jeudi 16 février 2017

Des roses dans ce genre

Quand mon esprit soudainement se déporte
Se mue, transmue, en un incendie fou à lier
Aux pierreries immenses, comptoir sablonneux
Où les diamants se tordent
Comme des coups du sort d'un soir merveilleux

L'enfant sans destination range alors son arme dans la flaque la plus proche
Et l'arme boit la tasse, le revolver s'engorge
Puis disparaît, avec Alice, au-dessous des miroirs
Et des possessions tristes.

Attendez-moi la main avant qu'elle ne s'épuise
Que sa peau ne devienne une oubliée banquise
Sur laquelle jouent ensemble des souvenirs pulpeux
De nous, du tendre, de nos feues joues sans eux

Quand nos visages n'en formaient plus qu'un seul
Une face terrible aux yeux découpés dans une nappe
D'un motif bizarre, espèce d'étoile brisée par le milieu
Produisant les sonores de vieux farces et attrapes.

Force
Et attrape
De tes doigts l'étoile basse que tous te refusent
Aime à ses lèvres, cette infusion des lunes
Et plonge ta dentition dans ses nombreux abysses
Où dansent, s'étirent, se déshabillent
Des corridors de chair humides et terrifiants
Qu'il te faut grignoter jusqu'à la fin des temps.

Parce que n'est bon sur Terre que le plaisir des femmes
Leur oeil rétrécissant
Et l'impression infâme,
De faire du bien
En s'approchant, par son bassin
Du sang...

Et par le sang du drame
Du délitement
De chaque os,
Chaque articulation
De la beauté
Finalement
Redevenue passion...

Et sortie des tableaux, des livres, des chansons,
La beauté qui nous baise, nous montre l'horizon
La beauté et ses jambes, magnifiques comme des monstres
Dont la peau serait faite d'une telle façon
Que l'épiderme serait mélange d'arpèges et de glaçons
Tandis que toutes les veines, boisseaux ensorcelants
Auraient pris la peinture d'une flamme se levant
Là-bas, à l'est froid d'un bois bleu d'artifice
Entorse promise au ciel, soleil s'éveillant
Pour nourrir de son miel les serfs et les biches...

La beauté, oui, mon rêve paysan
Pomme-de-terre de femme et féminin pain blanc
Dont la mie illumine comme une intelligence
Les ventres abêtis de ceux-là qui l'encensent...

Femme.
Dérivé de poitrines, de cuisses et d'opulence
Faisant monter aux yeux des paupières les plus pauvres
Toutes les galaxies et chaque indépendance
Quand votre doux regard entre au dedans du nôtre
Et qu'il en ressort, comme une faux, notre âme déjà morte
De vous
De vos cheveux, de vos harpes et vos cordes

Vocales sirènes emportant les navires par le fond
Pour empêcher pirates de tirer aux canons
Les murènes et les carpes qui peuplent l'horizon
Ou du moins, sa déversée version...

Voix
Extra-terrestres et douces
Comme celles de la médecine ou du chocolat noir
Voix de femmes qui bandent les arcs de la langue

Quand les hommes s'entendent seulement pour se battre
Les femmes, elles, chantent
Comme des algues
Amères et couchées dans les ombres du soir.

...
Enfin. Je dis "femme" mais c'est une image avant tout autre chose
Les hommes pouvant très bien être ce genre de roses
Aux épines sorties et aux couleurs profondes, n'ayant pas tant à voir avec la fleur
Qu'avec la sueur du monde,
Celle qui coule du front, chaque jour, de celles qui s'exténuent
Jusqu'à ne plus voir la nuit ou qui ne sont jamais nues, à cause d'une envie
Qu'elles chassèrent à coups de poing mais qui les mis au sol,
Avant que d'écarter, un peu, leur auréole
Et puis de la casser, violemment, d'un geste masculin.

Ces roses qui ne sont pas des roses qui ne sont pas des femmes
Font les bouquets de toute ma prose, de tous mes épigrammes
Qui souvent se retrouvent tracés aux ongles dans le marbre
Par un "viens que je te cause" ayant tourné au drame...

C'est pourquoi, bien qu'au-dessus de moi s'égrainent des rimes assez sensuelles
Je ne peux pas tout à fait dire que j'aime ainsi les femmes
Non, je les aime autrement, davantage comme des bombes
Quand celles-ci sont au poivre ou qu'elles sont pleines de songes
Susceptibles d'ouvrir
L'oeil arraché du monde.

...
Des roses dans ce genre
Éternelles secondes...

Unica Zürn - Silence, Night and Dreams

jeudi 2 février 2017

Emboutir le soir / Rédacteur sinistre

Quand, à une heure monstrueuse, Joseph mon médecin, découvrira mon corps sans vie partout percé d'aiguilles, ils seront nombreux, dans sa tête, à se demander la provenance de ces aiguillons rares.

. . .

Pourtant, sa question demeurera sans réponse comme toutes les bonnes énigmes touchant à ma personne.

Je veux dire, je suis là, sur sa table grise, le ventre à la vue de tous et les paupières lâches, avec dans les veines des bras contracturés et beiges, coulant un sang de carnaval, confettis violets, oranges et verts, caressant les trottoirs d'une ville dépeuplée où seule subsiste encore, un peu de brume et d'aube ainsi que la bouche pâle d'Isaure, la jeune Miss du coin.

Je veux dire, je suis mort. Complètement et dramatiquement mort, il n'y aura plus de réveil après cette mort-là, ce sera fini de chez fini, mes organes iront tous ensemble baigner dans le latin, le grec et toutes ces autres langues, dressées en lits ou en corbeilles de fleurs, que plus personne ne parle, excepté par erreur. Mes organes ensuite goûteront aux délires d'opiomanes rongés par la lumière, avant de flétrir d'une moche façon, dans un sac poubelle ou dans le fond d'une jarre.

Mort donc, abandonné par mes narines et par leurs enfants les lèvres. Délaissé par ce front que j'ai touché tant de fois en recherche d'orgasmes, et quitté sans au revoir par ces yeux à qui j'ai tant fait voir. Je vous le dis, on ne pourra pas faire plus mort que moi quand la vie m'aura déprogrammé.

Déjà, je serai blanc, de plus, je serai inerte et ce pour très longtemps. Ensuite, je n'aurai aucune réaction, ni au flash projeté de force dans mes pupilles comme un papillon dans la cage d'un serpent, ni au marteau léger sur la pointe du genou, je vous jure, quand je serai mort, tous mes réflexes seront éparpillés ailleurs que dans mes nerfs. Ils seront alors, mes nerfs, comme les accroupissements précis de Jackson Pollock, répandus sur des toiles blanches de diverse facture, allant de cette pièce où deux amants se donnent éperdument à cette pièce, plus petite et plus grande en même temps, qu'on nomme le ciel d'automne. Nuages bas ou sueurs autour des seins, mes nerfs seront là et ils y seront bien.

Je regrette, à ce sujet, de ne pas avoir pu les libérer plus tôt de ma prison d'os, de mes donjons de peau. Si j'avais su, si j'avais su, je les aurais extirpé à coups de canifs et de brûlures dès la première seconde tant ils semblent à l'aise et ravissants hors de mon corps tremblant.

Station debout pénible. Quand je serai mort, cette étiquette, je ne la porterai plus, tant, jusqu'à la fin, je serais allongé. De même, mon pourcentage d'handicap octroyé par l'Etat volera en éclat. Je ne serai plus un handicapé à 80% mais bien un mort à 100, comme tout le monde en quelque sorte...en quelque porte, poussée les pieds devant...

Pareillement, quand je serai mort de ma vie sur la Terre, toutes mes possessions deviendront des coffrets inintéressants. Mes livres, par exemple, mes livres, n'auront plus du tout la saveur de mes livres dès lors que j'aurais fait le saut déterminant, parce que ce qui donnait de la valeur à mes livres, c'était tout autant les objets eux-mêmes, viandes beiges peinturlurées de partout à coups de soies des fous, que ce que je leur apportais. Mes livres, c'étaient des plantes et leurs conversations entre deux éclosions. Mes livres, c'était s'enquérir de la santé de Joris-Karl alors que chacune de ses phrases sentaient le chant du cygne, mes livres, c'était me promener avec Pessoa dans le Lisbonne cossu et lourd bâti par son imagination et par elle seulement, c'était aussi saluer Paul Eluard, sa délicatesse envers les femmes et sa peur du noir, c'était, mes livres, m'en payer une bonne tranche avec tous les gens de l'Est avant de courber l'échine devant Pouchkine tout en sachant que dès que je quittai son salon, il se mettait à rire lui aussi et à m'aimer comme on aime son enfant.

Mes livres, c'était, tout cela quand j'étais voyageur de l'oeuvre ayant lendemain.
Ce n'était pas d'informes masques de papiers lacérés çà et là par des mythes et deux trois émotions quand le geste est adroit, c'étaient des histoires d'amitié, de vraies histoires d'amitié et de rivalité, avec tout un tas de bonshommes et de femmes excellentes, souvent dotés de monocles, de moustaches, de manteaux rapiécés, d'yeux et de cheveux, toujours, d'une extraordinaire qualité.

Je crois, d'ailleurs, qu'on reconnait un écrivain à la chaleur de sa chevelure et que c'est à cause de cela que Verlaine me laisse froid...
(par chaleur de chevelure j'entends capacité, par les futaies composées au hasard du sourd terreau crânien, à communiquer avec l'humain...)(les cheveux parlent, c'est tout ce que j'essaye de dire)(les cheveux parlent, sans mentir).

Au-delà de mes livres, une dizaine des humains parmi la vingtaine faisant mon entourage se demanderont quoi faire de mes meubles ou de mes vêtements. A ceux-ci, je réponds :

Alors, pour mes meubles, c'est très simple, j'exige qu'il soit les uns après les autres installés au coeur des laveries les plus proches de mon quartier car j'ai toujours aimé les laveries et j'ai toujours trouvé que ces endroits, fort accueillants au demeurant, manquaient cruellement d'un bon d'ameublement. Concernant, maintenant, mes vêtements, je vous en prie, donnez-les au riches afin de les obliger à se déshabiller puis fuyez avec leurs vestes et portefeuilles et donnez le tout aux pauvres au nez et à la barbe de la fière police.

C'est tout ce que je vous demande de faire avec ce que j'ai eu.

J'ai, un temps, vis-à-vis de mes ultimes possessions à savoir mes écrits, pensé à désigner quelqu'un qui s'assurerait de leur non-perdition, fût-elle, minime et toute bête, couchée entre 30 000 rayons de deux bibliothèques mais, à présent que je sais que je vais mourir pour de vrai dans un intervalle d'un à quarante-huit ans et bien, je peux vous dire, mes amis, de ne pas vous embêter, du tout du tout, avec tout ça ! Car voyez-vous mes Choses, mes Denrées, mes Rimes enrhumées, à l'instar de la goutte d'eau perdue au milieu de mille autres lors d'une pluie démontée, trouveront toujours une feuille, une gouttière, un buisson, où chuter avec grâce en attendant l'été.

Alors, mes textes, laissez-les faire, laissez-les tomber sur le monde s'ils doivent y tomber et s'ils doivent simplement dans l'ombre, tragiquement sécher, alors ils sécheront, il y a, de toute façon, plus important à faire de la vie que de faire survivre mes débattables dons.

Surtout pour vous, mes amis, qui vous serez déjà tapé mon enterrement sous un ciel, je suis sûr, méchant, avec des corbeaux dedans et des couteaux, certainement. Avec des gens que vous auriez préféré ne pas voir mais qui vinrent quand même, cachés derrière l'arbre embrassant mon cimetière. Et puis, il y aura eu ces discours, pâteux et rabougri, sur le pourquoi du comment de ma mort voire même de ma vie, et la vision désagréable soit du cercueil, soit de l'urne, et de ses souvenirs, déchirants, que vous vous étiez déjà repassés en boucle depuis presque une semaine...Ces souvenirs...

De mon sourire à mes jambes de traîne.
De ma voix, de mes mains, armes sereines.

Et quand, tu te souviens, je vous avais tous menti sur qui j'étais vraiment, sans cesse prétextant être un écrivain, intense, craintif mais surtout bon vivant alors qu'en vérité, j'avais été choisi, depuis tout petit, pour faire un bon mort.

De ce genre de mort, je vous jure, qui ne bougera pas. Vous aurez beau croire le contraire, vous pincer et vous dire que dans pas deux minutes, je sortirais par une porte dérobée en vous criant en rigolant "surprise" et bien non, de surprise, cette fois, il n'y aura pas. Je serai aussi vivant qu'une planche de bois. A ceci près, peut-être, que j'aurais un visage et une pensée pour vous, tous, quand je serai là-bas, là-bas où il fait assurément très froid...

...

"Mais ces aiguilles alors ?" continuait de se demander Joseph non sans goût pour le récit en cycle.

Ces aiguilles hein, oui, d'où viennent-elles ? Que je sois mort, vous l'avez bien compris, imprimé au revers de toutes vos colonnes fémorales mais que je sois mort le corps couvert d'aiguilles noires, ça c'est une autre histoire.

Et ce sera, pour sûr, une autre histoire.
Quand je ne serai plus là.

...
On dit souvent pour parler d'un drame potentiel que le ciel menace de nous tomber sur la tête.
C'est peut-être ça que le poète essaie ici de dire, qu'en décédant, dans l'avenir, le ciel s'est, en effet, sur lui totalement écrasé. Et comme il est poète, et comme il est chanson, le ciel de Menadà est une constellation...

(Noire, exceptionnelle.
Comme une note d'espoir parmi les pains amers du puits excrémentiel.)

...
Ces aiguilles, ce ne sont rien d'autres que des images et les images ne sont rien de plus que des courbes et des couleurs tournées de telle façon que l'oeil peut les capter. Peut-être donc, que votre oeil pour l'instant, ne capte pas assez bien ou peut-être, aussi, c'est fort possible, que ces aiguilles ne sont en fait rien.

...
Elles étaient au nombre de vingt-et-unes, plantées horizontalement du sourcil droit jusqu'au bas du bassin. Apparents dérivés de résine, ces aiguilles portaient pourtant en elles du plastique ainsi qu'une signature, d'un bleu des nuits sans fond, pareille à celles de certaines encres.

...
"Seul le coupable rêve. Même dans sa cellule ou hochant petitement tout au bout de sa corde, seul le coupable rêve. Seul le coupable rêve et jamais l'innocent."

...
Dimitri peinait depuis toujours à finir quoi que ce soit.
Ce fut d'ailleurs, depuis toujours comme ça, car même sa naissance, il ne la finit pas.

Certains disent que c'était par soif absolu du monde et de ses majestés : décoctions ioniques et raffinements à tous les étages, de la chair d'un baiser à la chair (qui vient, après une nuit, gâter chaque laitage, de la blancheur du Vrai. De la saveur de la crème, de l'orage et de son cauchemar...) à la chair de l'orage.

D'autres racontent que c'était par désir, là-aussi absolu, d'assister dès que possible à l'extinction de ce même monde, car son goût pour les planètes en train de perdre haleine n'est plus à démontrer et parce qu'il ne trouve rien de plus beau qu'un immeuble qui tombe, emportant ses banquiers.

Les derniers, enfin, parlent de césarienne.
Du ventre anesthésié de sa mère et de sa cicatrice, quant à elle encore vive.
Ils parlent aussi des premiers mois et de la couveuse, ventre faux où il oscillait chaque jour entre l'oeil du passé et l'oeil de l'avenir.
Ils parlent également des différents tuyaux giclant - pour que l'air ait sa place - de l'abdomen aux orteils et du nombril aux joues.
Ils parlent, finalement, vraiment, à la toute fin, d'un tuyau sombre bien différent des autres, qui partait de sa main pour aboutir nulle part, comme une veine tranchée ou comme un stylo noir.

...
Surprise.

Remedios Varo Uranga - La Despedida