mardi 23 avril 2019

Les lunes à l'intérieur ♦ II

Souvenons-nous des lanternes éclatées et du jus couleur os qui souvent en sortait...


Toxicité paroxystique de la dame rouge
Debout sur mon livre 
Et qui regarde ailleurs
Tandis qu'à ses côtés jonchent d'autres dames rouges 
Émanant d'autres cœurs :

Coffrets de hiéroglyphes et traquenards sensibles
Que je possède en centaines 
Sans cependant les lire ou du moins pas autant que je lis la lumière, 

Le temps
Et les cris haineux faits 
Par mes proches passants.

C'est que dans ma rue ça meurt ouvertement
Que ce soit chez les jeunes ou chez les vieillissants...

Ils échouent tous, 
S'écharpent et se soumettent
A la dure loi du sang 
Poissant sous la pommette.

Ils sont vicieux comme des dents
Teigneux comme des celtes 
Ces complets ignorants de la bibliothèque.

Y en a certains les voir me terrifie
Du fait qu'ils ont des yeux ambitieux d'agonie
Et plus tellement de lèvres. 

Rien ne sert de parler quand morts sont tous les rêves. 


Le silence était notre toute première langue. 
Idiome naturelle de la mousse et des gangues 
De la pelouse et des mangues, 
De cette épouse exsangue qu'est la mer quand elle saigne. 

L'écume a coulé hors de scène,
Électrifiant d'eau fraîche ce qui devait se taire 
Et rester sous la graine. 


On dira ce qu'on veut de moi 

Que je suis veule et lâche
Inutile telle une bâche 
Voulant remplacer toit 

Mais au moins je sais lire
L'âme
Et lui dire :

Que j'aimerai qu'elle prise 
Un vent un poil moins triste. 


Vieillards comme enfants 
Disparaîtront 
Au fond d'une même absence

Quel avantage ce sera...
Quelle magie, quelle chance 

Que de déserter tous cette quête du sens 
Finissant
Par définition 
Dès l'élection des panses...

Lorsque pancréatiques chacun chacune nous nous évanouirons 
Dans une bile d'obédience et de malversations...

Comme heureux en substances nous nous rencontrerons !


La dame rouge est encore parmi la couverture 
J'ai beau être malade, m'affaisser, m'éclipser, 
Elle continue d’œuvrer à l'oeuvre du papier 
En pic méticuleux...

Son image peut-être quand viendra la Faucheuse 
Me tirera sourire
Lait de babines 
Sperme des commissures
Et je partirai dans son souvenir

En preums 
Non en deuz

Car avant moi fuira ce cheval à ma poitrine
Ayant fait vœu d'aller
Où s'ouvriront tes bras
Où rougira ta mine 
Où s'ourdira l'éclat de ton bassin d'ondine. 

On dira ce qu'on voudra mais je t'aime, Toxine ! 


Je n'ai tendu la main qu'aux muses 
Les gus, je les ai laissé cuire
Leur œuf au pied du mur. 

Je sais qu'ils ont pas poussé d'eux-mêmes Humpty Dumpty
Et n'ont fait que se servir de l'éventrée coquille,
Je sais que c'est les riches qui commanditent
Des fantaisies tout l'homicide 

Mais c'est pas là mon île 
Que cette histoire odieuse où rien ne ressuscite. 

*

Moi mon île est ton sein et sa fraise subite
Moi mon île est ton sein et le lien de ce fruit 
Avec l'ordre cosmique, 

Constellation conique d'inconnus paradis
Que mon encre sublime
A défaut de saisir ce qui les retient ici.



Unica Zürn - Echo



lundi 22 avril 2019

Les lunes à l'intérieur ♦ I

Souvenons-nous des coursives noires qu'immatriculent chaque forêt


Des cerisiers tombait la grêle
Et avec elle l'herbe.
Toutes ces paillasses, ces parcs,
Brûlèrent 
Comme la glace
En gerbes d'étincelles.

Le printemps peignait à la flamme
A la bougie inconsumable.


Quelle est cette impression de fil suppurant ?
Il est fiché entre mes doigts, en retient les phalanges 
Tel un mal amphibien, et lie les os entre eux.
Lorsque j'essaie d'ouvrir la main, de desserrer un peu le poing, 
Tous ces ponts se rebiffent et me laissent, s'écroulant, élastiques,
Dans la paume un corps brun modérément humide.
Un cadavre de chien
Mais sous forme de pluie.


Malachites en épis sur des arrondissements
Avec aux pieds d'eux-ci des vigiles diamants
Et autour des racines, en bracelets de cheville
Des brassières de rubis d'un genre étourdissant.

C'étaient ces sapins-là d'un Dieu les cure-dents.
Mais pas d'un Dieu fictif,
D'un Dieu délibérant quotidiennement l'esquive
Selon qu'il faille dormir ou alors brûler vif,

Il était embêtant et pour dire fanatique de la seconde option,
A venir prochainement.


Quand neigera-t-il de nouveau sur nos dos ?
Ta peau et puis ma peau et puis la peau des autres nous voyant en photo.
Quand les yeux rouges du coup de foudre 
S'égaieront d'une larme de joie d'orgie des foules 
Parfum de nos deux armes mêlées au même moule...
Copies carbone,
Copiées car bonnes,
Ivoirée ivre houle
Dont l'hiver va mendier 
Dans le lit de la goule...
Elle mordille et nous onyx, 
Quand neigera-t-il jeunes phénix ? 

*
Des cerisiers tombait la grêle
Et avec elle l'herbe.



Unica Zürn - Mercies



mercredi 17 avril 2019

Butin d'asile

T'avais écrit ce texte, tu sais, quand on jeûnait pas trop encore...

Tu composais intempestif, soit de l'aube à l'aurore...
Et puis tu me faisais lire.

Avant je m'en foutais, enfin, je t'encourageais mais ça venait pas des tripes, tu vois, c'était plus un réflexe, une empathie comme ça.
Mais là ce jeudi soir...tu te souviens on venait de dîner à la Flamme...
Quand j'ai vu ton travail,
C'était un autre lac et donc pas la même mare
Qui s'écoula des pages.

C'était comme un miroir, tout du moins davantage,
C'était une tranche en vrac où naviguait bivouac sous l'arche des étoiles...
C'était le sommeil fondamental
En ceci qu'il rêvait
Et qu'on y voyait rêve, à la racine du papier pâle.

C'était tout ça sensas et acté par toi seul
Courbé comme un linceul au-dessus du visage

De la feuille,

Dans tes ombres sonores
Et tes soleils, à la bouche cassée,
Dont le sang des dents tombe
Sur les champs ramassés,

Dans l'escalier, dans ces pas liés
Qui montent et qui te montrent
Comment l'accent se danse
Et gonfle sur la langue
Son bubon mérité
Où n'éclate vérité
Qu'en sa suave présence...

Celle-ci, tu sais, la luxuriante, te lisait avant moi
Quand vous alliez écrire ensemble sur les toits
Pour que le ciel ait de quoi faire son propre cinéma,
Qu'ils soient pour une fois attentifs les nuages,
Au lieu que passant là, dissipés au spectacle
Voire totalement froids.

Qu'ils se rédigent des poésies de vos grilles d'Images,
Marelles où parousie irisera l'héritage
De ce qu'on pensait péri, adossé au naufrage
D'un bleu d'Antilles vitales
Sans nulle trace de gris.

Mais le gris perça donc du mois d'août l'énigme,
Avec elle ces prismes qu'autrefois,

Avant que tu n'écrives,

Vous deux vous dessiniez
Comme une unique rive,
Une plage apprivoisée.

Après quoi les nuages d'orages se chargèrent...
L'homme avait pris le feu,
L'horizon les éclairs,
Les uns comme les autres tombèrent à qui mieux mieux
Éperonnant la Terre
Tel un cœur amoureux
A l'avant de la chair.

Dévalèrent ensuite
D'extraordinaires quantités

Mais pas que de pluies,
Je mentirai
Y avait aussi de la cyprine
De l'aspirine
Du christique inspiré par l'ivresse de la vigne

Et donc énormément de rouge
Mêlé aux transparences
Du sexe et de la médecine.

C'était ce déluge rose
L'amour quittant ses douves
Pour quelque puits caché
Dans le secret des sources.

En bref il en fut fait,
Après cet épisode
De ce bel aspect d'iode
Que vos yeux s’échangeaient
Comme un modèle de corde
Dans vos regards légers...

*

Léchant l'écumeuse morve
Désormais de ce sel à vos larmes alliée,
A la fosse vos corps y ponçèrent ses apôtres
Avec désir de mort...

Vous vous donnâtes au diable
Parce que Dieu a fait fort
Et tombées sont vos armes
Servant à lui reprendre.

*

Mais donc là, maintenant qu'on a tous faim
Et qu'il étend ses ailes des confins aux confins
C'est d'un de tes textes dont je me souviens,
Il parlait de ce sujet presque, des lueurs qui s'éteignent
Et qui font tout un foin,
Un tintamarre de braises, un carnaval d'occis tocsins
Un chant du cygne qui,
Noircie plèvre, bec malsain
N'élève qu'une note, qu'une clef, qu'un témoin :

Un rot tonitruant d'ossements de chats et chiens,
Chèvres,
Perroquets,
Carpes,
Orphelins,
Coryphées,
Maturins,
Pygargues et magiciens...
Tous fondus en rosace dans une même toux grasse.

Cette foutue boule de poils qu'est le cœur laissé seul
A se remémorer son sublime assassin...

Il parlait de ça ton parchemin,
Sûr que tu t'en souviens...

Non ?
T'as oublié ?
T'as préféré faire abstraction ?
T'as vieilli, lâché prise ?
Tu méprises la fiction et l'esprit d'entreprise ?
Tu t'es tu et terré ?
Tu t'es saoulé d'exil ?
Ferré au sud car c'est au nord qu'elle dirige ?
Frayé dans les forêts...
Un harem de stryges...
De quoi la renverser ? Effacer son emprise ?

Mais tout ce que t'as écrit, ça ça n'est pas fictif, c'est acté de chez acté !
T'as brûlé tous les livres ?
T'aimerais ma tête aussi ?
T'aimerais l'Humanité, entière, la buter ?

Moi je voulais juste un titre !
Celui de ce poème sur lequel j'avais tripé !

...

Ses deux mains comme des murs se plantèrent dans mes tempes
Et tandis qu'elles serraient, écrasant peu à peu mon bulbe qui trempait,
J'entendis à ma droite comme une incantation
Qui lui giclait d'un ongle...

On aurait dit qu'elle descendait d'une langue
Ancienne
Mais connue de tout le monde...

Le sang me coulait aux tympans quand enfin à mon tour, je déchiffrai l'énigme :

Il me disait "Folie !"
Et me donnait le titre
En me prenant la vie.


Jean-Jacques Henner - La Liseuse