mercredi 20 octobre 2021

Carré de Malevitch

Souviens-toi que les morts viennent d'un lieu unique

Que tu courras bientôt sans pour autant le voir

Souviens-toi que ton corps n'est rien qu'une réplique

D'un corps qui visita l'invisible manoir. 




lundi 20 septembre 2021

(Prière de respecter les trois étoiles qui restent)

Qu'élaboraient-ils tous de si fondamental pour justifier l'abandon du silence ainsi que le refus des stases contemplatives ?

Qu'y avait-il dans ces verres engloutis, lapés, bus, aspirés, dissolus, d'aussi énorme et bon pour qu'ils s'y fixent absolument au détriment des arbres ou même d'un escargot ?

Quelle sensationnelle vérité rôdait près de ces bars, restaurants, terrasses, bureaux, stations-essence, rues, ruelles, trottoirs et avenue pour que ces lieux de désespérantes factures soient élus par des milliards d'humains comme l'endroit méritant tandis qu'un banc, un simple banc... farouche et vert chou, griffé partout ou presque, maudit de solitude, baisé, fichu, kaput... un simple banc brisé, craquante meringue pierreuse au dossier rôti par les fientes, erreur de la nature fabriquée pour dix balles à partir de parpaings et de boiseries destinées à nourrir cheminées, abomination, hasard, méprise... un simple banc débile et posé là, municipalement voté un soir de mars, cloué deux ans plus tard, saccagé dans la semaine puis oublié, oublié, oublié, à part par quelques zonards assez malchanceux pour se retrouver à côté de lui et assez blagueurs pour se dire qu'il y ferait bon dormir... un simple banc sauveur de vies avec vue sur pas tellement grand choses : des feuilles et de l'humidité, des remuements de rats, des raffuts de fourmi, des bruissements de poussières auparavant brindilles ou adventices trèfles... un simple banc raté, pété comme une gouttière, visqueux l'hiver, visqueux l'été, froid siège cauchemardesque qu'ados rares excepté, plus personne à présent, ne gratifiait d'une fesse le temps d'une tasse de thé... le temps d'une caresse... le temps de s'arrêter, de ranger l'appareil qui nous sert à penser... ados rares excepté (et les clodos, et des oiseaux vomisseurs de diarrhée), ce simple banc pourtant porte sur tout au monde, était charme invisible... 

Des milliers de milliers de milliers réunis sans le début d'un bout d'obligation dans des enceintes irrespirables dans le but d'entendre beaucoup moins bien la mélodie gazeuse mille fois entendue.

Des milliers de milliers de milliers réunis dans des malls impossibles, dans des halls impossibles, dans des rôles impossibles, tandis que le banc, le maudit banc, tout esseulé qu'il est, a l'Humanité dans sa manche...

Car au-delà des arbres maigres et de l'humidité, au-delà des immeubles et des rats, on pouvait voir grâce à lui en position assise sous réserve de lever un iota le visage, un dais indescriptible...

C'était

Rouge parfois

Noir souvent

Gris à l'occaz' 

C'était

Impressionnant comme la mer

Et apaisant comme elle

C'était annonciateur

Mais aussi, de temps en temps, selon l'humeur, en connexion directe avec le souvenir, qu'il fut amer ou formidable

C'était glacé et chaud comme quand on pleure

C'était ce qui a fasciné, enfant, votre petite sœur

Et vous

Et votre mère

Et votre père

Tous les enfants du monde avant qu'il dédeviennent

C'était

Sur ce banc simple, à demi-déjà sur les roses, abattu, annulé, remplacé par les herbes,

C'était... ce qu'on voyait 

Et ce qu'ont vus tous nos glorieux ancêtres

Et tout ce qu'il faut, malgré la faim, la flemme, protéger comme on peut, coûte que coûte, quitte à se croire invisible, inutile, et très seul...

C'était, depuis ce banc de rien, tout l'or et tout l'argent, 

Mariage de rubis

Collection de saphirs 

Armoire pleine à craquer d'extrêmes aigues-marines !

C'était le premier baiser et le dernier pareil.

C'était

Là où sont les étoiles et tous ceux qui nous aiment

C'était

Là où nous fûmes et là où nous serons

Là où nous manquerons...

C'était

Le ciel à l'horizon. 

  //////////


C

dimanche 22 août 2021

Réplique

Encore une nuit dans la lumière


Après trois semaines de pure grisaille qui auraient dû être les miennes mais qui, comme toutes les portions temporelles, sont tombées dans le bec des autres... dans la gueule irréelle des vacanciers réussissant... Je vais demain matin (en vérité aujourd'hui même) retâter des disgrâces et des compromissions chaleureusement encouragées en réintégrant l'univers du sacrosaint travail ; je vais me recaparaçonner de politesses feintes afin que mes supérieurs hiérarchiques puissent sans trop d'effort éperonner mes flancs mous ; je vais regrimper ces seize marches de fer, rouvrir ce rideau magnétique, rallumer ma machine, rasseoir mes fesses de plus en plus en proie aux crises (gazeuses comme hémorroïdaires), ranimer les mêmes discussions flasques avec les mêmes tel ou telle collègue ayant eux aussi vieillis de trois semaines sans pour autant changer. 

Car oui, ils seront là !

On aurait pu penser que trois semaines de réflexion suffiraient amplement à ce qu'ils fassent le constat du caractère intrinsèquement mauvais du salariat tel qu'il est pratiqué partout sur la planète (qui consiste, en gros, à demander à un être humain de se figer derrière un écran puis de tenir bon durant la période de temps - généralement 540 minutes - réclamée par l'employeur) et qu'au bout de ces "vacances" assurément instructives des mouvements sociaux se lanceraient organiquement avec pour but de bousculer l'ordre établi (ou du moins de gratter une semaine de congés supplémentaire). Mais non, demain, aujourd'hui, ils seront tous là comme moi, malheureux mais fidèles. 

Ils seront là et me raconteront des plages dont ils regrettent le sable, sable qu'ils espèreront repalper un poil grâce à la nécromancie du souvenir. Sauf que dans les faits, ce sable est déjà derrière eux et qu'il l'était dès lors qu'ils quittèrent la plage et remisèrent - tête basse - leurs serviettes au placard. 


Nous ne sommes que du présent et ça me terrifie.


Dans la lumière, dernière nuit. 

Füssli - Lycidas




jeudi 19 août 2021

Mais les soleils aussi font d'horribles cauchemars

La nuit venait d'avoir / raison de mes deux yeux

S'égrenant dans le noir / le chapelet sans croix 

Priait un autre Dieu  / que celui de la Loi

Et moi j'entendais tout de sa récitation... 


Des hommes heureux se trouvent y compris de nos jours 

Ils ne sont pas nombreux mais ils sont parmi nous 

Dans les transports, les parcs, on les croise partout

Sans pour autant les voir, comme on le fait d'amour 


Comme on le fait du soir se brisant tel du verre

En morceaux de minutes impossibles à ravoir.


*

La peau clouée par-dessus l'âme,

- Rivetée par un génie, un maître de son art -

J'étouffe et mon esprit ne peut que se débattre

Au bord de l'insomnie. 


... Quand je pense qu'à l'heure où je pense mal 

Des milliers de garçons et des milliers de femmes

Voguent sur des eaux somptueuses,

Je penche vers le canal 

Où mamie Ludmila eut l'idée de s'asseoir. 


C'est notre grand problème

Que de ne pas savoir 

Faire des choix positifs 


Que ce soit dans ma famille

Ou plutôt dans la vôtre 

La voie héliotropique n'a plus du tout la cote.


La nuit de son côté s'accaparait Dieu-même

Puisqu'on priait son frère depuis cet escalier

Autrefois une échelle...

Et qu'il n'y avait personne afin de le faire taire.


... Me crever les tympans et ces beaux yeux qu'ils bercent ?

Je vais dormir en vrai

Faire genre que je m'en vais visiter l'univers

Et que huit heures sans lui m'auront bien reposé.


Lui ne se repose pas.

Lui récite et se vexe que je n'aime que toi (c'est-à-dire moi beaucoup)

Mais ne sois pas jaloux 

Car je ne suis qu'une ex bientôt laissée sans le sou...

Excepté aux paupières,


Excepté pour passer

Là où vont les prières,


Excepté pour le trou.


*


La nuit venait d'avoir / raison de mes deux yeux

S'égrenant dans le noir / le chapelet sans croix 

Priait un autre Dieu  / que celui de la Loi

Et moi j'entendais tout de sa récitation... 

vendredi 2 juillet 2021



Sait-on jamais qu'un cœur un joli jour nous ouvre

Et nous offre le cœur de ce que d'autres nous soufflent

C'est-à-dire notamment d'immenses nuits d'amour 

Où galaxies et sang font partie d'un seul tour


Sait-on jamais qu'un jour un joli cœur nous ouvre. 


Zdzisław Beksiński - Sans titre


lundi 17 mai 2021

S'agirait de grandir

Partout des incendies pluvieux

Et des marées sacrément radicales

Rempotaient le beau lierre.


Les pleureurs idem voyaient leurs gros chagrins transformés en tristesse

En gestes de dépit et replis sur eux-mêmes les empêchant que d'être

En tant que vertes et reposées merveilles.


Grand amour et misère avaient, la faute au mauvais temps ayant colonisé les deux tiers de l'horloge, 

Mis de côté leurs inconscients. 


Adieux furent donc faits aux pulsions titanesques

Ainsi qu'aux ancestraux besoins

D'aller guetter la mer, 

A la fois pour son eau similaire à nos larmes

Et pour s'imaginer endormi sous ses algues. 


Il n'y avait plus que des roses 

Inoffensives et claires de message.

Et quelques morts par accident plutôt que par noyade.


Ophélie affolée constata stupéfaite sa solitude immense maintenant que les songes, 

les mensonges, les démences, 

étaient neutralisés. 


Euthanasié le rêve n'existait plus du tout, comme toutes et tous demeuraient désormais dominés mais debout.


Outre cela, du monde, il ne restait que des chansons et une poignée de contes.

Ailleurs partout des autoroutes d'automates s'accommodant, commodes, au vieillissement subventionné de leurs organes. Vus du ciel, ces hommes auraient très bien pu être des mouches...

Encore qu'elles aient, elles, des ailes...


Je ne sais pas quand tout à commencé à finir de la sorte, aussi peu gracieusement. 

Je sais que ça a à voir avec les plantes, et la disparition progressive des jardins 

Mais après j'en sais rien...


J'aimerais pouvoir, savoir, aimer intactement

Tout comme avant quand j'y mettais du mien


Mais ça m'est impossible comme il est impossible au lierre de fleurir et au saule d'exprimer librement son chagrin.

Je suis devenu un homme-mouche à mon tour, une partie de ces autres qui, sans ailes ni volonté d'aller guetter la mer, cotisent heureusement puis se paient des bouquets, splendides, de roses rouges.


Et bien que ça me terrifie

Qui puis-je en vérité ?

Qui puis-je si c'est ma vie

Et que je l'ai méritée ? 


Albrecht Dürer - Extrait de gravure retrouvée


lundi 26 avril 2021

Le salon de silence (3)

Quand, fatigué que d'aller là où la terre n'est plus, l'homme s'arrêtera

Ils seront nombreux à lui demander un récit, même court, de son voyage dans le désert.

Mais l'homme, la peau sur les os et les lèvres très blanches, n'aura rien à leur dire. 

Il ne pouvait en être autrement : On ne raconte pas l'aube et le froid de la nuit.

C'est là quérir une explication nulle, un retour non avenu. 


Se perdre alors en mots reviendrait à décrire, par le langage, la musique de Chopin ou l'œuvre de Varo,

Impossible désir pour peu qu'on se respecte et n'ait pas fait tout cela dans un geste hypocrite. 

Qui manque d'âme à ce point n'a jamais marché un seul pas en dehors du cercle.

Qui manque d'âme à ce point ignore tout du sentiment intact, du sentiment réel éprouvé au milieu d'un monde indéfini.


Les familles ont beaucoup de choses à se dire ainsi qu'à partager car elles en ont besoin.

Mais l'homme du désert, précisément parce qu'il est l'homme de cet espace délaissé par les autres, n'a plus aucun besoin. Il est libre grâce à sa solitude et il l'est d'autant plus à chaque pas qu'il fait en direction du sud. 


Il est l'homme qui autrefois quitta, de force ou par faiblesse, sa longue plaine glacière où il devait mourir, pour rejoindre un asile dérangé par les fruits. 


Il est l'homme de la première fraise, celle-là qui, non contente d'être fraîche, contenait la fraîcheur sous sa forme primaire. Un goût libérateur comme l'est un regard, une main, au moment où l'espoir, lassé d'inadvenir et de rester toujours à l'état de mollesse, se transforme soudain en une goutte chaude, puis en un plafond blanc vaporeux et splendide avant d'aller au ciel et que d'en redescendre dans une pluie violente. 

Il est l'homme de ces pluies qui frappent au plein cœur d'un été rigoureux 

Et qui sauvent des vies. 

Et vous, vous voudriez encore qu'il parle ? 


Il a vu l'invisible avant que l'invisible ne se mette à devenir quelque chose d'impalpable. 

La montagne colline, la mer à l'état de misérable flaque. Il aurait pu la boire ! 

Il aurait pu aussi écraser facilement l'Himalaya enfant. 

Mais vous voulez qu'il parle...


Vos yeux auraient fondu mille fois devant ces paysages qu'il domptait d'un seul œil, cachant l'autre pour rire. Vos paumes, simples paumes d'humains, auraient gelé jusqu'à la cendre dès le demi contact avec un de ces grains de sable dont il se servait, semaine après semaine, région après région, pour bâtir sa maison. 

Mais vous exigez malgré tout qu'il quitte sa réserve et vous serve des phrases, des messages, des leçons ?

Et ce pour quelles raisons autre que la paresse ? 

La vérité c'est que vous avez peur et que vous espérez que sa voix vous soulage.


Mais n'avait-il pas peur lui-même ? 

Il ne s'est pas fait d'un jour et des décennies passèrent, des décennies... des siècles ! Avant qu'il ne se débarrasse de son immense envie de vomir en présence de ce monde franchement inamical. 

Mais il a tenu bon. Il a su accepter qu'il faut être malade avant la guérison. 


Et c'est pourquoi il ne dit rien. Et c'est pourquoi, tous les prophètes véritables étaient de muette race. 


"A vous votre langage, à vous votre voyage"


Voilà ce que murmure le fond de ses yeux clos que vous embarrassez. 

Voilà là son credo, son nindo, son adage. 

Inutile encore de chercher. 


Marchez, et peut-être un beau jour, sous le désert comme lui

Vous y verrez la plage (et les fruits, les grappes de sonates et baies de Remedios 

Mannes inexplicables mais qui coupent la soif de la soif d'Eros...

Puis vous verrez aussi Apollon sur son char 

Ainsi qu'assis sur le soleil qu'il tracte 

Le beau sourire du diable...

Vous verrez, vous verrez, tout ce qu'il y a à voir 

Si vous marchez 

Comme seul l'esprit marche). 


Odilon Redon - Réflexions


dimanche 25 avril 2021

L'autre côté de la beauté (3)

Comme il se prouve, jour après jour, que l'échec est l'étoffe dans laquelle mon corps se sent le plus à l'aise, 

Je me demande, au-delà du pourquoi que je connais très bien - ayant tissé avec acharnement et même le sourire ce douloureux costume - quelle diversion aurait pu ou pourrait le déchirer un peu. 

L'idée qui me vient immédiatement est qu'un second soleil fasse son apparition. 

Ainsi doublement brûlé peut-être que le ciel, aube crépusculaire étayant un haut jaune au brillant perpétuel, verserait sur mes joues autre chose que des pleurs, et dans mon crâne, autre chose qu'un désir que de frapper avec les murs et les fenêtres. 

Peut-être oui qu'alors que l'océan sera devenu un bain doré bouillant, un horizon de citrons frits, 

Peut-être oui qu'alors reparaîtront chez moi des élégances perdues... 

Où était donc passé cet homme qui traversa tout un train en courant, de la tête à la queue, pour le simple plaisir de prolonger, par le mouvement, un banal baiser reçu trois heures plus tôt ?

Il était là non loin, tout comme était là non loin l'homme que je suis aujourd'hui, hier, tandis que j'agonissais d'injures et noms d'oiseaux la femme que j'aimais, en ce premier matin de l'année 2015, car elle n'était pas en France et que, décalage horaire oblige, sa soirée à elle ne commencerait qu'une poignée d'heures plus tard et que je ne serai pas là, car dormant, et que du coup j'imaginerai le pire, comme souvent, et que c'était sa faute et non celle du fuseau, et non celle du temps. 

Il était là non loin, l'homme que je suis aujourd'hui, quand, décor ferroviaire toujours et jalousie encore, j'avais jeté sur les rails une bouteille de bon vin pour je ne sais plus quelle raison exactement sinon que j'allais mal et qu'au lieu de le dire, j'avais été méchant.

Un deuxième soleil donc pourrait faire l'affaire. Enflammant mes trente-trois ans ainsi que mon trente-et-un en un clin d'œil ou deux...

Dire que j'ai tout raté, quand même, c'est dingue ! Certains, même parmi les pires, réussissent au moins un petit truc : un enfant, une tarte, une poterie... Mais moi j'ai tout raté ! 

Ce n'est pas faute d'avoir essayé... j'en ai fourné et renfourné des tartes poétiques, j'en ai modelé des glaises, j'en ai vêlé des strophes, des virgules, des rimes truffées d'hypothèses. 

Mais trop salé, trop sucré

Mais mou comme boue ou cassant en un souffle

Mais à peine un sabot sur la paille que déjà le cœur lâche. 


*


L'étiquette de l'échec, cette étiquette qui gratte et qu'on s'empresse de découper une fois rentré chez soi, je l'ai découpé bien sûr. Sauf que le souci ne venait pas de l'étiquette mais de tout le costume. Or pour moi, c'était soit ce costume, soit la nudité mortelle. J'ai donc choisi de vivre au chaud de mon échec. 

*

Après qui sait... 

S'il y a pu avoir David Lynch et Baudelaire, il se peut bien qu'un jour 

Ce deuxième soleil 

Ait lieu ailleurs que dans ma tête. 

Auquel cas c'est à poils, et vivant finalement auprès du côté clair, 

Que je passerai le reste de mes années sur Terre. Même si ce n'est qu'une seule

Pourvu qu'elle soit solaire

Et qu'elle n'ait plus la gueule 

Que je vois en ce moment, le matin quand je me lève

Mais reste à l'intérieur d'un antérieur rêve. 


*


Refuser le présent 

Ce gâteau de lumière 

Voilà le véritable échec. Oh oui, il est triste également que de ne pas recevoir toutes les récompenses, tous les galons ni toutes les épaulettes.

Mais refuser le présent 

Est plus grave à mon sens 

Que de louper Goncourts, Baftas et prix Nobel. 


Car des Goncourts et des Nobel 

Il y en aura encore des pelletées et des pelletées à gruger d'ici la fin du siècle 

Alors que le présent ne se présente qu'en un seul exemplaire. 


Idem le soleil.


Voici pourquoi il vaut mieux que je me taise et sorte prendre l'air. 

Qu'au moins cette promenade

Relâche cette cravate qui sans cesse me serre.


Odilon Redon - Bouddha


dimanche 18 avril 2021

L'autre côté de la beauté (1)

Les sacrifices consentis chaque jour, par l'homme s'illuminant en marchant dans la nuit, 
Ne génèrent, en dehors des poèmes, rien d'extraordinaire. 
Car l'homme qui s'illumine en marchant dans la nuit est foncièrement mauvais. 
Gardant ses fleurs pour lui à l'exception des bouquets littéraires, il rend très difficile l'effort d'amour à son égard. C'est que, vivant dans les souvenirs autant que dans des mondes non encore advenus, il est rare de le croiser réellement, de savoir ce qu'il pense. 
Certes il œuvre aux étoiles, minant dans un ciel invaincu ces gros blocs de glace afin qu'ici sur Terre, ils restent remarquables. Certes il pleure souvent, énormément, beaucoup, quant à sa vanité et presque aussi souvent, énormément, beaucoup, quant à la vanité générale. 

Né du néant... non, du passage de témoins d'un million de cadavres, il meurt à l'idée de s'échiner pour rien, sinon un rire, une larme, perdue au fond d'une chambre qu'il ne visitera pas. Il meurt de ses lecteurs futurs, l'arrachant des poussières d'une bibliothèque pour tendrement, comme l'abbé de sa Bible, l'effeuiller en recueil. Il meurt d'être ainsi mis à nu pour du beurre, car il sait ses mensonges et il sait qu'il n'y a là-dedans que quelques vers de bons. Et c'est sachant cela : sa vanité, la vanité générale, les étoiles, les lecteurs futurs et les bon vers rares, qu'il fait du mal autour de lui. 

Il hait par extension de sa propre limite. Il hait et répudie dans l'espoir de grandir, quitter à passer par l'ombre et non par la lumière. Un mètre est un mètre... Et il se veut golem gigantesque, colosse qu'un titanide regarderait d'en bas. 
S'il s'espère si gratte-ciel, c'est pour pouvoir OEUVRER plus facilement à la taille des étoiles. Car pour lui, bien, mal, bonheur ou malheur, sont en vérité des notions tout à fait secondaires. Il se soucie aussi peu des autres qu'il ne se soucie de lui-même. Car ce qui compte pour lui, c'est que ses sacrifices génèrent des poèmes. 

(En dehors, rien d'extraordinaire. Un quidam bougon, méchant et solitaire. 
A l'intérieur ? Des hordes et des hordes 
Et des hordes
Et des hordes 
Et des hordes
Et des hordes
Et des hordes 
De morts-nés et peut-être... 

Avec sous cette armée follement décomposée, aux yeux et corps affreusement translucides, sous cette nation de vies rejetées dans le vide, 

Une cave invisible excepté pour lui seul. 

Cette cave contient toutes les richesses jamais forgées par l'Homme. 
Cette cave est de mots pleine. 

C'est à partir d'eux, et faisant fi des hordes infinies d'interrompus marmots dont les pas frappent, agacent, à son oreille, qu'il tire un outil digne de sculpter météore. 

Un outil inutile qu'il recherchera qu'importe le péril
Et au risque de nuire à ceux qui le chérissent. 

Car ce qui compte pour lui 
C'est que ses sacrifices

Génèrent des poèmes...

Et tant pis pour les aubes qu'il se refuse à voir en marchant dans la nuit
Et tant pis pour les lèvres qu'il met de côté, en embrassant plutôt sa prose 
Et tant pis pour sa mère, sainte femme s'il en est, qu'il n'appelle qu'une fois l'an quand il manque d'argent
Tant pis pour elle, tant pis pour eux, 
Tant pis pour tous les autres 

Son amour n'est pas assez puissant
Pour affronter à la fois le froid des galaxies 
Et celui d'une amante à qui il faut dire "oui,
Je t'écoute, je t'entends, 
Tu m'intéresses et je te veux."

Pourquoi mentir ? 
Seul l'outil l'intéresse
Et c'qu'accomplir il peut. 

Tant pis donc tant pis. 

L'autre côté de la beauté 
C'est qu'il est laid d'écrire 

Et que ça rend idiot
Même si c'est notre vie 

A nous s'illuminant en marchant dans la nuit 
En rêvant qu'un beau jour 

Il fasse beau une nuit. 

(ce serait alors la preuve que notre outil fonctionne
 et qu'enfin les étoiles ont gagné ces couleurs - ces verts, ces bleus, ces mauves -
 que tout auteur malheureux ambitionne))


Max Ernst - Femme-fleur (extrait d'une Semaine de bonté)


jeudi 15 avril 2021

Le salon de silence (2)

Elle avait l'odeur folle de ce qui n'est pas bon et se doit rapidement de mourir, un goût d'œuf vieilli

Et la couleur du suppuré. Pourtant je l'aimais d'un cœur fou et j'aurai pu brûler, deux fois, Jérusalem pour elle. Parce que sa bouche avait une langue terriblement douce contre laquelle ma langue, et bientôt tout mon corps, perdait sa pesanteur morbide. J'y oubliais, caressé, dorloté, la somme accumulée de mes regrets, le monstrueux montant des peurs. J'y devenais le parfait môme gobant sa toute première fraise, son tout premier quartier d'orange, son premier pain au sucre dans la boulangerie d'un de ses malls où ma mère aimait à faire ses courses une fois samedi venu. Extraterrestre sensation me faisant parcourir, sans bouger du fauteuil de son entre-deux lèvres, les mille chemins qui menèrent Paul, le Saint laideron, jusqu'à la route plantée d'éclairs comme d'autant de platanes, de la ville de Damas. Avec elle m'absorbant, j'entrouvrais facilement ces portes métalliques qui jadis me rejetaient. Sa langue était la clef de tout, de l'espace comme du temps.  

C'est pourquoi ses défauts m'intéressaient fort peu. 

C'est pourquoi, quand la maladie eut finit de la becter, avec sa langue à elle, je fus inconsolable. 

Bien sûr dans le futur d'autres langues me voudront. Mais à quoi bon. 

J'étais à présent, au présent, dans désert. 

Qu'encore du sable, alors, ces prochaines seront. 

                                                                   Et Jérusalem tient debout tristement.


Luca Giordano - La conversion de Saint Paul



lundi 12 avril 2021

Moi

J'avoue mourir de cette vie qui la mienne m'est déjà grandement prise. 

Les trente ans sont passés, trente fruits d'oubliettes que des rats, survivants grâce à la chair d'autres rats moins féroces, bouloteront peut-être après quelques négoces. Un grignotera janvier 96 quand un deuxième fera son ventre sur printemps 2002. Ainsi se régaleront-ils de ce qui fut pour moi. 

*

J'ai souvenir d'il y a plusieurs trimestres m'être fait déposer par ma mère dans la ville de Creil. C'était pour une histoire d'emploi 

Ou au moins d'y prétendre 

Et je me souviens d'être arrivé dans un lieu sans couleurs, dépersonnalisé jusqu'aux affiches aux murs, comme le sont tous ces lieux où échoue le mektoub. 

Là-bas, le temps de faire semblant, de signer un papier promettant que je désirais par la présente intégrer un programme visant à me permettre de retrouver prochainement du travail dans un secteur de mon choix selon les offres à présent disponibles (celles-ci par ailleurs consultables gratuitement sur notre site internet ainsi que sur les différentes bornes mises à disposition, de 8h30 à 17h, du lundi au jeudi), le temps d'une petite heure donc, 

J'avais eu l'impression de perdre un quart de cœur

Et que peu s'en fallait 

Pour que bientôt l'entêtante musique ne se mette à sonner. 

Et ce n'était qu'une demi-heure !


Alors maintenant que j'en passe quarante par semaine dans un endroit largement similaire *, 

Comprenez bien que  


J'avoue mourir de cette vie qui la mienne

M'est déjà grandement prise. 


* la musique entêtante signalant mon abandon prochain est devenu ce qu'on entend 

   quand on pose son oreille

   contre un coussin qu'on serre.

ET J'AI SURTOUT, au-delà de la musique, une de ces envies de VOMIR ! 

S'il n'y avait pas les masques compliquant cette action

Et la peur de gêner 

Je vomirais éperdument et à toutes les stations. 

Je vomirais aussi en mettant mon manteau, juste avant de sortir, puis lorsque je fermerai à clef après être parti, puis, encore sur le trottoir, puis dans les escaliers, puis dans le métro donc.

Je serais l'acide Petit Poucet, traînant derrière lui ses flaques d'angoisse,

Ces miroirs odorants où l'Erreur s'admirait. 

Ah si je vomissais...

En pas longtemps on serait rendu, 

Vidé

Vanné

Vaincu. Mais au moins sans plus rien sur le cœur

De ce qui actuellement 

En vérité me tue. 


*

J'avoue mourir de cette vie qui la mienne

Non ne m'appartient plus

(mais encore faut-il qu'elle

 m'ait, un jour, appartenu...) 


*

Quand les cafés rouvriront

J'espère que mes veines 

N'auront pas pris de l'avance


J'avoue mourir de cette vie qui la mienne


En rien ne me ressemble. 


Leonor Fini - Le bout du monde




samedi 10 avril 2021

La pluie nous proposait cette nuit une symphonie déstructurée dont chacune des notes tombait, lentement, d'un rebord de fenêtre à un autre. Ces ricochets verticaux et traînants n'étaient pas mélodiques pour un sou, pourtant, en y mettant du sien, on pouvait en tirer une sorte de rythme, une espèce de bande-son qui, bien que foncièrement aléatoire, semblait dire quelque chose. Pour cela cependant, il fallait adjoindre aux lentes chutes des gouttes, le murmure ouaté des sirènes d'ambulance signalant qu'à quelques mètres d'ici, des gus devaient être au plus mal. Tragédie d'un quotidien voyant sans pause ni vacances les tombes se remplir et les lits se vider. 

Pour mes voisins, j'étais un carré de lumière sous-entendant certainement l'insomnie. Pour moi, j'étais un gardien de phare, passant et repassant sur la mer nocturne à la recherche des marins envoyés par le fond. 

Pour elle, je ferai mieux de me coucher. Mais c'était impossible avec cette symphonie, qui plus est depuis que j'avais contracté mon serment enfantin, celui d'écrire toujours au mépris de la fin. 

Sur les quatre abris-bus de la Gare de Lyon, deux étaient actuellement occupés par des hommes se grattant, et deux autres par des retours de garde. Les premiers fendaient le cœur des seconds. Et les seconds fendraient bientôt le cœur de ceux qui, au petit jour dans l'escalier, perclus les croiseront. Et ceux-là qui en ce dimanche matin partiront vers l'avenir d'une boulangerie trouveront de la pitié chez tel ou tel client commandant son gros pain. 

C'est ainsi que l'amour et la haine fonctionnent, par ricochets mutiques, d'un bord à l'autre du regard, jusqu'à ce qu'heureusement vienne un nouveau soleil, perce un nouvel orage. 

Elle avait raison. Il était temps pour moi de descendre et d'éteindre mon phare. 

jeudi 8 avril 2021

Résumé succinct

Vivre, écraser les heures comme le sabot d'un cheval le fait d'une touffe d'herbe

Et faire semblant jusqu'à la toute fin d'avoir de la maîtrise sur cette course au galop.

Echafauder des plans alors que le papier, la peau, est le tissu le plus volatile qui soit.

Se marier en prévision des vieux jours en oubliant qu'au cœur des jeunes jours déjà, la haine nous saute aux yeux.

L'autre est du bruit, de la carcasse qui déconcentre et grince sans s'arrêter et nous sommes pour lui, la même chose ou bien pire.

Vivre, semaine après semaine assister au ballet de la lumière et de l'obscurité pour, à partir de ce spectacle que nous ne regardons en vérité plus trop, régler notre réveil. Régler notre réveil pour une heure plus tard envahir les couloirs de métro, puis pour dix heures plus tard, régler le réveil à nouveau.

Vivre, attendre les week-ends, les vacances, les meurtrières desquelles tirer notre démence. On tient debout pour les dimanches et les quelques rencontres, avec une femme, un ami ou un film.

Vivre, s'écraser sous les heures car nous sommes la touffe d'herbe et qu'il n'y a rien qui puisse changer ce résultat. Aucune alchimie, manigance souterraine, ne pourra inverser, jamais, la vanité de l'homme. 

Non plus son masochisme. Car race destinée à mourir, elle s'empresse cependant à mourir davantage, via des guerres, des rêves ou du travail. Elle aurait pu pourtant, à défaut que d'atteindre quelque élixir fameux fortifiant pour deux siècles son sang, se consacrer à cultiver, main dans la main, amoureusement, des parterres de dimanches à prendre dans la semaine mais... Elle préféra d'autres richesses que celle vraie du Temps.

De là, par millions nous allons, lorsque la nuit s'intensifie et qu'il nous faut dormir, régler notre réveil avec la peur débile qu'un jour il dysfonctionne. Comme si garder par maladresse une ou deux heures à soi était un crime horrible. Comme si dormir, repousser le cheval dont la narine au loin dores et déjà frissonne, risquait de nous maudire.

Nous sommes maudits de naissance, tous et autant que nous sommes. Cessons de penser autrement et embrassons plus justement ces retards, ces erreurs et ces manques, qui de fait nous ressemblent.

Il y aura toujours des machines pour calculer, matraquer et produire.

Pour l'amour en revanche, je crains qu'il faille des Hommes.

Et moins de réveils, mon Dieu, moins de réveils !




Konstantin Somov - Les deux clowns





lundi 5 avril 2021

Si les sentiments pouvaient monter au ciel 

Comme les lanternes japonaises

Quelle couleur auraient-ils ?


///


Tout était bien rangé

Sauf les heures 

Qui dégueulaient un peu partout.


Tout était bien rangé :

Le soleil signait la peau de sa jaune chaleur

Et la lune regardait les orphelins dormir. 


Tout était bien rangé

Sauf les heures

Depuis que je n'étais plus tranquille.

C'est que j'avais au cœur

Un détraquement de taille 

C'est que j'avais très peur 

Que ma mère s'en aille. 


Tout était bien rangé

Dans sa chambre également

Sauf les heures...

Courant dans tous les sens 

Sans qu'aucun infirmier ne puisse agir sur leur humeur.

A peine une parole, une promesse, un baiser, 

Arrêtait une minute

Que déjà toutes les autres 

Dehors se ruaient pour se jeter dans la chute. 


Tout était bien rangé

Si bien qu'un jour ma mère 

En eut marre de l'ordre

Et fit valser par terre son oreiller et son plateau, 

Et même aussi ces cordes qui lui perçaient la peau.


Pendant un court instant

L'instant redevint sa richesse, 

Sa manne, son pétrole.


Pourtant, certains la pensaient folles...

Des idiots dépendants, méconnaisseurs du sens 

Réel 

Du rail du temps.


Tout était bien rangé 

Sauf les heures


Et c'est pourquoi 

Comme ma mère

J'ai du rangement l'horreur. 


 

Adolf Wölfli - Guerre des eaux 


mardi 30 mars 2021

Diane

Des créatures terrestres aux visages à demi-défoncés, comme si des ados armés de feutres, au lieu de dessiner sur eux des boucles imitant l'apparence d'une verge, s'étaient appliqués à creuser, martyriser leur chair, avant, forfait fini, de rassembler vite fait bien fait les pièces du puzzle. 

Tout le monde connaît l'histoire du tueur à la petite cuillère, et comme elle est longue et laborieuse, alors imaginez le tueur au stylo-feutre ! C'était néanmoins l'impression que me faisaient ces gens, d'avoir été victime d'une torture infinie, comme celle d'essuyer un éclat d'obus emportant la mâchoire puis de travailler trente ans avec les meilleurs chirurgiens afin de la refaçonner pour finir par la reperdre en plein Paris à cause d'une balle allemande. De loin pourtant, on ne remarquait rien, à part peut-être que la joue droite était un poil plus gonflée que la gauche. 

Mais en se rapprochant assez près, disons au point de pouvoir apprécier la couleur de leurs yeux, il était impossible de ne pas deviner les cicatrices, les traces obscures de broches ou d'agrafes, et ces morceaux d'épaule déplacés au niveau du menton, quasi parfaite illusion de menton mais faisant malgré tout un tout petit épaule. Ce qui choquait cependant davantage n'était pas d'ordre graphique. Non, c'était plutôt une enfouissure, "un secret mystérieux" pour citer La Palice. Non c'était de voir, sous l'habile macramé fait à partir du tissu exfolié soigneusement regreffé, comme une sorte de cumulus, d'orage-même, de battement de cœur caché, qui vous marquait le regard jusqu'à fascination. Comme si quelqu'un d'autre vivait sous la première couche de chair présentée. 

Quel diable logeait là ? A l'abri dans la cloche de ces peaux malheureuses déjà maudites une fois. 

La physiognomonie et son dérivé proche qu'est la phrénologie firent énormément de mal avant qu'Hegel et, plus globalement, l'expérience de la vérité nous remontant des camps, ne destituent heureusement es théories Lavater, le jetant aux oubliettes malgré l'accrobranche féroce de successeurs miteux (Louis Corman le premier, des palanquées de russophones ensuite). Alors croyez-moi si je vous dis que mon désir le plus éloigné serait d'emboîter le pas à ces simplets à blouses blanches ayant cru bon de croire - et cela pendant si longtemps ! - dans la définition du faciès, celle potentielle de l'âme ou tout du moins une idée quant aux intentions et/où quant à l'état de la santé mentale. 

Néanmoins, il m'était difficile en face de ces créatures terrestres aux visages à demi-défoncés de ne pas ressentir, ne serait-ce qu'instinctivement, un micron d'adhésion en faveur de ces réflexions d'un autre âge. Car, pour y revenir, leurs fronts, leurs joues, leurs tempes, à ces gens-là bouillaient littéralement ou semblaient servir d'hôtes à une espèce de poisson fort vivace. Cela bougeait sous eux, sous l'os et au hasard. et dès lors, comme dit ci-dessus, il devint difficile pou moi de ne pas imaginer quelque lien tacite entre ce cumulus, cette grenouille, cette carpe koï, circulant librement dans leurs traits, et le possesseur - fut-il anciennement supplicié - de la gueule en question. 

Mais puis d'ailleurs d'où venaient-ils ces gens ? De quelles terres ou bateaux ? Je veux bien qu'on m'explique quel type d'autorités autorisèrent à débarquer ces faces de cauchemar...

*

L'explication ne viendra jamais. Autre chose à foutre. L'est pas dit de toute façon que vous la méritasses. C'est que j'ai vu moi, en guise d'archipels sidéraux, de ces soleils couchants sur la peau d'une femme et de ces femmes couchants sur la peau du soleil (elles y ont brûlé mais c'était beau comme d'apprendre à lire) et qu'il m'apparaît nettement plus utile à la pérennité de les narrer ces astres plutôt qu'une énième histoire vague. Alors je commence. 

J'avais peu d'espoir ce soir-là, à quelques heures du début de cette nuit me conduisant dans un rêve éveillé. Je sortais il est vrai de nombreuses casquettes et d'un gros grand amour m'ayant mis à plat ventre. Mais quand même, ça n'excusait pas tout. Normalement l'espoir doit affluer toujours parce qu'enfin, c'est lui qui...Enfin sans lui nous ne sommes rien que des éviers bouchés dans lesquels on tente en vain de verser de la soude. Certes j'avais souffert mais l'espoir justement est bien cette substance qui perle au-dessus des gouttes de sang, qui les rendent lumineuses avant qu'elles ne noircissent. Sauf que l'espoir moi niet en ce temps-là. La faute à trop de rencontres avec cet enculé qui parle à l'intérieur. Avant, j'arrivais à le fuir, à lui glisser de temps en temps entre les pattes. Mais à cette époque-là, c'était tête-à-tête sur tête-à-tête avec cet enculé. Il me lâchait pas d'une semelle, et il parlait, parlait, parlait sans cesse. Et le problème, c'est qu'il parlait comme un père. Enfin, comme certains pères quand ils croient qu'ils n'aiment pas leur môme juste parce qu'ils n'aiment pas leur femme ou leur vie de l'instant, parce qu'en vrai, ça s'aime toujours un môme. Ou en tous cas ça devrait. Et donc l'enculé me parlait pareil à ces pères-là : "T'arriveras jamais à rien !" ; "T'es vraiment la pire des inventions." ; "Je parie que même les clochards ont de la peine pour toi." ; "Poule mouillée sans valeurs, comment peux-tu quérir encore les embrassades ?" * (c'était le printemps surtout qu'il me parlait comme ça avec un tel lyrisme). De quoi regretter de pas être né morceau de bois ou lézard ! D'autant que c'était tous les jours et les heures : je me baignais dans ses gueulantes, reniflais dans ses sermons, bandouillais dans sa haine. Quand je me faisais des pâtes, l'enculé arrivait à enrouler Dieu sait comment les tagliatelles dans mon assiette de telle sorte que j'y lise "Petite Merde". Il en était à ce niveau de compétence et à ce degré d'abnégation quand ce soir-là, à quelques heures du début de cette nuit me conduisant dans un rêve éveillé, je pris le métro comme en rasant les murs. 

La suite c'était un bar et l'apparition d'une femme plus grande que moi qui, parce que ce monde est bien fait quelquefois, ne savait rien du tout de mon enculé intérieur. Et mieux encore, elle n'en sut rien jusqu'au bout alors que généralement après une heure à faire des allers-retours dans mes yeux on le croise forcément. C'est une affaire de lueur, un peu comme pour celle du sang et de l'espoir. On devine une extinction signalant ma tristesse et depuis cette tristesse, la présence permanente de l'enculé hâbleur. Ou tout du moins on capte qu'un truc cloche sérieusement et que là où certains se tapent des coups de blues, chez moi, ça tiendrait plus du passage à tabac. KO par le malheur. Et bon, il y a des natures médecines, des essences abbesses, mais d'une peu me chaut que d'être un chat plus plus ou le sujet des ragots homéliques, de deux, c'est pas ici la norme. Ici, Paris, vingt-et-unième siècles, on se bouffe entre nous pour une omelette ratée (je le sais, je l'ai vécu !) alors...

Heureusement cette femme était plus grande et c'est sans doute, justement, à cause de sa hauteur, que son regard n'a pas pu pertinemment me voir. Sur ce malentendu, aidé aussi peut-être par la bière, nous nous sommes embrassés (et j'ai senti à ce moment-là mon enculé intérieur se renfrogner d'abord et puis se mettre en boule, fini et piétiné comme un hérisson mort). L'haleine de cette femme plus grande avait le goût mélangé de la bière et de la cigarette, soit, en temps normal, une décoction d'égout, un arôme de cimetière. Là c'était paradis. C'était aussi bon qu'un long café liégeois ou qu'une tarte au citron quand la crème est épaisse et le citron pas trop citron. C'était soleil couchant son corps dans mon palais, et moi, évidemment aussi que j'y brûlais ! 

Je n'en croyais pas mes yeux qu'un tel soleil abonde en une heure si tardive, d'autant que si je me souviens bien, aux saveurs de la fumée et de la céréale s'était jointe celle plus fraîche de la menthe. Oui, si je me souviens bien, cette plus grande femme devait fumer des mentholées. Et si je me souviens encore mieux, le tout avait un peu le goût de mon premier baiser, quand au lycée (si tard !) Anaïs m'avait donné à boire sa bouche après avoir mâché longuement un chewing-gum Hollywood. Ce n'était pas si mal ce baiser malgré les circonstances un peu forcées (ma cousine, amie d'Anaïs et me sachant en peine, avait arrangé l'affaire). Madeleine de paradis donc que cette nouvelle galoche inespérée. Madeleine bientôt devenue le paquet tout entier ! 

Le mieux dans les paradis, c'est quand ils continuent... et ce soir-là, cette nuit, d'une richesse imprévue, c'est peu dire qu'Edens continuèrent... En deux temps trois mouvements j'arrivai dans la chambre de Diane, juste de quoi traverser une rue et demi, devisant platitudes. Juste de quoi longer un parc vide de tous ses occupants. Et nous voilà dans sa ruelle, calme impasse italienne. Elle n'avait pas beaucoup d'argent mais du goût c'est certain en matière d'adresse. Pour ce qui était de la chambre, elle était réduite mais bon, vu qu'on ce comptait y faire, à peine cinq mètres auraient suffit. 

Après quoi nous le fîmes et ce différemment d'avec mes maigres habitudes, en cela qu'avec Diane, je n'eus aucun contrôle sur les opérations. J'étais, je fus sa chose, happé, râpé, frappé, bousculé sur les murs de sa gorge et contre les délicieuses ventouses de son sexe. Elle m'aspira rude, me roua de tendresse, comme affamée, comme se vengeant sur moi, via moi, de mille nuits solitaires. Un tel traitement m'effraya tout d'abord et puis... tant ébahi déjà par sa beauté que par les fracas mentholées de ses lèvres, j'ai fini par m'y mettre, par y être avec elle, quitte à sortir de cette étreinte comme sortent les corps, morts et suppliciés, d'une Vierge de Fer. Griffures, suçons (nous y reviendrons), étranglements et claques, tout y passa merveilleusement. Et dire que quelques heures plus tôt, nous bavassions sur Rilke ! Et dire qu'encore quelques heures plus tôt, je songeais à l'achat d'un nouveau shampoing maigre tout en me détestant ! Maintenant une main inconnue serrait ma pomme d'Adam tout en déboîtant son bassin à un rythme soutenu, maintenant, assise sur moi, elle dansait brusquement et ma queue, elle d'habitude si prude, presque engin d'abbaye, avait l'impression de goûter au galop d'un Centaure. Labouré petit homme, je me sentais ridicule mais heureux alors qu'auparavant, avec toutes les autres, aux moments les plus beaux, c'était l'inverse qui signait mon cerveau, je me sentais heureux mais ridicule. 

Ridicule mais heureux m'étant préférable, cette expérience avec Diane, la grande femme, me fit découvrir une appétence pour la soumission, ou plutôt pour le fait d'être dominé légèrement, mouchoir au gré du vent. Après cette nuit extrême, du moins pour moi, j'eus le désir de remettre ça. 

Voire, voire, voire, de lui écrire des joliesses. C'est qu'au-delà du sexe, et au-delà de la violence, il est qu'elle me supplantait intellectuellement aussi. Fait rare et magnifique. Alors famine vint vite, alors lui écrire, alors, alors, alors, construire. Oui, rapidement, d'un seul coup, j'eus l'envie, d'un simple crépuscule partagé plaisamment, de bâtir des pont-levis, des tours, des citadelles, des villes, rien que pour nous. 

Diane fut peu séduite. 

On se "quitta" au bout du deuxième rendez-vous, le temps pour moi d'avoir retenu le nom des plantes animant le balcon de sa petite chambre, on les appelait des succulentes. 

Sur quoi, outre un autre épisode que je raconterai, l'enculé intérieur sortit de son coma juste une semaine après le refus, poli, de la grande femme. Je le vis apparaître tandis que je lisais, en ceci qu'un paragraphe entier disparut de mon livre. J'étais distrait. Je pris le parti de le relire du début, lentement, avec application, d'un mot à l'autre sans me presser. Mais dès la deuxième phrase, le reste du paragraphe allait s'évanouissant. Je pensais à autre chose. 

Mais à quoi ? 

"A moi !" dit l'enculé intérieur armé de son plus beau sourire et dansant des claquettes sur la page. 

Sa punition fut lourde ! 

*

L'autre épisode eut lieu dans la foulée directe de ma nuit barbare avec Diane. Directe c'est-à-dire que je sortis de chez elle à midi douze et qu'à midi treize, j'étais déjà en route vers une autre ! J'étais pervers sans doute. Toujours est-il que je dus sprinter quasiment pour arriver à l'heure à la gare de Lyon, là où l'autre devait surgir, revenue de Marseille et de chez un ami. J'avais le corps vide et parfumé encore des effluves de la veille, j'avais des yeux que je m'imaginais d'un charme extraordinaire, mi-pupilles dilatées de fatigue, mi-frappés par la découverte (je veux qu'on me domine !). Passant comme un flocon dans les couloirs des différentes stations, je me pensais remarquable au point que les femmes devaient, c'est sûr, se retourner sur mon passage. Je me pensais Jean-Baptiste Grenouille laqué de sa lotion macabre, cadre sortant de chez son coiffeur favori, jeune femme avec dos-nu et une paire de tennis. Je me pensais irrésistible, Narcisse mais en mieux, comme s'il avait bu tout l'eau de son mirage histoire encore d'orgueil se remplir. Je me pensais Miracle et c'est miraculeusement que je trouvais Patience, en train de feuilleter, un Nothomb (le huitième dans l'année) à la Fnac. Je n'avais que cinq minutes de retard. 

Certes, par le passé, j'avais attendu des trains et des avions pour elle avec une heure d'avance afin de lui assurer l'ampleur de mon amour et de mon engagement. Mais, c'est le passé et cinq minutes de retard, c'est pas non plus de quoi décemment m'en vouloir. De fait, elle ne m'en voulut pas et parut même ravie de me revoir. 

Elle avait dans sa tête des images de soirées marseillaises (potentiellement torrides, probablement fort calmes). 

Moi j'avais dans ma tête les baisers coups de poing américain de Diane. 

Sachant cette dichotomie et qu'en aucun cas, Patience pouvait savoir, je prenais un pied vicieux considérable. 

Attention, je ne suis pas un monstre ! Patience n'était plus ma copine depuis presque six mois. Et Diane la première femme depuis notre séparation. Enfin la deuxième, mais faut-il faire mention de cette obscure branlette ? On peut, c'était bien après tout, et la main fut très douce...

J'étais donc plutôt un coquin qu'un monstre. Un connard OK mais pas un monstre. De toutes façons, les monstres s'en tirent tout le temps alors que pour moi, dans ce cas-ci, la délectation fut courte et la fuite impossible. Car alors que je me pourléchais les babines de mon crime légal - celui d'aller retrouver courtoisement mon ex à la gare avec encore sur moi l'éclat d'une autre femme - Patience me dit : "C'est quoi ça ?" désignant mon écharpe. 

Je lui dis que c'était mon écharpe...

Sur quoi, elle approcha son doigt (son si superbe doigt ! Perfection de douceur et fuselage !) du vêtement susnommé et toucha une part dévoilée de mon cou. Ce contact en réveilla mille autres d'avec elle. Mais aussi et plus malheureusement, un petit murmure de chaleur. Comme quand on touche une plaie minuscule, c'était la même réaction vaguement brûlante, le même picotement brut. 

"C'est un suçon ?" me demanda Patience avec des yeux plus stupéfaits qu'en colère. 

C'était ça ! Diane m'avait vampirisé quelque part dans la nuit et laissé sur moi sa marque. Marque que Patience voyait et qui détruisait d'un coup l'empire de fidélité préalablement érigé par nos soins. Oui, oui, il n'y avait pas d'infidélité dans les faits mais vous me comprenez. 

"C'est marrant, t'as toujours prétendu que tu serais le plus "sobre"  de nous deux après notre rupture, et c'est toi pourtant qui y regoûtes le premier... C'est marrant." quand Patience parlait avec refrain, ça voulait dire souvent qu'elle aurait volontiers écharpé son interlocuteur si les lois en vigueur avaient été plus tendres. 

L'heure qui suivit fut un festival d'obséquiosité de ma part, une marche triomphante pour elle (après, signalons que Patience marchait toujours triomphalement quel que soit le trottoir ou l'enjeu). 

Je tirais des cordages dans tous les sens pour ne pas avouer que placer ce rendez-vous avec Diane le veille de son retour à elle était une manigance conçue pour qu'elle puisse éventuellement souffrir. Je sous-estimais la qualité du rapport sexuel éprouvé récemment pour ne pas la blesser, pour ménager son piédestal, pour manager son âme. En somme, je manipulais d'énormes poulies de politesse afin de ne pas dire : 

C'était bon de le faire sans toi même si ça m'a déchiré. C'était bon de se dire que peut-être un jour je t'oublierai. 

Je l'ai raccompagné jusque devant chez elle, non loin du bois de Vincennes. En bon soumis doublement, à Diane et à Patience. 

De nouveau seul, je touchais à nouveau le suçon. 

Il brûlait toujours 

et cette sensation valait tout l'or du monde. 

*

Leonora Carrington - Arcane n°15 : Le Diable


vendredi 26 mars 2021

Feuerblume

Les souvenirs sont des cases toutes éloignées entre elles autant que les étoiles. 

Et pire encore, si les souvenirs sont des étoiles, celles-ci sont filantes ou souvent invisibles comme en ces nuits profondes cadenassées de nuages. 

Les souvenirs sont en vérité, davantage que des étoiles, des fleurs blanches uniques dans un parterre de fleurs blanches sacrément similaires. La plupart du temps, nous passons devant ces fleurs blanches sans en extraire une seule du paquet brillant devant nos yeux. Et puis, à la huitième promenade, pour X ou Y raison, nous finissons par voir une fleur blanche à l'allure différente. Elle est pourtant, cette fleur blanche, exactement semblable à tout son entourage et dotée à la virgule près des mêmes qualités de couleur et de masse. Mais, cette fois-là, à la huitième promenade, cette fleur blanche proémine, attire notre regard. Alors on s'en rapproche, comme si d'un seul coup cette fleur prenait le dessus sur l'intégralité des désirs et corvées encore en cours à cet instant, quand bien même l'on sait qu'en s'en rapprochant de la sorte, on aura l'air bête et faussement inspiré, comme tout lecteur de Socrate à l'université. Mais on s'en rapproche et nous allons jusqu'à sortir de leur torpeur nos narines et leurs poils. Nous sentons ensuite la fleur blanche avec application, car il s'agit de la sentir elle seule et non pas l'ensemble du parterre. Et l'espace d'une seconde, contre toute attente compte tenu des limitations de notre organe nasal, largement rendu sourd par le phénol des villes, nous y parvenons, nous la sentons unique. Malheureusement, dès la seconde qui suit, son parfum nous échappe, est rattrapé par tous les autres, il nous fuit au final. 

Ainsi fonctionnent les souvenirs (et si le parfum reste, alors j'ai bien peur que vous ayez affaire avec un vieux regret qui lui, s'il tient de l'étoile, tend à tenir du soleil et s'il tient de la fleur, de la rose populaire).

Enfin je dis cela en prenant bravachement l'accent de vérité alors que je n'en sais rien, des souvenirs comme des fleurs. A peine ai-je vécu quelques déjà-vus et aperçus enfant, planqués derrière les planches de bois formant un terrain de pétanque, deux pieds vaguement fleuris... ah et aussi, ça me revient, dans la cour de l'école, il y avait un arbre cachant dans ses branches des grappes de salsepareilles... la légende racontait même qu'un gosse l'année d'avant en avait ingéré et qu'il avait fini, empoisonné, par dégueuler ses tripes sur un lit d'hôpital... mais à part ça, et ce saule pleureur dormant dans le jardin de mon grand-père et qu'on voyait depuis la gare (avant qu'elle ne soit reconstruite et qu'on bâtisse autour des murs comme des grillages obturant la vision)(mais pas le passage car en un jour même pas, un malin avait découpé un gros morceau de grillage, faisant gagner à tous une bonne minute de marche), plus rien à déclarer botaniquement parlant (exception faite peut-être de la pivoine, surnom pris par Julie pour qualifier sa tendance, mignonne, à rougir facilement)(je dis peut-être car si la pivoine est bien une fleur, il en va autrement de Julie et ses joues). A part ça donc, et ces tulipes nombreuses et caricaturales bordant de toutes teintes les édifices reproduits à l'échelle un vingt-cinq faisant le prix du ticket, et la fierté de son créateur, du méconnu Madurodam... Rien. Sauf s'il on considère que ces dizaines de pissenlits bien mûrs sur lesquels j'ai soufflé sont des fleurs méritant une mention (ce qui peut se débattre, tant universelle est, fut et sera cette petite activité comparable en plaisir à l'éclatement d'une feuille entière de papier bulle ou bien encore à l'ouverture d'une boîte à chaussures neuves, et tant traiter l'universel n'est pas le genre admis de la maison). 

...Il faut croire que cette nuit était vide de nuages. 

Les souvenirs sont des cases qu'on ouvre par hasard 

Et qui parfois en elles

Renferment des séries de serres 

Et des sourires qu'âge 

Affermit avec grâce. 

jeudi 25 mars 2021

Prochainement

Je me prends à rêver d'un écroulement prochain. Je marcherai dans cette rue que je connais dorénavant trop bien, passant devant les quelques restaurants livrant encore pour déboucher sur ce carrefour où quotidiennement des centaines de personnes se croisent sans se voir, et je m'effondrerai. Avec un peu de chance mon évanouissement serait suivi d'une hospitalisation et là, allongé dans ce lit autrefois lit d'un autre, je m'efforcerai de sourire et de donner le change. Mais mon visage aurait tellement blanchi, ressemblerait tellement à un masque mortuaire, qu'on serait bien obligé de me garder encore un jour ou deux. Puis trois. Puis quatre... Et un mois passerait. 

Durant cette période mes capacités physiques et mentales feront l'objet d'une attention constante. On cherchera l'origine de la chute. Des étudiants en quatrième année tenteront d'y voir clair. Et mes proches, circonspects, prodigueront des conseils. Enfin, comme mon évolution sera tout à fait nulle, il sera décidé de mon transfert vers une maison de repos. Là, ne quittant pas mon masque, je chérirai chaque journée m'éloignant de cette vie. Chaque heure fera ma victoire en poussant, dans des bras différents, mes amis les plus chers. Bientôt, à l'exception peut-être de ma mère, plus personne ne viendra. Puis j'apprendrai par elle que ma petite amie, gentille mais lassée de ne pas me voir revenir à la normale, s'est résolue à la séparation. J'en serai très heureux, regrettant malgré tout de l'apprendre car cela signifierait que ma mère toujours rôderait. Un an cependant suffirait à ce qu'elle me laisse, à son tour, tranquille. Après quoi je pourrais, dans le secret de ma nuit d'hôpital, me remettre à rêver d'un écroulement prochain. Cette fois depuis le toit de cet établissement où, quoi qu'on en dira ensuite, je fus traité par tous à l'égal d'un prince. 


*


Une entreprise me réclamait. J'aurai voulu leur dire non mais, faute d'aide financière, ça m'était interdit. Je devais travailler, remplir de mes soixante et quelques kilos une chaise de bureau et dédier mes deux mains à des opérations qu'un singe ou qu'une machine aurait réalisé à peine avec une seule. Je devais travailler, échanger le juteux de mon temps contre des heures décolorées tandis qu'à l'extérieur le soleil, le vent et la poussière formeraient un trident chassant délicieusement les restes de l'hiver. Je devais travailler, fournir une prestation suffisamment sérieuse pour que mon employeur condescende à me conserver et à m'attribuer un chèque tous les trente. Je devais travailler, c'est-à-dire imiter avec précision l'acte attendu du labeur, c'est-à-dire taper à mon clavier, déplacer ma souris, répondre à des questions, me rendre poliment à la cafétéria sans me mettre à pleurer ou vomir. Je devais travailler, travailler et cela tous les jours de la semaine, à l'exception des congés et week-ends. Je devais travailler, me soumettre à la règle alors que des années durant j'estime avoir offert au monde des occasions de se réjouir.

Je devais travailler, alors qu'en une minute - comparable à celle-ci - je pouvais reverdir des landes qu'aucun croyait perdues. Je devais travailler, alors que sur ce corps contraint à cette épreuve digne d'un singe ou d'une machine trônait une boîte crânienne ayant pour elle un bijou sans pareil capable de bâtir, en quelques lignes à peine, une ville nouvelle...

"Des tours partout s'élevaient, épées plantées au dos d'une tortue mollassonne qu'était l'île de Brey. Sergeï avait mis deux bons mois avant de se défaire de la tentation, somme toute naturelle, de lever les yeux au ciel histoire de mieux les voir. Et deux mois de plus pour réaliser qu'aux pieds de ces immenses constructions exhibant en façade des écrans gigantesques où passait sans arrêt de la publicité, se tenaient de brillants espaces verts où, pour peu que l'on demeure le nez fixé sur l'herbe, un mince sentiment de nature résistait malgré tout."

Je devais travailler alors qu'au fond, vous le savez comme moi, j'avais mille autres choses à faire faire à mes doigts. Je devais...

Mais...

Est-ce vraiment si certain, écrit que je le dois ? 

Je ne serai pas le premier des romanciers célèbres à mourir en misère. Ni le dernier d'ailleurs. 

Ne valait-il mieux pas la rencontre avec tout mon être, plutôt que la rancœur ? 

Ceci dit, il y eut aussi, des auteurs salariés, des ouvriers poètes, des gens s'échinant doublement sans perdre leurs repères. 

J'en fais peut-être trop, peut-être j'exagère... Il y a des bons côtés après tout dans chaque expérience, même les plus amères, même les dénuées de sens...

Non...

Je sais déjà qu'ici je mens et que je ne tiendrai pas davantage qu'une semaine, avant, le beau lundi d'après, de prendre le métro en direction de mon travail mais ce sans m'arrêter à la station requise... 

Oui !

Je sais déjà que je resterai, souriant, heureux et libre

Jusqu'au bout de la ligne. 

mercredi 24 mars 2021

Une affaire de reflets

Après réflexion, il semblerait acquis que le passé soit devenu pour moi le temps préférentiel. 

Le présent, le futur, l'éventuel, lac de Côme portatif toujours à ma poitrine alors que des rues nouvelles s'ouvragaient sous mes yeux et que je décidai, au hasard de l'une d'elles, la pause pour l'écriture, allant jusqu'à passer des heures dans une Fnac madrilène pour composer des vers que j'estimais promis à la postérité, allant jusqu'à me couvrir d'engelures, faute de terrasse chauffée, sur la chaise métallique d'un parc new-yorkais ou sur le mauvais banc d'une place nancéenne... Ce lac et tous ces longs poèmes sont, maintenant que j'y repense, rien que des rêves secs. 

Un jour un de mes textes avait conquis une certaine Agathe qui, parce que séduite, m'invita à la voir. Mais je ne l'ai jamais vue au final, la faute à nos emplois du temps. Qui sait quel sud nous aurions pu détricoter ensemble ? écartant de nos mains les montagnes pour que la mer vienne plus vite à nous. Qui sait si aujourd'hui, au lieu de ce terrain vague, où certes j'aime mais sans avoir d'énergie pour quoi que ce soit d'autre, ne brillerait pas une colline sur laquelle heureusement j'écrirai des histoires ?

Combien d'occasions similaires furent à portée de main ? Combien en repoussais-je, par paresse ou peur du chagrin ?

Un de mes bons amis a donné de son sang, il y a longtemps, pour que naisse des machines possédées par son père, mon recueil de nouvelles. Qui sait si, aidée d'une meilleure lettre, celui-ci aurait pu tranquillement trancher mon foutu nœud gordien... maudite ficelle épaisse que je me traîne depuis mes dix-sept ans et qui, malgré un investissement temporel tout à fait sans pareil, ne s'est déliée au mieux que d'un demi-centimètre ou bien s'est, au pire, avec ma maladresse quant à l'accomplissement du moindre geste simple, fort resserrée je crains. 

Ah ces romans, ces peaux d'ours vendues été après été... ah mes parents, fiers par avance des effets sur leurs vies de ma publication. Ils se voyaient déjà parader au café et pérorer au bureau de tabac, vantant partout les mérites de mon œuvre, laquelle logiquement, était un peu la leur. Ces petits fils de papier n'ont jamais vu le jour et mes parents n'ont jamais pu frimer auprès des habitués. Pourtant, ils ne m'en veulent pas. 

Est-ce parce qu'ils croient à ma réussite tardive ou parce que leur croyance était fausse du début ? J'imagine que seule leur mort, prochaine, bientôt me répondra.

Je ne veux pas vivre dans un monde où, après avoir été bien malades, ils casseront leurs cannes et seront enterrés. Je ne veux pas de ça sans leur avoir offert leur idiote fierté, sans qu'une bibliothèque ne propose au quidam un bouquin de mon fait. Je ne le veux pas notamment car je vois très bien mes frères me demander à moi, le benjamin lettré, de déclamer le discours d'usage, l'allocution finale. Et je me refuse absolument à la faire en ayant tout raté, en étant de ces âmes peuplant les cours d'école et les cœurs de maîtresse, parce qu'à cet âge on est pour beaucoup étincelles et que ces dames ne peuvent pas s'empêcher d'espérer voir plus tard surgir de là des flammes. 

Comme tant d'entre nous, je ne fus pas une flamme. 

Mais si certains s'en accommodent et vont chercher ailleurs le bonheur du foyer, moi...

Après réflexion, il semblerait acquis que je parle au passé. 

(bien que... à y voir de plus près, tandis que sur mes joues coulent des habitudes, il y ait derrière mes yeux et sous la carte de mon torse, un bout de lac encore... 

Un bout de lac non pas sec mais gelé, gardé par une barrière de mots cristallisés, par un barrage d'encre formé dans les Fnacs madrilènes autant que dans les parcs américains frisquets...

Il suffirait d'un rien, de silex frottés, pour que ce lac s'anime d'une nouvelle vie

Et qu'il coule et qu'il jouisse, qu'il enfouisse l'ennui. Il suffirait d'un rien vraiment, pour que je sois

Et me remette enfin à parler du printemps

A temps plein

Tout en joie. 

Il suffirait...

Il suffit ! Je serai dès demain... non dès tout de suite aujourd'hui, je serai et je suis. 

Ce ne sont pas des milliers d'échecs successifs qui doivent me réduire à l'état dépressif au sein duquel je me complais, passif, lucide et donc très loin du compte. 

L'illusion est mon chemin unique et le seul connu depuis que j'ai pris la plume et que je communique. L'illusion ! La vision par-dessus les immeubles et les villes, dépassant toute création humaine pour se jeter entièrement dans le ciel et dans tout ce qu'il cache de nuit fondamentale. 

Oui, j'ai échoué, manqué souvent mon tir, et déçu plus d'une fois quiconque ayant misé sur mon doux devenir

Mais je m'en contrefiche 

Car je suis là pour plonger, en déchirant l'atmosphère de mes doigts finalement très agiles, dans les profondeurs théoriques. Là pour voir les astres tels qu'ils sont. Là pour nager parmi les songes et là pour y cueillir cette météorite qui fit grand bruit jadis à la Miskatonic. Là pour flotter au beau milieu du vide, seul et tranquille, tranquille et seul,

Tandis qu'enfin j'écris 

Et qu'un peu moins je meurs.)

   

Zdzisław Beksiński - Sans titre


lundi 22 mars 2021

Titre

Cette vie autrefois fruit grouillant de saveurs éventuelles 

M'apparaissait maintenant comme un caillou, perdu parmi mille autres, dans les remblais d'une voie ferrée. Grise et ridicule comme lui, cette vie battait dans ma poitrine sans que le cerveau, véritable metteur en scène du sang, n'y réponde en désirs. Même mes larmes avaient perdu leur prétendu goût d'huître, alors du désir pensez-y...

Seul un ragoûtant magot, tombé du ciel comme ça, et apte à dévisser toute la pression sociale, pourrait recolorer ma pierre et lui greffer - tant qu'à faire - des épices mises à mal par trente années d'échec.

Quand je pense à mes amis, tous publiés ou presque... tandis que je me déperds, 

je me dis qu'y compris affublé de lingots hasardeux, je ferai éternellement pitié en comparaison de ces vainqueurs réels. J'aurais beau avoir l'or, 

je ne serai rien sinon la promesse d'un mort. 

/

Je me souviens pas exactement de quand la chaîne a sauté.

/

Cette crise est terrible et oblitère depuis bientôt six mois, tout esprit créatif. 

Oh, vous pouvez faire vos résidences, vos romans et vos pièces. Ils ne valent rien à cette période. 

Les mots sont différents ces temps-ci et quiconque ne l'a pas saisi et continue naturellement d'écrire est un aveugle aux yeux bandés marchant en pleine nuit.

Cette crise, cette crise...

Le maître du Temps, démiurge des horloges, caciques des coucous, n'est ni le président, ni le virus

No, il solo maestro è ce fruit qui grouillait autrefois de miels et de piments. 

Le cœur = le cœur humain, ne l'oublions jamais sous peine d'avoir bientôt, plus de solitudes que de courtoises mains. 


Konstantin Somov - Arlequin et une Dame - Alamy Photo Stock



lundi 1 mars 2021

Tuer la poésie est mon rêve le plus cher. 

Mais la tuer bien hein, définitivement sans laisser d'os, jusqu'aux racines des racines ! 

Pourquoi un tel désir de meurtre ? 

Parce qu'il est temps, grand temps, pour elle de dire au revoir. Elle a trop paradé, trop défilé à la façon des chars un jour de Mardi Gras. La poésie n'est pas un char.

Au mieux, elle est ces confettis qui les suivent...

Pas un char en tout cas. 

Si elle s'était contentée de son existence ridicule de grêlon, du genre qui fendille un pare-brise hyper rarement, initiant par la même un tout début de brèche pouvant vite devenir, à condition qu'on l'aide, une ouverture vers

Si elle s'était contentée de ça, je n'aurais pas eu ce rêve de lui briser, de mes mains nues, et la nuque et les doigts. Je l'aurais laissé tranquille continuer son commerce jusqu'à ce que toutes les averses soient devenues trop chaudes pour produire le moindre échantillon de grêle.

Mais elle a paradé, adressé des éclats à la foule etc.

Au point que chacun a pu s'en faire une image précise, un poster, une photo, une affiche. 

Hérésie isn't it ? I agree mais c't ainsi, la poésie est désormais une icône publique, un outil marketing, une figure de proue du sacro-saint steam-boat info-merchandising.

La poésie s'est définie en entrant, hautement maquillée et étoiles de plastique collées sur les deux joues, dans le hall du réel, c'est-à-dire à Wall Street. 

Tous les jours son cours grimpe, pour la joie stalinienne de traders rimbaldiens connaissant sur le bout des doigts - en plus de leurs ongles élimés everyday par l'action régulière de gencives ultrasaines - "Le bateau ivre" et "je crois un truc d'Apollinaire", et peut-être du Yeats, du Keats ou du Quetches.

Tous les jours la poésie fait des émules immenses tentant de la reproduire dans des laboratoires d'une extrême récence où tout est soigneusement disposé et poli, des béchers à la fulgurance. Et c'est de ces labos-là que sont quotidiennement déjectés d'adorables rectangles à l'odeur de fourniture scolaire emplissant les bassins déjà bien infectés des revendeurs et des libraires. 

Certaines et certains s'obstinent à qualifier ces pollueurs de "sensation" voire de "nouvelle sensation" voire de "poète / poétesse" (mais cela est plus rare parce que le mot fait peur)(et le mot fait peur parce que là où la poésie, de par sa belle pénétration sur le marché mental, fait figure d'emblème libre permettant toutes les pitreries possibles, le mot poète / poétesse oblige son récepteur à posséder beaux yeux, bel œil et connaissance profonde des variétés de fleurs. Il ou elle doivent de surcroît s'intéresser toujours à cet autre phénomène par le passé vagabondant en pagne et désormais flottant constamment dans les cervelles caféinés des boursicoteurs les plus graves : le dénommé Amour)  mais de mon côté, le mot pollueur me paraît mince compte tenu de l'impact désastreux de tous ces livres-livarots sur le devenir de notre espèce. 

...

Tuer la poésie est mon rêve le plus cher. 

mardi 16 février 2021

Comme les jours sont longs et comme je n'en fais rien ! 

Si ce n'est m'abrutir, 

Si ce n'est abrutir, ratatiner l'esprit bien heureusement donné par la Dame du Début

Pour n'en faire plus qu'un miasme, une flaque verte et primale dansant gigue dans mon crâne

Et vantant des images indignes et d'abus. 

Comme les jours sont longs...

Cependant que les lacs continuent simplement de filer au soleil un bain de bleu marine 

Cependant que les roses poussent, grossissent et préparent des parfums parfaits pour la narine

Cependant que les plages.

Comme je n'en fais rien, la foule d'instituteurs en charge de mon cas haussent monocles et sourcils.

... si j'avais su la vie époque si difficile...


Phyllis et Aristote - Hans Baldung


samedi 30 janvier 2021

Un jour d'il y a dix ans, j'ai gonflé à l'extrême mes deux joues de salive

Et j'ai craché dans un semblant de vase. 

Ensuite j'y ai posé une graine noire de terre puis j'ai caché l'ensemble au fond d'une armoire encastrée, derrière des verres et des vêtements. 

Dix ans plus tard, je m'en suis souvenu, à la faveur d'un ménage de printemps.

Ce qui parut fut surprenant, car un crocus dans une forme olympique brillait maintenant à l'endroit de la graine. 

Du mignon bulbe mauve, impossiblement né du mélange du Temps et de l'obscurité, j'ai mis quelques semaines à m'en accoutumer. Beauté parfois effraie. 

J'ai tout de même fini par m'y faire, la nommant au passage dans un de mes poèmes "ma fleur d'araison".

Un nom étrange mais naturel. 

*

Quand je pense à mon cœur et au fait qu'il périra bientôt, à cause du sang et de la nourriture, 

Ainsi qu'il jeta l'éponge - en épongeant plus rien ! - pour plusieurs milliards de congénères humains, 

Je me dis que la vie est affreusement mal faite. 

Pas que mourir soit illogique, immérité ou je ne sais quoi 

Mais disons qu'au regard de certains disparus, ma survie en ces lieux me paraît plus qu'injuste.

Pourquoi moi je peux voir le soleil plonger son visage blanc à la surface des eaux 

Tandis que des millions de mômes sympathiques sont les quatre-heures déjà des dermestes et des rats ?

Pourquoi Demangeot et tant d'autres errent dans l'immense arrière-salle dont la porte est coincée

Alors que j'ai loisir, si je le veux, d'aller caresser du regard les étoiles et les femmes ?

Quand je pense à mon cœur, je me dis qu'un don d'organe pour tel ou tel de ces enfants meilleurs 

Aurait du sens

Vaudrait bien que je meurs.

*

Tout ça

Je ne peux le dire à personne qui ne soit pas une feuille. 

Un proche me jugerait, lèverait les yeux au ciel et, bien que feignant de me comprendre, garderait sur ma pomme une sale part de crainte. 

"Suicidaire" dirait-il entre ses dents, derrière ses narines. 

"Suicidaire... Excentrique..." et j'aurai beau tenter - CE QU'IL NE FAUT PAS FAIRE - d'expliquer mon poème, il ne dévierait pas de sa vision inquiète. 

Dévier pourtant est l'art, la raison d'être.

/ Dévier, s'insatisfaire pour mieux être surpris par un ressac neuf, avec du lilas qui vient tout droit nous gifler à la place du sel, ou alors

Avec des vagues blanches et de l'écume bleue

Sous un ciel sans ciel 

Juste chaud comme le feu. 

Dévier ! Mettre son pied dans la rivière de façon à ce qu'elle aille ailleurs tout à fait

Se baigner dans les clairières 

Ou noyer le carré de fleurs ordinaires 

Encadrant mollement un monument aux morts, 

Oui, dévier la rivière pour qu'elle se jette au bas des escaliers, pour qu'elle emporte les vélos, les voitures et pourquoi pas quelques salles de spectacle...

Dévier la rivière, dévier, pour qu'elle arrive dans ces salons où l'on lit le journal 

Au lieu de rire et de baiser. 

Dévier...

Se tenir sur la trajectoire d'une batterie d'éclairs 

Pour que, prenant soin de ne pas nous blesser (la foudre est pacifique),

Ils aillent éclabousser des arbres et des façades, laissant là, au milieu d'un parc, une torche invincible

Et là-bas en banlieue, une barre d'immeubles frappée de rouge 

Telle une joue que l'on va, sans doute, dans très peu embrasser. 

Dévier ! Demeurer stoïquement en face de l'avalanche histoire que la neige, peureuse elle, se contraigne à toute dégringoler sur des villages du sud, sur des terrasses corses, sur des déserts, des orangeraies aux fruits énormes.

/ Imaginez-vous cela, cette déviation, et ces chemins pour vous c'est sûr se formeront. 

Ne serait-ce que par bribes, une parole par là, un regard par ci...

- Pas tout de suite le gros gâteau dans la vitrine ! -

Mais patientez encore et qui sait...

Saint-Honoré, trésors 

Apparaîtront - peut-être - dans la prochaine foulée

Pour peu qu'elle-ci ait lieu en dehors du trottoir

Ou bien sur celui-ci pour donner quelques pièces de monnaie à autrui.

Dévier ! Aider le pauvre à se désappauvrir, le riche à regretter,

Le silence à sourire.

Car il le peut. Il le peut. 

Il peut même chanter. 

Suffit de voir votre coeur, de bien le regarder, de pas le laisser dépérir au fond d'une armoire encastrée, derrière des verres et des vêtements. 

Votre coeur peut, peut-être moins que d'autres s'il fut transplanté certes, mais il peut. 

Suffit de le regarder ou de le coller contre celui 

Infini 

Des étoiles ou de la femme aimée.

Ce qui bat là est l'heur, sans s'arrêter, déviant, défiant, et l'araison et l'harassante horreur.

Ce qui bat là est l'heur. 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                          pour la femme étoilée

lundi 25 janvier 2021

Mes deux yeux disjonctaient 

A cause des larmes retenues... détenues, maintenant bêtes nues...

Barrage friable que deux yeux !

En témoigne le grand dégoulinement d'eau et de sang actuel,

En témoignent mes joues trempées comme un miroir 

Lorsqu'on le lave, 

A fond, 

Pour le mieux vendre. 

J'aurais pu, j'aurais peut-être dû, pleurer tout ça bien avant, ça aurait évité le nettoyage et des soirs de colère à ne pas savoir quoi faire. Mais comme on nous encourage à ne chialer qu'à bulletin secret, agenouillé dans l'isoloir, et qu'il y a toujours autour de nous des autres, alors on garde, on garde et on ravale. 

On ne sait pas mais ce qui vaut pour les pleurs vaut peut-être aussi pour d'autres fluides. 

Peut-être qu'il ne faut pas se refuser de saigner, de morver, de spermer et de baver dès l'occasion. 

Peut-être qu'en retenant tous ces spumantes et tous ces jus dans la barrique malhabile du corps, peut-être qu'on se fait quotidiennement du mal. Et c'est peut-être à cause justement de ces acides gardés pour la forme que notre squelette grince : tiges et anneaux vaguement tenant les cercles de bois mous. 

On ne sait pas mais à voir ainsi mes yeux suspendus à l'extérieur de mon jeune crâne

A voir ainsi mon visage et le sol, et bientôt le palier, et bientôt l'appartement voisin, peint de la sorte par mes larmes aspergeant à tous crins,

Je me dis qu'il serait non seulement bénéfique de se vider tous idem évidemment de son surplus salin 

Mais aussi donc que verser le reste - semence, pus et sueurs - pourrait être expérience à conduire prochainement.

Je dis pas que je vais m'ouvrir le ventre. Juste et seulement que ça fait tellement de bien de vomir des pupilles qu'une vidange générale me paraît coup tentable...

Ça ferait des arcs-en-ciel de texture entre tous les pavés de la place d'Aligre 

Et de quoi glisser pour les enfants en mal de prise de risque.

On verrait là une flaque d'urine, ici de grosses glaires brunes et là-bas un mélange de sucs et de pertes,

Et on jouerait à la marelle ou au morpion géant entre lait maternel et liquide synovial. 

Enfin on, les gosses... des gosses heureux et vides, exsangues de tout reproche, de toute angoisse possiblement nocturne, de tous désirs mal assouvis dans l'œil ou dans la burne. 

Sacré spectacle que cette humanité entièrement libre de glaviotter, de chier, de jouir où bon lui semblerait ! Je paierai cher pour ça.

Et mettrais à vrai dire déjà toutes mes fortunes si l'on pouvait, toutes et tous, à la mine comme ailleurs, pleurer quand ça nous prend sans craindre moquerie, malheur ou déclassement. Ça éviterait bien des pavés, bien des lettres écrites à l'encre de l'esprit, sur le papier de la pensée, qu'on se jure d'envoyer mais qu'on laisse moisir au fond d'un secrétaire par peur de froisser ou nos parents ou la femme qu'on aime. ↕a permettrait de plus, par vases communicants, à d'autres larmes, cette fois lumineuses, de venir mettre leur grain de sel dans le coin de nos yeux. 

Des pleurs de joie, imaginez ! Des torrents riants, des cataractes douces, pures et décontractées...

Ce serait génial je pense, genre hommes et femmes ensemble dans une chambre, serrées l'un contre l'autre, serrées l'un avec l'autre, l'ambroisie distillant parce que le bonheur serait revenu, redevenu à la mode. 

Pleurer ensemble gracieusement, ce serait génial non ?

En attendant je m'en vais essuyer la tache laissée par mon chagrin et revisser mes yeux dans ces chevilles prévues pour qu'ils tiennent bien. 

J'ai rendez-vous bientôt avec un employeur, il s'agirait de pas passer pour un fou, pour un de ces dingues qui pleurent à qui nul tend la main. 

J'ai beau savoir qu'en fonctionnant de cette façon, je vais vite accumuler de nouvelles larmes puissantes et contrariées, je ne peux faire autrement...

Pour le moment du moins. 


mardi 12 janvier 2021

Renaissance

 - Ca veut dire "forêt verte"...

N'ignorant pas l'allemand, Stephen avait saisi dans le nom de Grünewald son sens littéral. Plus tard il apprendrait que ce nom n'était pas celui d'origine de l'artiste mais plutôt un don hasardeux, précipité, bizarre de l'un des rares historien de l'Art de cette période ayant alors fait au plus vite, et non au mieux, pour terminer son livre. Il apprendrait aussi, ensuite, à reconnaître au sein de l'œuvre du peintre hydraulicien ses qualités uniques, tant dans l'horreur que le sublime. Mais avant ces quelques découvertes, il y avait cette journée, il y avait...


Stephen - Ca veut dire "forêt verte"...

Père de Stephen - Qu'est-ce que tu dis ?

Stephen - "Grünewald"... ça veut dire...

Père - Attends, attends, je te coupe, voilà Lydia ! 

Lydia l'hideuse, nouvelle petite amie du père, plutôt mauvaise que bonne, apparut dans un chandail fuchsia.

Lydia - Salut les garçons !

Quand elle souriait, on ne pouvait que voir sa prémolaire gauche - la plus proche des canines - qui pour une raison biologique inconnue ressemblait à un ridicule corn flakes prémâché dont la couleur (jaune pomme au four) jurait du reste extrêmement avec la blanche ligne de crête fixée à ses mâchoires. Cette vision écœurait chaque fois Stephen et son père tout autant.

Stephen - Hello Lydia.

Père - Hello poupée ! Allez, viens, maintenant que t'es là, on va prendre les billets.

Les deux s'agglutinèrent, formant immédiatement cette entité indivisible et monstrueuse qu'on appelle le couple, créature par ailleurs encore plus effroyablement laide quand son cœur double bat grâce à une paire fraîche de divorcés, tellement heureuse à cinquante ans de ne plus avoir à marcher sur la pointe des pieds au-dessus des banquises de la Mort sans amour, tellement ravie de ne plus devoir fréquenter les marchés et les applications dans l'espoir d'une main passable pour les deux décennies prochaines, tellement contente de pouvoir encore tâter du rêve intime, qu'elle en fait profiter toute la place publique à coups de baisers baveux et d'allusions salaces toutes les cinq minutes ! Sans parler des tapes sur les fesses, des rires gras et de cette lumière allumant parfois leurs yeux, trouble lueur oscillant entre le beige de l'os et le vert de la morve, en somme, une sorte de milk-shake chromatique signalant à la fois leur destinée promise de squelette et la réminiscence d'une éventuelle époque bénie faite de tétines, de mouchoirs et de couches. Stephen, quand il voyait passer cette lueur-là entre eux, ne pouvait s'empêcher d'imaginer dans la foulée son père attifé en marmot total, avec grenouillère Mickey et joues rasées rosies pour l'occasion, boudant dans son coin en manipulant deux trois figures en mousse, au bord des larmes en constatant que le triangle ne rentre pas dans l'orifice prévu pour qu'y pénètre un cube, attendant triste qu'on vienne le sortir de sa torpeur d'enfant seul. Tout comme il ne pouvait s'empêcher d'imaginer Lydia en nourrice bientôt apparaissant, dans un chandail gris clair ou pêche, et se penchant sur lui pour le choyer avant de lui expliquer, avec cette voix criminelle que prennent les adultes pour parler aux enfants, "que le carré ne rentre pas dans le triangle. Le tri...angle... Répète, Tri...angle !".

Père - Tu viens Stephen, on commence par le retable et après, on fera le tour du reste. 

Tête baissée, avec dans celle-ci des désirs d'extinction et qu'Héléna l'appelle, il suivit l'entité siamoise aux doigts noués comme à la glue.

Arrivé dans la chapelle, il vit s'ouvrir devant lui un horizon de panneaux peints devant lequel s'affairait doctement une quantité de vieillards plutôt bien mis et paraissant connaître, à leurs postures professorales, le pourquoi du comment justifiant un voyage vers la ville autrement très affreuse de Colmar. 

Stephen aurait aimé également savoir et jouir pareillement de la visite mais sa rancœur, plus que renforcée par une adolescence grêlant sévèrement son visage, stoppait net toute curiosité potentielle à l'égard des fresques présentées. Il ne voyait là qu'un décor religieux ordinaire, avec son Christ sur sa croix, avec sa Marie-Madeleine dévastée d'un tel sort à bout d'âme, avec son ciel de nuit noire ici présent pour facile émouvoir. Tout juste fut-il séduit par l'absurde choix de placer là, au bas de ce panneau, un tout jeune mouton portant entre ses pattes une croix fine, comme un dandy le ferait d'une canne. Mais, en dehors de ce détail qui le fit légèrement sourire, l'ensemble lui inspirait là encore du dégoût, tant cultes et religions rimaient alors dans son esprit avec le pire produit de notre race humaine. 

Ce dégoût s'exprimait d'ailleurs si franchement qu'il ne put réprimer son envie habituelle lorsque traîné dans ce genre d'endroits, à savoir qu'il voulait, d'un coup ou de plusieurs, renverser les peintures, les piétiner, les fendre, les réduire en des morceaux d'objets enfin désacralisés avant de brûler le tout et de partir en riant à pleine gorge. Pour réaliser un tel dessein, il suffirait à vrai dire que d'une chose : du courage et un moyen de propager les flammes. 

Il demeura cependant immobile, se contentant de mettre en œuvre son plan dans l'espace protégé de son crâne, que nul ne pouvait surveiller et où rien ni personne ne pourrait a posteriori le punir. 

PèreLydia - Qu'est-ce tu fais planté là, tu viens Stephen ?

Stephen - J'arrive...

Une fois revenus de Colmar, les trois (car son père et Lydia défusionnaient dès lors qu'aucun œil extérieur ne pouvait les envier) commandèrent une poutine qu'un vingtenaire apporta en risquant sa vie au milieu du trafic. Et Stephen, après dîner, monta dans sa chambre faire des recherches à propos de Grünewald et de son retable. C'est là qu'il apprit pour son nom, tandis que sur son bras luisait une blessure récente. Les traces d'un rasoir, version politiquement correcte d'un retable mis en pièces et d'une chapelle prise dans les flammes.

Héléna n'avait toujours pas envoyé de message.

Lui, si. Mais qui saurait le voir ?


Matthias Nithart/Gothart dit Grünewald - Retable d'Issenheim, panneau gauche ouvert, Annonciation