dimanche 29 mars 2020

Les lunes à l'intérieur IIIIIIIIIIII (Nuit n° ?)

La pluie creusait la ville ici.
On raconte pourtant que dans d'autres, lointaines certes mais pas inaccessibles, le soleil est nombreux.

Chaque dalle mouillée devenue impraticable au risque d'y tomber, c'est dans les profondeurs qu'on a fini par être, et par chercher, l'âme des corps célestes. Mais même dans ces caves s'il y a des étoiles, celles-ci sont si pointues qu'on obtient l'impression d'une atroce mise en scène, comme si jetés en contrebas d'une malle constellée de poignards...
Ne plus bouger est alors le conseil sous peine de coupures.

Quelques-uns osent cependant de danser : ils saignent sur les murs, peignent de râles, colorent de crachats ce gros ventre investi... et les enfants s'amusent à compter les victimes, leurs cadavres d'amis pris au piège de la mine.

Je me demande comment c'est là où le printemps s'ouvre comme si de rien était.
C'est sans doute plus joyeux, plus nimbé de fillettes et de roses aux cheveux.
Je la suppose ainsi la vie pour ces chanceux, hors de la pluie, proche du feu.
Et je m'endors en y pensant, lorsque je dors, lorsque je peux faire fi de ce tranchant.

Cela dure trois minutes mais c'est déjà joli, fermer les yeux, taire la scie qui m'en signent de neufs... ouvertures difficiles et pleines de plaies veuves, d'un pansement, d'une bande, d'un ciel pour l'appétit apprêté de couleurs.
Goûter encore la lande au gré d'ocrées verdures par un matin parti radoucir le tableau, voici ce dont je rêve assis dans ce tombeau...
Qui crève sous les gouttes m'asphyxie comme seau.



Remedios Varo - L'architecte des rêves




vendredi 20 mars 2020

Propre surmoi

Dormir nous épuisait et la vaisselle était devenue un loisir appréciable.

C'est que la mousse conversait joliment, hissant à l'intérieur des bulles d'intenses messages d'espoir. Dieu que cela changeait ! Partout ailleurs tremblait, claquait grandement des dents, chacun feutré mais sans la volonté, le désir musculaire d'attendre. Alors les assiettes, les bols, les couteaux et même ces plats garnis de brûlures qu'on avait mis de côté les estimant perdus, tout ce décor d'aciers et porcelaines, jusqu'aux verres de plastique gardés au fil des fêtes selon de vieux réflexes d'existence, prenait actuellement, bouilli par les grumeaux chimiques forçant l'assainissement, une importance de cathédrale, de ces édifices levés face au soleil et demeurant puissants, stoïques refuges des âmes, lorsque la nuit s'arroge le fond du territoire. Frotter à l'éponge ces angles et ces courbes, ces rebords, ces murailles de tasses importées, d'activité retorse souhaitée à l'ennemi, était aujourd'hui la tâche la plus sublime et voir (après combien de grattages inconscients ?) le blanc renaître ici, un soulagement féroce comparable en jouissance, vide fait, résolution du monde, avec ce que le lit fort rarement descelle. Et c'était sans faire cas, pour revenir au geste précédent, des murmures enthousiastes de l'eau transfigurée, désormais enflement joyeusement neigeux, gratin de montagnes en cours d'élévation, galaxies d'archipel affleurant à vue d’œil tandis que tout l'évier, par des bruits de gorge et de rongeurs, avalait lentement une masse similaire d'horizons inédits... bientôt fuyant, par maints tuyaux, boyaux correspondants, vers des stations de traite où un milliard de ces miracles crèverait à l'unisson, là-bas dans une cave, une marmite d'exception elle-même redirigeant, après plusieurs calculs, ces bassins raplanis au sein de nos ballons aimants.

Jamais magie n'avait été plus simple, plus accessible l'effarante sorcellerie d'habitude possession des hirsutes et des moniales contorsionnées. Il suffisait de nettoyer, quotidiennement avec entrain, et ces douceurs rhétoriciennes, ces langages neufs d'inconnues destinées, perlaient en nombre sous nos yeux, parlant de lointains latins grecs transportant avec eux des défilés d'océans et transepts. Il suffisait de nettoyer, pour à défaut d'enfin trouver le sommeil, se remettre à rêver...

Moutons blancs sur la haie caquetant des "peut-être", appétissants cortèges d'animaux délivrés dont nous ferons partie, c'était sûr... éventuel... dans pas tellement longtemps à l'échelle du péché, et donc d'Adam et Ève, et donc du serpent sur la pomme lovée...

Il suffisait de nettoyer et, en patients magiciens, il était très certain que l'on s'en sortirait.


Artiste flamand ? - Sirènes mises au ciel

mercredi 18 mars 2020

Sourire

Le sourire qu'elle avait, qui se voyait en vérité plutôt depuis ses yeux puisqu'ils s'excroissaient (tapissant au passage sa cornée de vermicelles en fleurs) qu'à partir de sa bouche, mettait à jour chaque fois mon aigreur. Il me rembobinait, plantant partout sur moi des oasis nouvelles, des puits d'eau fraîche, des fontaines éclairant d'un seul coup l'horrible noircissement installé sous mes veines, sang de terre, glacier immobile et fort sombre obtenu à force de prendre à mon compte tous les malheurs environnants.

Son sourire avait donc plus de pouvoir que tous les pleurs occidentaux.

Evidemment j'en dépendais, esclave à joue osseuse tendant une langue mauve près d'un mur où filtrait une goutte de ce rictus... et qui, une fois rasséréné par lui, écartait d'une main ferme la pierre afin que ce petit point aléatoire d'amour se transforme en filet puis en flux concentré colorant mes babines au point que toute ma soif pour quelques heures s'éclipse. Mais bientôt j'y retournais et désirais un fleuve, de quoi continuellement baigner dans l'oeuvre offerte par ses traits.

Sourire remplissant d'or ma catacombe intime, je t'espérais ensuite susceptible de fondre ce jaune sucre en un métal encore plus précieux, en un plus puissant luxe...
En lave paradisiaque lavant de tout péché, en d'adamantins cours sans cesse renforcés, en des chemins floraux aux couleurs impossibles, sentiers fluo, routes étoilées, Elysées invincibles où nul n'était allé étaler sa poitrine. Lit de rivière, sourire, où j'escomptais dormir des rêves dînatoires, festins hallucinées de raisins et de poires. Ce sourire, ma boisson, mon vin, mon hostie, mon histoire... sans fin, sans crainte qu'il fasse noir, parce que ça je connaissais alors que l'encensoir, l'opium ostentatoire qu'arrangeait son visage à chacun de ses regards quand il se décrassait, chassait ses scories déplorables au profit d'un lacet touchant au vertical... c'était un inédit vital, inévitable volupté maintenant que j'avais eu la chance de croiser, ce froissement de la gloire. Sourire, grâce, bien sûr mais davantage, lampe géniale à l'huile d'argane, je ne pouvais m'en passer.

S'en passer cependant s'annonçait au programme. Pas par plaisir, volonté de sa part, mais parce que d'autres, alités et esclaves, aspiraient à le voir. Comme ils étaient malades, comme elle était une sainte, il était à prévoir qu'elle réponde à leurs plaintes. Sourire partageur car malheur est mondial et qu'il est nécessaire, en ces temps de nuits froides, que la chaleur des lèvres éponge au maximum la fièvre de ces âmes.

Sourire, sésame, à peine ouvert déjà fermé. Comme il est rare d'aimer et de planer et boire. J'allais ainsi tomber au fond du purgatoire, retrouver ma cellule, mon glacier, mon cauchemar. Mais... sourire... j'allais aussi à l'intérieur du trou, sous peu tout te revoir...

D'ici dix jours tu miroiterais, miroir liquide cassant l'espace, et j'avalerai ton verre et je verrai, beauté, ce que la Beauté cache dans tout ce qu'elle dévoile.

A mon tour de sourire
Voire de vivre

Oui, grâce à toi je vivrai et ce jusqu'à plus soif !


Dorothea Tanning - Cinquième Danger

dimanche 15 mars 2020

Sempiternel

Le soir avait raidi. Les épais rideaux métalliques des magasins s'étaient garnis de messages de plus en plus inquiets et sur les murs se lisaient, parfois intégralement, souvent à demi-déchirés, des données quant aux crimes perpétrés par les hommes. Certains d'entre-eux avaient tenté en vain de se crever les yeux en face de cette réalité statistique, jurant leur innocence alors même qu'ils savaient et qu'ils essayaient tout, musiques douces comme somnifères, pour s'endormir sans trop penser aux visages des victimes. Des enfants toussaient, peignant de gouttelettes rouges le fond de mouchoirs blancs. Et les vieillards, affligés déjà par mille rhumes différents, subissaient de plein fouet un mal sans issue. Quelques semaines plus tôt, l'absence de leurs petits-enfants pouvait s'expliquer par un paquet de raisons pragmatiques... elle était sûre désormais, légale, encouragée. Ils en perdirent patience, prenant la fièvre non plus comme un symptôme tombé sur eux pour déclencher une énième rébellion mais comme une bouée de sauvetage chaleureuse et bienvenue. Pourquoi combattraient-ils si derrière la bataille au lieu de rires tous familiers s'entendait uniquement la voix du général réclamant au plus vite qu'ils reprennent leurs armes et s'attaquent aux guérites, sans un jour de vacances, sans eau pour leur cheval ?
Dans les parcs les oiseaux ne se doutaient pas de grand chose ; ils avaient froid tout de même. Et tout le reste avait chaud, four pestilentiel.

Tandis qu'encore aujourd'hui, des abrutis faisaient la fête en large comité. Imperméables et invincibles, ces imbéciles avaient raté le train vers l'intellect préférant ramer grave près des berges acides de tout leur entourage. Alors oui, sûrement que ces corsaires resteront épargnés... mais quid de leurs suites ?

Cousins, cousines, amants, voisines, les observant depuis la plage, agitant un mouchoir...
Où déjà, par endroits, une rougeur se dessine.


Jean-Jacques Lequeu - "La longue vue"



jeudi 12 mars 2020

Passager (poème conformiste à destination du plus grand nombre)

La nuit tremblait encore
De ce que la journée
Était venue lui dire
A savoir qu'elle partait
Pour seulement revenir
D'ici huit ou dix heures.

"C'est une éternité !"
Songeait la nuit en pleurs
Mais déjà la lumière
reprenait l'ascenseur !

Aujourd'hui comme hier
La nuit n'était pas seule.

dimanche 8 mars 2020

Traversière

Tu sors. Une porte, une clef qu'il faut enfoncer largement pour que verrou se fasse, un couloir et près de six étages, une cour, toujours pavée et comme trempée de pluie, une seconde porte, rouge celle-là mais surtout bien plus haute. A peine l'as-tu poussé que déjà se découvre, en plus de la ruelle, un horizon de magasins perpétuellement ouverts. On y trouve notamment une épicerie fine et cotée apportant l'Italie par ses plus beaux aspects : des vins, des pâtisseries et des laitages. A côté d'elle se tient une menuiserie dans laquelle, au-delà des meubles anciens, un pantin se retape. Le patron le bichonne, lui fait bras, des jambes, lui simule un bassin... Et puis, au bout de ces commerces là où la plupart des quartiers parisiens proposent ou des transports ou bien d'autres commerces, chez toi on trouve un arbre... mais pas n'importe lequel !
Il est maigre, il est froid, affreusement voûté et donne l'impression qu'une simple bousculade le casserait en entier. Enfin, il est comme ça uniquement pour les autres...
Parce qu'avec toi, c'est-à-dire dès que tu t'en approches, et ce même en automne, il est paré de couleurs étonnantes... une palette d'A à Z, azurs et zinzolins, céladons et groseilles, et même des cuisses de nymphes et de blondes vénitiennes... c'est soleils et planètes ! Et c'est cela qui le tient malgré sa mine blême pour ceux de tes voisins qui le voient apparaître.

La raison de ces teintes réservées à ta tête ? Des oiseaux par centaines, masse de plumes qui s'agrègent et forment un bouquet saint histoire que tu l'observes... puisqu'après tout, c'est pour tes yeux qu'ils viennent. (Pour tes yeux également qu'au-dessus dans le ciel un invincible bleu douceureusement progresse, qu'importe qu'il fasse nuit ou qu'à deux pas du gris dépose pire qu'un couvercle. Pour tes yeux la Nature conspire des prouesses, quitte à se déchirer et risquer par échos d'engloutir tout Vincennes...
Et pour tes yeux, pareil, je deviens un poète... aimable et beau, en un mot un esthète mais qui aurait compris la vérité secrète : à savoir que tu es tout ce qu'il faut qu'on célèbre !

 *

Tu sors et à ton cou, tel qu'un collier de pierres, tous mes baisers se jettent.
On ne peut qu'adorer une force aussi nette.)


Carlos Schwabe - Dessin de rose en illustration de "Au jardin de l'infante"