lundi 23 novembre 2020

 Les vagues reculaient, refluaient, rebroussaient, refusaient la logique inscrite sous leurs ventres.

Et moi je regardais, abasourdi, ce spectacle impossible d'une mer se retroussant. 

Les boules à neige doivent faire le même effet aux rennes vivant à l'intérieur. 

Et peut-être capte-t-on phénomène comparable lorsque, dormant d'un mauvais sommeil, une chauve-souris pleure. 

En dehors de ces désordres ahurissants, il n'y a que la musique qui fait cet effet-là.

Il n'y a qu'elle qui dérange l'âme à ce point et qui en quelques accords peut la rembobiner. 

Les vagues reculaient et j'écoutais... Glass... Nyman... Preisner, Arnald et Johansson...

Et je voyais la neige brûler le front des rennes

Et j'entendais le sanglot inconscient des bêtes ultrasonores. 

J'étais alors à deux doigts de verser à mon tour, histoire ironiquement de reremplir la plage. 

Mais une forme d'espoir, toujours cachée dans la moindre note jouée, m'en empêcha doucement. 

Seule restait l'émotion sans les larmes, sans les rires non plus. 

Seule restait la musique soit cette émotion pure, supérieure en son calme à tous les paysages 

Mais plus vive pourtant qu'aucun battement de cœur. 

Les vagues reculaient et j'écoutais... Glass, Nyman, Arnald, Preisner...


Jakub Schikaneder - Contemplation, moine au bord de la mer







vendredi 13 novembre 2020

Disons que tout a commencé quand mon bras a cessé de répondre.
Ou quand mon visage se figea. Ou quand mourut ma langue.
Disons que tout a commencé.

Je n'en veux pas au fantôme qui, lui aussi, ne m'a pas répondu.
Je n'en veux pas à la silhouette pour être silencieuse. 
Qu'il serait délicieux cependant d'accéder à quelque voix nouvelle ! 
C'est pourquoi je descends chaque matin, quand bien même celui-ci se répète.
Pour la voix et la vue directe du soleil. 
Mais évidemment, et ce depuis maintenant deux tiers d'une semaine, la chute ensuite m'empêche. 

Je n'ai pas toujours tombé. 

J'étais plutôt oscillateur. 
J'allais de glacis en glacis, de butte en butte.
Pour illustrer, voici un souvenir : 

En ville, avec un ami, nous entrâmes à minuit dans un de ces dancings que la jeunesse prise, curieux chacun de la prendre peut-être. Mais tout ce que nous y vîmes furent de la bière vendue au prix d'un bon champagne ainsi que l'anus éberlué d'un chien. Longtemps, j'ai veillé jusque tard histoire de mieux comprendre l'attraction titanesque des trous des bêtes sur nous, qu'il s'agisse d'orifices de chiens, de chats ou d'animaux encore moins ordinaires. Est-ce l'œil qui d'instinct se cherche dans cette copie sombre ? Ou est-ce concupiscence ? Aujourd'hui encore que j'y pense, je n'ai pas la réponse.

Fin du souvenir. Puisez en lui que j'ai eu des attentes et des déceptions, des glacis et des bosses, et des répétitions. Puisez en lui qu'avant de descendre quotidiennement les étages à pas fixes, avant de m'étaler et de pulvérisé revenir, je fus autre et semblable. 

Je pense aussi à Léonard...
Enfant, morceau de sucre, dont les yeux détenaient d'après moi toutes les teintes connues. 
Un vrai regard d'arc-en-ciel, Léonard...
De butte en butte avec Léonard, le petit Léonard, l'adorable. 
Le soleil à l'époque se voyait à toute heure du jour et de la nuit. 
Et aux immeubles, au lieu des balcons et du fer, au lieu des couteaux pour pigeons et des échafaudages, s'achalandaient des merveilles de fruits. Des grappes coulaient de chaque fenêtre, des pamplemousses fuyaient des vasistas, et des grenades et des grenades...

Désormais mon genou la grenade, ouvert il dévoile tout un tas de carrés rouges
Avec en-dessous un os comme une flèche. 
Je suis tombé énièmement. 
Mais cette fois, à la place d'hurler, j'ai fait choix de me taire.
Tout sauf envie de faire fuir le fantôme, d'effrayer la silhouette. 

De la sueur de douleur me repeignait en statue italienne mais je tins une minute,
Une minute trente.
Avant de remonter,

Absence contre absence.

...
Pourtant je sais que tu es là pas loin 
Dans une rue traversière
Je sais que tu m'observes 
Qui que tu sois, 
Au lieu de voir viens,
Tu n'as que peu à perdre. 


Plautilla Nelli - Extrait de la Cène avant réparation




jeudi 12 novembre 2020

 Qu'on se blesse aisément dès lors que l'on descend ! 

Trottoir encore, troisième glissade, la cheville a dérapé et fait déraper tout pareil tout le reste du corps

Et me voilà par terre. Par terre encore, trottoir troisième.

J'avais déjà cru mourir les deux premières fois mais là 

Là, tandis que mes tendons dégueulaient comme du fil et que pour pas changer, mon tibia s'hérissait

Là, je me suis vu vert tout à fait

Avec par-dessus moi le gros couvercle

Et autour

Peut-être

Quelques humains aimés. 

Je me suis représenté comme jamais la terre et son silence

Bruyant de mille et un insectes

Et de racines en croissance. 

Comme jamais, j'ai aperçu la couleur dissolue 

- Lavée machine à des températures qu'enfers jalouseraient -

Du Noir original.

Sur ce trottoir, ensanglanté by myself,

Je m'y suis blotti presque

Dans ce Noir catacombal, cavernissime et phréateux ! 

Dans ce Noir si noir qu'il blanchit comme l'azote liquide en vérité réchauffe...

Je me suis senti lilial 

Dans ce Noir.

Et puis des forces sont revenues, par petits jets intermittents. 

Et ces forces ont donné naissance à des embryons, à des fœtus de sensation, 

Et de la sensation est venue le Cri, cette orange qu'on ouvre en face du soleil et dont du jus éclaire sa surface.

Et du Cri ma cervelle s'est remise dans ma tête et ma tête sur mon corps éclaté à la jambe en poussière. 

J'étais donc vivant.

Sur quoi, puisque de ce statut, j'ai ramené vers moi mes liens pulvérisés, tibia de sable, cheville de gelée, et je les ai fourré au grain près dans ma bourse.

Puis je suis remonté

Constatant malheureux

L'absence aux alentours.

...

Excepté...

Une silhouette ?

...

"Qui êtes-vous fantôme ? Qui êtes-vous qui êtes ? Parlez-moi je vous prie, sans l'exiger mais avec insistance, ici, je n'ai que le soleil et la douleur pour vivre, le soleil et la douleur, et la nuit, et le froid qu'elle déverse, alors une parole me sauverait beaucoup... ça me fluidifierait... je ne demande qu'un mot, non, une note suffirait !"

...

"Un la, un do, un mi, tel ou tel bémol, un fa qu'il soit dièse ou pas... Même un silence m'irait s'il était différent, musicalement écrit et prémices d'un si...."

...

"Une note putain, une seule ! Sache fantôme qu'ici je dégringole, c'est-à-dire que je tombe, jour après jour et seul. C'est pourquoi, un petit signe, un mot, une musique, un cri, me feraient un bien fou. Je ne sais pas si tu manges mais ce serait comme manger une moitié d'abricot. Ici, je n'ai que les noyaux, les pépins et les yeux des poissons. D'où ma requête actuelle. Parle-moi fantôme, exprime-toi silhouette !"

...

Ainsi c'était un rêve ?

Une machination de ma boîte crânienne. Ainsi c'était un rêve. Pour un peu, le trottoir, le tibia, le lilial et le Noir et le froid, c'étaient aussi des rêves. Tout rêve sauf le soleil. Tout rêve sauf sa lumière, son feu entraperçu au travers des étages au cours de ma descente et qui, malédiction, demeure inaccessible dès lors qu'au dehors à cause des immeubles et de leurs mauvais sorts, qu'ils jettent, comme ils jettent des hommes. Tout rêve. 

Il faut que je remonte, quitte à ce qu'elle soit du chiquet l'ascension.

Il faut que je remonte

"Silhouette,

Saurai-je un jour ton nom ? 


Remedios Varo - Voyage en spirale




 

dimanche 8 novembre 2020

Cette fois l'os et le rouge tatouage l'entourant ont gelé à même le sol. 

Il faisait froid ! Un froid de cathédrale éventrée au vitrail. 

Je crois même avoir saisi, tandis qu'il, aussi, me saisissait

Des figurines lumineuses étalées près de moi,

Comme un jeu d'or et de tarot. 

Je dis je crois car vite, bien plus rapidement qu'hier, 

Mes nerfs firent feu 

Et ma bouche devint, déformée par un cri que seule une forêt peut entendre sans être déchirée,

Une blessure à son tour. 

Pour en revenir aux figurines, elles avaient sur la joue deux fraises semble-t-il, et sur le front une croix profonde, insupportable et métallique. Mais parce que jaune cette croix sortait de l'ordinaire et paraissait avoir quelque qualité d'astre, le Soleil étant l'unique étoile de tout notre système. 

Losanges et octaèdres figurant suppliciés 

Et moi 

Et ma jambe sortie

De ma jambe

Assis jusqu'à côté

Attendant qu'on m'entende. 

Encore une fois personne n'est venu me chercher, 

Le froid, l'algue de sang produite teintant d'un vin de glace l'os matinalement surgit,

N'y changèrent rien. 

Je remontais seul.

Avant demain. 



Georgia O' Keeffe - Une rue


mercredi 4 novembre 2020

 L'os sous la chair perce

Comme si les poils, la graisse

= La glace

Et l'os, un talon de jeune femme. 

Cependant cela saigne. 

Un geyser s'inaugure 

Repeignant dans sa chute

Le trottoir d'un rouge de ces rouges méconnus qu'on évite toute la vie. 

Je suis tombé malheureusement.

Mes nerfs se plaignent, ils hurlent largement

A mes oreilles. 

Tandis que cela saigne... je saigne, je me répands, déverse ! 

Ce cauchemar extérieur, je l'ai vécu d'avoir voulu encore aller trop vite. 

Dehors...

Mais c'est qu'intérieurement, j'étais déjà panique. Pic apeuré, pâlot sommet.

La cause ? Les murs de ce crâne qu'il faudrait tous casser...

Parce qu'il ne sait plus ouvrir de paysages 

De derrière ses fagots, ce perdu salon, saoulot ratatiné. 

Alors je suis sorti

Histoire de voir

Et j'ai vu :

L'os percer la chair 

Et le rouge, de ces rouges méconnus qu'on évite toute la vie, 

Dégueulasser le trottoir. 

Que dire d'autre ? Rien.

Je ressaierai demain 

(même si sur les cuisses

Même si illicitement, 

Cul-de-jatte et clandestin). 


Adolph Menzel - Chambre avec balcon