mardi 26 novembre 2019

Visage de Mars

Une forme difficilement identifiable se tenait à côté de ma mère.
Les yeux tirés, dramatique, elle avait la couleur du vin de messe.

J'avais seize ans... 
Une vaste étendue d'herbes soufflées, piétinées çà et là de racines, donnait aux citadins un extrait du regret. 
Qu'on me comprenne, je n'avais pas envie d'assister à tout cela ! 

*

J'avais toujours aimé l'odeur de brûlé des ampoules trop chaudes et ces carrés aléatoires, cadres légers et jaunes, s'inscrivant dans la pierre tandis que je me rendais chez elle. Elle, l'odeur de brûlé suprême, c'est-à-dire le parfum préféré, meilleur encore que les jardins humides ou que ces devantures harmonieuses de fleuristes lorsqu'avril est en fête. C'était difficile de lui parler pourtant, et de la voir aussi, elle avait eu mille vies avant de me connaître. Moi, j'en saisissais des bribes et pas les plus amènes : d'anciens petits amis d'une grande tendresse dont je ne savais jamais ce qui les conduisit à ne plus la satisfaire. Si j'avais su, j'aurais pu, peut-être, éviter certains pièges...

Mon obsession envers la perfection, la fluidité totale, ayant été souvent la cause de ma perte, je ne pouvais pas vraiment lui en vouloir. Sans doute mes errements étaient-ils nécessaires. Elle devait deviner combien je l'attendais... mais comme vaine serait la patience insincère... et comme il serait bête au lieu d'aimer de plaire. 

*

On aurait dû de ça en mourir déjà ! Mes mains, mon maillot munichois (extérieur 1995-1996) mais surtout une quantité non négligeable de briques blanches vaguement cartonnées... toutes noires ! Nous mourrons tous tellement bientôt. A l'instar de ces livres que l'humidité a prestement vieillis... Dans le lot il y avait quand même un Dracula d'origine, la correspondance entre Joyce et Nora et puis, sacrilège d'importance, les Sonates Cartésiennes de William H. Gass...

Je me sais atteint d'apophénie chronique depuis pas mal de temps mais quand même. Il y a cinq ans de cela, j'avais écrit un texte contant ma relation avec Nosferatu (petite amie de l'époque et génie dans son genre), texte entamant une sorte de correspondance (unilatérale) avec Gass précisément au sujet, en plus de l'amour, de ses Sonates Cartésiennes et d'écrits que je pensais perdus. Coïncidence pur sucre ! Je n'irai pas jusqu'à croire que la Bohème qui me coule dans le sang - merci maman - m'a doté d'un talent pour la divination car je me sais voyeur davantage que voyant. Mais quand même...
Certains signes me vouent à la perplexité.

*

Trois Fausts aussi furent touchés dans cette catastrophe terreuse et résurgente : La Première Partie en français, rentrée dans un mince volume vert ; la Première Partie encore mais en allemand cette fois et dans un volume rouge ; et celui de Valéry, énigmatique et beau. Trois fois Faust enterré. Heureusement, l'étrange version donnée par Pessoa est quant à elle intacte... parce que je l'ai perdue deux ans plus tôt, dans le métro new-yorkais...

Je m'en souviens. J'allais alors sous la terre presque quotidiennement, de Long Island vers Manhattan, et je lisais, histoire que le temps passe et que je ne songe pas trop à quel point il était insensé de circuler ainsi sous la masse de l'Hudson, les yeux vaguement ouverts les lignes de Caeiro. Je lisais ça et des passages du "Meneur de Lune" de Bousquet. Je n'en comprenais rien sinon un sentiment de damnation jouasse. Comme si Faust comme Bousquet étaient contents du diable.

Faust, détruit mentalement, et le poète de Carcassone, découpé physiquement, des lambeaux immobiles, tous deux ravis du maléfice...

Sans doute parce que le diable restait la seule personne susceptible d'aider et de promouvoir au fond de leurs couloirs interdits, la venue d'une femme.

Visiteuse Marguerite, visiteuse à cheveux blancs, à chapeau fin, étoffes courtes, nimbée chacune et respectueuses, au-delà du réel, des affligés croupissant là. Que de valeurs faut-il pour veiller les vieillards et les paralytiques ! Diable ou pas diable, injonction démoniaque ou non, elles étaient supérieures à toutes les comtesses aperçues.

*

C'était toujours une question de visite.
Que la Mort côtoie comme un marteau l'ange m'ayant fait naître. Que je me rende à guillotine, enamouré mais très fautif parce que désirant l'au-dedans du souvenir. Que mes livres s'altèrent, s'encrassent, noircissent, sous l'offense climatique d'une pièce mal nettoyée.

C'était toujours cela : le démon de Laplace, ce visage de Mars sur lequel mon front bat.


Alfred Kubin - Oublié, perdu

mardi 19 novembre 2019

Un jour quand j'irai mal...

Un jour quand j'irai mal
Que mes jambes seront lourdes et ma tête légère
Je ferai d'une forêt
Un feu élémentaire

Dans celui-ci iraient
Et mes jambes lourdes et ma tête légère
Mais aussi tous mes textes
Cahiers
Carnets
Feuillets, intercalaires...

Le tout partira en poussière
Dans une grande flamme
Qui
Parce que projetée depuis un bois secret,
Une forêt mystère,
Restera invisible
Comme je l'ai été

Oui,
Un jour quand j'irai mal
Je me jetterai dans l'air
Comme une braise pâle,

Et vous pourrez pester
Protester de vos larmes
Il sera bien trop tard pour recoller l'histoire !


Aristotle Roufanis - Alone Together (7)

lundi 18 novembre 2019

C'était ainsi...

C'était ainsi, à la périphérie d'astres énormément mobiles et froids, qu'avançait sous la pluie ma tête fatiguée :

Avec en elle...
Des millénaires inespérés d'appels de la main...quand ce papier froissé de veines s'ouvre et cherche dans la mienne, des couleurs, des colliers, d'aurifères étrennes...
Un peu de quoi s'enthousiasmer, redéfinir chemin, rafraîchir l'occis voire revivifier le colchique défunt...
Attila réversible que l'attirance née entre des doigts sensibles...

On ne savait où aller
De la rose liminaire
Aux roses éliminées...
On ne savait que faire...
Pour l'entretenir, ce désir allusif allumé à nos nerfs...

Attendre ?
Périr pour conserver plus joliment la cendre ?
Rester sur un souvenir, vague, une distance, une blague mais sans qu'elle soit mordante...
Drôle uniquement peut-être et rire de temps en temps alors qu'elle reviendra taper à la fenêtre...

L'eau sous mon pied s'infiltrait amèrement.
J'avais de plus en plus de mal à allonger le pas.
Et à pousser tout ça, tout ce corps gros d'effroi
Et d'années...
Monstrueuses
Fanées
Tracées au sein d'une terre outrageuse et brûlée.

Un autre monde ici était pourtant possible
Dans cette main nouvelle, dans ses yeux,
Marcassites
Gravées de deux prunelles...

Mais il était déjà en train de se noyer
Comme moi sous la pluie, fatigué,
Avec mais sans elle
Soit sans la volupté de son humide ombrelle.



Remedios Varo - Moon Reflection

mardi 12 novembre 2019

Massacrons, je vous prie

Il faudrait essayer de parvenir, ou parvenir à essayer, à l'heure d'écrire, à l'ambition qu'au moins la moitié de nos phrases soient suffisamment chargées qu'elle explosent aux visages, désemparés, liquides, des puissants de ce monde.
Il faut écrire des bombes pour les bureaux ovales, déflagration de chevrotine pour la bouche creuse de l'âne élyséen, gros sel dans le buffet des deux dirigeants coréens ! Sinon à quoi bon faire ?
Entretenir bourgeoisement la lettre, à grands renforts d'alexandrins, de fourbis d'épithètes, de liaisons, de tendresses...ce n'est pas là licence, c'est permis d'ennuyer, gratification basse que tout être, cabochard, débauché, saint-cyriens, débrouillards, peut empocher en pas trente génuflexions à la bibliothèque auprès des livres rares.

Temps n'est plus aux rivages butinés avec joie, femme aimée dans une main, poème allemand dans l'autre. Temps n'est plus aux histoires d'amour et de Volga...
Les fleuves sont morts messieurs et dames ! Du Rhin au Nil jusqu'au Guadalquavir, tous ont séché, noircis, comme ça : des landes de terre sans âmes qui vivent, même pas celles de flétans gras !

Donc bon vos romantismes, gardez-les vous ! Veillez plutôt à la batterie, à la tenue des comptes et de l'abri, du trou, où vous bâtissez songes. Faites gaffe à votre lit et à pleinement dormir, c'est là la seule issue du rêve, la seule aussi possible où pas drone nous crève !
L'ère du meurtre plastique, vert et télévisuel, et du divertissement qui nous perce les yeux, telle est l'ère actuelle !

J'exagère !

Mais bon...
Même le bon désormais a le goût de misère. De tels fossés d'accession se sont coup sur coup entrouverts (par la pelle des fictions) qu'à présent nulle mer ne paraît assez belle...
Surtout qu'elles-ci rejettent, quotidiennement, des asphyxiés garçons et d'abusées fillettes...

Avant, en France, on se méfiait des Noirs...
Maintenant les français redoutent les verdâtres, cadavres qui leur rappellent que le bonheur va mal.

C'est pas faute pourtant d'en créer des cortèges d'aises le remplaçant, des textes saints à ceux des mails promettant en substance que peut-être demain on se tapera la stagiaire...et tant pis si elle rechigne, son chemisier cédera, et si elle porte plainte, le commissaire aidera.

Ce même exact commissaire qui par ailleurs fait plutôt correctement son travail question humiliation, il sait faire preuve d'intransigeance, qualité quatrième pour notre belle nation !

Liberté - Egalité - Fraternité - Autorité.

J'exagère, je le sais. Mais c'est plus fort que moi ! La montée des violences et des aliénations, la bêtise installée, choyée, répandue, régulée, laisse un rance fond de peste dans ma supposition. Comme si c'était souhaité qu'on s'abrutisse à ce point...
Voulu par quelques-uns...ces fameux quelques-uns ayant vu l'opéra autrement qu'en maquette ou bien rediffusé, après Ruquier où des analphabètes exercent - ou prétendent exercer - le métier d'écrivain.

Ou alors quand ces cons connaissent l'alphabet, ils confondent, malheureux, l'hindouiste svastika avec la croix gammée ! C'est ballot putain de merde. Comme d'inviter encore des violeurs avérés à défendre leurs steaks...

"Il faut savoir pardonner !"

Pardon est-il offert à l'arabe en baskets ?
Pardon est-il offert aux mères sénégalaises ?
Pardon est-il offert aux couples sri-lankais ?
Dont l'unique défaut, jusqu'à preuve du contraire, est de ne pas nous ressembler.
Dont l'unique défaut est, jusqu'à réception diluvienne des papiers, de ne pas être exactement français.
Dont l'unique défaut est...d'exister...
Seulement exister, partager l'air voire oh oh oh attention, un peu du sacrosaint - edelweiss most wanted - national respect !

"Le respect d'un blanc, ça vaut tout l'or du monde, ils ont tout intérêt à bien m'en remercier !"

Imagine ta vie étant dévisagé
Où que tu ailles
Quoi que tu envisages, fournisses et prouves
Qu'importe ton travail et si c'est grâce à toi que s'esquintent les touristes sous le dôme du Louvre.

C'est grâce à toi toutes ces photos prises
A l'infini
Par des privilégiés aux cerveaux engourdis...

Grâce à toi également que le métro pas rouille
Alors qu'on dit qu'il grouille pourtant à cause de toi...

Grâce à toi qu'on a chaud
Puisque les tiens ont froid !

Enfin bon j'exagère ! Il y a aussi deux trois musulmans pas très nets et sans doute une poignée de blancs recommandables...

Il s'agirait pas de faire un lot, pas d'amalgame ! Il y a de nobles pauvres ! Y a qu'à voir en Pologne comment devient la chose...C'est beau ces bandes, ces manteaux, ces marches dans le vent sur un parterre de roses...

*

Que les dents donc explosent ! Voilà ce qu'il faudrait en tant que conséquences pour ceux qui versent en prose...
Cessons d'affûter branlottant nos couteaux, attaquons à l'atome ! Tant pis s'il y a des morts, tant mieux si ce sont des mômes, de toute façon qui s'en soucie ? Certainement pas vous !
Ou alors on me cache depuis tout petit quelque chose...

Ce quelque chose, le bonheur - encore lui ! - pourrait être son nom...

Il se serait sûrement endormi sous les pierres...
Celles qui faut qu'on réveille
A coups de canon à rampe et de rayons laser,

En écrivant pour tuer
Et non plus pour soi-même.

En écrivant pour tuer
Avant de dire je t'aime.



Francisco de Goya - Le Grand bouc