samedi 18 mars 2017

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Il n'était pas l'heure encore pour nous de changer le monde ni d'avoir des enfants.
Soldats noirs sans tombes, juifs d'Europe sans camps.
Il était seulement temps pour nous d'écrire des poèmes du bout de nos yeux verts où s'injectait le sang. 
Comme des ligues d'insectes crissant sous le talon, comme des prophètes en manque d'amour et de révolution. 
Ici, au sein de ces univers glacés qui bougent sans qu'on les voit, il n'était pas encore l'heure, pour nous, d'être chez soi. 
Étrangers éternels d'une vie passagère, oxygène d'un ciel aux nuages de verre. 
Poumons sombres d'une cage thoracique au souffle dépecé.

Mais magnifique mais, décidément, dépossédé de toutes les réussites.
Minutes d'or d'heures définitives, accouchements sur la rive de rimes inutiles.
Et belles comme le temps quand il prend l'accent de la pluie sur la tuile.
Et que l'eau continue à couler de nos joues, agenouillées et libres.
Comme tout, comme rien, comme il faut que l'on vive.
En souvenir des chiens et de la bave mauve qui fait naître les rêves.
Inopportuns, délires et puis fièvres au front de l'orphelin
Sur le cœur de ses lèvres qui ouvrent le chemin
Vers un monde meilleur qui se descelle enfin
Tel un baiser et un "e" d'incarnat derrière le mot "Fin".

Fine
Comme toi
Et comme la pluie
Roulant depuis les toits
De nos froids paradis
Où le temps ne passe pas
Parce qu'il est infini
Quand on est dans tes bras
Et qu'ils me disent oui
Avec leur petite voix
Presque dans un silence...

Un silence de soie
Et de monde qui change.

*

Katsuhiro Otomo - Genga, Illustration

mardi 14 mars 2017

La belle saison (poème écrivaillé en cinq minutes trente)


Au bout de nos jours étranglés
Il y aura cette nuit d'une parfaite étrangeté
Panorama de corps creusés par les pilules
Et par les résidus de l’œil de la lune

Et ce soir dont la colocation sera abominable
Fera de nos amours des pièces d'échec
De longs ongles de marbre
Des destinées de cœurs écrabouillés et graves.

Comme un baiser terrible que les dents produiraient
Avec la volonté de toute chair arrachée
Comme un ciseau entre des cuisses
D'une blancheur de papier.

C'est là l'orgie future promise à nos espoirs
Entre deux retrouvailles avec l'asphyxie
Et tout ce qui se tait, à cause de la nuit noire
Quand on jouit sans s'aimer, pour continuer l'histoire

Car la fin fait trembler
Car la fin fait revoir
Nos jeunesses démodées
Dans le sillage suave de nos rêves brisés.

*

La vie de ces enfants qui se pensaient adultes
Puisqu'ils n'étaient en somme, que des femmes, que des hommes
Épargnés par la lutte
Des froids soleils d'automne
S'épuisant chaque jour, passant du rouge au jaune

Comme des sexes au ciel, soumis, qui s'abandonnent
Au rythme des coups de reins d'un triste métronome
Dont la musique inspire l'encens des floraisons
Et ainsi chaque naissance, et ainsi chaque mort

De la belle saison.


Henri Gervex - Rolla.