jeudi 13 février 2014

Ces hommes...

Ces hommes qui sans femme broient le noir facilement
Deviennent patrons de cirque dès lors que les lieux gagnent en douce féminité.
Ils sont tout amusement car le désir amuse avant d'épuiser l'âme
Ils sont couleurs, surprenants panachés de verts et de violets, et ils ont un sourire comme seule expression.
Ils veulent vraiment plaire et pour cela enterrent leurs cœurs grisés
Sphères métalliques que l'on jette là-bas, sur le sable dans le sud, près des verres d'anisette.
En fait, ces hommes s'entre-dévorent sous les yeux de la femme avec l'espoir
- peut-être beau, peut-être ignoble -
De la damer chez eux puisqu'elle n'est qu'un objet, la Vierge, pour ces patrons de cirque et c'est là tout le drame...

Ils pourraient quitter leur grisaille qu'importe l'entourage
Et ainsi être aimé pour eux et non plus pour leurs rires.
Ils pourraient également voir la femme telle qu'elle est
Comme un homme séduisant et non comme une lionne qu'on rêve d'enchaîner.

Mais c'est ainsi et c'est trop tard
La comédie toujours l'emportera sur l'art.


Marie Konstantinovna Bashkirtseff - Dans l'Atelier

samedi 8 février 2014

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* Tu fais quoi dans la vie ?

J'écris. Je crois que j'écris. Je me persuade à longueur de temps que j'écris. J'écris que j'écris même si, en définitive, j'écris très peu. Je me consume surtout, au fil des nuits. Je ne m'endors pas. Je. A quoi tout cela rime ? Vais-je me sortir de cette torpeur en utilisant indéfiniment des mêmes artifices ? Me replier sur moi, faire gicler mon ego au quatre coins de la feuille et prier pour que quelque chose d'universel naisse de cette vaine émission...Je.

Les histoires avant tout les histoires. Nous sommes tous et chacun des ensembles d'histoires. Certains d'entre-nous vivent des histoires à peine bonnes pour un soap opéra d'Amérique du Sud. D'autres vivent des histoires fascinantes, des qui feraient des films ou des sagas livresques vendus partout dans le monde. Et enfin, pour la plus grande majorité des êtres qui peuplent cette planète, nous vivons des histoires qui oscillent tellement entre ces deux états qu'elles ne seront jamais retrouvées ni dans aucun livre, ni dans aucune telenovela.

Aussi, il y a des œuvres et des histoires qui n'appartiennent en rien à la réalité. Il y a ces lunes à visage humain, ces verts soleils et ces pluies jaillissantes de la terre endormie.

Il y a...la poésie...l'art de dire en quelques mots ce qui peut prendre une vie...l'art d'expliquer un rêve en ne le racontant pas...l'art d'embrasser, non plus avec les lèvres, non plus avec les dents mais avec l'âme toute entière l'esprit contemporain. Ou l'esprit de demain. La poésie...c'est cela. C'est l'esprit de demain embrassé puissamment.

Enfin, je n'en sais rien. Peut-être ai-je fait pousser ses phrases uniquement parce que mon cerveau les interprétait comme belles et sonores, peut-être n'ont-elles à la finale qu'un sens flou voire interdit. C'est une salle tellement remplie d'eau - le cerveau - tellement débordante d'idées que l'on prémâche, de volontés en boucle répétées, répétées tant et tant qu'elles n'aboutissent jamais, ces volontés, ces envies de changer le monde, elles n'aboutissent jamais. Elles restent fœtales comme on a peur, en les menant à bien, d'y perdre toute notre peau, de se voir écarteler comme un anglais, comme l'on craint la punition pour avoir osé vivre.

Vivre en se laissant guider par la main tentatrice, celle qui porte un gant blanc, celle qui a des yeux d'enfer et de ténèbres, la main future, la main d'incertitude. Cette main qui, à son gré, peut être comme ce patin qui tourne et dessine la musique, colore les figures et sucre les instants ; tout comme elle peut être un poing, un rocher de doigts fait qui vient nous étourdir, nous déconstruire le front, nous draper nous la feuille, dans son ombre imposante. Elle peut cela la main. Elle peut ouvrir le bal ou bien nous en jeter, sans sommation -soudainement - si soudainement que les liqueurs absorbées juste avant repartent en une flaque.

De l'iode, des morceaux d'aigue-marine, des photos de classe de la troisième quatre, du parfum d'amyris, deux paires de lacets longs, un poisson-chat, du vinaigre en quantité, de l'éparpillement, une pleine corbeille de fruits : mangues, poires, clémentines et pommes empoisonnées.

Ainsi est constituée la flaque glissant au milieu des pavés comme rampait Jean au sein de sa tranchée, elle cherche à partir, à s'écouler en une cascade invisible à l’œil nu. A devenir un de mes textes en somme.

* Tu fais quoi dans la vie ?

J'écris, j'imagine...


Moebius - L'homme sur le mur




samedi 1 février 2014

Un monde en paix

La pourriture rognera les joues de la plus jeune, y dessinera un cercle vert puis violacé autour duquel la chair se crispera. De cette joue rognée naîtra dans la foulée une sorte de fontaine aux rebords animés d'où jailliront des fluides aux couleurs imprécises, tantôt touchant au jaune, tantôt noir extinction. La plus jeune aura mal et criera, longtemps, éternellement diront ses proches. Enfin, la fontaine opérera comme une rotation, violente et crue, qui viendra scier d'un coup le visage de l'enfant. La plaie étant trop grande et la vie trop minime, la plus jeune décédera presque instantanément.

Quelques heures plus tard lors du Dernier Regard, elle sera placée de profil pour ne pas effrayer. Après quoi, son corps nu sera brûlé sous les applaudissements d'une foule anonyme.

Au sein de ce public s'occupant comme il peut, il y aura Bénédict, vingt ans et fils de voiturier.

*

Bénédict et ses mains gantées de laine grise dissimulant péniblement l'horreur inscrite en ses dix doigts. L'horreur et les suintements car sur ses phalanges traînent des plaies ouvertes. Pire encore que ces plaies qui, chaque soir lorsqu'il retire ses gants, lui donnent l'impression d'enlever un pansement trempé, il y a les bubons qui brillent par dessus pareils à de grosses bagues. Ceux-là sont de vraies gênes puisqu'au moindre mouvement il craint que l'un d'entre eux ne frotte par erreur et n'éclate en morceaux, déversant par la même sur ses doigts déjà sévèrement salis un mélange d'algues et de sang brun. Alors, quand le cadavre de la plus jeune fut malmené par la langue tordue des flammes mécanisées, Bénédict se contenta de faire semblant de taper dans les mains.

Vaine précaution puisqu'il mourut trois semaines plus tard.

Ce jour-là, il avait cédé à la tentation, abruti par la douleur autant que par les antidouleurs, il avait décidé d'extraire à l'aide d'une cisaille l'un des nombreux bubons. L'extraction en elle-même se passa pour le mieux, il avait en effet suffit d'un seul coup de cisaille pour que le globe de chairs gonflées ne se décroche de la partie supérieure de son annuaire droit. Non, ce sont les conséquences de cette chirurgie qui furent désastreuses, n'étant pas Evan Kane qui le voulait.

Ayant plongé sa main réduite d'un enfer dans une bassine d'alcool, Bénédict se crut à l'abri et entreprit donc, de sa main libre et toujours gantée, d'examiner l'excroissance par lui détachée. Tout d'abord, il la pressa avec délicatesse, espérant en faire saigner un peu d'abject jus. Cependant, rien ne sortit et le bubon, plutôt que juteux et tendre, paraissait au contact aussi dur que l'onyx. Étonné par cette résistance, Bénédict fit ensuite l'erreur de sa vie quand il commença l'épluchage de son charnu joyau.

Ce qu'il vit fut là aussi brûlé sous les applaudissements et ne saurait être décrit sans provoquer, soit l'hilarité grasse, soit la terreur profonde.
Ce qu'il vit c'était un crâne humain, de la taille d'une cerise et dont l'un des deux yeux manquait au recensement.

Très certainement horrifié par l'idée qu'une vingtaine de crânes similaires reposaient actuellement sur ses mains, Bénédict se défenestra dans la minute suivant sa trouble découverte.

Son cadavre fut brûlé sur le champ sans être déplacé, comme le veut la procédure dans ce cas de figure. Fait surprenant, selon le voisinage, son enveloppe incendiée ne produisit pas les rugissements et crépitements d'usage, seulement un silence fatigué entrecoupé parfois par le fracassant bruit que font les vagues quand elles frappent toutes ensemble les falaises alentours.

Ainsi, Bénédict s'était suicidé et, tandis que le mince crâne à son doigt cisaillé allait en se carbonisant, Hélène observait la scène en faisant tout pour ne pas se gratter. Ce n'était pas tâche aisée tant les brûlures courant sur sa poitrine étaient atrocement sensibles. Tant toujours elle ressentait au-dessus de son ventre, de vives démangeaisons, comme un nid de sangsues impossibles à défaire et sans cesse la mordant. Malgré tout elle tenait bon dans son impassibilité, se consolant souvent avec un froid fantasme, une obsession glacée où elle prenait la place de ce crâne dévoré par les flammes massées. Elle y songea jusqu'à la fin, jusqu'à ce que tout cela ne soit plus supportable, pour son corps et son cœur constamment paniqué.

Hélène s'éteignit, définitivement, par une nuit de juin, seule dans son lit, repliée sur elle-même parmi la puanteur.
Nous étions en 1950, à Miyachi, quartier populaire proche de Nagasaki.



Avant l'après