mercredi 26 août 2015

L'oeuvre des dents

Ce qu'il fallait faire de la gosse, nous l'ignorions tous et toutes.
La logique voulait qu'on s'en occupe à tour de rôle comme elle venait de perdre ses parents.
Cependant, l'air du dehors était empesté d'un illogisme navrant et il devint quasiment naturel d'opter pour une solution autrement plus barbare.
C'était que la gamine était noire et bien que nous n'ayons rien à reprocher aux gens de cette communauté, ça nous semblait quelque part moins terrible d'être cruels envers une négresse.
Parce que les gens des champs ne sont pas exactement comme les gens des villes, il en allait de même entre les noirs et les blancs.
Bien sûr, avant d'accomplir notre sombre forfait, nous demandâmes au prêtre s'il était d'accord avec notre façon d'ainsi hiérarchiser les êtres selon leur coloris.

Il nous répondit, gonflé par la pondération, qu'il allait des humains comme il allait des chiens et qu'il n'y avait en effet moins de mal dans l'action de noyer un chiot borgne en comparaison d'un doberman dans la force de l'âge.
Le prêtre était toujours de bon conseil.

Suite à quoi, nous menâmes Michelle vers la confiserie située au premier étage du centre commercial.
Ses yeux brillaient tant à cause des larmes qu'à cause de la faim.
Elle pensait certainement qu'on comptait sur le sucre pour apaiser ses monstrueux besoins.
Perdre père et mère comme ça sur un coup de dé, c'est sûr que ça doit être quelque chose.
Car oui, aussi étrange que cela puisse paraître, nous n'étions pas tous orphelins au sein de notre groupe et pour tout dire, il y avait même un gars âgé de 50 et 4 ans.

Quoi qu'il en soit, nous demandâmes à Michelle de se caresser un peu.
Elle refusa poliment dans un premier temps avant qu'on lui fasse comprendre que c'était une des conditions nécessaires à l'accès des sacro-saintes sucettes.
Sa culotte baissée, ses doigts trempés par la salive, Michelle commença à exciter son sexe noiraud.
Elle avait beau avoir peur et être mal à l'aise, on ne pouvait s'empêcher de voir au fond de son regard une pointe d'excitation malsaine.
Devant cette pointe, certains de nos gars entreprirent de se branler avant d'être rappelés à l'ordre par le prêtre qui jugeait comme hérétique le fait de le faire devant pareille personne.

Michelle gémissait désormais et ses gémissements de plaisir sonnaient presque comme les râles d'agonie de feux ses jeunes parents, comme quoi, ils sont vraiment tarés ces gens-là.
Et dire qu'on hésita...

Quand nous sentîmes qu'elle était bien excitée et bien tendre, nous fîmes signe à Lee.
Celui-ci, s'extirpant de l'ombre, s'approcha de la noire.
Il était nu comme le verre et il plaque son sexe contre le dos de Michelle qui eut à peine le temps de se retourner et de laisser échapper un cri avant que Lee ne lui déraille la gorge d'un grand coup de cutter.

Tandis qu'elle se vidait de son sang dans une bassine en cuivre pâle, nous prions tous et toutes pour que sa chair, en dépit de sa couleur, soit du genre comestible.

Un bombardement au phosphore blanc plus tard, la question ne se posait même plus.





mercredi 12 août 2015

Hangwoman. Chapitre Deux


Coquin de sort 





Imaginez la sensation d'une goutte posée sur votre dos sans que vous puissiez l'atteindre. Imaginez l'effet d'une pincée de sel sur une plaie ouverte. Imaginez-vous en train de voir vos bras et jambes portés au loin par les chevaux qui y furent attachés. Imaginez qu'un à un à l'aide d'une fine pince, on retourne vos ongles. Imaginez que vos dents et gencives sont arrachées à mains nues. Imaginez vos yeux être retirés à la petite cuillère. Vos paupières déchirées à coups de couteau. Votre front dévoré par une meute de loups. Imaginez cela, tout cela et imaginez-vous le vivre deux à trois fois par semaine.

Ces supplices répétés pendant deux heures et quelques.

Si vous parvenez à imaginer un peu ce que cela peut être comme calvaire, vous parviendrez peut-être à me comprendre. Car c'est ce que je vis à cause d'une maladie. Les médecins appellent ça "l'algie vasculaire de la face", avant, on appelait ça la "céphalée suicidaire" parce qu'il n'était pas rare que les malades finissent par s'ôter la vie devant tant de souffrances. Personnellement, j'appelle ça ma "mort répétitive". C'est comme ça que je la ressens, comme si je mourrais presque à chaque nouvelle crise.

Pendant deux heures et quelques ces supplices répétés.

Le crâne comme une bulle où une guerre éclaterait. Avec aucun gagnant à la fin et des milliards de morts. Avec des églises éventrées et des enfants perdus. Avec du sang dans toutes les rues et des gens pour le boire. Plusieurs fois par semaine cette même guerre éclate et plusieurs fois je meurs. Les patchs de fentanyl ne changent rien à la donne, tout comme les corticoïdes. Encore que, je ne suis pas le plus à plaindre, il y en a qui ont ce type de crise quatre à cinq fois par jour pendant toute leur foutue vie.

Torturé indéfiniment et sans convention de Genève pour vous sauver la mise. Il faut avoir les reins solides et un cœur de taureau pour tenir plus de dix ans. J'ai déjà l'impression de subir l'enfer alors je n'ose pas imaginer ce que ressentent ces gens qu'ont dit malades chroniques, si tant est qu'ils ressentent encore quelque chose.

Je meurs, tuez-moi. Tel est le leitmotiv des algieux de la face dont je fais malheureusement partie. Enfin, je dresse là un portrait attristant de cet état alors que dans mon cas, l'algie ne m'a pas tout enlevé. Elle m'a même énormément apporté car moi qui étais, avant d'être diagnostiqué, d'une tendance extrêmement paresseuse, je me suis découvert un goût immodéré pour l'effort et l'action.

Parce que chaque crise me tuait mais que je ne mourrais pas, chaque crise avait pour effet de me ressusciter. Et, au fur et à mesure, j'ai fini par profiter de ma malédiction. Par moi-même rechercher à éprouver le plus dramatiquement la crise afin de ressentir encore plus pleinement la sortie de crise puis la suite des événements. En fonctionnant ainsi, j'avais le sentiment de guérir d'un cancer plusieurs fois par semaine et cela me donnait une force et une vivacité d'esprit jusqu'à lors inconnues.

Cette force et cette vivacité étaient mises pour l'instant à contribution dans ma vie familiale. Alors que par le passé, mes soeurs craignaient comme la peste mes crises et leurs après ou je me sentais toujours exécrable comme après une sieste sans fatigue, elles sont désormais contentes d'être là quand ça m'arrive car d'une, elles peuvent s'assurer que la crise ne déborde pas vers quelque chose de plus grave, et de deux, elles peuvent profiter de mon air radieux d'éternel survivant.

Je dis pour l'instant car depuis quelques semaines, pendant mon état d'après-crise où tout me paraît clair et désespérément vivant, je me suis mis à sortir et à observer le monde et ses passants. Et ces promenades sont très enrichissantes. Je ne sais pas vraiment comment l'expliquer mais elles me donnent tout ce que j'ai envie de savoir sur les gens que je croise. Par exemple si je me demande si cette adolescente qui attend devant le magasin de musique a un amoureux ou non, je vois quasi immédiatement ma réponse apparaître : sur son cou se devine encore cachée par une légère couche de fond de teint, la trace lointaine d'un suçon. Et à en juger par sa forme, il est possible que son petit ami soit plus jeune qu'elle, soit qu'il soit atteint de microdontie. Elle s'appelle Déborah, je le sais parce qu'elle vient de dire "Allez Déborah, du courage, tu rentres dans la boutique et tu lui dis tout". Je n'ai pas vraiment fait l'effort d'écouter ni de lire sur les lèvres mais je l'ai entendu clairement. Son petit ami l'attend donc sûrement à l'intérieur. Mais qu'a-t-elle à lui dire ? Tandis qu'elle pénètre dans le magasin, un de ses cheveux tombe et passe dans le vent. Je le vois. Il a l'odeur de shampoing au cèdre ainsi qu'une très vague senteur de ce qui semble être de la pastèque. Je continue mon chemin et passe à côté d'une voiture. Le thème de la pastèque revient. Des mains humides appuyées nerveusement sur le volant ont cette même odeur malgré le passage par dessus d'un savon de vaisselle bon marché.

Peut-être Déborah joue-t-elle un double jeu ? Elle sort avec Evan du magasin de musique tout en fricotant avec monsieur savon bon marché. Je sais que le premier gars s'appelle Evan car lorsque Déborah est rentrée dans le magasin, en plus de voir son cheveu, j'ai pu apercevoir un gars avec un badge portant le nom d'Evan dont le rythme cardiaque a comme vrillé dès que Deb' fut dans son champ de vision.

Voilà ce qu'il se passe quand je me promène le soir après une de mes crises. Tout fait comme sens. Je me passe peut-être des films et peut-être que la fille s'appelle en réalité Debra, qu'elle ne sort pas du tout avec "Edward" du magasin de musique et que le gars dans la voiture n'a jamais touché de pastèque de toute son existence. C'est possible, je suis dans un état tellement étrange (et puis le fentanyl...) dans ces moments-là que je suis peut-être simplement en plein délire cosmique. J'en veux pour preuve qu'aussi, maintenant, il m'arrive de voir un fantôme.

Je vous jure. C'est régulier. Je fais ma crise, je traverse mille morts, mes yeux tombent, ma langue brûle, ma gorge est tranchée nette puis, après deux heures, je reviens parmi les hommes et hop, je sors faire ma promenade. Et là, plusieurs fois par semaine, je vois sur le toit de tel ou tel immeuble, le fantôme un peu rouge d'une autre adolescente. Je suis peut-être simplement fou des adolescentes mais tout de même, c'est chaque fois la même et j'ai l'impression de la connaître. Elle est là et elle traîne sur les toits, vingt, vingt-cinq minutes avant de disparaître encore plus qu'avant.

C'est bizarre.

"Un cambrioleur retrouvé mort dans son appartement."

Une phrase bête comme tout. Le titre d'un article parmi des milliers d'autres et pourtant, quelque chose fait que je m'y intéresse. Il s'agirait d'un gus ayant accompli ses méfaits principalement sur les hauteurs et qui serait également recherché pour préjudice sexuel. Il a été décapité. Une enquête est ouverte mais la police penche pour un règlement de compte, habituel dans le milieu du crime.

Une forme de pressentiment me saisit à la lecture de cette brève. Je ne sais pas d'où il vient. C'est pourquoi je décide de laisser la fenêtre ouverte et de le relire quand je serai dans mon fameux état. J'ai hâte tout en ayant peur...car chaque crise sans rire c'est comme la mort en face.

Cette nuit-là la mort dura trois heures quarante. Je ne sais pas pourquoi mais cette crise fut une de mes plus longues, peut-être à cause de ma nouvelle impatience. Peut-être pas. Toujours est-il que je m'en suis sorti et que je suis retourné voir l'article.

Et j'ai tout vu. Ce simple paragraphe mis en ligne par on ne sait qui m'a donné tout ce que je redoutais. Il s'agissait bel et bien d'un règlement de compte mais plus exactement d'une vengeance. Et cette vengeance était le fait d'une femme, d'une femme du genre un peu rouge pâle et qui traîne sur les toits. D'une femme qui, peut-être, me voit comme je la vois.





mardi 4 août 2015

Ce sont peut-être de minuscules serpents doués d'indépendance
Et peut-être que sans moi ils iront s'échouer dans les terres
Histoire d'y inventer de nouveaux continents.