jeudi 12 décembre 2019

Fingers to the bone

Je déteste les siestes.
Трогательно и прекрасно настолько , что больно слушать...

Ce sentiment d'organique incurie lorsqu'au sortir d'elles-ci tout paraît bafouiller.

Vraiment je les déteste. On a déjà suffisamment mal au crâne comme ça pour pas se taper en plus cette irruption pâteuse.

Cela étant dit, ce jour-là, c'était plutôt mon rêve qui était à blâmer.

Certes, se réveiller groggy relève du comble comme de mourir étouffer par une fève au tout début janvier...

Certes, la désorientation...


Mais restons sérieux cinq secondes,
Les rêves sont plus dangereux que le reste.

Les rêves sont capables du pire.

Mourir dans son sommeil, c'est mourir du rêve.

Le mien, de rêve, venait de loin et j'ai mis du temps avant de le comprendre.
Il fallait le rejoindre.

MA VIE SONNAIT TRISTE, AUSSI, JE DOIS L'AVOUER.

Les Saints dorment autrement.
Les Agissants n'ont même pas l'occasion d'une imagination.

ILS RONFLENT INFINIMENT, tranquilles.
C'est à peine si parfois l'impression de périr les frôle, les effleure, leur souffle son fol La.

Il faisait noir dans mon rêve et ce intégralement.
Et des bruits, des grattements, se faisaient vaguement entendre.

Je ne savais absolument pas où j'étais.
Ni si j'étais moi-même.

Ni si... je... pouvais bouger.

DES FORCES BOUILLAIENT BIEN
MAIS IMPOSSIBLES 
POUR MOI 
DE FAIRE QU'ELLES M’OBÉISSENT M’OBÉISSENT
JE RESTAIS                        là

Seul. Seul dans les grattements et le noir intégral.

Des coups enfin brûlèrent au-dessus de ma tête. Je ressentis l'action d'un groupement humain. Seraient-ce mes sauveurs ? Athlétiques plongeurs venus me repêcher du mazout utérin ? 

Deux ans déjà que je ne travaillais plus. 

Deux ans...

Un nombre grandissant s'inquiétait de ma situation. 
On évoquait ma paresse. 
On sous-entendait, idem, mon inadéquation. 
Mais pas dans le sens que j'aime. Non. 
En fait, ils pensaient tous que j'étais fou... ou sur le point de l'être.

Pourtant j'étais semblable à la plupart peut-être.

Les coups s'arrêtèrent. Brusquement un silence... Une minute ? 
Et les coups de reprendre. 
Quelle agressivité !

On devait m'en vouloir de ne pas avoir su 
Ce qu'ils n'ont pas su 
Eux-même réaliser. 

On me prêtait leurs regrets.

Bientôt l'obscurité, après avoir tremblé, se fendit çà et là, découvrant des triangles, des lanternes d'urine, signifiant certainement l'apparition du jour.
Je ne bougeais toujours pas. 
Atermoiement d'atermoiements, seuls mes cheveux se déplaçaient encore, un peu mes ongles aussi. J'étais un rémanent. Une viande prise dans du verre.

Enfin entièrement éclata le couvercle. 

Cinq personnes en sortirent.
Quintet à ma rescousse ! 

Bien sûr que j'en voulais à mes parents. Qui d'autres ? Les voisins n'ont rien fait le plus généralement. Tandis que mes parents... Je dis pas qu'ils m'ont buté mais bon voilà. On ne devient pas moi sans un coup de pouce quelconque. 

C'étaient cinq enfants tout à fait ordinaires.

Le sourire aux lèvres, ils m'extirpèrent.

Quel genre de soins prodigueraient-ils ensuite ? 

Ils m'arrachèrent mes vêtements. 
J'entendis le son d'un bracelet qui se brise. 
Puis je vis des yeux au-dessus des miens, remonter et descendre. 

D'abord des bleus, puis des verts, puis des sombres. 
Je ne ressentais rien mais je captais les craquements, les remuements et les salivations.

Quand le dernier eut terminé, il m'écarta et j'en vins à rouler sur le flanc.

Ce que j'ai vu alors ? Un cercueil, le mien. 

Ce que j'ai senti ? Je ne sentais plus rien. 

Ce que j'ai entendu ? Des rires d'enfants, partout...

Ils faisaient la même chose... 

Dans tous les pays, des villes aux champs, tous les enfants du monde faisaient la même chose : ils déterraient les mortes et les morts pour les voler et les violer jusqu'à ce que ça sorte. 

CE N’ÉTAIT PAS PAR VICE
C’ÉTAIT PAR TENTATION
DE VIVRE FOLLEMENT 

SA VIE

AVANT LA CRÉMATION

Il faut bien s'amuser...
Faire quelque chose...
Quand le temps presse...
Et que ce qui s'y propose
Ressemble à la détresse.

Alors ils détroussent les cadavres et les baisent. 

Tel était donc mon rêve                                                                            (ou ma prémonition ?)




Jaroslav Panuska - Le moulin du Diable




vendredi 6 décembre 2019

Cycles

S'agirait de commencer à comprendre comment fonctionne l'astre.
Déjeuner de fruits froids n'est pas recommandable.

Ma mère, ce jour-ci comme tous les autres, meurt un peu.
Je verse le lait dans le thé chaud et de minces étincelles flottent au-dessus du liquide. On dirait des moucherons. Et derrière moi il y a cette fenêtre depuis laquelle s'écoule une rue et dans cette rue passent des voitures. Ces véhicules sont conduits par des hommes et des femmes qui ce jour-ci, comme tous les autres, meurent doucement aussi.

Au square ont lieu pourtant de grands préparatifs. Sous la terre, invisibles, des nations de matières fabriquent, copies, impriment, des effigies dansantes. Celles-ci dans quelques mois au bal seront portées et dans le regard susciteront des choses, des emballements, des envolées. Ce sont les fleurs que l'on prépare, résurrection des roses et de leurs majestés.

Il faut avoir en tête que l'autre, même s'il diffère, même s'il s'insère effroyable souvent dans le détail de nos journées, transporte tout autant de douleurs et splendeurs que l'on pense en transporter. Nous ne sommes pas seuls à follement rêver que l'épiphanie vienne ou bien qu'elle se confirme. Nous ne sommes pas seuls à douter et douter de la forme d'un rire, à mal interpréter, à supposer, s'enduire de cette encre fragile qu'on présente en dureté pour ne pas s'évanouir et ne pas inquiéter. Nous ne sommes pas seuls à sentiments mentir, à passion reléguer au rang de la broutille pour que l'absence puisse être un mal résisté. Nous ne sommes pas seuls à secrètement aimer, secrètement souffrir, secrètement mourir par crainte d'exister.

Nous ne sommes pas seuls... seuls, désemparées orties désirant une hostie au goût d'abricot frais.

Des milliards d'êtres humains actuellement cultivent, à l'ombre d'envies simples et mûrement programmées, des soleils chauds et vifs. Ces étoiles qu'ils choisissent ont fréquemment l'aspect d'un visage émotif, touché parce qu'on le touche et dont la bouche riche parle comme le vitrail lorsque, l'après-midi, le cramoisi, le rouge, en repeint les motifs au point qu'ils paraissent animés et sortis du verre qui les pressent. Comme si l'encre quittait sa carcasse passive et que son sang giclait en des feux d'artifice, en des saints expressifs qui lassés d'avertir s'ivreraient d'une gigue violente et magnifique arrachant les aiguilles des tours d'Apocalypse. Ils remueraient l'Amour afin qu'il envahisse les nappes phréatiques, que le printemps avance et que pas en avril mais à la mi-décembre, tout contour s'éclaircisse.

C'était ça ce baiser qu'ils s'imaginaient tous - soit qu'ils le connaissaient, soit qu'ils l'avaient connu - l'éclosion prodigieuse d'une Cantabrie nue dans une Bruges triste et l'impression qu'alors ils empruntaient la rue, ce n'était pas la mort mais la vie qu'ils portaient, un précoce bouton d'or tel celui qui s'ouvrait dans ces cérémonies aux luxuriants décors, miroirs, étoffes, gravures et chandeliers, où ils esquisseraient ces dessins de phosphore que les murs garderaient.

Ceux-ci ensuite, un siècle ou deux plus tard, sauteraient de leurs socles, inonderaient de couleurs les territoires proches jusqu'à ce que grotesques, le labeur et l'effort, fassent jaillir du sol une identique fresque. Et les fleurs et les bois, portraits d'une même goutte de liqueur de poire, inspireront aux passants des clameurs d'espoir.

On en fera des poèmes de ces hurlements-là, de quoi narguer l'hiver, savourer les fruits froids.

Et ma mère, si elle meurt, sait au moins que je l'aime
Et que ça restera.


André Evard - Les tournesols