dimanche 24 février 2019

Ça peut paraître imaginaire

Quoi qu'hasardeuse fut la rencontre, son destinal sous-entendu me sauta évidemment aux yeux. Qu'elle ait eu lieu sous la verrière, un peu sale mais jolie, de l'hôtel Grand Amour l'explique peut-être. Ce décorum de plantes et de froid, qu'agrémentait aléatoirement le passage d'un papillon à fond vert, n'était pas sans mystique il est vrai. Comme il est tout également vrai que les serveurs de l'endroit sont très lents - surtout auprès des écrivains - et que cette faiblesse eut le bon goût de me sensibiliser quant à l'idée d'attente. Presque au point de m'agacer, de me lever ou de faire des signes, triturant intérieurement mon délire le plus grave, à savoir celui qui voudrait que mes contemporains pactisèrent en secret la veille de ma naissance afin de m'assurer une vie de chausse gravillonnée (et comme ils y parvinrent ! Mais je ne leur en veux pas car c'est grâce à ces petits cailloux nichés sous mes chevilles que j'émaille désormais mes pas de pierres précieuses, adamantin Petit Poucet !). Me reviennent alors, en costumes et en armes, chaque escadrille d'injustice quotidienne : du suant qui goutte juste sous mon nez dans les transports en coma à ma baignoire terrassant comme une barbe au niveau de la bonde...malveillance suprême nécessitant que je m'accroupisse pour lui régler son compte. Or je déteste m'accroupir. Me lever encore plus alors je me contentais de faire des signes en direction du serveur et de la serveuse (deux pour un seul homme, sans doute que ce surnombre expliquait cette lenteur, l'une et l'autre devant tirer à pile ou face qui aurait le plaisir : 1. de se présenter à moi sous l'oripeau blanc-noir du cafetier parisien, étudiant en devenir ou foutu, jeune mais vieux, travaillant mais n'ayant pas non plus un rôle dingue dans les avancées faites sur le plan planétaire, être réduit donc à une forme de service, de distributeur de services dont l'unique avantage dans cette tâche précise est d'avoir un sourire (pas garanti cependant et pas toujours mignon, ce sourire, certains étant d'envergure cauchemardesque !).

2. d'obtenir si sourire il y a ou si le client est dans un bon jour, ce qui est mon cas régulier outre ma paranoïa, un pourboire compensant cette relation d'asservissement (tout comme compensent, en coulisses, les infinies conversations entre collègues sur la crasserie "ah mais quel beauf !" ou la ridicule prétention "non mais t'as vu ses talons ?!" d'un tel ou d'une telle)(et ne vous en offusquez pas, mes chers beaufs à talons m'éventuellement lisant car ces saignées hypocrites font la marche du monde et le recul des génocides)(enfin, je ne vous apprends pas grand chose sûrement).

Ce qui vint, advint, parvint, intervint, en réponse à ma petite main scolaire espérant enfin une considération fut l'évoquée rencontre. Mais pas avec un serveur ou une serveuse, ces deux-là ayant fui on ne sait où pour l'instant, mais avec une actrice et connue totalement *! Formidablement brune et lactescente à souhait aux pommettes et au front (je voulais dire d'un blanc lilial), portant une robe à losanges noirs - quelque part entre le sévillan et le pur oriental - ainsi qu'une paire de souliers fins, travaillés mais en toile, synonyme de vacances.

Elle était belle, les traits spéciaux, comme agencés uniquement pour que s'y voient les lèvres et que si l'on se perd à les regarder trop (et Dieu qu'on s'y perdra tant elles invitent et bercent), on doive se réfugier dans ce doublé observatoire, dans ses yeux noirs sidérateurs qui si enchâssés ailleurs qu'en ce visage doux mais par exemple au sommet d'une tour londonienne pourrait faire des anglais un peuple d'énervés et de fous. Pour preuve j'en étais stupéfait bien que français de souche (si l'on oublie mes racines tchèques). Stupéfait comme un rat ! Stupéfait avec elle, allant d'un leste pas vers une table à ma gauche - mon meilleur profil - et suivie comme une traîne par la serveuse, rêvant à sa commande. Assise, elle fit deux trois mouvements qui réchauffèrent, par un effet de grâce, la dès lors tiède cage de verre. Elle prit un thé. Noir, bleu, jaune, je n'en sais rien mais celui-ci lui fut servi avec même des biscuits emballés avant que la serveuse ne fasse finalement mine de m'avoir remarqué. J'hésitai à prendre un thé, m'alignant sur son goût, ou à prendre un tourbé pour montrer que j'en avais. Je pris un café. Et c'est le serveur, au relais de la serveuse sans doute pour l'occasion d'oeiller l'apparition et de lui faire une impression, qui me l'apporta. Me tendant ma tasse, son regard vers moi était très sombre, emprunt d'une jalousie on ne peut plus maladive et d'un jugement, comme quoi j'étais pervers de m'être assis ici et que je n'étais là, en vérité, que pour concupiscent baver sur cette actrice. Les hommes se toisent souvent de cette étrange façon dès qu'une belle femme entre dans le champ, reliquat simiesque évident.

Cependant j'étais là avant qu'elle n'arrive et je n'avais rien demandé sinon un peu du café, de silence et de temps. Alors oui quelquefois, ma vue s'intéressait à son détail, à sa comme noblesse qu'on pense naturel mais qui ne l'est peut-être parce qu'imprégnée à nos prunelles par l'exercice du cinématographe. Était-elle belle ? C'était certain ! Mais l'était-elle à ce point d'une manière innée ou parce qu'illuminée par le passage à l'Art ?

Le papillon à fond vert dormant sur son épaule, elle se mit à lire un coquet livre blanc.
Moi j'écrivais mais sans cesse me revenait son visage, sa présence et un désir, sinon de séduction, au moins de prolonger. J'avais envie qu'elle continue.

Qu'elle persiste, à lire là avec moi, écrivant, pour un petit siècle ou deux.

Malheureusement elle se leva, repartit vers la salle et le papillon à fond vert passa de son épaule aux courbes de sa tasse, vide à pleurer.

*

Je finis mon café, je paie, je pars mais elle est encore là ! Dans le salon. Seule mais pourquoi ? Je. Ce n'est pas mon genre de faire ça. Mais je me rends auprès d'elle. Je m'approche. Je lui demande, en faisant de mon mieux pour équilibrer mon rougissement, si elle est bien celle qu'elle est. Elle me répond que oui, en souriant. Je regarde ses lèvres. Donc je regarde ses yeux et je suis mis à terre, par eux deux facilement. Mes tremblements l'émeuvent. Je lui dis "Vous étiez magnifique dans ce film..." ce qui est pour moi une façon comme une autre de lui dire qu'elle est en effet magnifique. (Je me demande ce qu'est mentalement une vie où le mot "magnifique" revient régulièrement. Ce doit être quelque chose.) Elle me demande de m'asseoir. J'obéis. Nous parlons. Dans un anglais approximatif. J'apprends qu'elle vit à Paris avec son mari réalisateur depuis un an maintenant et qu'elle aime la ville. Je lui demande si justement son mari envisage de tourner ici, elle me dit que c'est compliqué. Je lui demande ses quartiers favoris, elle me répond : "République...Bagnolet...". C'est toujours bouleversant d'entendre d'aussi communs phonèmes sortir d'une bouche élue ! Nous parlons des quartiers populaires. On se plaît un peu. Et puis beaucoup. Et puis je me deviens papillon à fond vert...

Il se passe comme une sieste.
Un truc paisible et suspendu.
Je mets ma main sous sa tête, en oreiller charnel, et ses cheveux explosent en méduse sur ma paume. Ils sont magnifiques eux aussi. Elle s'apprête à enlever sa broche pour qu'ils soient totalement relâchés contre moi. Et tandis qu'elle l'enlève, ça fait un clic de soutien-gorge...

Et le soleil se lève.
Orge fauchant ma fenêtre, étalant en épis sur les murs la lumière.
Elle n'est plus là que dans ma tête,

Ça peut paraître imaginaire.

Yohey Horishita - Dessin pour "Mademoiselle"


* il s'agit de Kim Min-hee

vendredi 22 février 2019

Sur un morceau de nappe

Y avaient des losanges sur la nappe, de petites faces triangulaires, violettes, cyanes ou grises.
Par-dessus le soleil étalait une lave, si vaporeuse et déconfite néanmoins chaude et l'encensoir d'une forme d'autre jour. De passé gigantesquement brûlé, noirci de part en part, où chaque homme et chaque femme avaient du cœur péri. S'amourachant jusqu'à plus soif, ils s'étaient découverts au gré des soirs une cendre, une poussière, un déhanché, accroupissement du tendre. S'affamant à la langue d'un liard dividende qu'ils ne partageaient plus - l'hostie s'écartelant désormais pour soi seul - ils tentèrent aux fenêtres de renclencher le jus. La croisée renâcla avant son ouverture et quand elle fut, c'est une neige en hardes aux gueules dentées et vives qui pénétra la chambre. Ils prirent froids, naturellement ces gens par l'hiver mordu. De quoi vomir du sang, réclamer des piqûres, de quoi des cordiaux à l'étude faire la nomenclature. Ils les essayèrent tous : des pommades aux bromures aux poudres d'argousier, des vulnéraires aux vieux mérous dont les globes oculaires contenaient paraît-il, derrière l'ovarien voile et dessous la pupille, un séduisant liquide guérissant du haut-mal. Aucun ne fut pratique.

Y avaient des losanges sur la nappe, de petites faces triangulaires, violettes, cyanes ou grises.
Par-dessus le soleil étalait une lave, jaune mantille au temps qui passe.
Pourtant nous nous aimâmes et des foyers se fondirent, maisonnées de bandits en disgrâce où nos fils et nos filles, sortis des marécages, bondissaient salissant sans que la propreté nullement s'en agace. Ils saccageaient mais impressionnament carreaux, meubles et vases conservaient intégral leur éclat initial. C'est que le bonheur laisse peu de traces.
Quant à l'enfance elle oui, elle les éclate en nombre les rangées de faïence, mausolée majolique qui se décomposera durant toute la vie. Ainsi la ruine pour la ruine se ruinera également, et nous mourrons sans souvenirs. A part peut-être un lot d'effusions chromatiques.

Y avaient des losanges sur la nappe, de petites faces triangulaires, violettes, cyanes ou grises.
Par-dessus le soleil étalait une lave, récépissé pour le regard.
Preuve faite qu'exister ne tient pas du fantasme et qu'il est au loin des nuages, des explosions, subatomiques coups de poignards, qui nous destinent par pur hasard à détenir des sensations, notamment celle de l'espace.
Nous ne sommes pas grand chose, un grain de sable dans une rose. Une goutte au sein d'une goutte, une maigre araignée sur le bord d'une baignoire, une mousse au sein d'une mousse. Quelle est l'eau, quel est l'arbre ? Quel est l’œuf ou la poule ? Ce n'est là qu'un détail. Attardons-nous plutôt au saisissement des failles, quêtons le fissuré, le discret fendillant par lequel la vie baille et cherchons à savoir comment faire pour qu'elle aille, bien, mieux, douée d'oreille musicale et du génie du feu...de ce feu se pâmant à la lueur des étoiles et qui transitoirement allume le merveilleux dans cette espèce grave née du fractal des cieux.
Sachons poétiquement notre géométrie et qu'au fond toute forme renferme une élégie.

Y avaient des losanges sur la nappe, de petites faces triangulaires, violettes, cyanes ou grises.
Par-dessus le soleil étalait une lave, qu'on se le dise, qu'on se le grave.
L'amour est dur mais il est là, ici, maintenant, sur cette table.
Ici, maintenant, grâce aux cadavres.
Ici, maintenant, grâce aux enfants.
Ici, maintenant, grâce aux entrailles lanugineuses qui tirées en tout sens font la lyre excellente d'un Orphée volte-face, argileux et souriant.
Nous serons tous pierres alors autant sourire, même aux picards après-midis.
Et ce même si ma mère intérieurement soupire,
Et ce même si je ne suis pas compris.

Y avaient des losanges...de petites faces...grises ou cyanes.
Dire je vous aime manquerait de classe
Alors je vous l'écris

Sur un morceau de nappe...


Dante Gabriel Rossetti - Proserpine

jeudi 7 février 2019

Les inquiétudes dépravatrices - Introduction

L'Histoire n'est qu'un long compte-rendu de la bêtise humaine
Quant à la Philosophie, elle ne fait qu'étayer son immuabilité.
H.C.



D'un blanc tirant sur le violet, le ciel enfenêtré, parce qu'immuablement peint au cœur du timbre triste d'un lotissement de banlieue, n'annonçait à le voir, pour Serena, aucune innovation. La paperasse autour d'elle - et que le ciel cadrait cette fois - progressait pour sa part pathologiquement, patence syllogomane induite dès qu'un travail d'enquête s'effectue à partir d'un mystère d'importance. Ou plus précisément, dans ce cas-ci, à partir d'un improbable fendillement des moulures stylisant le plafond d'existence, à partir donc d'un trou de mémoire...non pas des voisins et monstres présumés...mais bien du Temps lui-même. Le Temps avait oublié ce qu'il s'était passé.
Le Temps ! Ce consigneur exaspérant de chaque faits et gestes, en ceci qu'il les produit et les permet car maître du mouvement, avait donc pris une sorte de pause, d'arrêt pour respirer alors que par essence (de par la décision de ce jeudi de juin du Parlement Adamantin), on l'enrôla pour être le principal poumon de tout le pulmonaire.

Cependant il est à remarquer, après un bref examen de l'Histoire, que cette absence, bien que stupéfiante et apte à gâter le sommeil des mieux lotis des loirs, n'était pas tout à fait une première. En effet et pour prendre un exemple récent afin d'illustrer rapidement mon propos, lorsque Yokozuna s'abattit de tout son poids depuis la troisième corde sur le torse de Bret "Hitman" Hart au cours du Wrestlemania 10 de 1994, quel spectateur assidu de ce celluliteux éboulement peut affirmer ne pas avoir assisté, impuissant ainsi qu'avide, à l'enfoncement terrible de la cage thoracique du né natif de Calgary ? Quel est celui qui peut, idem, nier avoir entendu, dans la suite directe de l'impact, une maximale quantité d'os, plexulaires et costaux, se faire la malle au creux de zones normalement réservées aux tibias et épaules ? Qui peut cela ? Personne !

Pourtant, aux faits illuminés par la latence d'une caméra, il s'avère que Bret, selon une scène sûrement mûrement répétée, se tira d'affaire ce soir-là en roulant sur le flanc (et donc en demeurant totalement indemne) ! Impressionnant réflexe de catcheur entraîné qui prit de court, comme avancé plus haut, tout le public présent au Madison ce soir-là. Mais pas parce qu'ils étaient toutes et tous mous du bulbe, même pas non plus à cause d'un de ces effets de foule faisant le ravissement des sociologues prostrés, non, point d'offense simpliste de ce genre peut convenir ici. L'affaire est plus grave, plus entêtante, plus immorale. Plus dangereuse également qu'une boxe fictive aux gants trempés d'acide ou de blocs de ciment...

L'affaire, vous l'aurez deviné, c'est le Temps et particulièrement sa façon d'échapper à ses contemporains. Si l'exemple du Wrestlemania ne vous a pas parlé malgré son évidence, je vous invite alors à repenser au dernier accident que vous avez vécu ; et j'entends "accident" dans son acception la plus rapprochée du paronomatique "incident", en ceci qu'il n'est nul besoin, pour que l'expérience réussisse, de vous remémorer des traumatismes douloureusement putrescents et que la chute banale d'un passant sur une plaque de verglas peut suffire, pour l'expérience, plus qu'amplement.

Bien, maintenant que vous vous souvenez de ce dos rigolo s'éclatant sur l'argent, je m'en vais vous poser une question : Que s'est-il passé ? Que celles et ceux (et je prévois, pour pareille occurrence, l'érection d'une majorité de "ceux") qui murmurent à présent dans leurs barbes et duvets en espérant que je les entende s'abstiennent sérieusement ! Nous sommes dans un lieu saint ici pas dans la vulgarité d'une salle de classe et comme dans tous les lieux saints, une unique personne parle.

Je continue donc : Que s'est-il passé ? Certes, un gaillard ébahi a glissé puis s'est retrouvé les quatre fers en l'air mais là n'est pas ce qui compte. Ce qui compte, ce n'est pas le fait en lui-même mais votre perception, exacte, de ce même fait précis. Alors retournez-y dans cette ruelle, de village ou de ville, où quelque chaussé pleutre, mal anticipant le coulissant d'un sol non salé, s'est étalé de tout son long, soumis qu'il fut sans y adhérer pour autant - parce que perfectionniste de nature - à la loi de Coulomb.

Qu'y voyez-vous dans le détail ? Outre le nez lippu et la bouche aquiline, par-delà les oreilles chassieuses ou les yeux en chou-fleur, qu'y voyez-vous, mon auditeur ? ...

Projetez-vous la bobine - et celle du victimaire - un dernier coup s'il le faut, c'est que ça me ferait plaisir que vous réalisiez, par vous-même, ce que je m'apprête à dire. Cela me ferait gagner quelques lignes et un peu d'empathie pour notre espèce humaine...

Bon ? Rien ? Vous n'avez rien remarqué d'autre que la chute rigolote ? Soit ! Mes ennemis raillent souvent mon goût pour la couverture mais n'est-il pas ce penchant obligatoire en quelque sorte quand on est au final entouré si pâlement ? Par de spectraux scénaristes de leur pensée à peine capables de retenir des tables non pas combien peut faire sept fois neuf mais que c'est sur celles-là qu'on pose les assiettes et les pièces de boeuf. Par des petits bras qui boulottent comme des lampes à pétrole et qui rangent tout au buffet et qued' dans la carafe ! Par des mectons, des mectones, d'une bêtise d'abri-bus et qui me lisent néanmoins, signe évident d'une volonté de bien faire mais bien faire est fortuit quand on part de trop loin. Or, vous êtes fort cuits les copains franchement, vous valez pas tripette, ce qui veut dire petite tripe, ce qui veut dire rien.

Bon ? Rien ? Vous n'avez rien remarqué d'autre que la chute rigolote ? Ah si ? Oui, c'est ça ! C'est tout à fait cela, j'applaudis*, bravo ! C'est ça ! C'est comme vous dites : "il y a eu comme une saute dans votre perception juste avant que le gus ne renonce à la gravité, devenant drôle tout à coup". Un à-coup du vivant, c'est ça, un micro-tremblement passant une sueur à notre échine tandis que ce monde, qu'on s'imaginait nôtre et calibré pour nous, se déforme étrangement. Elle paraît pas grand chose cette seconde qui tressaute avant que nous reviennent nos forces habituelles. Elle est pourtant tout mon sujet.

Car cette seconde où la réalité paraît s'absenter pour mieux se reconfigurer et qu'on puisse y faire face, cette seconde où l'instinct nous fait fermer les yeux sans pas toucher à nos paupières, cette seconde c'est justement "le Temps qui s'arrête" comme l'avance l'expression. Sauf qu'il s'arrête en continuant, ou plutôt trop discrètement pour que s'annule quelconque action. Et donc le passant tombera et donc la voiture engloutira le platane. Et donc Bret "Hitman" Hart rusera Yokozuna.

*

Après telle clarteuse introduction, il me paraît bienvenu d'expliciter enfin quel genre de "saute du Temps" rendit folle Serena. Pour ce faire, soucieux d'une variété de nerfs et de tons, je la cite à l'exact ci-contre :

"C'est toute une nuit de juillet qui disparut entière, avec dedans mon fils et une centaine d'autres !"

S'il serait tentant de moquer dans cette phrase une exagération (nuit, entière, centaine...), il l'est beaucoup moins au regard, encore une fois, de certains faits historiques troublants. Pour m'éloigner de l'anecdote et de l'incidentel, je m'en vais précisément vous causer de l'un d'eux en optant, à l'instar du ver gisant sur son crochet, pour le plus rutilant. Celui-ci nous heurtant au cours d'une période déjà très bavarde en massacres, il fut longtemps méconnu voire douté par les collecteurs d'épouvante et chenus nécrologues l'ayant avoisiné au hasard de précis submergés par le pire. Comme il est à prévoir concernant cette nuit affolant Serena - et ce malgré la multiplication des sources et des moyens de ruissellement - qu'elle finira en astérisques, annotations vidées de sens noircissant des bas-de-page ou des dédales d'appendices demeurant invisibles à toute espèce de lectorat car race trop soucieuse, celle-ci, de garder ses iris pour les événements gras...Pour des célébrations d'attentats terroristes ou des conversations, glaçantes à souhait, avec quelques mascottes de l'assassinat : tueurs en série comme tyrans politiques.

Les cauchemars dépendent eux aussi d'un timing, d'un odorat quant à l'ère du temps, s'ils veulent qu'on ne les pas oublie. Et ma paire de songeries pourtant abominables et dignes candidates au concours des légendes avait le nez coupé pour des raisons si diverses et si vastes, si terreusement mêlées à d'obscures racines, à des tunnels si complotant qu'ils rivalisent d'énigmes avec ces loteries de roussis ou de parmes que concocte le vent quand les nuages passent, que je les sais, ces raisons d'insuccès, appartenir ensemble à ce lopin vertigineux scintillant par-delà ma sincère omniscience et donc, fatalement, impossibles à décrire. Ces mondes d'outre-moi gérant intérêts et désintérêts d'un crime ou d'une naissance, d'un livre ou d'un sandwich, sont bien souvent pour moi la cause d'exaspérants regrets tant les ratages qu'ils exécutent paraissent, de par leur grossièreté, comme des faits exprès...
Des rues André Malraux et puis quoi d'autre encore ? Miro le vénéré ? Saint-Saëns dans le décor avec Senna, l'incinéré, qu'on fleurit et fleurit parce qu'il savait conduire très bien l'automobile ? Et Montesquieu qu'on cite alors qu'Octave Mirbeau nul ne le ressuscite, pas même ces fossoyeurs - qui fossoyèrent jusqu'à leur inscription, arythmique, dans les contenus professoraux - géniaux mais sage-femmes passables que sont nos chers surréalistes ** ? Et pas un mot sur Lovecraft qui ne soit pas teinté d'un mépris hiérarchique tandis qu'on se pignole sur Pagnol, Pasolini, Pavese et consorts ? Tandis que ça se rue, photographiant, dans des couloirs inondés d'hommes à barbe pour mater les bêtises de Basquiat ou Sheehan (je parle ici d'Heather et non du jeune Edward) ?

Cette liste d'erreurs pourrait continuer jusqu'au soir de ce monde mais comme il serait dommage que l'affrété déluge, que l'incendie immonde nous ratatine tous - c'est-à-dire moi - sans que fut faite enfin l'éclaircie autour des deux tracas que je vous ai promis, je la laisse en suspens. Et m’attelle plutôt, marionnettiste noueux par affections circonvolutionnaires, à donner du jeu et de l'aspect visible à ces cordes souillées dont l'exhumation in extenso dégoûtera, espérons-le, tout tentateur d'agir similairement avec autrui, camarades comme ennemis, humains comme animaux...


A SUIVRE DANS DEUX SEMAINES
Zdzislaw Beksinski - AA78 ou "La maison vide"




* je m'applaudis à moi-même
** hors Breton of course