie. Parce qu'elle incarne, aussi, l'accident. L'accident, exactement, soit quelque chose qu'on ne recherche absolument pas mais que l'on espère du fond de soi. Ce moment où tout vrille et où la passion prend ses droits. 

Ce moment où notre grille de perception explose et nous laisse entrevoir quelque chose de plus large. Un coucher de soleil ou une grêle mortelle. Quelque chose dont on se souviendra...

...
Seulement, en vérité, on ne suit pas la jeune fille en robe noire. Et même s'il on clique, son site s'avère être un portail décevant, semblables à mille autres portails dormant sur internet. Peut-être avons-nous donné en cliquant là-dessus un quart de centime à l'auteur réel de ce message qui a tout misé là-dessus. Peut-être que ce message vient d'Est-Roumanie et qu'il est composé grâce aux faibles cerveaux des traducteurs automatiques. Peut-être...c'est tout ce qu'est la jeune fille en robe noire. 


Ce n'est pas ce qui est ni ce qui nous émeut, si loin de l'Art.
Ce n'est pas repenser à un détail anodin d'une journée anodine où l'on se sentait bien et s'en donner du baume au coeur au creux d'un jour de pluie. Ce n'est pas veiller sur son amie malade ou changer une roue aidé par ses frères tandis que la radio chante Mémoire et Mer. Ce n'est pas voir sur un arbre qu'on voit tous les matins une lumière différente et la garder pour soi jusqu'à ce que la nuit tombe. Ce n'est pas ce chat noir et blanc qui en vous voyant décide de s'approcher, plein de bonnes attentions. Ce n'est pas ce corps exsangue mais divin parce qu'il vient d'exulter. Ce ne sont pas ces larmes qui coulent malgré nous à l'écoute d'une chanson qu'on estimait connaître. 


Non, ça, c'est autre chose, c'est ce qui manque et ce qu'il faut chérir. 


Satoshi Kon - D'un bleu parfait
(j'adore ton kimono)




lundi 25 mai 2015

La forêt d'accents graves ou "L'éternel collyre"

Edouard avait fait des études pour être ophtalmologiste et il avait gardé de cette formation un rapport aux yeux proprement étonnant. Ainsi, lorsqu'il découvrait le visage de quelqu'un pour la toute première fois, il ne pouvait s'empêcher de fouiller, du regard, sous les paupières par cet autre levées. Non qu'il trouvasse à l'organe oculaire un grand intérêt esthétique, simplement, il guettait parmi cette sphère étrange les miasmes et lésions. Les vaisseaux éclatés, les jaunes dilatations et les fatigues bleues. Et s'il faisait cela, ce n'était pas pour être l'égal en perversion de celle ou celui qui aime lécher ses plaies, mais parce qu'il cherchait, infiniment, des cantates de remèdes et symphonies d'onguents.

...
"Toute cicatrice n'existe qu'à moitié."

Cette phrase, puissante et pleine d'un mystère qui flirte avec la vérité, je la tiens de Phèdra. Phèdra, c'est un nom inventé afin de ne pas risquer que tel ou tel de ces fréquentations ne la reconnaisse puis ne la juge en me lisant. J'aurais pu choisir Julie pour faire plus crédible et français mais comme je n'aime pas ce prénom, j'ai préféré Phèdra. Enfin, je dis que je n'aime pas ce prénom, ce n'est pas tout à fait vrai, j'ai connu des Julie de qualité et des Julie très fortes. Même si je n'ai pas tant connu de Julie que ça et que d'ailleurs quand je dis "des", c'est plus pour la formule qu'autre chose. Disons "une" Julie de qualité et "une" Julie très forte. J'ai aussi connu une Julie que j'ai connu vite fait, le temps de lui faire la bise à une soirée ou qu'on parle sans émotion de je ne sais plus quel drame mondial mis sur le devant de la scène à ce moment-là. J'ai connu une Julie en primaire également, enfin, je crois que c'était en primaire, ça doit être ça puisqu'au collège pas de Julie c'est sûr. Enfin, c'est sûr si on veut, j'ai peut-être - sûrement - croisé des Julie oubliées aujourd'hui et qui pourtant appartiennent possiblement soit à la caste des Julie de qualité, soit à la caste des Julie très fortes. Seulement je les ai oublié alors on va les mettre de côté faute de mieux, à moins qu'elle ne se manifeste entre temps évidemment. Mais bon, de toute façon, je parle des Julie en tant que personne alors que ce qui me déplaît prodigieusement dans ce sujet, ce ne sont pas les personnes qui portent ce prénom mais le prénom lui-même.

Julie...je ne sais pas, j'y arrive pas. On pourrait penser que j'ai du mal au niveau de la sonorité mais franchement, j'ai un doute, parce que j'ai par exemple tout le respect du monde pour le prénom Julien. Julien, Julius, Julian, Juliana ! Du respect pour tout ça ! Mais Julie pouah, je ne peux pas. Alors que July par exemple, le mois anglais qui est parfois porté comme prénom par certaines ouvrières à la chevelure cendre, et bien July j'aime bien. Pas à en sauter par terre de joie non plus, ne vous méprenez pas, mais je peux tout à fait prononcer le prénom d'une July sans serrer les dents ni me retenir de faire valser la table.
Tandis que Julie...je vous dis, j'ai beau avoir eu des amies ou du moins des connaissances qui se sont appelées comme ça (et qui s'appellent encore comme ça selon toute vraisemblance), je m'arrangeais toujours, consciemment ou non, pour ne pas avoir à dire leur prénom. Je les appelais ma belle, mecton ou griffon des longues plaines mais jamais, jamais, Julie. Et mine de rien, c'était une expérience hautement traumatique pour moi parce qu'il n'était pas rare qu'elles de leur côté, ignorant tout de mon aversion, se fendent d'un Dimitri au détour d'une phrase. "Dimitri, veux-tu bien me caresser le cuir chevelu d'une façon possédée" ; "J'ai vraiment défoncé ce gars la semaine dernière au laser game, pas vrai Dimitri ?" ; "Dimitri ! Dimitri ! Dimitri !"...
Et donc elles usaient et abusaient de mon prénom et moi, évidemment humain et avide de mimétisme afin de m'intégrer au maximum dans la grande fresque terrienne, je ne pouvais répondre que des "Oui ma fable noire" ou des "Non, tête de beurre".

Je vous jure, je suis certain que c'est à partir de ce genre de frustrations là que se créent les dictatures les plus abominables. Et dire qu'il aurait suffit qu'elles s'appellent par exemple Martina pour que je n'ai pas à souffrir de la sorte. Mais non, ça aurait été trop simple. Bien sûr, il fallait que petit papa et petite maman se réunissent dans la salle à manger avec en fond sonore un programme spécieux du service public et qu'ils discutent ensemble du prénom à donner à la petite..."J'avais pensé à Sylvia, t'en penses quoi ma chérie, toi qui aimes les arbres au point d'avoir épouser un homme-tronc ?" "Sylvia ? Oui c'est pas mal mais ça fait un peu slave, et j'aime pas les slaves en tant que femme libre, du coup je préfère qu'on opte pour Julie comme grand-maman" "Julie ? Mais ta grand-mère s'appelle Christiane" "Oui, je sais, mais quand je dis comme grand-maman c'est parce qu'on en a discuté quand j'étais toute petite et qu'elle n'était pas encore mise sous terre et elle m'a dit ceci : "Ma chérie, quand tu seras devenue une femme forte tout comme j'ai tenté d'être, je t'en prie, ne fais pas la même erreur que moi à appeler tes enfants Robert et Vanessa mais appelle-les plutôt Gustave et Julie" "Mais pourquoi mémé, pourquoi ces deux prénoms ?" "Parce que Gustave c'est relativement classe et parce que dans Julie, il y a "Je" et "Lui" et je veux que ta fille soit plus que l'égale des hommes, je veux qu'elle les dépasse et qu'ils en soient jaloux."

"Alors on abandonne Sylvia ?"
"Oui mon amour, ce sera Julie...et ce sera avec elle qu'on fondera enfin notre foyer !"
"Fonder un foyer pour un homme-tronc comme moi, rien de plus facile !"
"T'es bête, allez, viens dans mes bras !"
"..."
"Bon o k j'arrive, bouge pas."
"..."

Et des histoires comme ça sur des parents infâmes qui font la connerie d'appeler leur enfant Julie il y en a des centaines, toutes plus écoeurantes les unes que les autres. Et malheureusement, toutes ne commencent pas avec le souvenir d'une grand-mère perdue...et c'est dommage car auquel cas, j'aurais pu m'arranger pour supprimer toutes les grands-mères du monde. Même si ça aurait été une tâche colossale, j'aurais pu me débrouiller pour en supprimer une bonne partie, en faisant gaffe à celles ayant déjà une Julie dans leur arbre généalogique histoire de gagner du temps.

Enfin bon, il faut que je m'y fasse, jusqu'à ma mort les Julie peupleront la Terre et je serai condamné à les croiser peut-être. Tout comme Phèdra a croisé la route d'Umberto, un trafiquant d'organes. Umberto, c'est son vrai prénom, je ne prends pas soin de cacher son identité puisque je me doute que vu qu'il est trafiquant d'organes, il a sans doute donné un faux prénom à Phèdra lors de leur entrevue. Ce qui veut dire que même si je dis que c'est son vrai prénom, ce n'est sûrement pas son bon prénom. Voilà pourquoi je vous demanderai de ne pas avoir peur ni de sortir votre couteau la prochaine fois que vous rencontrerez un Umberto car il se peut très bien que l'Umberto dont je parle s'appelle en fait Joseph. D'un autre côté, comme il a donné en guise de faux prénom Umberto à Phèdra, c'est qu'il peut très bien le refaire pour vous. Alors bon finalement, je vous conseille d'avoir un peu peur et de sortir un peu votre couteau la prochaine fois que vous croiserez un nommé Umberto. A part s'il s'agit d'Umberto Tozzi puisque dans ce cas les chances qu'ils fassent partie d'une organisation de maille avec le trafic d'organes sont quasi nulles.

Mais bon après Umberto Tozzi est peut-être un gros connard dont il faut se méfier quand même donc, bon, je suis sûr de rien. Excepté que Phèdra s'est réveillée un matin sans son rein.

Enfin, je dis un matin mais quand elle m'en a parlé, elle m'a simplement dit : "Je me suis réveillée..." et j'ai donc supposé que c'était le matin étant donné qu'on se réveille beaucoup plus fréquemment le matin que le soir selon les codes sociaux en vigueur en Europe. Mais si ça se trouve c'était le soir. Ou alors c'était un matin mais il faisait encore nuit (l'histoire se passe en octobre). Ou alors c'était en début d'après-midi. Il faudrait que je demande à Phèdra. Bon, je vais faire ça, je vais lui demander et je vous raconte tout ça après. De A à Z.

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Il cherchait à les guérir pour mieux se guérir soi.
Puisqu'au fond il ne voyait plus rien sinon sa honte de n'être pas parvenu à renverser le monde.





jeudi 21 mai 2015

Humain, trop humide (partie trois)

La vie zéro compte plus que la vie trois, parce que c'est la dernière. Mais elle ne compte pas forcément énormément s'il y a des "continue" derrière. Et encore moins si ceux-ci sont illimités.

Pourtant, une vie est une vie et il est à mon sens très pleutre de s'affairer à sa dévaluation. Puisque dans ce cas, à quoi sert le jeu ?  À être terminé ? Ce serait comme dire que tout match de football vaut le coup d’œil dès lors qu'il va au bout des quatre-vingt-dix minutes.

On en revient au manque de soin évoqué plus tôt. À cette impression générale qu'aujourd'hui nul enfant se donne à cent pour cent. Ils baissent la tête trop vite ou alors il s'aveugle sous la grêle lunaire. Le tout en ignorant que trois moins un fera toujours deux et que deux sera toujours moins grandiose que trois. 

Enfin, ils le savent en principe mais ils ne l'appliquent jamais. Ils font comme si tout existait d'une infinie façon, comme la mer en somme et comme ses typhons. 

Mais même la mer un jour s'épuisera, trop gorgée de métal, de plastique et de fuel, elle finira à son tour par quitter la Terre. Elle laissera à sa suite un cercueil frappé de poissons blancs. Et les plages deviendront des endroits comme les autres. 

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Que savons-nous vraiment de nos chères têtes blondes sinon qu'elles n'ont plus pour le ciel aucun regard profond ? 
Nous ne pouvons pas nous permettre de les juger à l'aune de nos instincts et/ou prémonitions. Ce sont des créatures qui méritent un traitement davantage travaillé. 
Ils méritent des rapports en langue anglaise et de nombreux schémas. 
Ils méritent qu'on les interroge, la tête à l'envers et les pieds au plafond. 

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Pourquoi quand quelqu'un se penche sur nos rêves, il dit de ceux d'amour ou d'amitié, que ce sont des envies ou des futurs possibles...avant de dire à propos de nos rêveries barbares que ce sont des moyens mis en place par notre cerveau pour nous empêcher de commettre le pire...

Notre cerveau quand il dort, quand il est mort et qu'il peut donc tout, serait donc si l'on en croit ce zigue toujours dépendant des lois en vigueur dans notre beau pays tandis qu'on exécute tranquille quelques-uns de nos contemporains...?

La limite de l'imagination serait trouvée de fait, elle s'appellerait le code pénal.
"Nous empêcher de commettre le pire..."
Qu'est-ce qui nous dit que nos rêves heureux ne seraient pas plutôt un moyen de nous empêcher de commettre le meilleur ? Cela aurait déjà plus de sens puisqu'on le commet si peu dans la vie, le meilleur.

En revanche, niveau atrocité, on se pose là !
Et le seul vrai moyen pour nous en empêcher aurait été que les dinos survivent.

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Kafka, dans sa classe de cours moyen, s'ennuya tellement de la bêtise et de ses professeurs et de ses camarades qu'il en devint un cancre las.

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Il se dit dans les milieux autorisés que le père Soral quand il était jeune - c'est-à-dire malheureusement moins sur le point de probablement mourir bientôt d'une infection vésicale - aimait à se faire appeler "S." tout court et ce car il n'appréciait rien de mieux en entrant dans un lieu qu'entendre les gens se demander : "Est-ce S. ?" et de leur répondre "Oui, c'est moi".

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L'eau est la hantise de tous les écrivains
Elle brûle le papier et fait baver les encres.
Elle éradique de même les microprocesseurs en une minute trente.
C'est à cause de ça que tant d'entre-eux sont alcooliques et en mauvaise santé.

À cause de ça aussi que la pluie nous fait nous absenter.
Absinther dites-vous ? 
Je ne sais pas, je ne connais pas ce verbe vert
Où mille génies se réverbérèrent
Comme dans ces lampes berbères 
Où l'air ne passe pas et qui donc nous donne soif 
Pire qu'un âne hidalgo. 

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Pas vu, Paris. 

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L'air dépité, un nain mange un croissant.

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Les anglais ont moins de classe dans le sommeil que nous.
J'en veux pour preuve le fait que là où notre verbe "dormir" invoque les matières les plus riches offertes par les Mages, le leur fait référence à un sous-vêtement masculin foutrement passé de mode. 

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Stephen King doit avoir de sacrés problèmes de dos à force d'écrire assis toutes ses histoires à dormir debout.

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Peut-on vraiment prendre les choses à coeur quand on est priapique ? 

...

Fin.






dimanche 17 mai 2015

Travail autour d'un précipice ou "Comme on le fait des ronces..."

L'histoire est la même chaque fois
Il fait froid
Notre corps s'est diverti de mille et une manières, on l'a rempli, vidé, rempli.
Et les enfants dehors chahutent comme on faisait aussi.

Ils s'inventent des noms, des jeux, des héritages
Des collections de souvenirs si durement incrustés
Que même un bain de lave ne les décollerait pas.

Ils boivent sans le savoir le vin de la jeunesse
Et ce cépage, étrange, tient dans une bouteille aux qualités bizarres
Car elle paraît toujours vide et pourtant, il suffit d'un peu de chance, d'un peu d'effort, de sentiment
Pour que monte à nos lèvres son or rosacé.

...
On parle de passion bien souvent quand on veut faire du mal
On invoque ce terme aux contours rouges et clairs
Pour ne pas s'avouer notre mépris de l'autre,
On ne veut pas vivre sa passion...
On veut trôner en haut du monde et que tous nos suiveurs lèchent nos pieds en pleurant.

...
Non, en fait
Ce n'est pas une histoire
C'est juste un dénouement

Un point critique
Parce que la nuit est longue et qu'elle est habitée par des astres défunts
Parce que ces lignes d'étoiles mortes ne sont là pour égayer nos yeux
Elles sont là pour nous dire que tout ici s'éteint

Et qu'il est inutile de s'en faire pour autant
Parce que le feu gagnera
Dans deux mille millénaires
Le feu gagnera et emportera tout

Il n'y aura plus alors de pauvres dans les rues,
D'enfants dans les charniers
Ni de coeurs que l'on brise à l'autre bout du monde, comme ça, pour se distraire.

Il n'y aura plus que le feu, impassible, juteux
Allongé dans l'espace comme une baigneuse anglaise,
Le feu cessera de poser des questions,
Il sera la réponse et elle nous suffira,
Car le feu fera mieux que tout l'amour humain, que tous les traités de paix,
Que tous les dons de reins,

Car le feu réussira là où tous échouèrent,
Qu'ils fussent fiers astronautes ou ouvriers des mers,
Qu'ils fussent frères de dentiste ou fils d'infirmière,
Le feu réussira en les contentant tous

Tandis qu'il effacera des âmes la frustration,
L'absence, la maladie, la mauvaise digestion
Et qu'il les remplacera par l'intime sensation
De ne faire qu'un
Avec rien.

Nous mêmes devenus lignes d'étoiles que nul regarde encore
Nous serons riches et beaux
Acclamés et prospères, tous et toutes sans distinction
Ni d'esprit ni de corps.

Le nouveau-né d'Afrique au sang déjà bouillant
Sera au même niveau que l'atroce sultan
Faisant danser des reines au bout de sa ceinture
Et l'égal également d'un dignitaire allemand

De ce genre de dignitaire allemand qui fit sa vie
Sur l'expulsion du gaz aux travers de poumons
De femmes et puis d'enfants,

De ce genre de dignitaire allemand qu'on adora
Qu'on avait envie d'inviter à sa table le temps d'un morceau de viande
Ou d'une blague graveleuse,
Et que sa femme aima avec le coeur ardent.

Nous serons tous égaux cette fois sans plaisanter
Monstres et sauveurs, femmes et violeurs,
Et nous serons tous ensemble qu'importe notre peur...
Ainsi...celle qui fut harcelée par toute une armée d'hommes
Celle qui fut abusée sommairement
Trois nuits par semaine
Par quatre hommes différents,
Celle qui ramassa ses dents quand ils étaient trop ivres
Ou bien comme ils disaient : "quand ils brûlaient de vivre"
Celle qui fut réduite à pire que le suicide,
C'est-à-dire au silence et à l'oeil tremblant

Celle-là
Quand le feu se pointera
Aura à son tour une place au premier rang

Voilà pourquoi le feu est nécessaire
Voilà pourquoi je regrette de ne pas être dans deux putains de millénaires
Parce qu'ici pour l'instant tout est froid,
Tout est comme loin de moi, comme la guerre
Et donc omniprésent.

Je vois les chairs s'écrouler
Les foules se lever puis sourire à nouveau
Avant d'être frappé par une bombe au phosphore,
Je vois les couples qui finissent et les boîtes de nuit
Pleines à ras-bord d'hommes désespérés,

Je vois l'alcool, la cigarette, le café, le travail
Les stores qui donnent sur des zones qu'un aveugle fuirait

Je vois aussi de merveilleux décors
Mais ils sont loin...
Soit dans ma tête
Soit dans celle du voisin

Aurore...non, toi, je ne te vois plus
Depuis que tu es partie aux bras d'une inconnue
Une grande blonde, dans les 1m90,
Architecte de son état, originaire de Suisse

Autrement dit un rêve qu'on ne peut pas partager
Ou on pourrait mais non c'est impossible
La vie ne dure qu'une fois et vite on est âgé
Alors on ne refuse pas la douce main de Cybil

Sous prétexte qu'un type
Un peu bancal et sans courage
Promet de grandes choses
Qu'immédiatement il lâche...

C'est toujours la même histoire
On essaie d'explorer les planètes, les mondes, les univers
Et on retombe toujours sur notre trou de verre
Cercle de glace que soi, la terre entière,
Où il fait froid
Comme en hiver
Là-bas...

Où les enfants chahutent et s'inventent des noms
Tandis que derrière eux chuchote le démon :
"Jalousie
Excès
Mondovision
Je prendrai toutes les formes et toutes les divisions
Pour que la nuit soit longue et glaciale comme il faut
Pour qu'elle vous suggère ce qui sûrement arrive
A savoir que votre homme se fait sucer par Eve
Ou bien que votre femme jouit sur son meilleur ami
A savoir que les hommes sont des merdes
Et les femmes des salopes
Qu'il n'y a pas d'amitié qui tienne
Et que votre petite fièvre
Est un staphylocoque...
J'userai de tous mes dons pour que vous ayez mal
Coincé comme vous êtes dans cette prison d'étoiles
Je jetterai dans vos crânes le regard de ces autres
Qui savent vous rendre fragile à l'instar du cristal
Et je jetterai pareil le sourire prénuptial de celle qui s'est cassée
Sans dire un mot, par un matin,
Alors que vous l'aimiez.
Je plierai vos boyaux, assécherait votre langue, irriterait votre sexe
Le plus longtemps possible et avec rudesse.
Je ferai de vos yeux des phares clairs de sanglots
Mais sans le soulagement des larmes qui traversent
Elles resteront là, comme collées sur vous, comme vous regardant
Miroirs salins de vos tourments.
Parfois, mêmement, selon l'humeur
Je ferai paraître à vos veines des fleurs
Et pas des hortensias mais des bien mémorables
Des fleurs extraordinaires, de vraies fleurs de fable,
Simplement pour que vous pensiez à la beauté des champs
A l'élégance du vent, à la grâce du printemps...
Jusqu'à ce que le souvenir vous rattrape brutalement :
Ici il fait moins trente et même s'il y a du vent
On ne le sent pas passer sur son fauteuil roulant.
Car c'est là que vous êtes malgré tous vos avions
Vissés au siège pâle d'une seule destination
La plus banale qui soit
Direction le trou noir où seul le regret voit.

Votre fille grandira sans vous
Vos livres ne seront pas lus
Votre veuf aimera une femme qu'il baisera comme un fou
Votre mort ne fera pas de déçus.
Car c'est comme ça que ça marche
Ici il pleut à mort et il n'y a pas d'arche."

...où les enfants chahutent jusqu'à la nuit tombée
Avant que maman appelle, que tous les chats s'affrontent,
Avant que toutes les rues ne se remplissent de honte
De honte qu'on achète, qu'on troque, qu'on revend,
Pour que plus supportable soit la fin du présent...

Il aurait fallu que maman appelle éternellement
Qu'elle nous empêche d'aller dans ces éternuements
Au coeur de ces corps cassés, quasi nus, cocaïnés
Parmi ces trottoirs émaciés où cèdent le périnée

A coups de lame...contre quelques billets...

Il aurait fallu que maman appelle éternellement
Pour m'empêcher d'avoir peur à chaque retardement
Peur qu'il t'arrive quelque chose
Ou qu'au fond de toi se recourbe la rose

Celle que j'avais posé il y a bientôt cinq ans
Amoureux que j'étais d'un esprit indécent
Un Djinn troué...pour mieux laisser passer la lumière
Ta lumière, celle du first rayonnement

Avant qu'on construise tout, les villes, les océans
Avant même que Dieu nous mette la main dessus,
Elle était là
Tu étais là

Le feu dont on parlait qui chaque plaie guérira
Ma foi, la seule façon que j'ai pour être heureux sur Terre
Toi, ton bras, et ton visage fin qui me regarde fière
Fière pourquoi ? Parce que tu es avec moi ? Parce que tu ES avec moi ?

Ou parce que tu sais que même dans la Longue Nuit
Avec les diables et tout, avec l'infini froid,
C'est toi qui gagneras et resteras debout ?

...enfin
Sache que je t'aime
Et que si effacer ce texte suffisait à te faire t'approcher ne serait-ce que d'une once
Je l'effacerais sans hésiter
Avant d'aller brûler - au cas où - toutes les bibliothèques
Comme on le fait des ronces...


Thorvald Niss - The drowned man's ghost tries to claim a new victim for the sea



mardi 12 mai 2015

Mais son corps est couvert de fleurs sauvages et mauves

Nozy Coffee, Tokyo, un jour d'Avril 



Akiko - Alors, tu vois pas Eikichi aujourd'hui finalement ?

Tomoe - Nan ! Ce gars, de toute façon, c'est rien d'autre qu'une mauviette...

Akiko - Une mauviette ? T'étais pas amoureuse de lui genre jusqu'à la fin du temps il y a de ça même pas dix jours ?

Tomoe - Si ! Et c'est pour ça que c'est qu'une mauviette, parce qu'il est incapable de tenir ses engagements.

Akiko - C'est-à-dire ?

Tomoe - Ben tu sais vis-à-vis du sexe et tout.

Akiko - Attends, tu veux dire qu'il a...?

Tomoe - Nan ! Bien sûr que nan ! Mais c'est parce que j'ai insisté pour qu'il arrête...il avait déjà sa main dans ma culotte ce monstre.

Akiko - Vraiment ? Il a fait ça ?

Tomoe - Oui...c'était l'autre soir, on était dans le petit parc pas loin de chez moi, assis au sommet du toboggan et c'est là qu'il a glissé ses...enfin, je lui ai dit d'arrêter et d'aller se faire foutre par la même occasion.

Akiko - Vraiment ? C'est...t'y es peut-être aller un peu fort, je veux dire, je sais bien qu'un gars n'a pas le droit de mettre sa main dans la culotte d'une fille surtout en haut d'un toboggan mais quand même...

Tomoe - J'ai mal agi, je sais, je sais que j'aurais pas dû l'insulter mais c'était plus fort que moi...tout allait si bien entre nous et il a fallu qu'il gâche tout en précipitant les choses et en se comportant comme un vulgaire pochtron sortant d'une boîte de nuit !

J'étais prête à...tout pour lui...mais il a fallu qu'il la joue direct gros pervers. D'autant que derrière il ne s'est pas excusé ni rien, il s'est contenté de me regarder avec stupeur avant de me balancer à son tour un beau paquet d'insultes. Comme quoi j'étais qu'une cinglée et tout.

Mais bordel, on était dans un lieu public, tu imagines, si untel ou untel nous avait surpris...si mon père par exemple avait décidé de sortir le chien à ce moment-là...il lui aurait coupé la main...non, mon père, il aurait coupé directement sa tête avant de me la donner à manger pour les trois semaines à venir...

Akiko - T'exagères, ton père n'est pas dur à ce point.

Tomoe - Nan, c'est vrai, t'as raison. Il se serait contenté de lui interdire à tout jamais de m'approcher.

Chose que j'ai faite par moi-même tu me diras...alors même que j'aime Eikichi encore plus que ma vie.

Akiko - Tu peux toujours tenter de le rappeler...essayer de t'excuser, je pense qu'il a compris que ça ne se faisait pas et que s'il t'aime lui aussi, il sera prêt à être plus patient.

Tomoe - Tu plaisantes ? Revoir Eikichi serait la honte ultime. Je lui ai montré mon visage mauvais, je l'ai engueulé pire qu'une truie, je suis sûre que s'il acceptait de me revoir, ce serait uniquement pour se foutre de moi avec ses copains..."Regardez les gars, c'est elle ! Celle qui vous insulte et vous crache en pleine face dès lors que vous la touchez un peu !"

Akiko - Tu lui as craché dessus ?

Tomoe - Ce n'était pas dans mon intention...j'étais pas dans mon assiette ce soir-là et disons que sa main a été la goutte d'eau qui a fait déborder mon vase. Nan mais c'était qu'un petit crachat de rien du tout...

Akiko - Quand même Tom', t'es bizarre parfois ! Je comprends qu'il ait pu flipper sévère !

Tomoe - Ah, tu vois, c'est bien ce que je dis. Je me suis mise la honte pour mille éternités ! Alors, jamais, jamais, je ne le rappellerai, adieu, Eikichi, adieu, et sache que je t'aimais !

Akiko - N'en fais pas des tonnes non plus, m'est avis que si tu laisses passer encore dix jours, c'est lui qui finira par te rappeler et par s'excuser pour toute cette drôle d'histoire.

Tomoe - Tu parles, il ne le fera jamais, les hommes quand ils partent, partent toujours pour de bon.

Enfin je crois...non...mais il ne me reste plus qu'à l'oublier...et j'ai déjà trouvé comment.

Akiko - Si tu le dis. Et comment tu vas faire pour l'oublier ton Eikichi chéri ?

Tomoe - Et bien je vais me faire une après-midi ou deux dans une Crying Room ! Tu sais ce que c'est ?

Akiko - Euh...non...c'est quoi ?

Tomoe - Ce sont des chambres dans un hôtel de luxe où tout est réuni pour que vous pleuriez. Pour cela, on peut demander à la réception d'agencer les portraits et les objets des êtres aimés dans la pièce de façon à ce que l'émotion soit maximale. Ou alors, on peut simplement se regarder un tire-larmes classique...Et l'objectif derrière tout ça...c'est de pleurer, de pleurer le plus puissamment possible jusqu'à épuiser son chagrin.

Je me disais que c'était une option intéressante. Deux petites sessions là-bas et pouf, plus d'Eikichi, plus de main baladeuse et à moi la tranquillité du cœur célibataire.

Akiko - ...Euh...très bien ! Euh...Non, non, n'y va pas !

Tomoe - Je te demande pardon ?

Akiko - Oui, n'y va pas enfin, voyons, c'est débile, déjà on oublie pas les gens comme ça en quelques heures et quatre cinq crises de sanglots, et puis, et puis, Eikichi, tu veux pas l'oublier au fond de toi, tu veux qu'il te pardonne et qu'il se remette avec toi. Tu veux toujours "tout" lui donner, je le sais. Je le sais.

Tomoe - Ouais mais nan. Je suis fatiguée de cette histoire à la noix avec Eikichi, c'est trop compliqué et puis, il y a de grandes chances pour qu'ils partent vivre en province l'année prochaine alors...

Akiko - Je te le dis en tant qu'amie, Tom', vraiment, ne va pas là-bas. Ce n'est pas la bonne solution et puis, je viens de me souvenir d'un truc...je, euh, j'ai lu un article comme quoi dans cet hôtel on avait retrouvé une fille morte y a pas longtemps...

Tomoe - Morte de pleurs ? Morte de rire !

Akiko - (...) Non je te jure je plaisante pas, elle sortait d'une de ces sessions comme tu dis et elle était encore toute tourneboulée...et en voulant aller aux toilettes pour se rafraîchir un peu...elle n'a pas fait attention et s'est trompée de porte. Or, cette mauvaise porte était une porte donnant directement sur le vide...et comme elle était trop faible du fait d'avoir pleuré, cette cliente est tombée la tête la première...du 17ème étage...

Et elle est morte donc.

Tomoe - Bah, c'est encore une de tes légendes urbaines ça, m'enfin comme tu veux, si tu me dis qu'il ne faut pas y aller, j'irais pas, j'ai pas envie de casser ton plan avec le joli réceptionniste que t'as rencontré là-bas héhé !

Akiko - Quoi...? Hm, non, il n'y a pas de réceptionniste...c'est juste que c'est bête d'aller pleurer dans des lieux spécifiques en espérant pouvoir oublier l'Autre. Les choses ne se passent pas comme ça, je crois, les larmes sont imprévisibles, ainsi que le souvenir...

Tomoe - Tu finis pas ton latte ?

Akiko - Hein ? Hum, non, vas-y, fais-toi plaisir.

Tomoe - Merci infiniment mon Akiko d'amour !

Akiko - Si je peux rendre service...

Tomoe - Merde, v'là mon portable qui sonne.

Gloups.

Hypa gloups.

Akiko - C'est qui ?

Tomoe - C'est lui ! !!!

/

Tomoe et Eikichi se marièrent quelques années plus tard.
Ils ne vécurent pas tout à fait heureux mais néanmoins suffisamment au-dessus du seuil de pauvreté pour s'assurer quelques étés joyeux.

Quant à Akiko, elle continua d'aller chaque semaine dans sa chambre réservée où, absolument seule et entourée de différents clichés, elle faisait tout son possible pour ne pas oublier son père disparu il y a six ans de cela.

C'était un père loin d'être parfait.
C'est sans doute pour cela qu'elle le regrettait tant, parce que les instants dans ces bras furent rares comme les roses en hiver, parce qu'il n'y en eut qu'une faible poignée avant que plus jamais.
C'était un père loin d'être parfait qui laissa dans son ombre
Une jeune fille en pleurs.

"Les hommes quand ils partent, partent toujours pour de bon."

à Monsieur Dupont


Edward Hopper - Gas



jeudi 7 mai 2015

S'abandonner

Blond et généralement dans la vingtaine, ces êtres que j'exècre possèdent une condition physique superbe comparée à la mienne. Et ils en jouissent, auprès des hommes, auprès des filles, auprès des professeurs. Ils ont le statut d'humains à suivre, d'excitante promesse alors même qu'ils garnissent leurs feuilles d'examens de vétilles babilleuses et qu'ils reçoivent pour ça des onze déshonorants. Mais on les choie qu'importe leur bêtise parce qu'un garçon mignon est mignon pour tout le monde là où l'intelligent n'intéresse qu'une poignée.

Bien que je me compare à eux, un peu, il ne faut pas croire que je me pense doté d'un esprit merveilleux. Car si tel était le cas, je me serais arrangé pour faire de mon informe corps un temple abdominal d'autant plus en sachant qu'un tel effort serait récompensé. J'aurais brûlé mes livres et toutes mes distractions afin de faire de ma chambre d'adolescent standard un sauna terminal.

Calories et sucs gercés se seraient enfuis d'eux-mêmes et j'aurais pu m'observer dans le miroir sans avoir à jouer sur la faiblesse des lampes. J'y aurais été à plein néon. Et j'aurais aimé ça, peut-être même au point de faire partie de ces expéditions estivales dont raffolent ces gens-là...

De ce genre d'expéditions qui se font en camionnette dans des endroits paradisiaques du sud-ouest français. Avec au programme du surf, de l'alcool en quantité charmante, de la drague dans des boîtes de nuit managées par des chauves et quelques virées en rafting. Avec au programme des femmes en petites tenues, des anecdotes à n'en plus finir sur un tel qui s'est perdu parce qu'il avait trop bu, des couchers de soleil et de la tequila copieusement citronnée.

Avec aussi ces moments où l'on se prend comme des fous en photo. On fait les moues les plus indélicates, les poses les plus grotesques, les figures les plus dingues. Et on envoie ça vite fait sur les réseaux sociaux où une trentaine de gens nous disent de continuer, de bien nous amuser, de profiter surtout.

Avec ces engueulades sur des sujets mineurs et ces crises de rire dont les points de départ sont tous scatologiques. Avec aussi ces moments où l'un des plus beaux décide de sauter depuis une courte falaise avant de rejoindre les filles dans l'eau le tout en étant filmé par Christian et après avoir été poussé dans le dos par Lucas.

"...jajajajajaja ! ça va faire un million de vues sur Youtube !"
A peine deux secondes plus tard, le crâne de l'un des plus beaux de la bande explose sur un rocher chauffé à bloc par les rayons solaires.
Ça a fait vingt lignes dans le journal local, c'est déjà ça !

...

Elise - En fait, t'es juste un jaloux de merde ?

Moi - Oui...pardonne-moi.

Elise - Je te pardonne mais pourquoi tu ne ferais pas plutôt un régime ? 

Moi - Parce que c'est pour les gros !

Elise - Hm...hm...comment dire...

Moi - Tu préférerais peut-être que je sois un gros connard de surfeur à un franc ? 

Elise - Tu sais, le fait que tu saches écrire ne garantit en rien ta bonté d'âme. 

Moi - Mais...alors...quoi...?

Elise - Quoi, quoi ?

Moi - Comment je fais pour être quelqu'un de bien ?

Elise - Je ne sais pas moi...hm, tu pourrais parler du Népal par exemple. 

Moi - Du Népal ?

Elise - Oui, du Népal et du tremblement de terre, du fait qu'en tout, il y aura sans doute près de 10 000 morts...du fait qu'il y a en ligne des vidéos qui montrent les gens en train de filmer autour d'eux alors que la mort s'active sous leurs pieds...de cette forme de fascination pour l'hypernaturel.

Moi - L'hypernaturel...?

Elise - C'est un concept apparu dans les années 80. La première fois, c'était dans le journal scientifique de l'université de Boston. Ce terme est utilisé pour parler de tout ce qui est effectivement naturel mais qui paraît tellement surprenant pour le commun des mortels que cela touche presque au surnaturel.

Moi - L'hypernaturel c'est la mort. 

Elise - C'est quoi cette manie de toujours tout rattacher à la mort ? 

Moi - Ben, c'est la vérité. Tu parles de fascination pour l'hypernaturel ou je ne sais quoi mais je pense qu'il s'agit juste d'une fascination pour la mort. Ce n'est pas qu'on la souhaite...c'est que son idée-même nous dépasse tellement qu'on finit par la guetter partout...par vouloir la frôler. Tu parles de ces gens qui restent là à filmer alors que le sol se dérobe sous leurs pas mais que dire de nous qui regardons cette vidéo...en espérant...au fond de nous, que le sol fasse comme une langue qui les balayerait définitivement...

Elise - Non, moi, j'espérais qu'ils s'en sortent. 

Moi - Et ils s'en sont sortis ? 

Elise - Non...enfin, pas tous, parce que la mort n'est pas fasciné par nous. Elle fait son boulot, c'est tout, son devoir physique. 

Moi - J'aime bien cette notion de devoir physique. Et ça me fait te demander, ça serait quoi le devoir de la vie selon toi ? 

Elise - D'apaiser. De soulager, les veufs, les pauvres, les amputés, les malades et les déracinés. La vie se doit d'être ce calme qu'il y a derrière l'ouragan. 

Et nous nous devons d'être ce calme. N'ayant pour ouragan que des histoires de cœurs ou de reconnaissance, nous nous devons d'être ce calme. D'apporter de l'aide par tous les moyens possibles. Et l'écriture n'en est pas un. 

Moi - Mais...alors...quoi ? 

Elise - Alors embrasse-moi, je suis mieux ici avec toi que sur une plage d'Hendaye ou Saint-Jean de Luz. Embrasse-moi et puis ensuite allonge-toi, c'est à mon tour de tout faire trembler. 

Et peut-être qu'après ça, la Terre s'arrêtera. 


http://www.ama-foundation.org/
https://mrmondialisation.org/nepal-10-choses-a-savoir-avant-de-faire-un-don/



Tenzing Rigdol - Bouddha Personnalisé