jeudi 31 juillet 2014

Une infinité de plaies diverses

Il rêvait à de démentielles pluies qui parviendraient, en deux jours d'un continu bombardement, à griser les déserts et à les rafraîchir.
Similairement de l'élévation de flammes insupportables, là-bas, sous les banquises premières.
De même, les forêts chez lui finissaient toujours par être balayées d'un revers de main divine et les cités par exploser au cœur d'un gros nuage fait d'électricité.
Pas un paysage n'échappait à ses envies d'entier renversement.
Les pupitres des écoles primaires goûtaient à des baignades interdites, dans du sang d'enfants, dans des organes débutants...
Les musées voyaient toutes leurs toiles brunir dramatiquement et tous leurs bronzes blanchir au point de ne plus être.
Aucun lieu n'était épargné et lentement la Terre, dans son esprit, passait du bleu des océans au jaune flétri des sols.
Il ne souhaitait pas pour autant une telle Apocalypse et c'est chaque fois avec effarement qu'il découvrait, sur une colonne de journal, à la télévision, que ses rêves déjà prenaient forme de vie.

Ils appelaient ça la guerre.
Et bientôt, sûrement, la fin du monde.


Isao Takahata and Others - Fuite sous la lune

lundi 14 juillet 2014

Uiradnon

Je n'ai pas eu une éducation des plus élaborées. A peine m'enseigna-t-on à reconnaître les couleurs, les chiffres et les bruits. A peine eu-je l'occasion d'apprendre mon prénom. Aussi, je connais tout de même quelques noms de fleurs mais si peu et pas les plus jolies.

Je ne connais pas mes parents, juste le maître et sa femme, une brune extravertie au visage brûlé. Je n'ai pas la télévision, je dispose seulement d'un transistor qui diffuse toute la journée de la musique classique. Je suis incollable sur Massenet ! Enfin, je préférerai quand même savoir ce qu'il se passe en dehors de chez moi, en dehors de cette chambre en peau de craie dans laquelle on exige que je reste tout le temps.

Soi-disant parce que dehors, tout est un grand danger. Qu'il y a de vénéneuses bombes qui croissent tous les cinq mètres et que l'air y est liquide, vert et mortel. Je ne crois pas exactement à ces histoires mais comme on me donne le fouet si j'essaie de m'esquiver, je n'ai pas trop le choix. Toujours est-il qu'en fait, je ne connais rien du monde. Je n'en devine que des ombres, que des lignes impossibles au travers de mes nuits, que des fumées magnifiques et des lieux complètement faits de verre et d'électricité. Je ne sais pas si ces visions ont un quelconque rapport avec ce qu'il y a, réellement, au dehors. Cela me fait peur très mais comme le maître n'est pas méchant et qu'il m'assure régulièrement que j'aurais le droit de sortir une fois que la sécurité sera revenue ci-bas, je fais de mon mieux pour m'accrocher. 

Enfin, je deviens fou quand même. J'ai beau n'avoir rien qu'onze ans, je deviens fou quand même. La répétition pince chaque relief de mon cerveau et décapite mes nerfs. J'ai l'impression de n'être qu'une boule de graisse désavantagée, bougeant terriblement mal au sein d'une fosse rieuse ! Et qu'il y a quelque chose au fond de cette fosse, comme un regard, une traîtrise. 

Puis il y a des journées où j'oublie tout cela, où je me concentre sur les accords mielleux de la musique, sur ces nombreuses plantes bleues que le maître m'a apporté tant pour mon éducation que pour mon divertissement, et où je m'attarde également sur les caresses que me faisaient sa femme quand j'étais encore frêle. Comme c'était chaud son sein ! Comme c'était bon de dormir dans son cou, moi, à cinq ans, dormir contre sa chair pour guérir d'une fièvre. 

J'ai bien essayé depuis de me faire du mal pour rattraper la fièvre et retrouver ces sensations mystiques mais désormais, on ne me fait rien qu'une injection et le lendemain, après douze heures de sommeil, je suis de nouveau opérationnel. Opérationnel pour quoi ? Je ne le sais pas mais opérationnel. Le maître et sa femme semblent redouter que je ne le sois pas sans pour autant tenir à moi d'une amoureuse façon. Je sens bien dans leurs yeux que je ne suis qu'un outil pour eux et non quelque fruit d'affection mais je ne sais pas encore pour quel type de manifestation je dois donc outiller.

Alors j'y pense et m'imagine des choses, des possibilités. Du genre qu'en vérité, je suis l'élu d'une prophétie vieille de plusieurs âges et qu'il faut attendre mes vingt ans pour me libérer et que ma force puisse correctement être répandue de par le monde. Du genre qu'en dehors de ma chambre, tout est calciné et qu'on doit patienter encore six hivers avant que la végétation ne se rappelle à nous. Du genre que tout ceci n'existe pas, que ma vie n'est rien qu'une maladie, une dérivation, la monstrueuse résultante de deux comètes qui se seraient percutées tout là-bas dans l'espace ou l'excroissance pauvre d'un cauchemar magistral fait par un autre enfant.

Mais bon je vis, cela n'a aucun sens mais je vis. Je ne sors quasiment jamais de ma chambre - enfin si une fois par an, nous allons au jardin mais je ne peux que ressentir l'herbe sous mes pieds, le vent à mes narines mais pas plus puisqu'on me bande les yeux - mais je vis. Mes poumons se vident et se remplissent, ma langue exprime de la satisfaction ou du regret selon les plats que l'on me fait manger. C'est donc bien que je vis. 

Pour quelqu'un de mal éduqué comme je disais, on peut penser que j'en connais un rayon. Mais je ne connais rien que des livres. Et des livres tellement anciens qu'ils n'ont pas l'air de parler du monde dans lequel, mon maître, sa femme, et moi vivons. Ce sont des livres où les protagonistes ont les cheveux longs alors que j'ai le crâne rasé. Ce sont des livres où des forêts entières - les forêts, je ne sais pas exactement ce que c'est, mais j'imagine que c'est comme l'herbe du jardin multipliée par mille - sont brûlées par des hommes en armure. Ce sont des livres où le peuple a faim et où le printemps manque. 

A vrai dire, ce sont des livres plutôt déprimants.
Malgré tout, ils dépeignent des vies qui, bien que courtes et cruelles, paraissent beaucoup plus qualitatives que la mienne et bien oui ! 

*

Tiens. 
Je ne pensais pas cela possible mais voilà que l'on m'invite à sortir en ne me mettant pas, cette fois, un bandeau sur les yeux. Certes, je suis menotté aux pieds et aux poignets mais c'est une avancée. 

Mince, mince, comme le ciel est immense ! Je n'imaginais pas que c'était à ce point ! Et l'herbe, ça n'a pas une couleur géniale en fin de compte. Le maître et sa femme me tiennent par les bras et me font marcher. Je prends le vent à plein poumons et mes yeux font un festin de tout l'environnement : l'aspect carré de la chambre derrière moi, le cercle jaune-croix qui se cache dans le ciel, les longues vagues noires qui s'avancent au loin etc...

Le maître vient de me donner un violent coup de pied dans le dos. Sa femme, toujours ravissante, toujours douce, alors que j'étais à terre, m'a donné un baiser sur le front avant de me donner un coup puissant sous la pointe du menton. J'ai cru un moment m'évanouir mais ça va. Je regarde à gauche, à droite, le maître et sa femme ont apparemment fui. 

Peut-être est-ce là une façon de me donner ma liberté ? Je reste pieds et poings liés mais je vais bien trouver un moyen de m'en sortir, grâce à un clou, une brindille...Peut-être ont-ils déguerpi parce que cela fait partie de la prophétie dont je suis, oui, l'élu complet ? Du sang coule de mon menton, lentement. L'herbe est fraîche sous moi, je me relève tant bien que mal. 

Les vagues noires approchent encore.

*

Emmanuel F. - Verre noir





samedi 12 juillet 2014

N'écrivez jamais rien

Un grand nombre d'histoires furent racontées sur nous.
Soi-disant qu'on n'était pas des hommes, qu'on ne savait pas se laver ni manger sans se mordre.
C'était des racontars mais ils en firent des bibles et tout le monde goba tout.

Alors on nous parqua, derrière du barbelé ou du grillage mis sous tension. Et on laissa ça faire car on ne voulait pas, en se rebellant, donner raison à ces rumeurs débiles. Et ils en profitèrent et ils nous tuèrent bien, presque, jusqu'au dernier. Ils violèrent tant les hommes que les femmes et les enfants. Ils appelait ça de la médication. Ils n'avaient pas tout à fait tort...

Après ça on avait plus mal car après ça on était mort.

Heureusement pour nous je crois, peut-être parce que nos chaînes faisaient tout de même beaucoup de bruit, d'autres histoires commencèrent à éclore.
Soi-disant que c'était des vrais tyrans, nos maîtres, des malades de l'or, et qu'ils méritaient d'êtres punis violent.

Une nouvelle bible fit vite, trop vite son apparition.
480 mille exemplaires vendus en une semaine.
Quant aux crânes explosés, il y en eut plus du double !


Léon Spilliaert - Faces

lundi 7 juillet 2014

Recensement

L'Amérique, synthétique.
L'Europe, la corde au cou.
L'Australe, à bout de souffle !
Tout comme l'Afrique, le corps à terre...
Asie soie île.

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