mercredi 25 juillet 2012

Pas très robot

Quand, dans quelques vingt siècles, la race humaine se sera mécanisée, remplaçant la chair, le sang et l'os par des batteries d'ensembles doucement électrifiés, quand l'eau, raréfiée, coulera comme la boue et de la même couleur, quand les pépiements printaniers des passerines vireront aux croassements, quand la bouche des baisers aura la lèvre froide, la langue d'un métal gris, quand les galeries boisées où l'on s'entretenait autour de vasques chaudes et d'outres pleines de vin se transformeront en échangeurs glacés, en pôles périphériques, quand les montagnes s'affaleront comme le font les dragons, quand l'été succédera à l'hiver sans même un changement, quand la foudre frappera plusieurs jours d'affilée, continuellement, dans une pluie acide et toute chargée de sable, quand les instituteurs sauteront par la fenêtre sale puisque tous leurs élèves auront déjà leur Maître, un écran de trente pouces garantissant à tous reliefs et profondeurs, musiques et cinémas en une poignée d'instants, en une intraveineuse, ils marcheront sur les astres, abuseront des femmes de tous les sexes, de tous les âges et de toutes les couleurs, de toutes les indécences, en une prise, ils verront les places bordées d'hommes des capitales d'Europe, ils liront les romans en les ingurgitant puis en les dégueulant, mots et vertiges, quatrains et génies russes, puis ils les brûleront sans même un regard vers le feu s'élevant, sans même une connaissance envers les ruelles sombres, sans même un coin de soi qui jouit terriblement, sans même un bout de soi blessé, balayé, démoli, brisé parce que le coeur, brisé parce que le spleen de la fille aperçue, celle qu'on ne reverra plus, jamais plus, jamais plus, quand ces craquelures aimantes auront cessé et que les coeurs brisés seront vite réparés ou jetés aux fourneaux, quand tout ça, j'espère avoir péri et t'avoir encore vu, ma belle dansante de la vie, ma belle dansante, mon bel esprit, aussi belle qu'un travail de Rimski-Korsakov

Max Ernst - L'oeil du silence

dimanche 22 juillet 2012

La princesse des poètes

S'il existait encore un classement pour nous autres, je serais volontiers la princesse des poètes.
Car je suis féminin beaucoup plus que viril, et, car le seul méritant le titre véritable, est l'amour qu'on se porte.

Friedrich Brentel - Diane et Actéon

lundi 16 juillet 2012

Des écrans et des hommes

Au milieu de la pornographie, des positions sûrement inexactes de l'homme et de la femme, j'enlève le bouchon de cette bouteille d'encre. Elle dégage une odeur incolore, ensemble d'alcools chauds ou larme d'océan, son bleu marine rivalise avec l'air nocturne. Lorsqu'elle sèche, ensuite, sur la plaine blanche, c'est comme le sang d'une bête morte, non, c'est comme le sang du Maître des Lieux qui tombe seulement parce qu'il est infini.
Alors donc tous ces livres seraient des mues divines ? Des peaux ensanglantées d'acteurs à providences ? Peut-être. Mais que sont dans ce cas ceux qui exposent ces mues ?

On les nomme peintres ou écrivains, enfin...On les surnomme, car aujourd'hui on ne croit plus aux peintres et plus du tout aux écrivains.
Aujourd'hui on subodore qu'ils font quoi qu'il arrive quelque chose à côté, parce qu'un artiste qui vend, ce n'est plus un artiste, c'est une célébrité. C'est un cliché circulant le long de couloirs aurifères, un horrifié travesti bientôt en bien loti, un être devenu avoir...comme on les possède tant celles et ceux qui moulent le grain télévisuel.

Au beau milieu des guerres en 1080p, des exactions éternelles de la femme et de l'homme, mon encre s'évapore. Il faut bien du talent pour s'en montrer digne, de cet héritage monstre laissé par les anciens, de ces tatouages religieux et interdits d'église que sont les bons romans et les poèmes enfin.
Cependant, vu qu'apparemment trop peu sont assez valeureux pour sauver le sang bleu, l'encre évaporée s'est vu changer en un gaz mortel, en un nuage fade, électrique et acide.

Ça oui l'acidité est le génie du siècle !
Autrefois la salive se crachait en coulisses afin d'offrir au monde la plus claire des voix mais maintenant...
On mollarde sur le public, parce qu'il veut ou parce qu'on pense qu'il veut, se sentir au-dessus en lorgnant l'en-dessous. 

Paradis pour voyeurs que toutes ces émissions diablement orchestrées où l'on essaie, en coupant l'image au maximum comme l'enfant le fait d'une ribambelle lassante, de condenser tout le choquant, tout le violent et tout l'inculte. Sans doute pour attester à l'international, que la haine est plus accessible que son contraire, nommé l'amour...non...là aussi...seulement surnommé.

Au milieu des désenchantements et des millions de followers, je gratte l'encre restée au fond de la bouteille et par ma plume j'espère, effacer l'"ol". Que les fleurs resurgissent - les fleurs, ces baigneuses, au bon parfum d'orgasme - et qu'elles enterrent par leur élévation, ce plastique paysage où se meurent les saisons.

Yun Shouping - Pivoines





Le fantôme de demain

L'habitude, comme un marteau léger, frappe fort secrètement...

Un matin l'on est le divin né d'un lieu et le soir-même, sa plus vieille courtisane. Alors ici, dans ce café (sans alcool heureusement) que je fréquente au jour le jour, je deviens peu à peu un souvenir pour les autres.


André Derain - Illustration

jeudi 5 juillet 2012

Hystéries et flamboiements

Derrière ce rideau rouge, un corps squelettique se meut maladroitement.
C'est celui de l'être aimé, celui du jour levé, celui qui sait me ceindre avec sa frustration.

Dehors la lune se noie, elle pêche dans le ciel tel l'hameçon d'Allah
Et sur sa surface, des meutes de loups s'entre-déchirent puis vont planter leurs crocs.

La lune est le visage de ces adolescentes, ravagées de la peau et sans rien dans le crâne.
Quant au soleil, c'est un poignet qui saigne dans cette folle baignoire qu'est l'océan du soir.

Parmi ces deux mouvements d'une tristesse infinie, la vie s'écoule, morsure après morsure,
En attendant l'amour après les cris du viol.
Quoi d'autre ?

La danse de Satan est la seule ici-bas et c'est en ses toxines que la poésie va
Et vient, et va, et vient, jusqu'aux aubes prochaines où je me supprimerai.

Coups de sang, coups de feu, coups de reins, et coups de plume enfin.

"Adieu...je t'aimerai toujours, même dans dix mille années."



Jean-Jacques Henner - Idylle