jeudi 30 octobre 2014

L'Idéal, aveugle et silencieux

Exauçons-nous vraiment quoi que ce soit ici ?
Toutes ces cruautés qu'on rapatrie, toutes ces beautés qu'on laisse en vie...
Tous ces souvenirs laids, tous ces prestiges unidimensionnels qui gonflèrent notre cœur d'idées de profusion
Sont-ils davantage que du vide en mouvement ?

Et la procréation, et le divertissement, et la visite de pays prétendus exotiques,
Et ce bruit, tout ce bruit
Cette musique des rues qui vivantes s'enterrent :

Grincements, grognements, ronflements, cliquetis, martèlements, tout cet ensemble qui constamment performe, assiégeant nos tympans et nos pensées profondes, faisant du recueillement une bouillie colorée et ravie et massacrant la joie pour la rendre aussi noire qu'un verre de vin qu'on brise...

Et la fumée mon Dieu et les volts qui pulsent, qui jouissent en s'injectant dans nos canaux optiques qui ne réclament que ça...
De l'amusement visuel, de la nudité, de la petite déchetterie d'images impénétrables étudiées pythagoriquement pour retirer nos neurones en masses.

/ Les gens intelligents n'achètent pas ou peu, ils préfèrent observer les courbes où qu'elles soient.
Ils n'ont que faire des appareils, des greffons, des machines ou des lampions ovales à tête rétractile.
Ils vivent eux d'angoisse et de mains sur la joue, de lacs peints, de blessures à la jambe ou de liberté prise.

Ces gens-là existent dans un relief plus grand mais ils demeurent captifs néanmoins, du temps, comme tout un chacun. Ils vieillissent et font à la folie une fête pas possible.

Mais eux aussi peinent à exaucer.
Ce sont des chiens qui savent le goût des nourritures et jusqu'à leur provenance mais pas plus que cela.
Ce sont des chiens qui pensent et dorment en silence.

A quelques kilomètres de ce bruit permanent qu'est le corps citadin, cette peau complotante dont l'envie résurgente est d'obtenir une guerre et que celle-ci soit sale. Car il faut bien les vendre nos gels nettoyants et nos rediffusions du Conflit encore chaud.
Il faut bien le vendre le chagrin de ceux qui sont restés alors qu'ils auraient pu combattre et être tués.

C'eût été pour eux un souhaitable destin, bien plus à portée de main que le four du savoir de ceux qui souriants s'éteignent chaque soir.

Avec un livre blanc ouvert à côté d'eux
Comme un cœur comme une âme lestée de toute sa graisse, de tout son bruit et puis de tout son jeu.
Comme un vœu qui finalement s'abandonne de peu.


Timide Rentrée





jeudi 23 octobre 2014

One Hundred Voodoo Dolls / 2. Nue

Tu fixes trop le ciel comme s'il détenait seul le goût des vérités.

Mais sais-tu que là-haut tout est dur silencieux, que les étoiles ne sont que des masses de gaz hautement réfrigérés, que le soleil n'est qu'un monstre jaune moutarde avare en gentillesse et que la lune est un désert où passent çà et là d'horribles araignées ?
Sais-tu aussi que les planètes sont des toupies mortelles où l'homme ne peut faire que mourir atrocement ?
Sais-tu cela ?
Que ce que tu perçois dans le ciel comme infini et tendre n'est rien qu'un piège visuel et qu'au fond tu fais face à mille et une façons de clamser piteusement ?
Brûlé, asphyxié, démembré ou les trois en même temps avec un peu de sang qui jaillirait des yeux.

Vois le ciel et l'espace comme une mer à jamais démontée ou comme une autoroute sans signalisation qu'il faudrait traverser les yeux bandés et sur ta mauvaise jambe.
Pas tout à fait poétique cette dangerosité-là, voire plutôt cauchemardesque...et sans même avoir à s'attarder sur les tortures spatiales, il suffit de comprendre le ciel comme un rideau de microbes d'un nombre insurmontable qui t'envelopperait continuellement, de penser à lui comme à une couette couverte de vomi que l'on frotterait contre ta joue vingt-quatre heures par jour.

C'est ça le ciel mon vieux, et rien de plus, une couche de peinture belle qui vise à camoufler maints océans malades et purement dégueulasses.
Ce n'est ni plus ni moins que la version naturelle de ce que l'on nomme, habituellement, l'amour parental.


20141020_190332-1



dimanche 12 octobre 2014

05/10/2014

Dimanche, je rentrai par le train d'un week-end parisien totalement consacré au plaisir. J'avais, par conséquent, dans le torse un cœur aux contours  merveilleusement solaires voire somptueusement boréaux.

Et puis je les ai vues :

Deux familles bien comme il faut avec des enfants blondinets et rieurs. Pourtant, j'aime bien les enfants d'habitude. Qu'ils aient l'air de sortir d'un conte d'Andersen ou d'une planche de Takahata, je les trouve amusants et parfois même ils m'émeuvent lorsqu'ils parviennent à renverser le monde de par leur naïveté. 
Mais ceux-là me dégoûtaient et leurs parents pareil comme ensemble ils représentaient la plus dysfonctionnelle des communautés. 

C'est que ces gosses-là portaient sur eux un sweat d'un goût apostrophant. Un vêtement gris, informe, sur lequel trônait une rangée de silhouettes de toutes les couleurs. 

J'ai fait de mon mieux pour conserver mon calme à la vue de ce tissu abjectement conçu - je n'avais pas envie de gâcher mon plaisir solitaire d'homme quittant à peine les rives du fleuve Amour - mais c'était un effort tout à fait hors de ma portée. De voir ces mômes manipulés ainsi puis emmenés de suite sur le champ de la Haine afin d'être brandi tels des idoles pieuses ou de blancs sachets de preuves que " Oui, notre combat est juste car oui il est soutenu par les plus innocents qui soient !"...ça a plongé mon soleil de cœur dans de longues eaux bileuses !

Je n'y pouvais rien, j'étais glacé.

Glacé qu'on puisse s'opposer à la passion d'humains ne souhaitant rien qu'aimer. Glacé que ces idées existent encore et gagnent même en popularité au fil des rumeurs et exagérations alors que, bon sang, aucun bébé congelé ni gentil papa pédophile n'ont été détectés dans ces si dangereuses familles LGBT. Glacé qu'autant de personnes sacrifient un de leurs rares jours de repos afin de défiler fièrement dans les rues contre la liberté. Glacé au point de ne plus sentir rien que du froid et magmatique mépris à l'égard de ces "manifestants". Ces terribles idiots qui prétendent défendre la famille véritable et ses valeurs les plus nobles alors qu'ils balancent un " Si ça continue tu vas t'en prendre une ! " à la moindre agitation du petit.

Ils vous diront qu'une bonne claque ça vous apprend le respect, qu'il n'y a pas trop de mal à boire ou que rien ne vaut une bonne engueulade pour resserrer les liens...
Comme il est bien connu que ce genre de climat abîmé est plus favorable au bon épanouissement de l'enfant que le fait d'être élevé par deux parents qui s'aiment, fussent-ils du même sexe. 

Alors oui, il y a des homos et des lesbiennes pervers ou désaxés mais tenez-vous bien...
C'est pareil en pire au cœur du modèle patriarcal que vous portez malhonnêtement aux nues.

Enfin, le train est bientôt arrivé...
Je vais me retenir d'arracher la tête de cette gosse qui récite son catéchisme avec grand sérieux.
Je ne vais pas non plus égorger ses parents devant ses yeux ou tous les tabasser à mort sous prétexte qu'ils vivent et pensent différemment de moi.

Non, je ne vais rien faire de cela car après tout...je ne suis pas un de ces hétéros à la sortie d'une boîte gay.
Je ne tue pas moi...j'essaie d'aimer.
Et j'espère vraiment qu'un jour vous qui belliqueusement manifestez, vous comprendrez ce verbe. 



P-S :

Pardonnez cet évangélisme quelque peu enfantin
Il est celui d'une âme émue et dramatiquement triste. 


vendredi 3 octobre 2014

The Green and Blue sorrow

Des pierres écorchent ses joues. Elle a regardé un autre homme.
Des pierres écorchent ses joues. Dans cinq minutes, elle sera morte.

*

Il avait de la glace dans le fond de la gorge. La foule criait autour de lui mais il ne l'entendait pas. Il terminait la saison complètement exténué, bien qu'il soit un véritable athlète, il avait l'impression qu'à la moindre mauvaise chute, tous ses muscles risquaient de se crisper au point de céder sèchement et de briser ses os par la même occasion. Il ne craignait pas vraiment cette blessure. Une part de lui l'espérait même.
Il voulait quitter ce monde de performances, de crépitements, d'intérêts et de propositions pour rejoindre celui plus simple d'une chambre d'hôpital. Redécouvrir l'humain derrière le footballeur, sentir la valeur d'une minute ou d'un quart de seconde passé à ne rien faire. Il n'avait que 27ans mais il se sentait déjà vieillard tant les événements s'étaient précipités en peu de temps.
Il aimait marquer des buts, voir les filets trembler, se retourner vers ses coéquipiers et leurs sourires, leur amitié, c'était ça qu'il aimait. Mais il ne pouvait pas toujours faire ce qu'il aimait, il fallait bien qu'il grandisse et lorsqu'on a l'opportunité de faire un job si scintillant, on ne la refuse pas.
Les vestiaires s'étaient modernisés, les maillots étaient chaque fois davantage recouverts de sponsors divers et ses coéquipiers étaient de plus en plus des étrangers pour lui. Il n'était qu'un autrichien parmi pléthore de nationalités allant de l'Afrique noire au coeur de Rosario. Il ne parlait pas la langue du pays dans lequel il jouait désormais. Il était seul, un attaquant vieux de mille ans plus riche que la plupart des hommes.
Les transferts successifs lui avaient permis de voir du monde mais pas d'en profiter, il avait joué et marqué contre des clubs mythiques sans même savoir qu'ils l'étaient. Il ne se souvenait que des coups réussis et des coups pris, que d'une anthologie de sensations qu'il répétait chaque jour jusqu'à ce que quelqu'un siffle.
Il n'écoutait plus de musique à part quelques standards. Il n'allait pas au cinéma, à peine regardait-il avec sa fille les derniers dessins-animés sortis. Il n'avait pas lu de livre depuis son premier contrat pro.
Il avait peur de rencontrer quelqu'un.
Et si jamais ce quelqu'un essayait de profiter de lui ou de sa fortune, et si jamais ce quelqu'un influait sur ses performances et sur sa ligne de statistiques ?
Il avait souvent sa mère au téléphone qui était fière de lui. Lui, il avait honte. Honte d'avoir abandonné sa vie sur l'autel d'un jeu. Honte d'avoir délaissé son âme de la sorte et tout ça pour un corps qui ne lui servait à rien. Il ne pouvait pas avoir de relation sexuelle avant les matchs...et même s'il avait voulu...comme il y a des caméras et des appareils partout, rien ne lui garantissait qu'une heure seulement après avoir joui, il ne retrouverait pas l'image de sa jouissance sur les réseaux sociaux.
Son jeu dos au but était un modèle du genre, il avait un bon pied droit et un jeu de tête de qualité. Il n'était pas le plus rapide sur un terrain loin de là mais comme il s'arrangeait toujours pour faire le geste juste, il marquait beaucoup, il marquait énormément. Plus d'un but tous les deux matchs, tel était son ratio. Seule une poignée d'autres joueurs étaient aussi décisifs que lui en Europe.

Il avait de la glace dans le fond de la gorge. La foule qui criait son nom ne manquerait pas de le siffler après deux trois face à face manqués ou une défaite contre un adversaire largement à portée. Son compte en banque était blindé ? Il n'en savait rien, il ne payait plus rien par lui-même depuis un bout de temps, tout semblait comme téléguidé. Repas, avion, taxi, repas, heures de sommeil, entraînement, taxi, repas, avion, heures de sommeil, visionnage tactique, sauna, repas, avion, heures de sommeil, match, entrainement, injection, match, décrassage, avion, repas, orgasme, injection, décrassage, avion, heures de sommeil, taxi, repas, match, entraînement, injection, match, match, match, match...

Il ne vivait que pour le match. 90 minutes d'effort et de tension. Comprendre les signes de ses partenaires qu'il connaissait à peine. Leur faire une passe ou faire l'appel qu'il faut pour que vienne la passe. S'élever dans les airs, passer devant son défenseur et marquer comme on a toujours su le faire. Se retourner et voir de la tristesse dans les yeux de certains. Untel aurait aimé marquer à sa place. Un autre lui en voulait pour un fait de jeu dans un match il y a six mois de cela. Il n'en savait rien. La foule faisait trop de bruit. Il courait à toute vitesse mais avait l'impression qu'à la prochaine foulée il s'effondrerait et ne pourrait plus jamais marcher. Il courait vers les tribunes, vers cette montagne multicolore de gens venus de toutes sortes de vies et dans sa tête il leur criait :

"Fuyez, mon Dieu, fuyez ! Vous n'avez pas plus important à faire ? Fuyez, mon Dieu, fuyez. Je ne suis qu'un rien qui meurt sous vos yeux ébahis, je ne suis qu'un rien qui meurt et que vite on oublie."

La foule en délire resta à l'applaudir.

Il mit un doublé ce soir-là et se fit les croisés quelques semaines plus tard.

Au bout de plusieurs mois de rééducation, désespérant de ne pas pouvoir revenir à temps pour la coupe du Monde, il tomba en dépression.

L'année d'après, il mit fin à ses jours en se taillant les veines.

Stefan Blaureiser : 29 ans (0,64 but/match).

*