mercredi 26 décembre 2018

Le gros du désir / Une maison de sel

Combien vinrent vieillir carencés sur nos côtes ? Comme des chats perdus cherchant un cœur qui chauffe.
Combien, de neiges embarrassés, accusèrent le coup avant de s'effondrer ? Comme des loups sans meute...
Combien de ténèbres, de fait, en pleine journée nous causent ? Comme des lieux irradiés.
Combien prennent, prirent et prendront de ces tasses affligeantes, imprévisibles et longues plastifiant les poumons en leur coupant les bronches ? Comme des poissons qui n'en sont pas.
Combien d'armes éclatèrent pour un rien dans mille rues ? Comme verdict rendu à la barbe des juges.
Combien de citoyens, insupportés, ressentirent le besoin d'un iota s'exprimer ? Comme la peur, en passant, toujours, par le poste-télé...

Tout ce qu'ils avaient vu, écouté, touché, senti, perçu, ressenti, éprouvé paraissait secondaire depuis cet instant-là : tous ces chapelets de rhumes, tous ces rosaires de balades, équestres ou sans cheval, tous ces silences et toutes ces danses, toutes ces infinités...de données vaines...tous ces noms de chanteurs, d'actrices, d'acteurs, de cinéastes...tous leurs visages...tous ces mots rares..."catafalque"...et bouts de langues apprises..."venga a la ciudad"..."sorry my son"...tous ces cieux cramoisis qui furent vus en se rappelant là seulement que le ciel existait...toutes ces cours sous la pluie...et ces pupitres avec sur eux différents coups de griffe, changeant de profondeur selon l'année choisie...toutes ces amours, vaincues et froides ou encore globalement crépitantes, grâce à quelque distance ou des soins d'exception...toutes ces chansons qui en parlent, subtilement ou franco...toutes ces sérénades et tous ces coquelicots...toutes ces chemises noires d'avoir attendues qui replongent une peau, un soir et des serments...c'est sûr qu'avant elles étaient blanches...toutes ces masses, tous ces corps quittant corps pour ensuite quitter l'âme pour enfin quitter corps, encore et dans les flammes...toutes ces passes de la poisse entre deux plaisanteries vaguement intéressantes...toutes ces chevilles foulées et pour combien au juste de courses d'importance ? Et tous ces bars passés devant, avec dedans tous ces alcools et tous ces gars qui se vitrifient...et toutes ces banques, tous ces prêts, toutes ces rentes, toutes ces aigreurs d'estomac de petits comptes qui comptent leur argent car chaque pièce, rouges comprises, les pousse un peu plus loin de ce canon qui jadis bandait à bout portant...un peu plus loin du pont...
Il sert à ça l'argent : à désodoriser la misère qui nous prend...

Toutes ces vacances pas sidérales à rouler vers le sud...mais même pas le sud qui tinte...le sud qui sans boussole en preuve pourrait être le nord sans qu'on puisse s'en plaindre...tant il est sale et triste à souhait...ce sud de ceux qui dorment en tentes...entre deux trois pots d'échappement...ce sud des sanitaires, des dunes et des adolescents qui s'y font l'Expérience parfois contre leur gré...ce sud à jeter...et ces souvenirs s'y rattachant, des souvenirs sachant, par je ne sais quelle nostalgique tonique, par je ne sais quelle perversité et divergence du prisme, se lever merveilleux et avec élégance...comme s'ils étaient beaux...sous le soleil, inexactement...

Tous ces mensonges qui nous redorent les jours de trop grande vérité...toutes ces arborescences d'avant qu'on les devine ces fumeux incendies...toutes ces futaies qu'on vit s'allumer pour s'éteindre, des squelettes à leurs pieds...tous ces avis, ces impayés, ces avertissements, ces rendez-vous urgents avec des conseillers...toutes ces heures sacrifiées pour des paires de centimes...et tout ce même temps qu'on voulut rattraper en passant à l'orange...toutes ces tôles froissées pour la joie d'une seconde...et tous ces hôpitaux, débordés...tous ces lits dans les chambres et puis dans les couloirs et puis même parfois, tous ces lits au plafond, "c'est de l'espace gagné", et les malades du dessus bavent et reniflent en plein sur les babines des malades du bas, qui reniflent à leur tour, quant aux gus des couloirs, on ne s'en occupe pas, ils sont là qu'en pâtés, qu'en terrines aux goûts lentement s'affermissant jusqu'au passage du prêtre venu les récolter...tous ces prêtres sanglants, tous ces imams idem, tous ces rabbins déliquescents...et toutes ces foules, mon Dieu, toutes ces foules !

Et toutes ces missions...

Tout cela plus mille choses, des senteurs lavandières à l'aspect caoutchouc d'une goutte de sperme, des livres aux machicots, des araignées aux animaux observés splendidement dans des zoos sans se douter vraiment que ce sont les derniers, et qu'on est pas loin d'eux en termes d'extinction.
Tous ces bouquins sans aucune peau.
Tous ces seins léchés mal et toutes ces bites sucées comme de petits bâtonnets testant l'état grippal.
Tous ces froids sexes et ces mariages et tous ces gosses qui en rayonnent, en dégoulinent comme du miel avant qu'éduqués par des caves, tout ce nectar les abandonne.
Toutes ces caves et tous ces mômes.
Tous ces cachots à portes closes et tous ceux open-bar où ça boit comme ça peut, du jus de goyave équivoque, mais peut-être est-ce du feu ?
Tous ces bûchers qu'occidentaux perpétuent à nourrir en envoyant de la bouffe, petit sac de riz * par petit sac de riz, alors qu'ils meurent eux d'eau via la dysenterie...

Toutes ces bouteilles d'eau hors de prix sur toutes ces aires d'autoroute où se croisent prépubères et pères de famille, chacun ensuite se sciant à la Red Bull ou à une plus daronne caféine, avant d'aller s'écarquiller plus profond dans la nuit jusqu'à ne pas freiner et faire de leurs pares-brises de sacrées guillotines.
Tous ces accidents meurtriers, toutes ces comptines.
Tout ce concret qui ravine, rapplique exprès quand on vieillit, si jamais on vieillit et qu'on a conservé de quoi un peu penser.

Toutes ces rides mon bébé que je vais te léguer...quand tu voudras plus me voir à part pour déjeuner...quand je serai chenu et genoux excavés...que tu me diras qu'elle est belle ta prochaine, qu'elle porte chemisier et que tu portes sa chaîne...quand tu seras un adulte avéré, avec en tes vertèbres des angoisses familières dont tu n'arriveras pas, par bêtise, à me parler...quand tu la confieras, ta confiture, à d'autres maraîchers et complices de biture, plutôt qu'à ce papa désireux de t'aimer...

Je le sais bien, j'ai fait pareil.
(Avec le mien, j'ai fait pareil.)

Tous ces désirs en sel, en flocons de poussières impossibles à choper, tout cet évanouissement qui nous maintient debout avec au fond des yeux d'attentifs filets...si jamais rien qu'un bout, étrangement en fuitait pour nous tomber dessus...il faudrait être là pour pouvoir l'attraper et surtout plus le lâcher...ce polymère cossu...cette luciole annoncée depuis que nous sommes nés...il ne faut pas du tout et d'aucune façon qu'on la perde de vue...quitte à se déliter, il ne faut pas cesser sa pêche et sa battue, c'est un non-négociable ! Et ce même si déjà nous ne la voyons plus.

Ni ne l'écoutons, ni ne la touchons, ni ne la sentons, ni ne la percevons, ni ne la ressentons.
Quant à l'éprouver ? Soyons sérieux, nous sommes chiffons
Et entre Elle et nous le torchon a brûlé.

*

Parlais-je de la Nature ?
De la Vie ?
De l'Idée ?
Tous ces effets de manche ne me font pas marrer.
Je parle d'autre chose : du désir d'enfanter !

Pas forcément un mioche ou une mocheté mais d'enfanter tout de même de façon à ce qu'on veille, d'un oeil aimable éventuellement, sur mon berceau à moi aussi, et ce même si je pleure, et ce même si j'oscille, incontestablement.
Je désire qu'on me regarde comme une de ces fleurs rares qu'on entretient sous cloche.
Je désire qu'on me rêve dedans son lit très tard, qu'on pense à moi de la façon d'un fétiche ou d'un daté Ruinart et qu'on se cotise plusieurs nuits pour m'avoir.

J'ai ce désir indigne d'accaparer l'esprit.

Le désir et l'espoir qu'on s'aligne, accroupis, sous la neige de mon regard, soumis à mon pouvoir d'auteur récompensé et soucieux de lui plaire, de le baiser cet oeil et ce jusqu'à plus soif...
J'ai l'envie qu'on m'acquiesce et de casser la banquise dès lors que l'on me lasse.
J'ai cette faim de maîtrise, cette fringale mégalomane qui me tracasse le bide depuis que je suis tout petit.
Parce que je suis tout petit.
Et que mon berceau oscille
Comme un cercueil de glace.

*

Ce que là je veux dire ? C'est qu'avorton j'aspire à enfanter le Monde, non mieux, les Galaxies !
Et à faire de Saturne un hochet pour mon ongle ! Mon caprice perso version Montessori !

Capiche ? Compris ou pas compris ?

...tel épris qui croyait comprendre...
...finit par se définir...
...dans le reflet...
...d'une goutte d'ombre...

De quoi la faire partir, celle qu'il pensait suspendre, comme un trophée
Coupé du monde.

*

Le gros donc du désir est d'aimer en quinconce
Et de toute faire pour qu'ensuite chaque point se relie
Même si ça prend du temps et que le fil parfois picote comme la ronce
Ce n'est qu'ainsi qu'on coud vies et constellations :
Ensemble et en s'aidant, par de vieux discours d'unisson
Sur la juste beauté de ce rouge horizon
Flambant à nos épaules
Telle une main maternelle
Une maison

Faite de sel.


Plan de l'atelier de M. Fernand Khnopff

* = balles

samedi 22 décembre 2018

Comme d'habitude

Le jour coupait en cubes, petits et tendres, le reste amer de la nuit. Il coupait clairement les allées suffocantes et les venues, expectorantes, des groupements nocturnes à peine réalisant qu'ils ne dormiraient pas, cette fois encore. Dormir ! Installer sous son crâne ou sa tempe un pull, une brique, un oreiller, puis forcer les paupières, fermement closes, à révéler enfin ces messages cachés inscrits à leur revers...Ces petites lignes de code...Rouges, bleues, vertes dont on écrit supposément les livres.

*

Dormir ! Entrer, blépharons obturés, portes ouvertes, en ces endroits polysémiques où tout crisse autrement. D'abord, physique, en bastions de ronflements - comme de ces soupiraux où s'engouffre le vent et qui font croire aux kids que les fantômes existent - mais surtout à la tête, au litchi rachidien, à la petite pomme que cadrent nos épaules, c'est là qu'il se passe des choses...

Des tangos d'âme ! Des passions certes stases cependant sachant moudre le mil et les blonds poils, afin d'en faire une poudre joliment idéale. Et qui monte au cerveau, via des coulisses, via des grues, via des poulies...des numéros d'étoiles pas reniés aux Folies ! Ce que je veux dire nu, moi, c'est qu'en dormant, on ne dort pas. On palpite, on crépite, on croissante en fin de compte notre pain quotidien ! Ah tous ces crimes commis sans que prison nous grêle, ah tous ces corsets noirs craquant rien qu'au regard, ah toutes ces villes visitées et toutes ces morts blêmes qu'on sut survivre seulement en se pinçant, ou en criant pensant qu'il était vrai trop tard. Mais on s'est réveillé. On se réveille souvent. Un nombre incalculable. Si bien qu'on en oublierait presque, qu'ainsi dormant, on la met toute entière notre peau sur la table.

Parce que le petit jour rehaussant la conscience n'est pas garanti lui non plus. Il est chanceux, chéri, amour. Il est à vénérer très vénérablement, ce déclic sain de l'exsudant ! Ce pollué cœur au charbon revenant ! Malgré les cadences infligées et cette menace qui pèse, à chaque nouvelle rencontre, qu'il fut encore brisé...déjà que c'était dur la morne adolescence ! Enfin il s'exécute ce cœur et peu à peu, on se réchauffe et peu à peu sortent nos yeux...du monde vers le monde.

On fait à notre niveau un petit travail solaire, découpant en petits cubes l'amertume des rêves ou rejetant du front ces perles cauchemardesques qu'on sans doute racontera à l'amante, ou bien au compagnon.

"J'ai fait un de ces nightmares ! Un Alptraum de premier ordre ! J'étais là et en fait, à la place de ma peau...la peau que je peux toucher, palper, masser et mordre...j'avais nul que des os...des os partout à tous les membres...je me touchais, c'était osseux, je me regardais, c'était osseux, je me pensais, c'était osseux...tout s'était ossifié...alors je me tournais vers toi mais tu n'étais pas là et quelque chose me disait que tu n'avais pas été...un os brûlé en somme pour l'idée...et bref, je demandais de l'aide mais on me répondait pas, on osait les sourcils ou bien l'indifférence...moi, tout os, de ma mâchoire blanche et visible, je faisais de mon mieux pour pas rester bouche bée devant tant de lésine...oh, c'était difficile...j'en avais du liquide qui sauçait mes jointures mais je devais rester droit, pas trop courber l'échine...sinon on m'occirait, j'en étais quasi sûr...y avait qu'à voir comment ils me traitaient...battant mes abattis à la matraque si pas j'obéissais à dormir dans des centres, avec d'autres osseux dans mon genre, aisés à la rapine, zozotant aux opiums et tous bien qu'oscillants, bien mieux taillés que moi, et donc soit je perdais mes dents à cause du bâton de l'Etat, soit à cause des frérots n'ayant pas d'autre choix que de me savonner l'ombre, pour récupérer peut-être, juste après la baston, sur mon corps calcifié plus inapte à saigner - ça coulait juste, sans aucune douleur, en liserés rouges le long des jambes, comme des bas résilles - un bout de fémur à revendre...pour s'acheter du savon à l'absolue lavande ! Même si en vérité certainement des drogues. Parce qu'il faut bien tenir quand on ne tient plus debout et qu'on ne peut plus dormir à force d'être couchés. Parce qu'il faut bien le faire venir par la force le petit jour rehausseur de conscience quand on s'en sort plus des nuits. Quand elles s'allongent et qu'elles se rafraîchissent au point de glaçonner et de poser en partant, des damiers de miroirs partout sur les chaussées...quand elles bleuissent les orteils et les pouces, les nuits, quand elles nous envahissent...derrière même les vestons et les couettes, quand elles nous gâtent d'idées terribles...quand elles nous font mourir, à petits feux très froids et sans qu'on puisse rien dire.

Parce qu'on a pas la langue quand on est un squelette, pardon, un sans-abri.

Enfin, ce n'était qu'un rêve, heureusement je t'ai et je t'ai dans mon lit."

Ah mais attends, pourquoi tu pars comme ça ?

Attends, attends...

*

J'ouvre les deux volets et le jour m'assoie
- tandis que batifolent perceuses et marteaux -
sur un sopha de solitude.

Tout restait en travaux.

Comme d'habitude.


Hilma af Klint - Colombe N°12



jeudi 27 septembre 2018

Le passage

Nous fîmes l'amour régulièrement, et l'ensemble accoucha d'une grande mélancolie.

Elle et moi c'était cristallin aux prémices, ce fut si jaune après. On s'était promis de pas s'intéresser mais quand le soleil s'emmêle dans les doigts, quand il glutine et colle violemment aux cheveux, aux fesses voire au sas parfois, ça force le mystère donc l'élucidation. On dût par conséquent se résoudre à s'aimer, non plus qu'à la perpendiculaire mais aussi parallèles, c'est-à-dire avec des absences, des manques, des trucs magistralement cruels. Quand elle n'était pas là, c'était pareil pour moi tellement je cogitais. Et quand elle était là mon sexe se mettait désormais à penser...à la prochaine fois...à quelle intensité après coup restera, à tout ce qu'elle ferait.

A un moment, j'ai souhaité qu'on se pose parce que j'en avais marre de me les poser, justement et brutalement, toutes ces questions-là. Elle en parut ravie et puis, une touche de suie frappa la rose. Elle m'avoua qu'au passé, aux agiles années, elle s'était essayée à l'idée populaire de vivre et nidifier. Qu'au début ce fut beau, des tremplins aux chevilles et des aubes au front...qu'à la moitié ça se gâta, elle ne savait pas pourquoi mais compara son coeur à la bonite séchée : au chaud vibrant, invinciblement, dansant comme un jouet, avant de révéler sa nature de peau morte, de chair arrachée de force, au moindre vent glacé...et que la fin dura deux ans sans qu'elle sache comment faire pour l'acter : ça prend du temps d'abandonner. Alors depuis ses relations rythmaient une escarcelle et non plus la margelle d'une de ces fontaines amenées à sécher.

Je ne lui en voulais pas d'agir précisément et pour sa liberté, je m'en voulais seulement de la savoir dans le vrai. Les amours sont éternelles mais selon une durée, et le nôtre touchait, qu'importe les sommets que nos corps gravissaient, à son val le plus frais, nos esprits l'attestaient. Restèrent quelques nuits chaudes bordées de larmes suaves, quelques accents d'été, quelques notes de lave, en attendant que l'hiver, naturel, nous sépare. Ensuite nous serions des souvenirs, tendres, l'un pour l'autre, des envies de s'appeler, de remonter la côte, et d'éteints combinés. Nous serions injoignables, chacun au bout d'un monde où l'espoir subsistait mais sans qu'il nous rattrape, sans qu'il puisse nous trouver.

Je pense encore souvent aujourd'hui à cette femme, arrivée dans ma vie comme un éclair calme, et repartie pareil, en tonnerre tranquille. Je me dis que si plus jeunes alors, ou si vieillis plus tard, nous aurions pu nous sublimer, remporter la bagarre qu'est ce délire d'errer, face à face, devant une même portée composée pour la grâce, de tout jouer sur les quais, d'enfoncer les barrières, de soudoyer les contrôleurs pour un dernier baiser avant qu'elles se referment, de se faire le cadeau de promesses exemplaires : "on se reverra bientôt", "tu seras mon totem et je serai ton serf, nous défierons le ciel et les seigneurs locaux, nous serons beaux et clairs y compris dans la peste !".
Nous serons ces départs qui disent en secret que malgré la distance, c'est ensemble qu'on reste. Nous serons le couple, la paire, le carré d'as.

Et puis je vois la neige et dans mon lit la place.
Non le vide cependant car le soleil je sais me prépare un tourment.
J'espère aussi qu'il t'en prépare.

Nous serons donc autrement, et merci du passage.


Alfred Kubin - La Mage et le serpent d'eau






lundi 27 août 2018

Soixante-dix-huit mille mouches

"Heureux sont les incinérés !"

Auteur inconnu


"Cadavre est création, maman, c'est que je me tue à te dire depuis dix ans déjà.
Déjà dix ans...qu'avions-nous alors comme unique compagnie ? Mygales, poussières et serpents !
Je m'en souviens de ceux-ci comme des cages thoraciques dans lesquelles nous creusions à la recherche d'un porte-feuilles, d'un peu de monnaie du moins..."

Cadavre est création, poupée dure, je te l'hameçonne en boucle sur le pulpeux des gencives car tu fais celle qu'ignore ! Or tu n'ignores pas que quand on se décompose, on compose également et avec merveilleux ! Des noirs, des jaunes, des bleus, on se pisse et plisse des ouvertures le temps que des velues colonies se radinent, bien soigneuses et en rang. Avec des dents pour tout corps, les insectes ensuite s'infiltrent, soulèvent les pierres des chairs mortes, vont à la chasse au rubescent ! Ils s'enivrent aux dégoulinances qu'on cachait sous nos yeux, nos abdos et nos côtes. Ils buffetent aux adrénalines sauveuses de monde qu'on gardait pour plus tard, aux désirs de romances florentines qu'on eut pas tout à fait l'occasion d'exaucer parce que trop occupés par le jeu des factures et du toit sur la tête. On en avait pourtant des stocks et des stocks de ces nuits épaisses d'étoiles qu'on demandait qu'à projeter en douce en labourant la main d'une amante cruciale ! Toutes inutilisées.

Ce qui fut en revanche franchement consommé, dans le temps imparti par les songes soutenant l'existence, ce furent les tristes après-midis sans victoire ni feu. De ce carburant maigre, nous fîmes des collections de voyages statiques et miséreux ! De pleines et grandes armoires à trophées de ces chambres sinistres où pas une rose vint nous solliciter...On les connaît si bien ces pièces à l'abandon...dont chaque mur pousse le reflet d'un intouchable rêve ou le visage net d'un de ces cauchemars d'enfance greffé à notre épaule. On a pas réussi tous. Et on a fini par en mourir très invariablement. De là nos coffres ont pustulé, répandant des trésors viscéraux qu'un bouquet conjugal de fourmis et bousiers dérobera à pleine bouche.

Se fait-on à la terre ? A l'idée d'être en elle, de lui fournir des minéraux ainsi que l'hébergement pour un trillion d'apaisées coccinelles ? Se fait-on, maman, à cette idée de créer seulement dans la Mort un peu de vivant ici ? Par des cocons, des léthargies, des érections d'amphores microscopiques sur le revers du torse jusqu'à ce qu'elles s'ébrèchent, qu'en naissent des chauves-souris ? Se fait-on à l'idée de nature permanente ? Que le crédit toujours n'est qu'un pas vers la pente, et qu'il n'y a rien à dire, rien à ressusciter, puisqu'on est déjà, foutu, en quelque sorte, au moment d'exister ?

Quand les néons se braquent sur nos paupières légères, fines flanelles beiges abritant un caillou soit noiraud soit marin, et que le docteur s'applique à faire sortir le premier cri...A cet instant précis où tout se détermine dans le tournoiement sourd des couleurs au plafond : lumières, humains, fragilités d'action, dans cette mêlée rosace d'instincts en partition pour une rive plus tankée - celle de l'éducation - on doit pouvoir deviner, même tout bébé, qu'une longue tache relie tous ces morceaux ensemble. C'est le pâté de la mort, notre débâcle innée et qu'importe qu'à côté les robinets soient d'or. On va se défigurer, s'affaler membre après membre sur l'amère vérité...l'Unique au monde :

Qui vit succombe !

Et qui succombera sera sous peu repas d'araignées en tout genre. Il n'y aura pas de rallonge, pas de surprise postérieure, nous vivrons d'ici à ce qu'on meure. Cela peut paraître bête à dire, bête à écrire, bête à penser mais nous serons bientôt les rôtis fantasmés de ces bêtes invisibles que nous écrasions las quelques heures plus tôt. Nous sommes leurs garde-mangers à ces saints animaux...qui eux ne font pas dans le détail ou dans le calcul des sommes. Ils dégustent et bourdonnent. Ils thésaurisent pas tellement sur l'éclat potentiel d'une amitié nouvelle ou sur comme c'est risqué d'avouer ses sentiments. Ça non, ils ne font pas de longues lettres, les insectes, ils écrivent en étant...et ils sont davantage de par ce principe simple, que tant d'hommes dits grands.

Alors...Allons...prenons avec nous nos bagages restants : une valise vide prête à tout accueillir et une valise pleine de tout ce qu'on peut offrir, et filons par les routes, en colonies amènes, nous aveugler au mieux de ce qui nous attend. Baisons sur le soleil à s'en roustir les os, forniquons in la lune dans ses caves de cristaux, faisons des langues aux vents du soir et des grimaces mièvres à l'enfant qui nous regarde. Tâchons de mourir avec le moins de rubis pourrissant en notre âme,
Avec pas un saphir resté sur le squelette et rien que quelques gemmes, qu'on se réserve à dire, à quelque future femme...

Façon poète oui...déclarons notre flamme, au point qu'elle s'éteigne, en laissant derrière elle qu'une tache de cendre *...

Il n'est d'ailleurs pas d'autre façon de mourir aisément
Qu'en disparaissant pauvre
De tout notre présent.

Adolf Wölfli - Anneaux océaniques et Île-fontaine gigantesque


* l'Auteur aurait très bien pu, ici, au C. substituer un T. de la même importance.

mardi 7 août 2018

Łódź 03.46.

La ville n'en avait pas fini de vomir ses cadavres.
La nuit d'avant, près de vingt-cinq mille personnes avaient été sorties de chez elles, placées sur des trottoirs, ramassées, puis jetées comme du sable dans d'immenses fosses communes.
Au matin, l'odeur pestilentielle, les températures toujours folles, ralentirent le travail de ces éboueurs nouveaux qui parvinrent "seulement" à en extraire huit mille.
L'après-midi fut plus productive, profitant d'un orage, quelques dix-sept mille dépouilles purent être enfin conduites dans l'une des quelques quatre cents fosses qui encerclaient la ville.
La nuit, puisque plus fraîche encore que l'après-midi, fut de nouveau la meilleure période pour opérer : pas moins de vingt-deux mille morts furent cette fois dégagés.

La matinée qui suivit, durant laquelle il pleuvinait, une allocution officielle parut sur tous les écrans encore en marche : des félicitations. Il fallait continuer.

Ce n'est pourtant qu'au bout de deux mois et demi de ce travail méticuleux et fou qu'enfin la ville fut débarrassée de tous ses macchabées.

L'accalmie fut cependant de courte durée.

Une nouvelle épidémie éclata tandis qu'annonciateur de drames encore plus grands, le printemps débutait.


Rick Fravor - Digital Landscape (2suns)

jeudi 12 juillet 2018

Priant pour que futur se souvienne des os

Cela faisait dix jours qu'on avait plus vu d'aube, ma mère et moi.
Rien que des nuits.
Partout, étalées, longilignes, elles tapissaient d'angoisses nos palais et nos yeux.
On y voyait que des ombres et savourait que du vieux...
Conserves dépassées, poires sures, salpicons biscuités
Mi-ténèbres, mi-sciure.

C'était ça de moins pour l'ennemi...
Encore fallait-il pas mourir
Mais pas mourir alors relevait du magique...
On en avait vu tant, des harnachés et des splendides
S'assoupir puis se réveiller vides...

Tant de familles, de proches, de voisins et de commerçants qu'encore hier on ne pouvait pas sentir
Finalement s'endormir, sans parfum, tout en nous laissant tristes...
Tant de cages thoraciques creusées à même chemise
Ou à même la peau quand il s'agit des filles
Comme ces seigneuries rousses ne pouvaient pas partir
Sans qu'on les déshabille
Et les fourre d'épines...
Couronnées de salives, griffées à l'intérieur
Elles éclataient ensuite à la façon du verre
Ou d'un pétale de fleur...

Et des rousses comme ça nous en vîmes des milliers
Brûlées vives
Malgré le froid polaire et l'absence d'allumettes, de réchaud, d'éclair et de silex.

C'est peut-être juste que c'était pas notre ère
Pas notre alunissage
Ou qu'on payait pour nos bagages...

J'en sais zéro pourcent
De ce qui poussa ces rangs barbares à nous mettre à l'amende aussi sauvagement.
Certains disaient que c'était une vengeance
J'y croyais pas tellement
Car je connaissais du monde manquant de s'évanouir
A la seule vue du sang...

Il devait y avoir autre raison
A cette folie extravagante...

Une sous-jacence de saucisson
Ou de billets de banque...
Un truc, une illusion,
Un maléfice pour qu'évidente devienne l'idée de nous chasser
Encore pire que les puces et ce d'après une...décision.

L'histoire, moi, comme je l'ai dit
Je ne la connaissais pas, excepté quelques bribes qui roulaient des tontons
Des soi-disances selon quoi par le décret d'un homme
Ayant su avaler l'intégrité d'un peuple
On aurait mérité pareille libération
De "l'hormone du meurtre"...

Pour ma part je maintiens que ça ne tenait pas debout
Bien que l'ogre existât
Et qu'il nous mangeait nous
Qui ne mangions pas...

Ou alors des petits bouts...

Soit d'organdi, soit de taffetas
Que poivraient de maux de ventre
D'impurs extraits de poux...
Et encore,
J'exagère le repas,

Pour de vrai, on mangeait nos tibias.

Cela faisait onze jours qu'on avait pas vu d'aube, ma mère et...
Ma mère...

*

Cela faisait douze jours que je n'avais pas vu d'aube.
Rien que des nuits.
Totales, elles tapissaient de deuils impossibles mes iris et ma bouche...
Que n'aurais-je pas fait alors pour m'en débarrasser,
De toute cette poussière et de toute cette cendre,
Pour reprendre seulement une douche, quelque fut son offrande.

Au treizième jour la lumière fut
Et je fis la même chose
Priant pour que futur
Se souvienne des os.


Giovanni Battista Piranesi - Restes de l'aqueduc de Néron


lundi 21 mai 2018

Glorieux, comme notre dame...

A A.H.

A l'idée qu'elle découche, je ne m'étais pas fait. J'avais encore sa nuque parmi mes oreillers, son accent espagnol de ruelle et vin frais. L'hémorragie de nos méfaits trempait encore mes draps et j'avais de sa bouche au sommet de mes doigts. C'était donc normal pour moi d'y pas penser qu'elle s'éloignerait, en une nuit et comme ça, qu'elle les transformerait, ces berges pédagogues d'un noir maîtrisé en étangs démontés aux algues équivoques. Etait-ce dentelle ou chaîne molle impossible à enlever ? Pendentif dont l'alcôve était mon coeur outré de comprendre, en fin de somme, que ce bijou toujours demeurerait fermé. Beau rubis incomplet maintenu hors de l'eau parce qu'au fond le cerveau ne peut pas se noyer, car il est habitué aux abîmes sanguines, ce fruit de Lamartine que folie seule détruit. Or je n'étais pas fou, pas totalement du moins, ayant pour moi une main agrippée sur la rive, au loin certes mais bien sur le qui-vive. Et celle-ci faisait rimes malgré la tragédie, et le sentiment d'ennui qui trime quand on survit. Elle triturait le sable, mouillé et gris, des débuts révolus envolés sans un bruit...tous ces grains cosmiques des rêves entrepris qui silencieusement échouèrent à l'onde, quand sa longueur périt. Je ne voyais pas quoi dire sinon que sans génie, de ma main orpheline tractant des poésies, j'aurais tôt fait d'en faire un collier pour ma gorge jusqu'à ce que celle-ci plie. Je me serais asphyxié vers le définitif, éclatant et ma pomme d'Adam et ces poires futures savoureuses à mes dents. J'aurais dit oui à tout ce qui, ici, dit non, écrit un testament à l'encre de ton nom et contraint mes parents à pleurer leur enfant. J'aurais semé pour qu'ensuite mes épis répandent de la cendre par-dessus l'infini de campagnes constamment amarrées en décembre. En gros j'aurais tari si je n'avais pas gardé sous ma paume une poitrine, un blanc sein d'aujourd'hui par la cime signée. La montagne et vallées à jamais légitimes parce que magiques à souhait. Mille mercis que c'étaient mes versants, mes versets, mes vertes avancées au sein des roches rigides, de la feuille vierge et des enzymes : poisons, onguents, arsenics et rapides. J'évoluais dans ces sens pour que d'un coup sublime, le lac de ton absence, par ironie divine, se creuse et se désertifie. Et que ma main retrouve son poignet habituel, ses vieux déclics et ses rituels, comme d'élever en estuaires mes veines devant un cou joli, que j'embrasserai sans m'en priver, de tout mon corps en pendentif pour l'or ravivé. Quand ce sera fait, cette accalmie, et que tout mon cauchemar à son tour découchera, j'observerai mes draps avec mélancolie en me disant que l'amour, comme nous tous, avait plusieurs visages et que le tien d'entre-eux était bien le plus sage, puisqu'il m'a laissé vivre pour que brille davantage ce que nous éteignîmes quand tu pris ton bagage.

C'est ce bagage précis, cette valise spéciale, qui rendra mon voyage nettement plus facile...lorsque arrivé, perdu éperdument, j'aurais ta nuque et ton souvenir en guise d'oreiller où coucher mes errements, plus un million de plumes cachées par tes soins histoire de contrer des étoiles leurs pointes. Et je dormirai bien sur ce page stellaire, et je dormirai bien car j'aurai là compris que toute perte est un gain, quand on perd honnêtement et qu'on aime vraiment, son prochain comme soi-même c'est-à-dire quand on sait que tout se réinvente, y compris le chagrin et les années démentes où rien ne rime à rien.

Comme tout rime à tout aux arcanes amoureuses,
Car tendres sont les cartes quand elles ont encore lieu
D'être tirées des flammes où l'on se pense heureux
Puis séchées par une femme à l'eau de ses deux yeux,

Revenue, revenante, cette femme c'est une image
Pour tout ce qui sait mieux, pour tout ce qui sait nage
Et compose cheveux empennant paysage
D'un système nerveux démesurément calme.

Ce que je veux dire, mon âme, c'est que je t'ai trouvé à force d'échouer
Sur tes noueux rivages
Et d'arpenter ta terre de mes phalanges sales,
En vers et pour tous ceux qui sauvèrent du drame,
Ce poème ambitieux qu'on appelle mémoire
Et ce recueil en cours, glorieux comme Notre-Dame.


Aubrey Beardsley - Diable en habit de femme

mercredi 16 mai 2018

Vue de Delft / The Beast is yet to come

NOTE D'AVANT-LECTURE : CE QUI SUIT EST L'EXTRAIT D'UN LIVRE TOUT PROCHAIN. MERCI DE BIEN LE PRENDRE EN COMPTE, MEME SI CETTE NATURE PARCELLAIRE NE SAURAIT JUSTIFIER - en aucun cas - TOUTES SES INCOHERENCES.


"Voici Poot,
Il est mort."

Épitaphe du poète et écrivain Hubert Kornelisz Poot


*


Christopher n'en revenait pas. D'une soirée ordinaire faite de chips et d'organes les pourléchant de sucs, il se retrouvait le ventre vide dans les rues d'un souvenir. Son programme différait et il détestait cela, surtout les veilles de voyage. Mais c'est qu'à vingt-deux heures, surpris par une fringale que l'été aurait dû par sa chaleur lester, il s'était mis en quête d'une épicerie classique. Sauf qu'étrangement l'office où il avait ses habitudes affichait cette nuit-là porte close. Son proprio, un oriental peu regardant et prompt à faire crédit selon les douces coutumes de la vie de quartier, était tombé malade. Alors il avait emprunté des coursives, offert sa nuque aux lampadaires de venelles moins connues, croisé des âmes grises couchées comme des cadavres sous des plafonds de toiles et cartons ainsi que flirté avec des terrasses sombres où chantait perdition. Il s'était immergé dans un territoire de côtes pavées quelques centaines d'années plus tôt par des travailleurs desquels les bleus gonfalons métalliques cointant chaque intersection avaient oublié le nom, leur préférant des particules. En tel dédale, il avait découvert des artères embrumées, spectatrices d'aucun monument ni jardin et, à tout pas fait, s'était senti intimement comprimé par celles-ci. La ville l'avalait et toujours pas trace, à la pointe du chas rapetissant l'horizon, de la moindre ombre du drugstore espéré. Il allait rebrousser chemin, rentrer chez lui migraineux de famine et de télévision quand un morceau de devanture attira son regard. Il marcha encore bien dix minutes avant d'en pouvoir faire la vérification et de voir heureusement que l'échoppe était vive. Dedans gesticulaient de comateuses anglaises luttant comme elles pouvaient contre les vomissements, ainsi qu'un garçon du genre ange, sûrement fils du patron.

Soulagé, Christopher s'appliqua à choisir les mets les plus gras parmi la large gamme des chères apéritives. Deux sachets de chips au vinaigre et le double de chocolats noirs tenaient fébrilement dans ses bras grâce à l'appui de son ventre lorsqu'il balança, aussi poliment que possible, l'ensemble sur le comptoir afin de régler comme il se doit. Le patron toussait, les patrons toussent toujours. Tandis qu'il facturait en toussant chaque article à un prix démoniaque, Christopher n'eut même pas le temps de s'en révolter, de par lui, pusqu'il se rendit compte qu'un élément manquait : son porte-feuille était parti. Envolé, positivement désintégré. L'ayant sans conteste senti contre sa cuisse quelques minutes plus tôt lorsque, intérieurement là encore, il s'était demandé s'il n'allait pas dégainer une pièce pour réjouir un mendiant...il écarta de suite l'hypothèse de l'oubli. Le réflexe de Christopher fut donc dans la foulée d'observer tout autour de lui histoire de savoir si tel ou tel client n'était pas responsable du larcin essuyé. Il ne restait que les anglaises et, d'après l'abrutissement qui leur courait aux veines, il était impossible de les penser malsaines. Quid alors du garçon ?

Immédiatement, Christopher avisa le patron, toussant encore et peu intéressé - c'était visible - par autre chose que sa salivation, de la perte attestée. Puis il lui demanda si en effet, il connaissait, en parent ou voisin, le garçonnet qui se tenait ici cinq minutes y avait pas. Le patron toussa et fit une mine désolée qui cette fois, allait au-delà des développements de son râle angineux. Christopher, saisi d'une angoisse inédite et tout à fait différente, puisque réelle, demanda au patron de bien vouloir garder ses achats en suspens avant de se ruer vers la sortie et de tenter une traque.
Le vol subit en douce a ceci d'étonnant qu'une fois qu'on l'appréhende, on sous-estime les dangers encourus dans son désir rétributif, là où, dès que le voleur agit en force, le lésé très souvent se recroqueville et prie. L'acte est pourtant le même ; un objet est volé, mais sa façon - pacifique ou violente - tord d'un coup la Justice. Or, Christopher s'hâtait peut-être vers un coupe-gorge mais il s'estimait cent fois plus légitime et plus fort que si l'assaillant l'avait assommé juste avant. Dans ce cas-là, il serait allé gentiment se répandre en pleurniches dans le commissariat le plus proche. Tandis qu'ici, qui plus est car il se pensait la cible d'un comme trois pommes enfant, il arpenta le torse haut ces rues d'auparavant. Mais, ne les maîtrisant pas et ne sachant pas où chercher, il dût se fier à la chance et à son petit bonheur. Après tout, il n'avait pas de flair ni d'instinct, n'était pas enquêteur et on ne peut même pas dire qu'au temps jadis il fut gosse excellent lors des chasses au trésor. Alors il décanta au pif, suivant cette façade ou celle-là selon son bon vouloir, sa teinte profonde ou ses fenêtres, débouchant dans cette rue plutôt qu'une autre parce que son nom paraissait receler de graphiques indices, sautant jusqu'à tel trottoir parce qu'une odeur un poil plus familière s'en éventait vaguement.

Cette chasse aléatoire le mena tout naturellement vers une avenue qu'il n'envisageait pas. Un décor gargantuesque, studio de cinéma mais figé dans la pierre qu'on imaginait mal avoir Paris pour mère. Normal, c'était Delft...la Tranquille, la Potière, la chère amie des céramistes, le Valhalla des vaisselières ! Delft, en carreaux et en eaux, reconstruite à l'intacte en plein arrondissement ! Christopher, d'y revenir, n'en revenait toujours pas. Petit, il avait vu cette ville dans certains livres avant de la visiter avec ses deux parents le temps d'une journée. Il en avait gardé son vide et sa beauté. Son calme suranné de cité bleue et blanche dans laquelle pas un tank n'osa s'aventurer, par respect des faïences. Il s'était depuis dit qu'il y retournerait quand il serait adulte afin de l'admirer en connaissance de cause. Il n'y était pas revenu. Ce surgissement fondamental d'un bloc du passé n'ayant cependant pas rendu son portefeuille, Christopher mit l'émotion de côté et continua ses recherches dans la Delft nouvelle. Et ce d'autant plus facilement qu'à présent il savait où chercher.

Il y courut à toutes jambes. Ces dernières, affamées et du reste très loin d'avoir sur leur C-V pareille course nocturne, firent pleuvoir, en guise de nerfs et de musculature, quelques sauterelles lactiques obligeant Christopher à ralentir ses gestes. Il se devait, quoi qu'il en soit, de marcher, on ne cavale pas dans les annales ni ne déboule près des tombeaux ! On fait ça bien, avec le pas comme un pinceau, d'une vermeerienne façon, pour pas rien réveiller et que les porcelaines conservent leurs poissons. Les coalacanthes peintes méritent force silence !

Et c'est ainsi, silencieusement, que Christopher, après avoir vu sur le canal des grappes de lampions le peindre de leur sang, arriva devant la Vieille Eglise de Saint-Barthelemy. Qu'elle était belle avec sa tiare relevée de cinq aiguilles, son horloge jaune et noire que supportaient deux lions et son côté penché donnant l'impression qu'elle désirait sauter, se détacher, et prendre un bain de maisons ! Elle avait l'air d'un immanquable propice à l'effusion. Christopher y rentra.

Sa nef ivoire colorée par le bois rappelant son origine fit à la dérobée un effet de trouvaille. Si le diable est grossier, Dieu s'y sait en détails ! Et son ouaille passagère d'ambuler automate près des Christs accrochés et des vierges sanglantes jusqu'à se retrouver face au confessionnal. Là, il capta comme un rire, un mouvement de cristal, très blond, très végétal. Il ouvrit l'isoloir.

Sur le siège principal, celui du confessé, se trouvait une fine bande de papier sur laquelle se lisait : "C'est à moi !"
Sur le second fauteuil, celui du confesseur, se trouvait le perdu portefeuille.
Entre les deux, sur le grillage, gouttait lentement un liquide noir...comme du sang séché mais qui serait encore, on ne sait comment, chimiquement vivace.


*


Christopher quitta Delft, son église et même l'épicerie sans encombres spéciales.
Il avait oublié les chips mais ce n'était pas très grave puisqu'au moins son réveil était mis, pour dix heures, soit deux avant le départ. Quant à son portefeuille, il était sur la table.


Giovanni Battista Piranesi - Partie d'un port magnifique et spacieux nous amenant en Rome antique

jeudi 12 avril 2018

Jusqu'à ce que sèche l'espoir

A force de chercher, j'avais perdu le goût décorant des joies simples, l'apéritive montée d'adrénaline d'avant une rencontre, le remuement des os au miroir, avec au dedans ma laideur ou finalement la joliesse de mon regard.

Les notes de bas de page que sont ces cicatrices serpentant à mes chevilles, à force de chercher, s'étaient faites floues. J'avais plus rien dans les jambes et au coeur, je transportais du sang et c'est à peu près tout.

A force de chercher, phrases et amours, sous les pierres les plus sombres, j'avais fini par croire que les claires se promenaient ailleurs, dans le juteux de rivières trop lointaines pour qu'elles puissent m'apparaître, y compris dans les rêves ou via la confiture nivelée d'un jeune sexe. Jeune et sexe anyway m'étaient inaccessibles, à force de chercher, en ces sillons je ne trouvais que mes rides.

J'étais Valmont sans accès aux secrets de la bibliothèque, sans papier à lettre voire sans tête. A force de chercher cette gorge remplie de l'éventuelle conquête, je m'étais assoiffé de tout spectaculaire. Je vivais les clins d'oeil comme des glitchs au visage et les sourires en moqueries.

Fermés s'étaient faits les délicats passages de la lumière jusqu'au nez, et narines assombries, c'était ma vie entière qu'ainsi je reniflais. Je la vouais à la cave où mes organes, estomac en bataille et flûte pancréatique, la charcutait en viols répétés, despotiques. Plus une image n'avançait, plus un croquis, sans qu'avant de sortir ils ne fussent blessés. Les vers et les rimes, mes sensibles héritages, idem ne pouvaient suppurer de mon crâne sans être handicapés.

Il y avait toujours, en fond sonore, le Mal...et ses musiques aux charmes ébruités, éventés des arômes des clameurs de la salle. Une féminine, une masculine qui se tirait une balle. Un écho de suicide. Tranchée chantait mon âme, de ses cordes accordées pour qu'elles puissent servir auprès des carotides.

J'étais maudit par une ombre amoureuse au point de se mêler à toutes mes omoplates et dessus mes paupières. Et donc mes yeux voyaient en grave. Et donc des champs de blé naquirent des surfaces, méticuleuses et ternes, comme des soirs de parking. Et des montagnes vinrent de calmes éboulements, ou des neiges éternelles lendemain périmant. Et donc des mers apparurent en chausson, des sirènes étrennant une odeur de poisson.

Je n'avais plus que ça, que la boisson, le vin noirci, l'eau de frisson.
Aucune liqueur encore ramifiée d'émotion ne passait par mes pores.
Scellé était mon corps, sous scellé mes efforts.
Seule bougeait la chanson des pièces de mon or, celle qu'était silencieuse d'instruments comme de voix...
Bougeait-elle même encore ? Ma foi...

Certains racontent qu'elle agita les bras, les mains précisément, jusqu'au dernier moment...
"A force de creuser, on creuse un trou plus grand..."
Disait l'Intelligence.

Heureusement...
J'étais bête de mes sens.

Et l'heure me reviendrait de leurs rais recevoir,
Avec plein de nuances,
Evidemment de noir
Mais aussi de patience...

L'enfer ne dure qu'un temps avant que les ivoires...
Et les soyeux printemps n'arrivent dans l'histoire...

Et d'histoires on construit notre bibliothèque, notre paix intérieure et notre pharmacie,
Nos lectures ravivées du livre de la vie
Avec peut-être, même, un coeur caché au sein de ses chapitres
Un coeur qui battrait double
Masculin, féminin, en velours et en rythme,
Il ferait sien
Les abîmes et les seins,
Les rivières et collines.

Il ferait du bien
Comme de lire dans ses yeux
Tout le bien qu'on lui fait
En lui tenant la main
Non pas comme un trophée
Ou la reliure d'un chien
Mais comme une filiation
Perdurant depuis siècle
Entre la parution (N.D.A. sous-entendu du monde)
Et le fond de ses yeux...
Et le feu de son être

Puisque sans elle y aurait pas eu
Pas été également
Puisque sans elle chaque ru
Crachoterait du sang...

Et non plus des lucioles comme sous son habitude.

Puisque sans elle décidément, je cherchais solitude.

L'éclipse illimitée, du soleil et des nus.

Puisque sans elle, pis et pus conduisaient
Une barque sans âme.

J'avais jamais aimé sept femmes
Avant d'aimer cette femme
Et la huitième m'a déçu
De tous les épigrammes sur la beauté du cul
De toutes les sérénades sur la saveur d'un rire
Déformant comme une flamme
Tous nos anciens soupirs...
Nous fabriquant un masque
Inoxydable
Malgré son épaisseur
D'une faiblesse de lyre...

On jouait si bien ensemble,
Au cortège de la langue
A la procession de foie
Ivres d'eaux amaranthes
Et de nubiles choix...

Qu'allait-on engendrer
En chaleurs et en sons
Incendies en sourdine
Ou braises à l'unisson ?

Qu'allait-on faire
Dans cet effondrement ?
Vivre ? Certes
Vivre comment ?

Quelle liberté viendrait de quelle prison ?
On pouvait aimer
Avoir raison
On aurait toujours tort
Face aux lois des saisons...

Mais celles-ci cependant
Quelquefois...fréquemment
Se relâchaient comme un poumon
Captant l'air d'Orient...

On respirait alors du safran,
De l'argan, du désert pâle
De la nuit synonyme d'une bergerie d'étoiles
Toutes vivantes et rassemblées
Sous l'oeil de bienveillance
Du palais retrouvé...

Papilles immenses
J'allais la rencontrer
Ma rivière excellente

Pour à sa contrée boire
Jusqu'à ce que sèche l'espoir.


John William Waterhouse - A Mermaid



lundi 26 mars 2018

Hangwoman. Chapitre "Qui compte encore ?"

Epitaph for a pyromaniac






Flammes.
Un avion entier pris dedans.
Femmes et enfants.
Le bar aussi son jour de jalousie, chairs de passants au goût whisky.
C'étaient ses yeux qu'exécutaient, on ne savait pas comment.
De mon côté, je n'étais pas tout à fait du combat à distance.
Franchement désavantagé, je devais me rapprocher...
Tout en ne pouvant, en aucun cas, son regard croiser
Ne serait-ce qu'une fois.
Sinon j'étais rôti ! Incendie d'estomac !

(N.D.A. Il y a des bases scénarisées mais le tout est visuel)
L'affrontement des flammes et du cicatriciel...
Il suffit qu'il le touche une fois pour qu'il s'ouvre, de part en part, comme un oeuf sous une brique...
Pas tellement à cause de plaies anciennes mais parce qu'il n'est plus que ça,
Une plaie depuis que les "je t'aime" sont froids
Depuis que son rire a quitté sa poitrine quand ils faisaient la sieste
Depuis que l'été le ramène à elle mais dès qu'il l'aperçoit, il fait face à l'hiver...
Depuis que demain en somme s'est gangrené d'hier...

Et que la joie des autres le maltraite
Qu'il la pense fausse.
Forcément fausse celle-là comparée à la sienne.
Du feu pourrissant de brûlures jusqu'à la vérité, voilà ce qu'il était...
Monstre jaloux d'un monde qu'il avait déserté
En cessant d'avoir confiance en elle, ainsi qu'en lui
Infoutu de voir les faiblesses du sexe, par rapport à l'appui
Qu'il représentait...
Sorte de douve pour les larmes de sa bien-aimée
Il aidait au château de leur complicité...
Sorte de douve du foie ensuite un jour qu'elle n'était pas rentrée
"J'étais chez une amie. Plus de batterie, tu peux comprendre"
Il n'avait pas compris.
L'épilogue s'était fait dans la cendre.
Adieu l'amour et son accent coupé au paradis.
L'espagnole était morte fondue avec l'argent, le miroir losange et les corps adjacents.

N'en croyant pas ses yeux,
Il les avait testé dans la foulée de sa furie.
Un avion passait par là.
Il l'avait pris.
Rien qu'une seringue de feu...

Après quoi il s'était rendu au commissariat
Et le commissariat - fidèle - l'avait remis au Roi.

Adoubé il devint un incendiaire précautionneux
Effaçant les gencives des gêneurs dangereux.

Et finalement today depuis la mort d'Agnès une nouvelle rencontre
Un homme ridiculement autre,
Démarche mal assurée et vêtements trop grands,
Il donnait l'air d'être absent.

Les deux ainsi se ressemblaient
Fantômes déguisés en costumes vivaces
Ils étaient beaux de vide comme de découragement
L'un pile et l'autre lui fait face
Sur la pièce de monnaie d'un démodé argent
Valant moins que le bois ou qu'un lit de ballast
Couché sous aucune voie, où nul train ne passe...

Il devait le toucher pour qu'il s'ouvre.
L'autre ne rêvait que de cela.
Qu'on le touche et l'émeuve une dernière fois...
Alors il fit mine de ne pas voir
Cette ombre débonnaire dont il flairait le pas
(N.D.A. Ce qui devait arriver arriva)
Les yeux quasiment clos sauf sur l'horizon
Il sentit soudainement le doigt de son bourreau.

Il explosa.
Au-dessus de lui les nuages flambaient dans une pluie magenta
Roses d'étincelles qu'Agnès apprécierait sûrement de là où elle siégeait
"N'est-ce pas que tu les apprécieras ?" le consumant se murmurait
En toussotant queux de phénix en lieu et place du sang,
Et doucement
Comme se calme la lave à l'oeil du volcan,
Il se changeait en or
Il se changeait en mort.

Et doucement
Comme se calme la lave à l'oeil du volcan,
Le vagabond ferma à son tour les yeux...

Avant de se frotter violemment l'avant-bras !
Sa blessure en un instant revint et toute seule éclata.
Souvenir de son amour à lui, perdu parce qu'il était trop lame
Et qu'elle était trop soie.
Une fois la femme partie...La lame était restée...avait vaincu la veine
Avant que son frère ne le sauve, ne l'emmène à l'hôpital
Puis ne le couve d'attentions et repas.
Avec dedans de la vapeur belle,
De la vraie vapeur de joie...!

Alors c'était pas tant son amour sans issue
Qu'il avait fait revenir en se martyrisant que celui résolu envers son aîné.
Et ce n'était pas tant par mélancolie qu'il s'était rouvert
Que par besoin d'être déterminé, parce que s'il échouait...
A faire tomber toute la cour du Roi Pourpre
Son frère un jour ou l'autre finirait exposé
Voire écrasé par les dents de Sa bouche...

Pas moyen que ça arrive
Et donc la plaie
Et donc, éteint était l'amoureux calciné
Et donc et bien,

A suivre, s'il vous plaît...

mercredi 14 mars 2018

Le livre d'écrou : Acte premier

Aux murs seulement de se laisser abattre



Qu'elle était adorable, ma beauté transalpine, avec son sac de courses et ses talons charbon
D'une mise sublimée par sa légère folie, sa menue déraison, qu'était toute nécessaire cependant car elle seule peut passer par-delà l'écusson et par-delà les ans.
L'écusson des gendarmes, des armateurs de murs en vrac, des qui voyagent avec entraves, toujours, et qui rêvent barrièrés ou alors qui se font des petits fantasmes, d'enfants, de fric ou de viande froide.
J'ai jamais d'ailleurs trop compris pourquoi tant de personnes déconnectés du jour étaient dotés et possédés du désir de le faire naître dans les yeux d'un troisième...
C'est comme si un couple de tortues se piquaient soudain de l'idée d'aboutir d'un vacherin ou d'un saint-honoré, ça n'aurait que peu de sens mais c'est cela pourtant, majorité de naissances.
Mais bon quand même il y a des exceptions, importées d'Italie avec redirection, pour elle, en chemin vers la France, vers des stations de ski pour le teint de la peau et encore des cascades pour l'apparence des yeux et le libre des cheveux...
Je les ai cherché longtemps, sur sa carte, ces cascades qu'apprivoisent les Dieux par jalousie, avant qu'elles les rembarrent en tant que sources vraies, elles au moins, de la vie...
Et parfois même je les ai constaté...les pressentant le temps d'une accalmie, d'un verre de vin au lit.

Comme une histoire, c'était joli.

Sauf qu'enfin les histoires, vous savez ce qu'on dit, elles sont du genre à finir voire à s'écarteler.
Il y a peu d'histoires qui s'étalent sur des siècles, tout comme il y a peu de place, au creux tendre du Temps, pour seulement faire la sieste. C'est un travail des pieds jusqu'à la tête que de se tenir debout et variance dans l'assiette, que de manger à sa faim sept jours sur sept, que de pas grandir trop bête ni trop manipulé, en se colletant tout de même, même quand on est honnête, quantité de petites saloperies, pancréatiques ou de salaires, éloignant notre couette ou serviette à la mer.
Heureusement que la mer, moi, si vous avez suivi, elle est venue me voir de son propre chef, un soir de ripaillance où son regard me fit monter, sur tout le visage, une cicatrice de chance.
Après, ça avait été, cascades et dimanches, des ronces aux joyeusetés, j'avais été jeté et j'entrevoyais, sur la portée, en plus des noires, maintenant les blanches !
Après, après, comme je le disais, même les vacances n'empêchent pas, au fond, d'être bien travaillé, parce que même quand votre histoire touche au merveilleusement, celles des autres vous reviennent émouvantes, salies de sédiments et de porosités en tout point éprouvantes, ce sont les soupirs des parents qu'ont pas de quoi s'acheter, les larmes jaunes du copain que l'on vient de quitter, des hurlements humains près du commissariat...
La suite, c'est la distance. Des murs et des murs en veux-tu en voilà, entre ma cascadelle native de l'Etna et mes mains de forçat.

Qu'elle était adorable, ma beauté transalpine, avec son sac de courses et ses talons charbon
D'une mise sublimée par sa légère folie, sa menue déraison, qu'était toute nécessaire cependant car elle seule peut passer par-delà l'écusson et par-delà les ans.

Ce sac était là pour mon linge et cela faisait dix ans qu'elle le remplissait comme une version moderne du flacon empoisonnant Tristan...
Dix ans que j'avais pas vu la mer ailleurs qu'en ses yeux clairs et que ça me suffisait...
Pour cette oeillade-là, perpétuité de privation pour faire l'équivalence m'aurait fort contenté.
Mais il fallait que je sorte, un jour ou l'autre, il le fallait.
Et cette sortie, je la craignais, à cause des vis que rive au crâne l'abominable isolement, granité châtiment du corps jamais possible, rien que l'esprit pour compagnie, en prison, notre corps on l'oublie, c'est pour cela qu'il y en a tant qui se tentent au culturisme et qui hantent ses bancs : c'est pour que leurs reflets grossissent afin d'en voir encore un bout, dans ce miroir avalant tout.
Or, comme l'esprit, en prison, en plus de ça, c'est l'ortie intégrale, mes angoisses étaient légitimes quant à mon évasion prévue selon la loi.
On en a vu des jamais s'en remettre, et des plus costauds que moi...
Imaginons que je sorte et que je n'en veuille pas de tout ce qu'on me propose : air libre, salles climatisées, restaurants en faillite, stress du trafic, débats télévisés, boîtes de nuit où travailler, des bourgeois et des alcooliques, le ciel et sa mécanique, son gris industriel pondant par pluies épaisses ces gars qui fument au devant de leurs immeubles, avant de remonter, au bureau, les poubelles, l'absence toujours plus grande ici des pianos, objets rares, on en voit plus que dans les gares, il y en a dix en tout qu'on fait voyager au sein de toute l'Europe pour pas qu'on les oublie, ces zèbres satinés aux coeurs musicaux, entrailles d'argent d'où resplendissent un milliard de coraux, par un Schubert ou un Shostakovic, par un Satie ou un Gould en studio, reprenant Bach depuis le cerveau, parsemant au passage sur chaque continent, des miettes de survie et des canots de sauvetage pour les beaux sentiments...

C'était d'un monde sans Gould ni miettes supplémentaires que je craignais, c'était vrai, et aussi que ma Sicile, ma Miette à moi, finisse en me voyant par me voir réellement. Parce que jusqu'à présent, ça avait été les vacances, même en prison quand on y pense...on demeurait dans l'exceptionnel et du côté de l'intense. Mais quand je serai sorti, on devra faire face à nos routines, à tous nos rituels tristes dont on ne peut se défaire et qui souvent s'abattent pas simultanément, alors c'est l'engueulade et puis les premières briques du mur - cette fois - nous séparant. On allait finir par savoir, forcément, à se côtoyer de la sorte, tout ce que nous ignorions et de l'un et de l'autre. Nos habitudes. Mais comme les miennes étaient toutes entières carcérales, c'était peu dire qu'elles étaient pas charmantes mes addictions. J'étais devenu rude par voie d'imitation.

Alors ma cascade, toute adorable qu'elle était, il était à prévoir qu'elle en ait vite marre que je la pénètre sans doigté ni chanson, rien qu'en mettant mes pieds sous la table, attendant du repas sa boisson et de la nuit qu'elle soude, par je ne sais quelle opération, le circuit éclaté de mes aspirations. C'est dingue comme on pense la nuit réparatrice, comme si dans le sommeil il y avait quelque chose d'autre, un monde tout nouveau et tressé d'Idéal qui attendrait qu'on s'endorme pour débouler sur Terre. Dans ce monde-là, pour sûr, on aurait plus mal, ni au ventre ni à la clavicule, on serait d'une souplesse de virus et d'une fermeté de flanc dinosauresque ! Et nos désirs, dans ce monde, auraient le bon goût d'affleurer à nos bouches juste avant l'abandon, oui, ponctuels toujours seraient les dons et nos dos aussi durs que les dimétrodons ! Jusqu'au réveil bien sûr...Le réveil et ses murs : son corps, sa chambre, son lotissement, son ciel, sa pollution. Notre liberté toute relative parmi les couches de cet étrange oignon qui fait pleurer même quand on y touche pas. Pleurer façon cinéma. Pleurer de revoir mon italienne, de l'avoir dans mes bras et d'avoir peur de lui faire de la peine...

Mais attends mais tu crois qu'elle était heureuse, elle, pendant ces dix années ?
A se chronométrer le coeur comme font les sportifs histoire de ne pas chialer au moment des visites, parce qu'elle voulait que tu vois que dehors, ils tiennent mieux les sourires, à pas s'autoriser d'autres tendresses ou bites parce que tu en avais décidé de la sorte, parce que selon toi, qu'un autre la touche, ça te la rendrait morte...précaution de caverne énormément biaisée, mais bon, mais bon, pas le droit de baiser ni de changer de ville, de s'espacer...parce que soit elle t'aimait chaque semaine, soit elle disparaissait. Et toi, t'as toute cette vie devant toi, d'une dévotion d'astre à sa constellation, et tu te tâtes quant à un futur d'affres et de prostrations ? Tu crois qu'elle va t'adorer moins en te découvrant ? Mais elle n'attend que cela que de faire ta connaissance, depuis dix ans, que de savoir ce qu'elle ignore sur toi, ce qui se cache dans ton sang idem qu'à l'arrière de ta voix. Ce truc qui fait que tu es toi. Et qu'elle vient te voir. Et qu'elle te verra. Et qu'ensemble malgré la pollution et tous ces agrégats, vous parviendrez à l'avoir votre sieste. Avec le corps de l'autre en guise de couette et puis c'est marre...

C'était joli comme une histoire.


Jean-Jacques Lequeu - Esquisse d'une construction de jardin




jeudi 22 février 2018

Quand elle se fit dessus

Beaucoup d'enfants, qu'on se souvienne, étaient présents cette nuit-là...

Quand elle se fit dessus...
Louise, on avait pas envie d'y croire, de s'en pincer à se déchirer la chair, à se saisir jusqu'aux os en quête d'imaginaire plutôt que de se dire que tout cela, la chemise imbibée jaune, était du genre réel. Du genre réel et qui marque très définitivement, sans suture pour la peau ni session de rattrapage, comme trente disques durs avec tout dedans balancés contre un mur, des photos de vacances aux films familiaux, en passant par ces textes résolument trop beaux qu'on se gardait pour les soirs de migraine et les matins d'abîme.

On aurait préféré dire adieu à toute trace de sublime au lieu que d'assister à ce carnage d'urine.

Déjà parce que Louise on la considérait, comme toute institutrice, en tant que détentrice de tout savoir enfoui, et puis elle était belle, Louise, magnanime et polie. Belle au moins à même niveau qu'une étoile sortie d'un roman d'aventures, mi-Robert Stevenson et mi-William Golding. Elle avait ce suivi dans les gestes et les mots qui nous donnaient à tous immensément de forces et d'appuis. Alors de la voir là, toute entière rendue à son insuffisance ainsi qu'au bon vouloir peureux de sa vessie, ça nous flanqua forcément maints frissons sur la nuque. C'était peut-être juste qu'elle était somnambule qu'on se disait pour pas trop déguster, mais enfin c'était faux. Exemplairement qu'elle dormait. Et donc bon d'évidence, on se mit à comprendre qu'un monstre se tramait.
Mais de quel type de croquemitaine fallait-il se méfier ? Quel mortifère vivisecteur était ici en route ? Quelle pruritique engeance avait bien pu surgir et depuis quel casier pour mettre notre Louise dans tel état d'incontinence ? On ne pouvait rien envisager.
On ne pouvait que voir la flaque de jour laissée au sol par notre bienfaitrice, et puis se dire qu'en elle se devinait le pire...dans toute son odeur tiède comme un ventre pressé par un couteau d'arrêt.

Quand elle se fit dessus, on sut tout de suite que l'hôpital n'était plus d'aucune sécurité, et que même en sortir paraissait compromis. On sut pareil que nos années perdues en thérapie n'étaient pas finalement si sinistres que cela, qu'il nous fallait chérir chaque pilule et nausée parce qu'enfin, malgré culbutes du crâne et des salives, on y était chez soi. Qu'être malade c'était déjà, par rapport à être complètement crevé, une merveille d'avancée. Que c'était magnifique de repenser à ses rares moments où la douleur songeait à s'absenter, ne serait-ce que le temps de cinq heures à rêver. Qu'au fond, bien que démoniaquement articulées, nos existences n'avaient pas tant à voir avec l'infernal, que c'était même pas mal d'avoir des camarades, aussi de leur parler, de soi tout en jouant à moitié à la bataille navale. Qu'en somme, l'été à l'hôpital, c'était tout de même l'été malgré sa teinte grave (de nos sueurs sécrétées)...

Quand elle se fit dessus, on sut qu'il n'était plus question pour nous de s'inquiéter. Que s'inquiéter était un luxe et qu'il fallait surtout nos bagages plier. Pour aller où avec nos frusques et nos valises pleines de boîtes marquées au braille ? Ailleurs, on ne savait pas, ailleurs, tant qu'on y aille.

Quand elle se fit dessus, quoi qu'il en soit, c'était déjà trop tard.
L'armée syrienne nous bombarda avant que soit tenté tout nouveau paragraphe.


Dorothea Tanning - Bateau bleu (The Grotto)


samedi 27 janvier 2018

Claire compilation

Je ne le fais pas pour moi mais pour elle
Ballerine, merveille ///


Je n'avais du beau temps qu'une idée nuageuse
Avant de te connaître et que la mer veilleuse
Ne dévoile son plan,
Avec ces récifs et ces longs horizons
Aussi blonds que les champs quand ils entrent en moisson

///
Les fleurs sacrosaintes jouaient leurs chemises, de flanelle sanguine
Contre l'eau des cascades
...
J'avais envie, de mes doigts fatigués par trop d'escalade contre un seul et même sol,
D'écrire à la volée toutes les beautés du monde,
Des matins virginaux où s'épousèrent les singes
A ces nuits plus techniques que sont celles d'aujourd'hui où la lune se cache davantage dans flaque que dans un ciel ouvert puisque tout ciel est pris...
Et puis j'ai compris que j'étais trop crevé pour avoir tout à fait les images adéquates, que j'avais anyway pas trait assez de champs de mes mains éduquées pour retranscrire crédible ces lices laissées libres des chevaux et des hommes, et que des chevaux, du reste, je ne connaissais rien de très incontestable, sinon qu'ils étaient dotés de coeurs gros comme un crâne et que ce coeur-là, du fait de sa grosseur, propulsait plus de sang que n'importe quelle vigne lorsque, soumis comme il l'était au voeu de son champion, il se démantelait jusqu'au bout de la ligne...
Je n'avais de même pas suffisamment d'expérience dans l'anatomie du bonheur pour savoir ce que pouvait ressentir tel jockey triomphant en telle jour de gloire, tandis qu'il entamait un tour d'honneur sous les vivas de visages invisibles mais fiers de le voir, comme s'il s'agissait de quelqu'un...et il s'agissait de quelqu'un car quelqu'un est toujours de ces sommités rares soudainement capables d'interrompre le temps.
Et jockeys et montures quand ils gagnent d'un souffle sans se soucier des cotes - écrivant une musique impossible à prévoir, inventant ainsi notes faisant cesser le rance le long de cet accord qu'ils plaquent franchement sur la trace de craie blanche - sont faits de cette étoffe...

J'aurais aimé de même feinter le chronomètre...prendre diverses routes vers diverses chapelles dans lesquelles brilleraient les narines d'un cheval, mettre ensuite mes doigts au sein de ces narines qui auraient su m'élire avant de chevaucher le chevauchable et de partir en direction d'une piste régionale (puis nationale puis mondiale)...

Mais j'étais dans mon lit, quotidiennement même au matin et j'avais l'oeil constamment poignardé par une flopée d'onglets frappeurs et orgeletogènes : des "pour trouver du travail", des "pour se divertir", des "pour apprendre des choses", des "pour écrire", et enfin des "pour écrire donc trouver du travail donc se divertir donc apprendre des choses"...ces foutus ailerons oeuvraient partout et dans chaque banlieue de mon cerveau malade...
J'avais besoin de lire et de me gorger d'eau,
Comme une fleur seigneuriale en manque de cascade ou de course de chevaux...

Mais les onglets martyrisaient
Et je n'avais toujours rien écrit, ni de la beauté,
Ni du temps arrêté, ni même de mon envie...

Cette envie exhaustive
De piocher in la flamme l'odeur du brûlé
Et d'en faire le récit avec les larmes aux yeux
Parce que mon bras serait terriblement en feu...
Cette envie de dégager le clair de l'obscur
Comme le blanc du jaune
Et de faire des meringues à la feuille d'automne...
Mais les onglets perdurent,
Et il me faut dormir façon coquille vide
De tout bec donné par la grande aventure...

Jeez, je sais pourtant certaines choses très belles,
Des hauteurs de Lisbonne aux métros parisiens nous refaisant la Bible avec ses SDF...
Des odeurs douces du rail quand le cuivre l'embaume aux bouquets unanimes de ces serres chaudes frayées par le g(r)and Maeterlinck et ses mains de jeune homme...
Des peaux de ta poitrine aux peaux de ton visage
Aux peaux de ton sexe aquifère en manque d'une bouche pour soulager sa roche,
Des peaux de ton regard aux peaux de ton plaisir,
Des peaux de ton Edgar aux peaux de ton portrait, ovale, s'ensanglantant de rires...

Jeez, je sais pourtant certaines choses très belles,
Comme l'eau des cascades imprégnant la flanelle
De ces fleurs sacrosaintes jouant de leurs chemises
Tandis que se dénude la lune dans une flaque,
Que singes sodomisent...
Le temps d'ensuite venir et de venir ensuite
Sur le corps d'une nuit blanche
Puisque tu l'es aussi,
Ma ballerine, ma mise, 100 millions sur le rouge que tu portes à tes lèvres
Et cent autres millions sur ce soir où le rêve
Vient faire sauter le manque...
En t'invitant ailleurs qu'en mes contes secrets
Pour te faire revenir auprès de mon estampe
Que seule ton encre crée...

Car j'en ai assez de tous ces croquis, tous ces onglets,
Car je veux avant tout écrire la beauté
Et quoi de mieux que de l'avoir
Si jamais je la veux...?
Cette beauté, ce sprint parmi le merveilleux
Est l'unique victoire que mon coeur réclame
Depuis ce lit douteux...
Du fait de ces fantômes en guise de sommier
Et du fait que j'ai déjà gagné
En faisant gagner Claire face au référencement

J'ai sauvé une beauté
Mille-une autres suivront, telle était l'ambition
A défaut d'embrasser la claire compilation
Qu'était ton or gelé (mais l'avais-je eu déjà ?).

...ô Rusalka...
je les embrasserai toutes
jusqu'à t'embrasser toi
biscuit chaud de la route
Reine de tous mes rois.


Olga Fröbe-Kapteyn - The Mystery of Life



dimanche 21 janvier 2018

A cause et grâce à toi

J'finirai dans une authentique mare de misère éloquente pour dix.
Comme ça, comme un bol de céréales qu'on finit à coups de langue,
Comme une forme de lait qui manquerait de soleil, de sommeil et d'attrait...
Et bue de la goutte une à la goutte millionième sans qu'on s'en émeuve véritablement,
Y'aura bien que les étoiles pour avoir de la peine par-dessus mon cadavre
Et puis pour en fumer les clopes s'imposant,
De leurs cendres naîtront des nuées d'étoiles filantes
Contractant quantité de desiderata, le tout les yeux fermés comme on fait en vacances quand elles vont terminer.
Ces étoiles ensuite auront pour moi des mots savamment étudiés...
Entre la remontrance et l'applaudissement, elles me diront :
"Tu as vécu pareil à certaines de nos soeurs, dans un froid de bâtard permanent et pour l'oeil, unique comme un coeur, d'un seul adolescent t'ayant lu par hasard. Ce gars te découvrant aura cerné de suite que ce que tu vendais comme l'infini brillait par ses limites et qu'il valait mieux que son regard pélerine vers Dostoievski. Alors il lira le maître russe jusqu'à oublier tout de tes chansons stériles...
Ainsi donc ta musique s'arrêtera, et tes rêves de grandeur finiront comme ça,
Comme un bol de boucles ramollies par un lait couleur soie, faussement attractif comme était ton combat. Car tu ne t'es battu que contre ton front gras, crémé de rides et de malheureux choix.
Certes, nous te reconnaissons toutes, une sorte de talent dans l'évitement des routes
Mais à quoi bon les fuir pour les sentes intestines d'inutiles regrets ?
Tu devais sauver le monde et tu te fis seulement, son spectateur le plus impatient d'admirer qu'il s'effondre.
Tu devais faire des hommes tes frères de langage, et des femmes des mers voisines de grandes plages...mais les hommes restèrent des rocs muets et graves alors que les femmes s'asséchèrent telles des taches sur un bloc de kraft...
Ton ambition de ciel et d'éternité noire fut au final
Quelques heures sur Terre à travailler l'espoir...
Tu aurais dû savoir, toi l'enfant dont la tombe tient plus de l'accessoire que du rubis sous l'ongle, que l'espoir n'est pas une matière mais un évaporable, et qu'ici tous on tombe à la vitesse d'une balle.
Que l'homerun est rare et qu'il faut le chérir...
Que l'homerun est rare et que l'amour c'est pire...
Alors au lieu de travailler à l'usine ta chance, tu aurais dû la prendre en joignant à sa hanche
Quelques baisers immenses.
Tu aurais dû, depuis ces nuits où revenaient sans cesse sa figure et ses fesses, au lieu de les vouloir pour chasser ta détresse, construire ces ailes futures aptes à faire de cette femme, non pas une déesse basée sur ta mesure et sur ton drame, mais bel et bien un ange tout ce qu'il y a de plus pur...
Un truc sans sexe mais non sans aventure
Un truc sans sexe mais d'envergure,
Un ange sachant sauter au-dessus de tout mur.
De cette façon peut-être, elle serait revenue,
Cette fois non par pitié mais connaissance du sucre..."

"Le sucre n'oublie pas que c'est ce doux machin qui façonne les champs
Agrandit les grenouilles et trace l'air marin, que c'est lui qui dessine la nuque des printemps
Et ces chevelures blanches courant contre les pins, que c'est lui également qui maquilla la lune
Pour en faire le symbole des passions solitaires et ce sein bouillonnant où tous se sentent bien même quand le sang se perd. Le sucre n'oublie pas qu'il construisit l'arôme à cette heure où les lèvres étaient des poissons morts, et que c'est de son ventre que naquirent la cannelle, les ombrelles et les ports.
N'oublie pas tout cela du sucre et de la race humaine, alors que tu montes en suivant les racines que ton âme promène...
Tu étais un poète, tu seras une étoile
C'est-à-dire une défaite hissant sa grande voile
Vers ce pays des lettres où le flocon s'avale, non pas comme une bête mâchant sa céréale
Mais bien comme une fève où mille frangipanes tressent la couronne du rêve, le diadème idéal
Coiffant bientôt ta tête
D'un soleil magistral."

Les étoiles diront cela et me feront le serf en même temps que le roi
Tandis qu'au-dessus de moi pointeront les étincelles de cette vie toujours belle
A cause et grâce à toi.


Hilma af Klint - The Swan N°12

mardi 2 janvier 2018

The main antagonist (partie 3)

Un art dépassé ou "Du chaud murmure précédant le baiser à celui qui le suit et le glace entièrement."

Semblerait que les roses se soient toutes faites la malle
Et qu'il faille que j'arrête de croire qu'elles recroîtront
Qu'ici de toute façon, la merveille végétale
Ne pousse plus que sous les tombes de nos émotions...

Paraîtrait vraiment que tous les bouquets de rires furent vandalisés, détrempés par le vent et la quotidienneté, par l'archet des pluies activant ce violon, au ventre vide, jouant sans maîtrise dans sa suite solitaire au lit d'un froid d'Arctique et aux fenêtres dont...les vitres forment des visages tristes autant que cette musique.

Se répandrait la rumeur que le souvenir ne pourrait se relever, ni la flamme revenir, et que les amours blessées seraient de ces amours au coeur de porphyre, et qu'il n'y ait plus rien pour faire de la roche une lave et d'un coup de routine, une déchirure peu grave...

Se raconterait même partout parmi la ville que j'étais devenu fou, à voir en celle-ci des signes de beauté, tant les rues après tout s'étaient vues vérolées par la disparition de nos mains assainies, mains de savons et de lavandes, mains de ces cieux d'Albion où le soleil bande, à l'aide de ses doigts saisissant les nuages, l'arc blanc de la lune éclairant nos outrages...

Se dirait aussi que ces voyages, finalement, n'étaient que des sauts de puce, les ferrys de ces barges d'une taille de nénuphar, quant aux airbus, rien que des ailes taillées dans le papier d'une feuille d'écolier dérisoire...

Minimes les voyages donc, qu'ils disaient, et minime également le poids de nos baisers...

J'avais l'impression de coudre au fil de soie deux univers lointains, de ramener vers moi, et les mers et les liens qu'elles tissaient en-dessous avec ce gros oeuf d'or qui nous avait pondu...quand lassé de son rien, la Terre avait vécu et nous avait fait naître, chacun, sur cette planète afin qu'on s'y rencontre et que nos lèvres croisent, en un contact humain, le chemin du bonheur et la route du bien, l'équilibré sentier que nos commissures jointes, à la façon des galaxies percutant les étoiles, doucement permettaient...

Mais non, manifestement, c'était pas tellement ça mais quelque chose de moins impressionnant, genre deux escargots collés l'un contre l'autre sur le perron d'une boue bientôt les enterrant...

Se murmurait en fin de compte, que notre amour qu'avait su faire les roses - ces mêmes roses désormais partout fanées d'ailleurs - cependant que déjà, à cette époque-là, les roses n'existaient plus que dans les cinémas...il se murmurait donc que notre amour n'en fut pas un du tout et que s'il était fou, c'était de ce chagrin qui nous rendait malade à chaque nouveau jour...

Comme il semblerait, à l'heure de dire les choses, que trop de différences paissaient dans notre union et qu'à force de paître, ce mouton de fiction est devenue une bête dévorant chaque rose et chaque expédition.
Comme il semblerait, qu'aucun de nos baisers n'ait su l'abattre au fond, cette bête dont les pattes agitaient sous nos yeux la date de notre péremption,
Comme il semblerait que cette bête court toujours, malgré les illusions que je te porte encore et ces coups de fusil trouant l'arbre du soir, à défaut de son corps, tandis que du tronc noir s'échappe des lucioles identiques à tes ors...
Comme il semblerait que nul ne puisse la tuer cette bête nous tuant, et faisant de nos vies des lèvres séparées, comme des étoiles par les planètes violemment percutées finissant déchirées, telles de la toile de soie sous le joug d'une dent.
Comme il semblerait que cette dent continue son poison, en traçant des distances entre nos horizons, des distances voire des saisons, car tu vis en l'été quand je vis dans le ressassement, de ces sentiments sans précédent, sans futur non plus...
Souvenance d'un onguent accouchant d'une brûlure
Impossible à traiter...
Il semblerait que je t'aime vraiment, du moins, que je t'ai vraiment aimé,

Alors qu'importe les ragots et les désespérances et qu'importe ces roses aux couleurs absentes, car je sais la couleur et sa proéminence, depuis que j'ai pu boire à ta bouche un sommet, et d'eau et d'élégance, et choir en ton bouquet comme on choit dans l'immense d'un rêve qui, en t'embrassant, devient une évidence,..

Bien qu'il soit paraît-il, à l'instar de ces rimes, un art dépassé (voire un art du silence...
Chantant partout la même traversée
Des fixes eaux que tu laissais pour la recrue des sens
Et d'autres Nothomb niais, écrivaillons unitesticulaires *, boréales jouissances
M'ôtant toutes mes chances dans un bouche-à-bouche bée
Alors que je me noie et qu'à toi seule je pense.)

* ou pire encore d'imberbes musiciens 

Alphonse Allais* - Des souteneurs, encore dans la force de l'âge et le ventre dans l'herbe, boivent de l'absinthe


* souvent ses plats

lundi 1 janvier 2018

The main antagonist (partie 2)

Déchaîné finalement

La vérité, sur Terre, c'est que la solitude m'a toujours embrassé
Et qu'il y eut, au cœur-même de mes grands moments de joie, niché toujours l'épine d'une douleur sans pareille.

La vérité, c'est que je suis né de l'infinie tristesse de parents tristes et violents, que mon corps fonctionne un jour sur deux seulement et que je rêve davantage d'homicides que de naissances d'enfants.

La vérité, c'est que j'ai cru en l'amour comme en la sainte Vierge, comme on croit également quand on est en jeunesse que c'est dans le vitrail que dort le soleil. Je vous ai toutes vu, comme ce vitrail, d'un bleu de sein et d'un rouge méthodique, sans voir que cette vitre teintée n'était qu'un fin écran vers l'infiniment.

La vérité, c'est que j'ai suivi toutes celles que j'ai aimé à la façon des chiens, donc en tirant la langue et en léchant ma laisse, sans jamais trop chercher comment l'on se défait de telle chaîne épaisse.

La vérité, c'est que le sentiment amoureux m'a fait perdre l'orgueil, l'amitié et l'argent, qu'une vie détachée me présentait pourtant.

La vérité, c'est que je me suis empressé de prendre tous les trains, toutes les navettes et tous les océans, en me disant que ces voyages étaient ma raison d'être, alors qu'être n'est rien quand meurt l'indépendance du cœur et de la tête.

La vérité, c'est que j'ai pensé bien faire, en sacrifiant l'ensemble de mes priorités sur l'autel des siestes et de la chair.

La vérité, c'est que je faisais mal, tant et tellement qu'évidemment ces femmes ne pouvaient qu'être lasses, de ce chien que j'étais, c'est-à-dire chien sans race qu'elles promenaient doucement au bout de leurs poignet comme une plaie dégueulasse.

La vérité, c'est que sexuellement, j'étais nul, nerveusement idem, sans parler de mon goût pour la vue des problèmes.

La vérité, c'est que je craignais tant de perdre celles que je pensais avoir glorieusement trouvé, que je devenais très vite un minable ministre aux exigences dignes de celles d'un martinet.

La vérité, c'est que j'étais une croix pour ces dos de jeunes femmes ayant tout sauf envie de finir crucifiées sur le mont Golgotha d'un amour transi.

La vérité, c'est que j'aimais seul, pour moi et la beauté que vêt généralement, la romance, le roman écrit à quatre mains à l'encre d'or des amants.

La vérité, c'est que j'étais épuisant, à vouloir revivre avec frénésie ces passions que les livres avaient si bien écrites.

La vérité, c'est que je vivais des amours petites, dans un monde inférieur et sans magie puissante ailleurs que dans l'édit de sonnets irradiants dont me manquait toujours le tercet salvateur...soit trois lignes de sang aux rimes réciproques et à l'air enchanteur.

La vérité, c'est que je m'enchantais plutôt à la toxine, c'est-à-dire au poison qu'est le poème du couple dès lors que l'assassine, les jalousies et peurs.

La vérité, c'est que je reprochais sans arrêt à ces femmes de ne pas avoir su, tout de suite, sauver toute ma vie ni transformer la nuit qui débauchait mon crâne, en ces étoiles filantes rendant les voeux permis.

La vérité, c'est que j'ai fait souffrir à l'aide de ma tendresse davantage qu'attendri à l'aide de mon spleen, n'ayant vu que la ruine en matant les montagnes et le rhume en ces bruines imitant le champagne...

La vérité, c'est que j'avais peur tout le temps qu'on m'abandonne et me rejette, au point qu'on m'abandonne, au point qu'on me rejette.

La vérité, c'est que je m'y suis mal pris en m'éprenant ainsi, au contraire de ces hommes nettement mieux établis qui savent que l'amour doit tenir du futur et non pas de l'oubli.

La vérité, c'est que partout, sur tous les continents, j'envoyais mes baisers comme des lettres d'adieu, comme des pressentiments, et non comme des feux le feu réinventant.

La vérité, c'est que je ne sais de l'amour que toute mon ignorance, et de la femme que son retentissement, sans m'être intéressé jamais au divin épicentre d'où venaient toutes ses danses...tous ces aboutissements, sincères et vraies, de vos intelligences ayant eu le courage de me donner une chance en plus de votre temps...ayant eu le courage d'aimer un peu un homme ne s'aimant pas lui-même et de lui indiquer, depuis votre vitrail, où dormait le soleil...ayant eu le courage d'embrasser et mes lèvres et la nue solitude ourlant ces rubis blêmes...ayant eu le courage de croire en moi avant que je ne crois, en l'existence, natale, de ma foi.

La vérité, c'est bien que je vous aime, chères femmes ayant eu le courage d'un jour me quitter afin que puisse s'écrire la suite du poème.

La vérité, c'est bien que je vous aime, chères musiques et chères chambres ayant eu l'obligeance d'élever mes oreilles ainsi que tous mes membres.

La vérité, c'est bien que je vous aime, car vous m'avez fait voir l'emplacement du soleil et qu'il était caché, comme tout ensoleillement, à l'ombre de cet arbre inspirant la confiance.

La vérité, c'est bien que je vous aime, car vous fîtes de mon cœur - en me le redonnant - une pièce d'argent où dansent à présent, et les reflets du ciel et ceux de l'océan, déchaîné finalement.


Alphonse Allais* - Stupeur de jeunes recrues apercevant pour la première fois ton azur, ô Méditerranée 


* mais où ? Nous l'ignorons.