mardi 30 mai 2017

Hangwoman. Chapitre 2*

Celoso, le desservant et la plante miracle


Certains poisons ressemblent trait pour trait aux formules enchanteresses distribuées au Vietnam pour aider les soldats, américains et locaux, à ne pas céder au pire...

Après tout, quelles sont les différences, du point de vue du vice, entre un aphrodisiaque et un antidépresseur ? Dans les deux cas, le manteau déjà fort déchiré de la boîte crânienne fait face à une transformation, violente, du sang et de ses impulsions et ces drogues plongent l'ingérant dans une réalité bâtie sur des vacillements. De ces vacillements qui font de la flamme a priori vaillante de l'âme humaine, un bec de gaz dont tous les efforts de combustion sont modifiés par un paramètre ignorant les vertus présentes à l'origine. Comme quand un autre agit sur nous en glissant dans nos mains, suite à une défaite, l'ombre d'un coutelas ou le cruel éclat d'un baiser impatient quand ce même autre, auréolé d'hormones et de fantasmes débridés, soumet à nos jeunes yeux des lèvres prodigieuses. Ainsi, l'amour peut se confondre aisément avec l'envie de meurtre, tout comme un délire d'une suave délicatesse peut n'être qu'une passerelle vers des heures de détresse et de nues prostrations.

Cette nuance en tête, d'une finesse de pore, d'une épaisseur de courant d'air, j'ai cherché dans mes livres et dans mes créations de racines nouvelles, à cultiver une plante offrant du même coup - tant qu'à défaire - et l'orgasme et la mort. Et, après des années de recherche et des décennies lourdes en déceptions, j'ai fini par trouver ma menthe terminale. Pour ce faire, je me suis intéressé aux différents cactides que seul le Mexique, pays fou par excellence, eut l'idée d'élever au sein de ces déserts. Et de ces plantes carnivores et hallucinatoires, brûlées et rendues imbéciles par un soleil de chaque instant, j'en ai tiré des copies, des reprises et des parodies que j'ai pris soin ensuite de croiser mille fois en opérant de même à l'aide de mon majeur disposé sur l'index.

Enfin, non sans échec qui me firent traîner près de ces magasins aux murs tous blancs où se vendent au rabais de fières camisoles, j'ai fini par obtenir mon idéal chardon au ventre pourri de perversion. Ceci fait, de mes mains vierges de tout contact humain car toute chair m'exaspère, je me suis amusé au péril de ma vie à la faire sécher, à la faire bouillir, à la faire cuire et à la modeler, en somme à l'essentialiser de telle sorte qu'elle puisse être consommée, innocemment, à la manière du thé.

N'ayant pas de testeur éventuel sous la main mais m'étant assuré de son efficacité auprès des chiens et des lézards faisant mon entourage, je demeurai monstrueusement curieux de son effet réel sur l'homo sapiens. Alors, faute de mieux, je suis allé à la messe...

Là-bas, profitant de l'homélie pénible que le prêtre exerçait sur ses fils de cordonniers qu'il appelait ses frères pour ne pas dire client, j'ai déposé une feuille de mon extrait macabre dans le calice borduré d'or qu'il réservait à ses égoïstes absorptions de la liqueur christique. Car ce prêtre aimait ça, que de vampiriser, en secret, le sucre alcoolisé tombé depuis la veine du maigrelet prophète. Tout comme il aimait, après avoir bu, recevoir dans l'isoloir telle ou telle de ses ouailles, cette fois-ci enfantines, pour leur poser des questions sur leurs mauvaises actions tout en jouissant du masque créé par le grillage pour se faire lui jouir.

Son habitude morte, je la savais, comme toutes les choses de ma vie, par expérience, du temps où j'étais écolier et que ce même prêtre, à la suite immédiate d'une de mes confessions, était sorti de son fourreau de bois faussement satiné afin d'apposer sa moite main pleine de doigts, sur mon épaule encore honteuse de sa sincérité. Or, ce matin-là, ses doigts sentaient exactement comme mes doigts sentirent l'unique fois où je fis la rencontre avec ce que tout le monde appelle le "plaisir". C'était une odeur de pain grillée oubliée trop longtemps ou bien de marinade destinée à fleurer, en quelque sorte, le poisson et qui en exsudait toutes les âcretés, chaudes et marécageuses.

Cette double expérience m'avait appris à détester la chair et toute idée de contact avec cette dernière ainsi qu'à n'avoir pour mon prêtre, que du ressentiment. Arrosant ensuite mon horreur juvénile à l'eau de mes études et de mes tentatives, fort longtemps infructueuse, dans la domaine de la verte alchimie, je ne pouvais finalement pas trouver meilleur partenaire de supplice que cet homme d'église.

La messe venait de finir. Ma feuille, tapissant le fond de son verre argenté, était presque invisible du fait de peu de jours passant dans les vitraux ainsi que dans les yeux, passablement vieillis, du misérable patriarche. Je partis de l'église dans un sautillement, en prenant garde à ne pas toucher au passage quelconque pénitent ravi de son voyage au ministère de la Tromperie et du Glorieux Néant.

La suite fut un enterrement, à peine trois jours plus tard. C'était drôle d'ailleurs d'y assister car il fallut dépêcher un prêtre d'une autre ville et que celui-ci, abasourdi par la nature, incroyable il est vrai, du cadavre retrouvé par l'enfant de choeur victime d'attouchements par grille interposée, ne pouvait s'empêcher de se signer toutes les trois minutes comme si Satan lui-même s'était juché sur tous les ornements où sévissaient, d'ordinaire, le Christ ensanglanté.

Il faut dire que ma plante, cactide copié à partir d'autres cactides et peut-être également de féroces pièges à loup *, ne fit pas dans le détail. A peine en effet le prêtre eut ressenti les joies paradoxales qu'éprouvent sûrement un homme quand il se masturbe en s'aidant de la voix d'un garçonnet qu'il jura de guider voire de protéger, que tout son corps, de la base du pénis jusqu'au sommet du crâne, fut broyé par cinq-cent convulsions. Le front se plissant au point de casser les courbes osseuses de la bombe frontale ; les joues se retournant si violemment au travers des mâchoires que toutes les dents en furent décrochées ; le cœur, ne sachant plus choisir entre l'irrigation forcenée et l'arrêt pur et simple, quittant son sommet thoracique et flanchant dans l'acide des flaques stomacales, les boyaux, désorganisés, se prenant pour des veines en débitant, sur leur passage, chaque bras et chaque jambe délivrèrent un corps à l'apparence éminemment florale, aux branches longues et mauves qui bavaient sur le sol comme le fait un pleureur.

La barbarie incluse dans la mise en scène catastrophique du corps ainsi désarticulé répondait avec un talent vertigineux pour la cruauté - inhérent aux choses de la Nature - à celle caressée par les vues pédophiles de ce maudit curé.

Seuls ses yeux avaient été épargnés par la bouillie de nerfs, d'os et d'articulations l'ayant sur le champ vitrifié.
Seuls ses yeux demeuraient intacts et permettaient de voir qu'il s'agissait en fin de compte d'un homme.
Seuls ses yeux - où passait un ravissement que Poussin certainement aurait aimé à peindre tandis que Bacon se serait occupé de peindre la partie inférieure pour un portrait complet - avaient su résister au pouvoir de ma plante.

Mais ses yeux étaient déjà de trop, et c'est pour ça qu'au soir de l'enterrement, je me remis au travail, auprès de mes nuances, de mes poisons et de mes aphrodisiaques, auprès du fil reliant l'amour au génocide, pour faire de mon cactide une création capable d'occire jusqu'aux yeux, ne laissant derrière lui qu'une belle église vide.


* que j'ai pris le loisir de nommer "Hache de Damoclès" par désir de symbole.

mercredi 24 mai 2017

Et j'ai tenté d'un mélanome de rebâtir Antioche
Mais le cancer trop grand me garda dans sa poche.
Alors j'ai souffert, dans ma réalité
De n'être l'habitant que d'une ville empêchée.

William Blake - Frontispice

lundi 22 mai 2017

Critique 01 : Le nouvel Héphaïstos, roman d'Aliénor Helm

J'aurais pu faire les choses tout à fait à moitié, comme on monte à cheval en conduisant une mule, et répéter de ce livre l'intrigue avant d'y mettre une note et puis de m'en aller.
Mais l'oeuvre d'Aliénor, à mon sens, mérite meilleur traitement que celui que l'on sert pour ces plats indigestes que sont tous les romans (ou presque).
Parce qu'en fin de compte un livre est un lourd morceau d'âme, une large pièce de viande impossible à manger sans prendre chaque fois le risque d'y laisser quelques dents, n'en déplaisent à celles et ceux qui composent leurs pages avec des ambitions blafardes de milk-shakes, l'Art n'est pas à la vanille, encore moins à la fraise !

Or c'est bien d'Art dont il est question dans ce premier roman. D'Art sous toutes ses formes tant qu'il y a création. Et cela tombe bien puisque à cette adresse, il y a création partout et à chaque paragraphe !
Ici se créent des paysages, là se créent des fêlures, là-bas se créent des ronces ou bien des amitiés.

Lire ce livre, c'est cela, c'est faire l'observation d'une serre en mouvement constant et goûter au détail de toutes les floraisons, de la naissance première de la fleur jusqu'à sa fanation.
Entre deux s'écouleront des chapelets de saisons, des familles de chapitres et des banquets de mots toujours appétissants.

Evidemment certaines sentes seront plus rudes que d'autres et nombre d'alpinistes à la petite semaine risquent de manquer d'air, mais le sommet est tel que cela vaut le coup, même pour les lecteurs les moins habitués, d'y flamber ses poumons entièrement !

Comme nous assistons là à un phénomène rare, que je comparerai volontiers à de la neige en mai, en ceci que cette oeuvre, écrite depuis l'impertinent tunnel de la jeunesse, a pour lui une sagesse pouvant faire rougir tous les plus vieux soleils.

Et, pour parler plus directement et avec moins d'images, ce coup de maîtresse est d'autant plus rarissime qu'il est asséné avec pure franchise.
Ainsi, vous aurez également le privilège d'assister à la naissance d'une âme, celle de l'autrice, allant s'épanouissant à mesure des pages. Et de voir pareil, son génie s'épaissir comme si le territoire couvert par ce livre était en fait une cave où un rouge vivant s'osait au raffinement.

Lire le nouvel Héphaïstos, c'est donc couver une serre ainsi qu'un millésime
En gardant sur la langue et puis à la narine, chaque degré du parfum, chaque fruit de la résine.

C'est faire la découverte d'une artiste nouvelle, vous présentant sans honte le fond de sa cervelle où dansent main dans la main, le conte philosophique et le conte cruel.

Lire, enfin, le nouvel Héphaïstos, c'est encourager le courage et saluer la beauté ! Et ce pour pas très cher, en comparaison des crimes - disons-le, hors de prix - chaque jour proposés !

Voilà, il n'y a, je crois, pas besoin d'en dire plus
Car je sais qu'après cette critique, vous tous m'obéirez
Puisque finalement, comme vous m'avez lu
Alors vous la lirez ! (et si vous ne m'avez pas lu,
Lisez-la quand même, indispensable est son poème !)

Le nouvel Héphaïstos, roman d'Aliénor Helm paru aux éditions du Non Verbal
http://editionsnonverbal-ambx.net/?page_id=1447



mercredi 17 mai 2017

Hangwoman. Chapitre 3*

Loxosceles reclusa






La prévalence de la pornographie m'avait éloigné d'enjeux plus importants et de sensations, sinon meilleures, du moins incontournables. Comme pendant que j'exécutais mon thyrse dépassé par les acrobaties d'une jeune fille méritant monument pour un tel dévouement, dans la rosée autant que dans la chair esthétique à l'extrême, et qui ne recevrait sans doute, en vérité, que trois billets et demi et puis le déshonneur d'une grande partie de sa famille l'attendant au pays...j'oubliais, obsédé que j'étais par mon intime décoction, une douleur minime mais bel et bien réelle.

Celle-ci, inscrite à l'intérieur de ma cuisse, avait des airs, de par sa faiblesse, de piqûre de moustique. Voici donc pourquoi, en plus de mon entreprise caverneuse, je n'y prêtai pas tant d'attention que cela avant de me coucher, vide de tyrannie, dans mon lit d'étudiant.

Le lendemain la vie, comme toujours, prit le relais de la pornographie et cette piqûre que je ressentais chaque fois qu'elle frôlait contre mon pantalon ou tel coin de meuble, demeura secondaire, reléguée qu'elle était par les cours à suivre, les mauvaises blagues à faire et le choix cornélien des pâtes ou de la pomme de terre.

Ce n'est qu'au surlendemain, week-end oblige, que la piqûre devint un élément central. La douleur restait la même, bénigne et sans hauteur, mais la forme, elle, avait changé. Du point rouge imaginé, j'étais passé à une sorte de gonflement duquel pointait un téton noir et extrêmement sensible. Inquiété par l'aspect dégoûtant de ce sombre sommet, j'en fis, immédiatement mon affaire.

Sous la douche, de mes ongles, j'extrayais de la boule nerveuse le pus s'étant mutiquement amassé. Le tout avait l'air crémeux d'un mi-cuit parisien, ou d'un oeil mort de boeuf percé par une aiguille. Malgré la violence graphique de cette opération, elle n'occasionna pas de douleurs supplémentaires chez moi et du désinfectant et un pansement plus tard, je me pensais de nouveau homme libre.

Ma nuit se passa bien, outre une courte fièvre impulsée par l'été garé en double-file et que je mis au pas grâce à l'intervention d'une brunette en reverse-cowgirl. Quant à mon dimanche, il fut pour moi un jour reposant dédié aux spectaculaires ennuis qu'offrent la télévision, les comics et les divagations autour des volontés cardiaques d'Emilie, ma camarade de classe.

Lundi fut un autre jour dont la seule trace qu'il laissera dans l'Histoire fut qu'une banque fut le théâtre d'un braquage laissant deux types sur le carreau ainsi qu'un sachet de diamants en tout genre. Il y eut aussi l'inauguration d'un centre commercial et une grande avancée de faite sur le traitement futur du cancer du sein.
Mais à part ça, pas grand chose, des rangées d'heures inefficaces et dénuées de talent, tellement qu'il était tout à fait probable que durant cette journée, aucune naissance n'eut lieu dans nulle maternité.

Mardi m'octroya un pâlot onze sur vingt que je chérissais comme une victoire sous la pluie avec un joueur en moins. Tout simplement parce que j'étais tout sauf un élève modèle (n'en déplaise à mon auteur qui me fait user un vocabulaire n'ayant absolument rien à voir avec celui que je pratique vraiment) et que le sommaire dépassement du dix équivalait pour moi à une pure réussite. C'était l'éloignement du ceinturon parental (là encore, je tiens à préciser que dans les faits mes parents n'ont rien des brutes préfigurées ici par goût du pathétique) et surtout l'assurance de ne pas avoir à faire celui qui s'en moque de rater cette partie de sa vie devant mes condisciples guettant chacun de mes échecs pour y voir un sourire assurément très cool à défaut d'une larme assurément plus juste.

Mercredi fut ignoble.

Jeudi releva le niveau mais pas jusqu'à la fin. Dans le sens où sortant de la cantine où j'eus la chance de dévorer un steak de veau savamment préparée par une femme au tablier jauni par la compote de pommes et l'oignon frit des restrictions budgétaires évidemment de mise dans ces établissements, et tandis que je m'apprêtais à faire ma sieste hebdomadaire en cours de physique-chimie en profitant de la fouisseuse vue de mon bon professeur, une étrange moiteur, accompagnée d'une forte odeur, saisit toute ma cuisse. J'eus à peine le temps de faire le rapprochement avec le pansement que j'avais oublié de changer la veille que déjà une goutte, d'une lourdeur de crachat, coulait contre ma jambe en dégageant un musc d'épuration ethnique. Craignant que ne monte aux narines de mes voisins...enfin, véritablement, de mes voisines, cet écoeurant bouquet, je demandais avec hâte et main levée au fonctionnaire amblyope enveloppé dans sa blouse trop grande l'autorisation d'aller directos aux toilettes. Ce dernier, non sans faire montre du sadisme inhérent aux gens de sa profession par ailleurs formidable, me répondit en décochant son index en direction de l'horloge murale qui annonçait 14h48. Puis, il reprit son cours, certain que j'avais compris que ma vessie n'était sûrement pas à douze minutes près. Et c'était vrai, seulement, ma cuisse elle, n'avait même pas pour elle une seconde, puisqu'elle continuait de couler, dangereusement et d'empuanter mon bureau à la façon d'une blatte écrasée comme un fruit sur le degré râpeux d'un escalier de tour, avec le ventre fendu et tout à fait luisant, noire parodie d'un litchi répandant vertement l'outrageante senteur qu'à l'insecte vaincue et dont les oeufs éclosent dans une étincelle de sang, elle-même odoriférante et gravement mortifère.

J'essayais tant bien que mal de balayer le liquide à l'aide de mes chaussures et de me convaincre que j'étais le seul, parce qu'y consacrant toute mon attention, à flairer cette horreur...mais bientôt Théodore, mon voisin de droite bien qu'il eut davantage les idées de la gauche, ne put s'empêcher de se boucher le nez en me lançant un : "T'es allé le chercher loin celui-là mon salaud !"
Je fis semblant de rire tout en sachant qu'une sueur angoissée venait de poser sa serviette sur la plage de mon front où pique-niquaient parfois quelques boutons d'acné.

Il fallait impérativement que je trouve un moyen d'évacuer cette pièce à défaut de l'odeur et c'est là qu'une idée magnifique effleura mon esprit ! Je pris mon compas, et, d'un geste que les plus grands javelotistes auraient pu applaudir si j'avais été filmé à ce moment précis, je l'envoyais dans la direction de mon professeur faisant face au tableau. A mon extraordinaire stupéfaction, l'objet venant de fuir ma main, après avoir décrit dans l'air deux cercles successifs, se plantant froidement dans le dos du passeur de savoir atteint de biglerie. Sur quoi le professeur, se tordant de douleur, visiblement touché à un nerf ou à quelque autre canal nécessaire à la vie, poussa un cri mignon avant de s'effondrer et de laisser sur place, rien d'autre que sa blouse et ses feutres élus, telle une meringue humaine pailletée de chocolat. N'espérant pas une destinée à ce point ambitieuse à mon jet d'ustensile, je crachais néanmoins pas dessus et me dépêchait de rejoindre les toilettes sous les vivas d'un public exalté par mon assassinat. Un peu de désinfectant et un pansement plus tard, j'assistais à l'enterrement du professeur durant lequel me fut remis la médaille des Arts et des Lettres ainsi que les Clefs de la ville. De plus, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir une fois de retour chez moi, dans mon garage, un magnifique coupé sport cachotant dans son ventre la puissance moteur des longues caravanes que les bédouins déploient pour survivre au désert quand son tambour bat !

Vendredi, je fus réveillé par la musique infinie des machines. Et par celle similaire des larmes de ma mère. Mon cauchemar avait commencé en même temps que mon rêve et son réveil était apparemment cruel. Pourtant, je me sentais bien, j'avais certes un peu mal à la tête mais rien physiquement ne semblait déconner. Alors pourquoi ma mère ne pouvait s'empêcher de pleurer ? Ses larmes sur le sol me ramenèrent en classe de physique-chimie, quand je me débattais pour ne pas qu'on ne voit ni ne sente les extraits de ma cuisse. Que s'était-il passé ensuite ? Je n'avais pas pu décemment assassiner mon professeur alors j'imagine que quelque chose de différent s'était passé, peut-être m'étais-je évanoui à cause de l'odeur ou bien qu'il y avait eu...sans que je fasse gaffe, une catastrophe d'ordre naturelle, un ouragan, un coup de foudre, m'ayant laissé sur les rotules avec des souvenirs troubles.


Si c'était un coup de foudre, peut-être avais-je reçu par la même des pouvoirs et peut-être que de ce début de drame naîtrait une légende ! Non, ce n'était pas sûrement pas ça. Mais alors, quoi, maman, quoi ? Quoi ?

"Mon fils...pourquoi n'as-tu rien dit pourquoi ? Ils ont été obligé de...si tu l'avais dit, ne serait-ce qu'un jour plus tôt...ils auraient pu faire autrement, ils auraient pu la sauver. Mais là, c'était trop tard, mon fils, c'était trop tard, je suis tellement désolée...Si seulement tu en avais parlé !"

Mon cerveau, en vicieux chef d'orchestre d'inégalés malaises, à l'écoute de ces mots traversés par les larmes descendues par ma mère, me coiffa d'un seul coup d'un bonnet de sueurs sur lequel tenait un étrange compte à rebours. Ce compte à rebours était d'une rapidité de connexion nerveuse et je compris tout de suite qu'il dévalait la sente me séparant de l'évanouissement. Sachant cela, je fis tout mon possible pour comprendre sans comprendre la réalité de ma situation. Pour recoller les pièces du puzzle tout en me refusant toujours à aller chercher la dernière pièce que je savais cachée en-dessous du canapé. Tout comme je savais, car j'avais toujours su, qu'un jour mon penchant pour le robinet qu'on laisse sangloter parce qu'il fonctionne encore et par flemme du plombier, me jouerait un sale tour. Mais ce n'était pas possible, je veux dire, ce n'était qu'une simple piqûre de moustique et je m'étais arrangé pour la soigner, certes, ma cuisse avait grossi et le tout était noir mais tout de même non, c'est une mauvaise blague. Si ma mère pleure, c'est qu'elle a toujours été une grande émotive, elle a simplement flippé de savoir que je m'étais évanoui en classe, d'autant qu'en ce moment, elle et moi, c'est pas la joie et je suis sûr que ça la tuerait de me perdre sans que ce soit rapprochés l'un et l'autre. Et donc le truc, c'est qu'ils m'ont remis un nouveau pansement et que bon voilà, faut que je fasse gaffe la prochaine fois, certaines piqûres sont très dangereuses. Et la semaine prochaine, retour à l'école, avec tous mes copains contents de me revoir et moi pouvant jouir du statut du joli survivant ! A moi les gens qui me plaignent...si tant est que l'odeur que j'ai laissé là-bas ne fut pas trop captée par la gent féminine ! Mais dans ce cas, tout de même, pourquoi avoir dit ça :

"Ils auraient pu la sauver."

Qu'auraient-ils pu sauver ? Cette question coupa le fil bleu de ma bombe et mon compte à rebours avant évanouissement s'accéléra dramatiquement. Ma main gauche, redoutant cette phase de coma, eut l'envie fantastique de soulever le drap qui recouvrait mes jambes.

Ma mère de dire "Nooon..."

Et moi de m'évanouir.

Ce n'est que le dimanche, jour du Seigneur, que je fis face à ce qu'il y avait en effet sous ce drap.
Ce n'est que le dimanche, jour du Seigneur, que je fis face à ce qu'il n'y avait pas.
Ma jambe gauche, toute ma précieuse jambe gauche, avait été amputée pour me sauver la vie.
Pourtant, ma mère avait bien dit : "Ils auraient pu la sauver" et en effet, ils avaient échoué.
J'étais vivant mais mort, adolescent marchant sur une seule jambe déjà que n'ayant pas tout le reste à l'avenant.
La faute à une piqûre, non de moustique mais d'araignée, de ces araignées qui n'existent que dans les faits divers et que l'on nomme "recluses".
Son venin, dispositif d'une belle malignité, en plus de nécroser toute la zone mordue a la particularité d'endormir la chair tout autour et donc d'offrir à sa victime une mort apaisée.
Voilà pourquoi je n'avais rien senti jusqu'à l'explosion consécutive à un mauvaise frottement, du bubon revenu.
Voilà pourquoi je ne sentais plus rien, sinon du souvenir, au niveau de ma jambe disparue.

Enfin, je sentais.
Mais pas comme ces amputés sortis des fours des froids conflits armés et qui gardent en mémoire, malgré le vide couvert par leur avant-bras droit, tous les réflexes de leurs doigts.
Non, moi, vraiment, je sentais ma jambe. En ceci qu'au lieu de reproduire les gestuelles perdues, mon cerveau reprisait les exacts parfums de mon membre arraché.

Ma jambe avait une odeur d'arbre retourné par la foudre, de pluie sanguine et grasse, et toujours de cadavre, soit d'avenir, soit de cafard.
Ma jambe...avait l'odeur du regret et de la chair qui se putréfie dans un profond silence, sans personne autour pour s'en inquiéter, et d'une mère en larmes, après coup, pour son fils blessé.
Ma jambe, qui sut fouler tant d'herbes, frôler tant d'autres jambes parfois nues et superbes, avait l'odeur d'une vie sans ligne d'arrivée.
D'une vie, désormais, handicapée.
D'une vie recluse, à cause d'une araignée.

*

(Mais ma jambe avait aussi l'odeur
De la cachette des diamants recherchés
Et du vaccin pour le cancer du sein.
Ma jambe avait l'odeur de l'univers
Perdu, tout comme moi,
Disparu mais debout
Parce qu'enfin la vengeance sera bientôt mon pied
Mon tibia, mon genou...
Ma béquille et ma loi.)

Il avait le pouvoir de sentir tout ce qui était perdu...


dimanche 14 mai 2017

Les paradis parfaits de la réalité

Je viens de faire un rêve d'hôtel américain
De ce genre d'hôtel qui puise ses racines directement au ciel
Tellement ils sont hauts et éloignés du monde.
Et dans celui-ci, j'étais il me semble tout à fait moi-même,
C'est-à-dire un garçon sacrément délicieux
Qui compose des vers parce qu'il n'est rien de mieux.

Enfin, trêve de mise en scène et rentrons dans le jus
Pertinent de mon rêve,
J'étais donc là, assis à une fenêtre de ce poil d'acier
Dépassant du nombril de l'île de Manhattan
Et j'avais devant moi une tasse de café.
Rien de grave pensez-vous voire "tout est léger"
Sauf que ce café était fourré d'un sucre
Imitant parfaitement
L'ambition
Des ciguës les plus grandes
Et des plus hauts poisons !

Car ce café, bu au sommet d'une tour souveraine,
Ce café, compact tourbillon d'une bruneur épaisse,
Bel élément buvable et shot d'énergie rare
N'était pas du tout ce que je désirais.

J'étais, au sommet de la tour
Et seul avec ses tables, ses fenêtres,
Ses couteaux et fourchettes,
Ses illusions de jour qui sautaient à pieds joints
Du soleil voisin
Et qui passaient sur moi comme des annoncements
De poèmes prochains, d'invincibles romans !

Ainsi donc j'étais au firmament du goût
A l'étoile des yeux et puis dans la chevelure
De tout ce qui sent bon.
J'étais là où je devais être
Dans mon hôtel de rêve avec devant moi
Des feuilles blanches et du ciel !

Comment ne pas s'en contenter ?
En vivant le malheur de boire ce café.

Vous savez, il est fréquent d'user l'idée de tord-boyaux
Quand on tâte une liqueur qui ne nous revient pas...ou plutôt si
Et bien ce café-là, céleste à la papille, là n'est pas la question
Était un "retourne-âme" !

Parce qu'enfin comment dire, j'étais dans cet hôtel
Gravé dans ses fenêtres comme du chocolat
Dans un calendrier, et j'étais dégoûté de tout cela.
Parce qu'enfin comment dire, j'étais dans cet hôtel
Et mis face aux éclats de ce café qui, comme on parle,
Est maintenant café froid
Et que ce café froid, enfin, c'est difficile à dire,
Avait dans ses entrailles une limaille intime
Et que ce dépôt gris, comme tous les dépôts gris,
Etait fils de la Lune et que la Lune, j'aime bien la Lune
J'aime bien, mais la Lune parfois n'est rien de moins qu'un Enfer
Avec un masque blanc.

Et donc le sucre dans ce café qu'était-il ?
Parce que c'est beau de tourner autour de ce qui fit mon rêve
Mais ce doit être aussi, j'imagine, quelque part navrant
De suivre ce mystère, bavard, docilement sans voir sa solution.

Alors voici la solution de cette solution :

La vérité c'est que ce café
Que le rafraîchissement avait mené au jaune
Et bien ce café, que je surplombais
Comme dedans cette image connue de Waterhouse
Et dont les reflets mous donnaient à mon visage
Une allure débile d'épluchures
Et bien ce café, par ailleurs, si je l'avais bu là tout de suite
Il n'aurait pas été bon mais sans être non plus un danger
Pour mes jours.
Et bien ce café, son drame, son épice et son sel
C'était qu'il incarnait quelque chose d'infiniment cruel...

Puisque ce café, même dans mon rêve d'hôtel américain
Était la seule chose que je pouvais m'offrir
Avec mes pauvres mains
Tandis que tout mon ventre, tandis que toute ma langue
Rêvaient de jus d'orange.

*
Pour beaucoup ce cauchemar est un fait quotidien
Et pour davantage encore de femmes, d'hommes et d'enfants
Même ce café froid tient du fantasme long.

Ce qui n'est pas fantasme, en revanche, c'est l'oeil du serveur
Ou la moue des serveuses, quand on est au café pour deux heures
Sans le sou, et qu'on gêne les gens, parce que pauvres et vivants
Comme un peu d'une couleur violente
Dans une mer d'oranges aux abonnées absentes.

*
Précisément maintenant, je vais finir sur cette histoire de rêve et de café
En vous disant exactement comment il s'est achevé :

Il y avait donc, un immeuble new-yorkais,
Une tasse de café et un jeune écrivain
Mais il y avait aussi puisque c'était un rêve :
Des impressions de seins comme des dents qui branlent,
Des crépitements ouverts d'appareils photo
Et puis deux trois histoires, courbes et tentations
Impossibles à décrire sans courir le peloton.

Mais surtout il y avait, à la toute fin,
La serveuse tout sourire déchiré dans l'annuaire
Qui est venue, alors que j'avais à peine bu un cercle de ce café
Me resservir avec son broc typique et toute sa précaution.
Et puis elle est repartie, me laissant seul avec ma honte
Et donc je lui ai dit, avec un visage que je voyais très bien puisque c'était le mien :
"Arrêtez de vous foutre de ma gueule !"

Comme je pensais qu'elle savait, qu'elle avait deviné dans mes veines
Ou dans mon habillement que je ne pouvais pas me payer autre chose
Et donc qu'elle savait, évidemment, que j'étais pauvre.

Sauf que les gens ignorent tout de votre pauvreté
Tout comme ils ne savent rien de vos richesses profondes
C'est à vous de leur dire ! Et puis d'illuminer
Et puis d'aller cueillir les oranges et les roses
Et d'inventer enfin, à force d'ongles, de pâlissements et de sueurs immondes
Les paradis parfaits de la réalité.


Georgia O'Keeffe - Manhattan



vendredi 12 mai 2017

Le Nord vu par mes yeux quand la Nuit ne vient pas

Des lumières obscurcies de ma région natale, je ne capte que des sons infusés et banals.
Des histoires de voix s'habituant doucement à se taire et de corps qui se jettent sur le chemin de fer.
Des isolations franches suivies de néons lourds, vissés à chaque plafonds, comme des travaux omniprésents.
Des "en attendant le vin", la télévision et l'horreur commune du gamin qui gamine alors qu'il est adulte.
Des morceaux d'évasion cloués à même le sol, sosies d'inquisition opérées par des hommes aux cerveaux incertains.

Et tellement de voitures, dans tout cela, et tellement de bruits sur ces routes où s'épuisent ces vies aux volants de bolides aveugles et sans issue. Seulement Point A. Point B. Point A.
Ah ces nuances absentes dans leurs crânes semblables, ceux-là qui rasent l'herbe et songent au radar comme à l'ultime peste. Le monde de ma région est un monde d'automobilistes résignés à mourir, quelque part en campagne ou au fond d'un dossier. C'est un univers aux valves soudées à l'os dont le moindre mouvement romprait les cartilages, et donc qui ne bouge pas, ni ne pense, ni ne se noie au sein des longs génies ou bien des marécages. C'est une brochure en faveur du Silence placée sous tous les essuie-glaces et lue avec entrain avant d'être rangée dans la poche intérieure où bat sans plus se battre, un fantôme de coeur.
Les villes du Nord sont des villes désertes car les Hommes les ont fui de leur intelligence.

Les villes du Nord sont des endroits spéciaux où seuls se reproduisent les pauvres abrutis, les amoureux du litre et les sombres racistes. Ce sont de ces endroits où pas un poème naît, où pas une idée passe, où pas un rire n'existe. Des sortes de cellules étalées sur trois ou quatre départements, sans gardes autour d'elles, sinon les forêts basses et quelques points d'eau froide où boivent les gendarmes après tel ou tel meurtre sur telle ou telle enfant.

Telle est ma région natale, décharge sans grillage et main sale car sans gant.
Certes, les lignes d'incarnat du ciel laissé libre cosignent quelquefois, en compagnie du vent et de la solitude, des partitions capables d'émouvoir jusqu'aux ronces...mais ces grâces sont rares alors qu'il est fréquent, en scrutant l'horizon, de voir passer l'envie de la nue pendaison.

Corps pris dans la corde, les cordes et les promesses, d'une vie merveilleuse n'ayant pas lieu sans cesse.

Ma région natale est de ces gorges-là, rougies par la ficelle et insensible au chant.
Parce que silencieuse (MAIS BELLE !) comme une étoile filante qui tombe dans son champ
Et puis que l'on ramasse, et puis que l'on élève, comme son enfant
Afin qu'elle devienne grande et s'en retourne vivre auprès de sa maman...

La Vile Lumière
Autrement dit la Mort du rêve paysan
Voire l'arrêt de l'air
Au profit d'une bête, mystique et suffisante.

Dans ma région natale, rien ne suffit et rien ne suffira
C'est pour cela qu'elle est belle
Parce que la survie conditionne la plupart de ses pas
Et parce qu'elle est idiote,
Comme une fille qui goûte à sa première griotte
Depuis le cerisier
Et qui trouve ça bon
A cause du cerisier
Et car il est seize heures et que donc dans trois le soleil se couchera
Avec le cerisier
Blotti sur son épaule comme font les garçons parfois au cinéma
Et que ça durera le temps d'un souvenir
Le temps d'y repenser à chaque nouvelle cerise
Et à chaque main prise
Le temps de se construire
Avec le cerisier
Et grâce au cerisier
Voire même à tous les cerisiers
Qui peuplent ma région certainement imbuvable
Mais dont tous les fruits frais sont en fait des anges,
Des comestibles fables...

Max Ernst - Forest Part One