vendredi 23 juin 2017

La constellation du chien

En ces heures incorrectes où le sinistre mange tout le visage humain, d'incendies sur les mers en glaciers ignivomes, je cherche parmi les tombes éclairées au hasard, un sourire sauveur.
Sauf que cette grimace entamée par deux joues surprises par l'air frais d'une tendresse alpine n'arrive jamais pour moi malgré l'empressement que je mets dans chaque encre pour qu'il puisse exister.

Blanc, cultivé par le passage sur mon front de lézards étonnants amoureux de la rime, incroyable conteur des dénivelés du spleen, je ne suis finalement pour la gent féminine qu'un soliste de plus sur les greniers charnus de leur délicatesse...
Un essai d'astronaute dont la combinaison voit ses fils perdus au gré des attractions tandis que sa visière s'embrume radicalement dès que la lune approche et qu'il faut la fouler...

Je m'étais espéré un destin de morsure et d'orgie sur la langue mais je ne suis qu'une dent brisée par feues mes jambes et qu'un palais sanglant dégageant comme un puits l'atroce odeur de cuivre de mon enfermement.

Qui me voit dans la rue couve obligatoirement une envie de vomir et si tel n'est pas le cas c'est que déjà les glaires furent expectorés.
L'or désargenté de ma vie d'écrivain aux yeux colorés d'os et de grandes brûlures n'intéresse pas les autres et ma corne de corps, sous-ligue d'intestins constamment oppressées, n'est qu'un drap d'ossements que la Nuit vient poser sur le séchoir du Temps.

Ainsi, jeunes femmes, avocates en devenir ou maîtresses de peintre, voient dans mon apparence uniquement son revers, c'est-à-dire la chair retournée, la cuisse confusée par toutes ces cicatrices tracées quand j'étais gosse sur l'épaisse page blanche de mon désavantage.
Elles voient le barda noir des ficelles agissant au travers de mes membres et ce genou rentré, et cette cheville qui tangue avant que l'embardée de ma basse moitié n'achève son chemin au pied d'un escalier...

Cependant s'attrister d'une telle réception relève du mauvais goût, tout comme il est minable d'enfanter un poème ayant pour seul objet le Je et ses entrailles, fussent-elles désespérées.
Alors, faisons lamentable rase de ces pleurnicheries et joignons pour finir, les louables sentiers de la vasectomie !

Car quelle personne douée de discernement pourrait bien désirer que mon sperme, dès à présent liquide d'une teneur effroyable et dont la densité n'a d'égale que l'horreur qu'il inspire à la vue, suppurante fantasmagorie que Poe certainement aurait pu emprunter pour peindre justement son masque de Mort rouge, n'enfante ? Je veux dire, si par malheur mon sperme avait la folle idée de croître au creux d'un ventre, de femme ou bien de bête pour parler là d'un scénario possible, il paraît évident, même pour moi qui le possède, qu'il grandirait à la façon des pestes et prendrait le faciès de quelque lèpre humide, de quelque truie stupide !

Oh ! mon squelette de sperme, s'extirpant avant l'heure du bouillon amniotique, deviendrait en l'espace de quelques jours sur Terre, la pire créature ayant jamais vécu et la racine ultime de chaque futur cauchemar. Alors, je vous en prie, mesdames, menez-moi tout de suite vers ces laboratoires où l'on coupe la bite des vermines dans mon genre, ça nous évitera bien des problèmes et puis pour Lui ne craigniez rien puisqu'on ne peut pas tuer ce qui est déjà mort.

Ceci étant dit, je demeure disponible pour un éventuel café, d'autant qu'il paraît même que j'embrasse très bien quand ma bouche se retient de dire la vérité.


Eichi Yamamoto - Capture issue de "La Belladone de la tristesse"

mercredi 21 juin 2017

The scheme

Fallait-il frapper l'enfant ou le laisser sur la plage avec ses membres informes
En guise de seules armes contre les rouges cuirasses de la nature bretonne ?

Fallait-il seulement se reproduire et mettre de la machine parmi les grains de sable ?
Si tout était resté à l'état de cible incroyablement plane sur laquelle aurait dû, un moment l'autre, se planter les étoiles, n'aurions-nous pas été plus heureux en fin de compte ?
Savoir que l'on va mourir dans un mouvement d'écume obstruant les courroies de l'oxygène, du sang et de la joie, est-ce là une destinée enviable sur l'amibe ?
Cette grosse amibe qu'est l'enfant sur la plage et qui n'est traversée que par l'électricité, sans aucune sorte de logique ni de masque, entre chacune de ses morts.

Il aurait certainement été plus sage pour toute la race humaine que de s'éteindre après la première gâterie, le premier oeuf au plat ou le premier homerun.
Vouloir multiplier ses sensations divines et en donner l'accès à tous les êtres humains était un acte d'une crasse ignominie.
Déjà parce que toute multiplication sous-entend un appauvrissement de ces nues découvertes
Ensuite parce que cet appauvrissement évidemment veut dire que beaucoup de personnes n'auront jamais la chance (si l'on se fie aux froides dramaturgies comprises dans les mathématiques), soit de goûter au sexe, soit de toucher à l'oeuf, soit de taper une balle lancée à 100kmh.

Quand notre Dieu réel, celui qui ressemblait du visage à un singe et du corps à un adolescent, a pris la décision de nous propager comme des champignons, il a à mon avis franchement manqué son coup.

Combien de couchers de soleil inutiles et de nuits invisibles ont-ils eu lieu depuis ?
Combien de fosses pleines de marmots tracées par le fil d'une balle ?
Combien de crimes irrésolus et de pièces d'opéra, magistralement pensée par une vie cérébrale supérieure à la moyenne et désireuse d'un peu sauver le monde, invariablement tombées dans un mutique oubli ?
Combien de glaces à la crème sur des tee-shirts vifs nettoyés à la hâte dans les toilettes d'un centre commercial ou d'un restaurant bondé creusé en plein milieu d'un parc d'attractions au-dessus duquel, indifféremment, les nuages transportent les rires apeurées et les larmes sérieuses de ces jeunes adultes coincés dans des costumes d'écureuils géants pour un salaire encore plus ridicule que tout ce ridicule qu'est cette vaste entreprise qu'est le divertissement ?
Combien de femmes battues pire que la Terre ?
Et combien de noyés, comme on dit, en plein air ?

Toutes ces recopies ininterrompues du délitement humain, de ce tibia brisé par l'avant d'une voiture à cette gorge tranchée par la caméra que tient le terroriste, toutes ces répétitions de guerres, de pestes et d'infanteries valent-elles vraiment la peine d'être "mourrues" en face de ces orgasmes et de ces oeufs se battant en duel dans la poële imbécile de la Mortalité ?

N'avoir pour certitude que l'idée fondatrice qu'un jour notre coeur crachera du sang par terre et un qu'on le rejoindra après un dernier rail de sueurs et de calmants...tout en vivant avec pour unique entourage une nef de frustrations dont les vitraux éteints vous rient à la figure à chaque éternuement (ou geste immaîtrisé)...et ce bien sûr en côtoyant une quantité astrale d'idiots et de catins, infichus d'aimer ou de serrer une main sans planquer sous leurs langues ou sous leurs ongles sales, d'inélégants miroirs ignorant tout d'eux-mêmes et de la majesté d'un bouquet de chats noirs...

Quand ceux-ci sortent et puis se battent, musique répétitive mais toujours réjouissante de miaulements atroces où les félins se griffent, sous l'oeil poché des lampadaires actuels, jusqu'à ce que mort s'en suive ou que flotte dans l'air un parfum de passion voire de viande prise.
Celle d'un rat
Dont les infatuations envers l'automobile le précipitent chaque jour vers un sombre futur
De ventre déchiqueté.
Et bien ce ventre, gris de poils et rouge de sang, ce ventre en vérité est la Lune elle-même.

La Lune oui la Lune n'est rien de plus qu'un abdomen de rat percé par la vitesse et rongé par les chats.

Ne croyez donc pas tout ce qu'on dit sur elle, à savoir qu'elle guiderait les marées ou les physiologies des hommes endonjonnés et des femmes mariées ! Ce sont de pures bêtises et j'en veux pour preuve qu'en ce soir où ce couple, visiblement gagné par l'ivresse, a déposé son fils comme une lettre sur la plage, il n'y avait pas de lune dans le ciel et donc pas de marée, ce qui n'empêcha pas, pourtant, les vagues de le décacheter et d'en faire au final, la chose de l'océan.

Tout comme nous sommes, après tout finalement, la chose de la Terre
Et des êtres vivants qui n'ont bien de vivants que le nom de leur père
C'est-à-dire quelques lettres trouvables facilement dans n'importe quel cimetière de chaque métropole
Tout comme les oeufs brûlés, les jouissances piteuses ou les balles captées avant qu'elles touchent le sol.

Avant qu'elles touchent le sol...
La vie, c'est sans doute cela, c'est faire le deuil du présent au profit de son illusion et accepter que cette balle, destinée ou au gant ou au sable et qui quoi qu'il arrive sera bientôt salie, soit par la main de l'homme, soit par celle de la plage, peut encore aller ailleurs (là où il fait beau par exemple et où les petites lèvres pleuvent génialement) puisqu'avant qu'elle ne touche le sol, cette balle est la nôtre.

*
Note à l'attention des lecteurs émotifs ou par trop désireux d'obtenir des réponses : Rassurez-vous, l'enfant a survécu à son voyage en mer. Il vit désormais en Russie où il attend d'être pendu parce qu'il a le défaut d'apprécier différemment ses oeufs. Quant à ses parents, ils sont restés en France à prospérer, comme beaucoup de salauds, avant qu'un accident du quotidien (dans ce cas précis, la vieillesse) ne les cloue pour toujours au dossier d'une chaise. Bien fait pour eux !

JV-mindmap1



mardi 20 juin 2017

Les mots de corps. Introduction.

Mes nerfs sont devenus de ces créatures pâles et de ces herbes rabougries que chaque courant d'air terrasse ou décapite. Le moindre bruit païen, la moindre voix joyeuse par la cause des drogues, la moindre faute dans l'art orthographique occasionne sur eux ainsi que sur l'ensemble de mon métabolisme, de franches afflictions. Tant et si bien que Paris, ville propice à toutes ces humaines bêtises, a fini par devenir l'arbre porteur de toutes mes blessures. Et ses encoches sont nombreuses et elles portent cent noms. Cent noms de femmes et cent noms d'hommes m'ayant déçu, trahi ou bien quitté. Cent noms de parents m'orphelinant sans le savoir tout en perdant leur œil pour ma littérature...comme si cette dernière dépendait tout à fait de notre fréquentation et non de sa valeur.

Quelquefois, je me dis qu'aucun de mes contemporains n'est finalement capable d'un peu me rassurer. Quelquefois, autant dire toujours, je doute des autres comme je doute de moi et se ferment alors des portes angoissantes, joues d'un visage à la bouche piégeuse et dont la doublure des lèvres cache parmi la carne, le gloss et les plissures, plusieurs rangées d'os acérés comme il faut.
Disons que - et les mots qui vont suivre roulent des mains d'un homme fatigué qui se sait inutile - dans la plupart des cas de ma vie actuelle, l'être humain me tombe sur la tête et que je dois composer avec ses cris à mes oreilles et ses boyaux s'enroulant autour de mes épaules.
Disons que...l'agacement menace d'être bientôt un sentiment d'habitude pour moi comme on s'adapte bien à dix kilos de plus ou dix kilos de moins.
J'aimerais ne plus être agacé et me satisfaire comme Antigone de ma vie de fiction mais la tasse me boit trop dramatiquement. Ceux qui me voient sourire jurent avoir vu souvent des larmes s'avancer et ceux qui voient mes larmes m'assurent après coup avoir senti une ligne se creuser sur mes veines. Pas que je veuille effectivement me suicider mais la vie paraît parfois tout faire pour que j'y pense. Je pense qu'elle fait avec moi comme avec tous les autres, elle insinue, elle balade son murmure jusqu'au coeur volontaire qui saura l'écouter comme un chemin à suivre. Et puis, et puis, celui-là me tombera sur la tête, avec ses cris à mes oreilles et ses boyaux s'enroulant autour de mes épaules.

Le truc, parce qu'il y a un truc comme dans tous les tours de magie véritable (même parmi les plus noirs), c'est que la plante grave de mon découragement n'est pas de ces croisements engendrés par la science, en ceci que je suis un dépressif tout à fait naturel voire tout à fait logique. Je veux dire, qui n'aurait pas des difficultés à se sentir heureux en ayant la moitié du corps privé de toute latitude, sorte de machine désorganisée qui sait mener d'un point A à un point B mais dont l'allure est grossière et dont les mécanismes épuisent la colonne en plus d'offrir au monde ce qu'il ne veut pas voir, c'est-à-dire l'handicap. Car oui...je suis handicapé et oui ce monde se refuse à me voir. Enfin, ce n'est pas tellement ça, c'est plutôt qu'il se refuse à me prendre pour quelqu'un n'ayant pas ce que j'ai, ce qui est normal et juste sauf que mon cerveau, pour survivre et garder la tête haute, lui, persiste à me faire croire que je n'ai pas tout à fait ce que j'ai. Histoire d'être plus clair, voici comme je m'imagine quand je marche en pleine rue :

Je suis un homme élégant qui a, certes, un léger défaut de marche mais qui porte excellent.

Et voici comment la réalité est :

Je suis un homme élégant qui a un grave défaut de marche, visible par tous au premier coup d'oeil, tabou basique de tout échange, grief esthétique impossible à corriger et m'enlevant toute chance de séduire par le corps.

Je suis donc un handicapé pur jus.
Et l'handicapé - et attention, ce qui vaut pour moi qui suis malgré tout modérément blessé vaut mille fois pire pour celui dont la vie est en chaise, en béquilles ou bien sur une planche - est cet homme, cette femme dont la révélation de son insécable condition provoque toujours, absolument toujours, la déception chez l'autre.
Qu'un homme soit noir, musulman, homosexuel ou qu'une femme soit femme, au-delà du lit mortel et discriminatoire, ils trouveront chaque fois ou presque une seconde couche auprès de ceux qui ont soit la chance de leur ressembler, soit l'intelligence de les aimer.
Mais un handicapé n'a pas ce choix.
L'handicapé ne peut pas aller auprès des autres handicapés car ce serait comme se retrouver dans la classe d'un type, un peu plus beau que vous, et arborant la même chemise. Etrangement, parce que défait de son exclusivité, votre chemise paraît minable comme tout l'handicap, au milieu d'autres handicapés, paraît encore plus grave que dans cette comédie qu'est la vie quotidienne.

Et l'handicapé ne peut pas non plus compter sur ces autres susceptibles de le comprendre totalement ou bien de l'accepter. Parce qu'un oeil arraché sera toujours difficile à voir pour quiconque tout comme par exemple une paire de jambes à angle droit.

Nous sommes les bienvenus nulle part et les héros d'aucune mythologie, nous sommes l'assuré accroissement du malaise partout où nous passons, comme ces sans-abris n'ayant plus du savon qu'un souvenir lointain. Alors, plutôt que de sentir exclu, on s'oblige à se sentir semblable aux autres êtres humains. Quand bien même, dans les faits, ils ne savent rien.

Car ils ne savent rien. Quand un foulé de la cheville ou un fracturé de la jambe me parle avec compassion de notre épreuve qu'il imagine commune, je souris en pensant à lui fracturer l'autre...puisque l'handicapé, contrairement au blessé, n'a bien souvent aucun espoir de guérison. Il ne peut pas serrer les dents pendant six mois en se disant que de toute façon, tout finira bien par rentrer dans l'ordre...puisqu'il serrera sûrement les dents toute sa vie, et de plus en plus fort, comme l'âge et ses dégénérescences frappent encore plus crûment les êtres déjà faibles.

Ils ne savent pas ce que c'est que le regard d'une femme ou d'un homme quand cette personne découvre avec déplaisir que l'on est pas comme elle et que conjointement s'évanouissent les mirages copieux qu'une rencontre standard aurait pu entretenir. Ils ne savent pas ce que c'est que d'être traité toujours avec pitié, comme un enfant, comme un vieillard, alors qu'on espère simplement se fondre dans la masse. Ils ne savent pas non plus l'effet inverse de cette envie quand la foule, des transports ou des rues, ne remarque pas ce cadavre attaché à vos jambes et vous bouscule et vous écarte, et vous balance sans distinction aucune. Ils ne savent pas ce que c'est que de devoir toujours veiller à sa posture en compagnie d'autrui alors que tout notre corps réclame le laisser-aller. Ils ne savent pas ce que c'est que de devoir se courber, se forcer, se plier, pour avoir enfin l'air d'un de ces humains de cinéma en face de la glace. Ils ne savent pas que les miroirs sont pour nous les choses les plus graves parce qu'elles nous sortent de l'état de grâce du "je suis comme eux, au fond" et nous remet devant notre difformité.

Et cette liste pourrait durer encore cent ou mille paragraphes mais là n'est pas le but, d'ailleurs, je ne sais pas quel est mon but tandis que j'écris ces lignes dévoilant le portrait de mes souffrances intimes.

Peut-être cherchais-je à me soulager ? Ou à me faire plaindre ? Ou à mettre en lumière ce qui est tant à l'ombre ? Je ne sais pas.

Ce que je sais en revanche c'est que mes joues sont tièdes à cause de mes larmes et qu'à y voir de plus près, il se peut que cette ligne se creusant sous ma veine soit en fait un poème...du genre miraculeux...du genre qui sauve des vies...ne serait-ce que la mienne...et c'est déjà joli.

lundi 19 juin 2017

Hangwoman. Chapitre 1.6

Violaceous Curtains




Une proposition de cinéma...je me demande bien ce qu'il entend par là...est-ce qu'il envisage sérieusement, près de cinq ans depuis notre dernière rencontre et après ce que je viens de lui dire, de m'inviter au cinéma ?
Peut-être me pense-t-il folle au point de vouloir rejouer mon adolescence à coups de pop-corn et de films d'horreur en guise de prétexte pour lier nos mains moites avant de souder nos deux bouches devant le tube rock du générique de fin ?
Ou peut-être s'estime-t-il suffisamment séduisant pour que j'acquiesce à la moindre de ses tentatives, ou les deux à la fois...
Moi, la femme imaginée fragile usant d'une histoire tirée par les cheveux pour obtenir du sexe auprès de ses beaux yeux ?
Qu'entend-il vraiment par "une proposition de cinéma" ?
Je ne le sais pas, j'ai un mal de tête assez costaud, les boyaux retournés sur eux-mêmes comme ces ressorts magiques descendant gracieusement ces lointains escaliers où l'enfance était belle et formait des promesses à chaque nouvelle journée...
Je n'aurais pas dû me rendre directement chez lui mais la coïncidence était trop forte, je ne pouvais rester les bras croisés après avoir lu ce que je venais d'écrire...
"Décapitation par un inconnu de Ben Cavalero, résidant au 36 rue des Écaillés, P****"...
Je ne pouvais pas me contenter de lui écrire un mail ou de l'appeler au téléphone, il aurait immédiatement songé à un canular ou à une de ses blagues, étranges mais sans conséquences, qui font le lit des légendes urbaines...
Il fallait qu'il soit prévenu de vive voix et qu'il comprenne, pour de vrai, que sa vie était en danger...
C'était là mon devoir en tant qu'ancienne camarade d'école et tant pis si j'avais l'air d'une conne.
Le ridicule vaut toujours mieux que la lâcheté. Le ridicule ne tue pas mais il donne mal au ventre...je ne sais pas ce que j'ai...
"Une proposition de cinéma"...je commence à avoir des frissons et mon environnement, ces toilettes exiguës, cet éclairage gras, d'une solitude de lampe sortie de ces hangars où s'épuisent en rond le bétail inutile...et cette porte blanche tachée par trois fois de gros pouces violets...

J'avais toujours recherché la perfection, dans ma vie intérieure comme dans ma vie de cœur et je ne l'avais trouvé qu'à de rares exceptions par le biais d'alcools forts ou de nuits étonnamment sexuelles durant lesquelles les passions, les réelles passions, cessaient de chercher à tout prix le bon mot et la bonne expression au profit exclusivement sensuel.
La Langue battue par la salive, la caresse et l'instinctif rougeur de joues qui s'abandonnent au fond de cuisses bavardes...
Iris...Iris était la seule sorte de perfection perdurant dans mon monde même lorsque j'étais sobre alors Ben et son cinéma peuvent clairement aller se rhabiller...
J'aimerais tellement ne plus être dans cet appartement et être dans mon lit, tout contre elle, sans avoir rien de plus à penser qu'à la chaleur, anesthésiante, de son corps près du mien.

Mais son corps était loin et j'étais dans ces toilettes, décorées par la mauvaise nouvelle et les désirs d'un homme incapable de peindre correctement une porte.
Il avait songé à remplacer son beige mortuaire par un violet plus amical mais l'ampleur de la tâche l'avait sans doute refroidie et il s'était contenté de trois grosses traces de doigt avant de reposer le pot de peinture bien sagement sur son étagère.
Toutes mes expériences avec les hommes ressemblaient à cette porte, c'est-à-dire à une application rigoureuse de la chose inachevée.

Mon crâne me brûle, il paraît dupliquer cette ampoule grillant au-dessus de moi, je devrais peut-être sortir de là et demander à Ben de me filer un anti-migraineux avant de m'éclipser avec pour moi l'excuse de ma petite santé.
Mais quelque chose me dit qu'il vaut mieux que je reste.
Je ne pense qu'il m'ait tout à fait cru tout à l'heure quand je lui ai dit que je savais de source sûre que quelqu'un avait en tête de l'abattre froidement.
En tout cas, il n'a pas eu l'air effrayé ni surpris, comme s'il n'y croyait pas du tout ou s'il savait déjà.
Il ne m'a même pas demandé d'où je pouvais sortir pareille information, il m'a simplement resservi un verre et m'a parlé de ses projets dans l'immobilier avant d'évoquer sa fameuse "proposition de cinéma.
Si ça se trouve, il est l'ami d'un ami d'un ami qui travaille dans ce milieu et il a vu en moi un potentiel d'actrice pour sûr insoupçonné.
Si ça se trouve, la réalité est moins glorieuse.
Quoi qu'il en soit, même s'il me voyait avoir un destin à la Marylin, je n'en voudrais pour rien au monde...

L'idée de passer des jours entiers à patienter sur une chaise avant de dire cinq lignes à un vieux beau sans charme payé quatre fois plus que moi ne m'enchante aucunement...pas plus que je ne rêve de croiser dans la rue des gens qui me reconnaissent.
Je n'ai pas envie d'être un symbole à cause d'on ne sait quel hasard chimique faisant que mon visage, filmé par une machine, a un truc d'attrayant...je veux pouvoir continuer de scruter la tête des passants en totale discrétion et continuer aussi à leur inventer des histoires, à partir d'une ride ou d'un clignement d'oeil...
Les étoiles richissimes des boulevards célèbres ont pour moi un attrait similaire aux jeans dépecés, en ceci qu'elles dépendent entièrement de la mode et que celles-ci, de toutes les façons, ne durent jamais vraiment.
Les vêtements ne durent pas, les actrices non plus, qui aujourd'hui se souvient des blondes hitchcokiennes et de leurs noms complets ?
Quasiment personne tandis qu'Hitchcock demeure en bonne place dans les placards des cerveaux cinéphiles.
La gloire...me fait...vomir...Non, il faut que je me fasse vomir, je sens que ça ne va pas du tout.
Tout tourne autour de moi.
La lumière.
Les taches violettes et le grand inachèvement de tout ce qui m'entoure.
Quelque chose m'échappe et ce quelque chose me ressemble étrangement.

Le meuble me faisant face a désormais l'allure d'une plante carnivore...
Qu'importe, dans un de ces réflexes survenant uniquement chez ceux plongés dans un état second pour qui la logique exige qu'on s'investisse de plus en plus franchement au sein du cauchemar, plutôt que de fuir, j'arrache aux dents du meuble un tiroir où repose un magazine plein de jeux et mots croisés.
Sur une page au hasard, niveau 2, thème Astrologie, j'écris à l'aide du stylo trouvé parmi son estomac, des chiffres à la place des lettres.

21...07...201*...37...17...43...
C'est !
Une sensation libératrice me vient, le malaise m'enserrant fait relâche et mes mains moites, à cause du pop-corn immonde par Ben proposé, redeviennent mains sèches.
En revanche, ma nuque, jusqu'à lors très dure, traîne derrière elle une chevelure humide.
Je sue à grosses gouttes et mon visage, auparavant tranquille et digne des plus grandes, pâlit à la vitesse d'une mère sans son fils.
Le fait de comprendre ce qu'il se passe, grâce aux chiffres que je viens d'écrire, me fait encore moins comprendre l'ensemble.
Tant et si bien que j'essaie, au lieu de réagir, de résoudre l'énigme de ces mots croisés quelques pages plus loin..

Niveau 4, thème : Jalousie. Non. Le thème est ; "Parcs d'attraction" mais automatiquement ma main est venue barrer cette proposition pour inscrire "Jalousie".
A côté d'elle, les mots noircissent les uns après les autres, la sueur ayant gagné mon front les peignant de son eau de taches obsessives.
Je devrais sortir mais un dernier geste opéré par ma main m'en empêche franchement.
A droite de la case bleue où paraît maladroitement le nom "Everland", j'écris, en cinq lettres : "Reste". Reste. Reste.

La suite se déclenche donc sans moi.
A la lumière de cette ampoule malade où je manque de m'évanouir.
J'ai à peine le temps de comprendre le "21.07.201*" et de réaliser qu'il s'agit de la date du jour, idem pour le 17.43 qui n'est pas éloigné de l'heure qu'il était, que déjà j'entends le bruit d'un objet lourd qui roule sur le sol.
Les bruits qui suivent ressemblent à ceux d'un arrosoir automatique, puis, distinctement, j'entends : "Le fils de pute" avant de saisir d'un bout d'oreille le fracas sourd d'un verre lancé à pleine force.
La suite ce sont des pas.
Et moi, défigurée par la sueur, incapable de tout mouvement, comme paralysée et souhaitant rien de mieux que de dormir un bon coup alors que l'assassin approche.

Bientôt, il n'approche plus, bientôt, il est là !
Il frappe à la porte, il demande si quelqu'un est là, je ne réponds pas.
Il frappe encore, je ne réponds toujours pas et même si je le voulais, je ne le peux pas, ma bouche étant partie dans une direction où seule une bave incontrôlable fait figure de boussole.
Il continue de frapper, plus fort cette fois et d'ailleurs tellement que les taches de peinture étalées sur la porte semblent trembler et menacent presque de me sauter au visage.
Il frappe, il frappe.
Et je ne peux rien.
Je prie pour qu'il abandonne et qu'il s'en aille, je n'ai rien fait après tout.
Je suis juste un peu folle et diablement malade mais rien de rien pouvant mériter le meurtre !
Enfin, il arrête de frapper.
J'envisage un ouf de soulagement mais même de cela, j'en suis tout à fait incapable.

Quoi qu'il en soit, ce soulagement aurait été chose vaine puisque quelques secondes plus tard, par un coup sec, je comprends que le verrou vient de s'ouvrir.
"Une proposition de cinéma"...c'était peut-être à ça qu'il pensait...à faire de moi la victime d'un slasher hautement codéïné piochant allègrement dans le lugubre et dans le mauvais goût...ou bien suis-je malade et cauchemardais-je ainsi toutes ces inventions ?
Je ne le sais pas et le stylo dans ma main paraît mort.
Il va donc falloir attendre que s'ouvre cette porte...

La fin qui n'est que le début d'une prochaine fin ressemble bizarrement à tout ce que j'avais imaginé mais en beaucoup plus rouge.

L'assassin n'existait pas davantage qu'un courant d'air et ce courant d'air, d'une teinte incarnadine, me trouvant à demi-morte sur les toilettes s'empressa de fourrer ses légers doigts dans le fond de ma gorge pour me faire vomir. Puis, une fois le processus enclenchée, elle prit soin de me tenir les cheveux comme le font les amis les soirs de mauvaise cuite foulant du pied les fêtes lycéennes. Mes esprits revenus, je me découvrais seule dans cet appartement. Serrant plus que jamais mon stylo, à la manière d'une arme, je quittai enfin les toilettes et rejoignais le salon où je ne trouvais rien sinon le verre, brisé de toutes parts, que Ben m'avait resservi. Continuant nerveusement mon exploration, j'aboutissais dans la chambre de Ben où...en plus de sa tête arrachée...s'étendaient sur le lit diverses sangles ainsi qu'un appareil photo...Ma voix était revenue et je m'apprêtais à crier devant ce double crime, celui commis et celui empêché, quand une nouvelle main se plaqua sur ma bouche. Elle était froide comme la main d'un père.

Remplaçant la mienne, une autre voix féminine se fit entendre : "Désolé pour tout ça. On va tout t'expliquer mais avant tout, il faut qu'on se débarrasse de cette foutue tête. T'es prête à nous aider ?"

Les toilettes, l'alcool, le poison, l'appareil photo, les taches violettes et ma recherche de la perfection sautillaient tous ensemble dans mes yeux tandis que j'acquiesçais. A cette obéissance pourtant, mon cerveau sembla ravi et ma main relâcha quelque peu le stylo. Je me retournai ensuite vers mes ravisseurs ou mes sauveurs, je ne savais plus trop, et voyais devant moi deux êtres épuisés mais souriants reposant l'un sur l'autre parce que trop affaiblis.

Il y avait d'abord cet homme, très grand et d'une morphologie ne laissant pas savoir s'il était très mince ou pas mal en surpoids et dont le visage d'une pâleur abyssale semblait trahir un millier de rides enfouies que ses yeux, d'une netteté de couteau, camouflaient brillamment.

Et il y avait cette femme que je reconnaissais puisqu'étant le sosie, de chair et d'os, du courant d'air rouge m'ayant aidé à tout dégobiller et tenu les cheveux durant cette infamante épreuve. Elle avait la peau plus foncée que l'homme à côté d'elle - mais qui ne l'avait pas ? - et des traits d'une douceur barbare qui ressortaient encore plus férocement, encore plus bellement, du fait de l'épaisse trace qui s'enroulait, comme un serpent aux écailles violacées, autour de son cou.

Ils étaient quelque part, de par leur aspect irrésolu, tout à fait attirants.
Ils étaient quelque part, ce que doit être l'inachevé...c'est-à-dire une quête perpétuelle et mystique que seules la folie ou la disparition peuvent un peu ralentir, et non une de ces choses que l'on peut arrêter ou remettre à demain.
Ils étaient quelque part, ce qu'Iris est aussi, une proposition de cinéma apparue dans ma vie.

C'est pourquoi, "Reste", même sans le stylo et toutes ses prédictions, est vite devenu un ordre naturel et pourquoi moi Sofia, je suis surexcitée tandis que je planque cette tête dans un sac poubelle.