mardi 12 mars 2019

L'échec céleste

Quartier sec, la nue se déchirait d'une griffure printanière, azurée déperdue dans le blanc masque des nuages. Mon oeil, miroir qu'une roue glauque teintait d'apparition, fixait alternatif la bleuâtre trouée / ainsi que la marelle, en grande part invisible, faisant tapis devant les vitres de la Halle Saint-Pierre. Autour, minéralement, une mince barrière de corail gris attendait l'ouverture. Ils souhaitaient ces touristes échapper au maussade de rues striées / et par l'urine, et par dépouilles vétustes. Ces carnes sous plastique cherchaient les concernant le sommeil tant bien que mal. Suppliciés par leurs tripes, mâchant à s'affoler le même morceau de sucre croqué la veille au soir, ces sans-abris morflaient en masse.

Et les enfants tenaient la main des mères, et les marchands de roses, toujours les cinq mêmes, tordaient des sourires de défaite. Ils comptaient ce quintet, pour passer des nuits calmes, sur la lacune humaine forcément amoureuse et vulgaire, sur l'image d'Epinal de l'image parisienne.

Quant aux vieilles dames, ramassant magnanimes l'ébène poussée des cockers parasites qui leur servaient de laisse, elles avaient dans la ride, la frontale, un renfoncement pareil au passage d'une balle. Des hommes à côté d'elles crachaient des glaviots longs et ceux-ci rejoignaient, par la force des choses, la fluidité voisine...rivière urbaine couchant au lit d’égouts, monumentaux, tenus tyranniquement par un sérail d'usées machines, crapotantes naïades arrivées au pouvoir à coups de tournevis et de bagarres pires que la vie. Ces robotiques avaient du style mais des sanglots sur l'estomac, c'était cette eau, bière tombale. concentré névrotique de huit mille maladies et du double de larmes, liqueur du pied du mur, ouzo des finitudes et des déposées armes.

C'est qu'on est triste villageois dans le dix-huitième arrondissement, entre Abbesses et Château maquillagé de sang...
Quand on peut pas sortir le samedi remuant
Ou qu'on peut pas rentrer s'assoupir le dimanche, parce qu'il faut collecter, cueillir et prendre, ces fonds de charité conservés par les gens.
Quand on fume dans sa chambre dédaignant une idiote ou qu'on rêve d'un couteau pour ce fil qui ligote, pour ce mariage trop tôt. Quand on boit à la fiente de trépassées cigognes ou que grince le bois de trente lits gigognes
Dans ces dortoirs qui n'en sont pas.

Quand on suspend son espérance au poids connu d'une corde.

Quand on maudit nos polygones, bras, jambes, épaules, ces vaisseaux gras qu'on abandonne aux ports numérotés de numéros qui nous éborgnent. Quand elles veulent pas nous voir ces filles matelassées d'or, qu'elles ne veulent pas entendre la voix brisée, sans réconfort, dérobant notre note depuis qu'à l'âge adulte, harassées nos quenottes tombent aux puits en pièces mortes.
Ces fontaines-là que sont nos gorges, grises de fatigue et obscurcies de cendre, personne ne les drague ni ne les étudie comme d'harmonieux présages.

Vous avez l'âge d'être ensemble mais c'est morcelé d'affres que vous rampez au sol.

Ah misère constellante ! Ceintures éteintes à la boucle d'errance. Ah que c'est difficile que d'évoluer au monde au mondain de la ville, faudrait un coup de chance...mais ces semonces exigent...tant...

Beauté, intelligence, connaissance du vent
Pour ne pas qu'il l'emporte

Pour qu'il laisse l'occasion
Qu'advienne une évidence.

Ces femmes seules également, sollicitées en permanence...
Et ces maudits qui les souillonnent
Le plus souvent de par la bande.
Et ces petits qu'on tricote en hôpital d'urgence
Pour ne pas que ternisse cette étincelle forte,
Ce beau désir d'indépendance.

Et ces vieillards qui nous soupçonnent
De faire exprès après la Somme
De s'endetter encore

Pour qu'une guerre y gigote
Dans ce paumé dividende.

S'ils savaient comme c'est dur
Et comme des pommiers pommes
Ont maintenant un goût sur...

On l'aimerait bien notre récolte
Si pourrissaient moins fortement
Nos citrons, nos oranges.

On aimerait bien leur rendre honneur
A ces froids fruits mais sainte horreur
Nous les humidifie.

Quartier trempé tombe la nuit, l'azur aussi (mais pas les nuages)
Et mon œil se ferme
Comme un masque détruit.

(Au jour demain j'irai peut-être,
Sur la marelle devant la Halle adjoindre un paradis
Mais pour l'instant je suis trop faible...

L'enfer a réussi
A saler de ses lèvres
Nos lèvres de transis
Qu'avant givraient les rêves...

Abolis giboulées d'un bleui dont la plèvre
Crève de dioxyde
Et d'amours endormies...
Et d'amours solitaires
Dans le vide d'un lit
D'une vide rivière.)


Peinture romantique de Füssli représentant Ulysse faisant face au choix des monstres