samedi 27 février 2016

(SK, Début)

Tout a commencé comme un canular plutôt mal écrit. Sauf que cette fois-ci l'histoire était bien vraie et qu'elle changea le monde.

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Chapitre 1 : La grammaire des yeux arrachés par amour, première partie
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"Salut les filles, c'est Sally. Alors, je fais cette vidéo parce que je reviens de ma boutique favorite et que j'y ai trouvé tout un tas de crèmes que j'adore et que je vous conseille !"

C'était la vingtième vidéo d'affilée qu'Hélène regardait, et la dixième consacrée aux produits de beauté. Hélène ne se souciait pas tellement de ces produits, étant elle-même satisfaite de ce qu'elle possédait et estimant avoir une plutôt jolie peau. Ce qui intéressait Hélène dans ses vidéos, donc, n'était pas tant leurs contenus que ce qu'elles mettaient en scène. Hélène aimait beaucoup Sally, sa chambre bien rangée qu'on devinait dans le fond, ses petites anecdotes sur sa vie amoureuse et ses lèvres charnues. Elle aimait aussi la lumière qui captait son visage tandis qu'elle devisait virtuellement avec des dizaines d'autres filles mal dans leurs peaux ou simplement curieuses. Hélène aimait tous ces à-côtés que l'oeil capte en silence. Ses moments de grâce qui ne s'en donnent pas l'air, l'ombre des feuilles à sa fenêtre qui supposait le vent, le bleu d'une veine sur le front de Sally au moment où elle demandait à toutes de s'abonner à sa chaîne. Tout cela engendrait chez Hélène des impressions de calme et de sécurité, comme si rien ne pouvait lui arriver pendant qu'elle regardait Sally. C'était comme discuter avec une amie sans avoir à chercher ses mots, à s'en vouloir après une phrase mal dite ou à rentrer son ventre pour ne pas qu'elle pense qu'on s'est laissée aller. Il n'y avait pas justification à donner avec Sally. Elle était là, nous embrassait toute entière une fois par semaine et c'était tout, et c'était bon. Cela durait souvent moins d'un quart d'heure, moins qu'une sieste d'enfant et pourtant chaque fois Hélène en ressortait, pareillement, fraîche et rassérénée.

Sauf qu'à l'été, Hélène, disposant de plus de temps, se lassait de cette dose hebdomadaire. Elle en voulait davantage. Alors oui, elle avait bien essayé de voir ce que faisait la concurrence mais toutes lui paraissaient fades comparées à Sally. Sally avait une humanité supplémentaire, un sourire qui l'emportait sur la superficialité de ses propos et Hélène voulait de ce sourire le plus souvent possible. Voilà pourquoi, ce jour-là (comme d'autres jours), elle avait enchaîné une vingtaine de vidéos. Intérieurement, elle ne sentait plus du tout l'air simple et frais que ramenait Sally. Il n'y avait plus chez Hélène que du remords, que de l'envie de faire autre chose mais elle n'y parvenait pas, et puis, qu'est-ce-qu'un petit quart d'heure après tout, rien ne lui empêchait de se faire cette vidéo puis d'aller au parc marcher. De toute façon dehors il fait trop chaud à cette période de l'année, et il y a souvent des chiens là-bas ou des crétinus prêts à vous embêter. Alors Hélène restait devant l'écran, captivée et captive, à la recherche du sourire de Sally ou d'un joli reflet derrière elle.

Mina, la mère d'Hélène, voyait bien que sa fille sortait de moins en moins, cependant, ça ne l'inquiétait pas, elle aimait avoir sa fille chez elle, sachant que de toute façon, elle finirait par partir. Voilà pourquoi elle la laissait devant son ordinateur toute la journée, sans crainte aucune, d'autant qu'elle savait bien que sa fille n'était pas du genre à traîner sur des sites interdits ou à regarder du contenu violent. Et la vie suivait son cours, lente, paisible en apparence et sans grande distraction.

L'article qui marqua la fin de cette époque parut dans l'anonymat le plus complet le 18 mai 20xx, dans le journal officiel de l'université de Pittsburgh. Ce journal comptait trente-deux pages dont une et demi seulement pour l'article en question. Une broutille. On entendit, à vrai dire, pas parler de cet article avant la mi-juin et à ce moment-là, hors leurs auteurs - dont les noms n'étaient pas mentionnés, seul un énigmatique J.S. était présent en guise de signature - ils étaient à peine une centaine à l'avoir lu. Lors de sa réparution, à la mi-juin, le lectorat fut tout de suite plus large et cela se comprend car l'article venait en effet d'être repris par le blogueur indépendant "Rapid Rat" qui totalisait quasiment neuf mille vues par jour. Sur son blog, Rapid Rat avait pour habitude de reprendre quelques-uns des articles à propos des études les plus loufoques entreprises dans les universités d'Amérique du Nord. Son post précédent, par exemple, reprenait en partie une publication récente établissant un lien entre les mauvaises performances sexuelles et la non-capacité à ouvrir une enveloppe correctement. Ce qui plaisait chez Rapid Rat, c'est qu'il s'amusait derrière à décrire avec énormément de cynisme en quoi cette étude était bidon ou ne servait à rien. Il fit de même pour l'article de l'université de Pittsburgh, et ses suiveurs commentèrent à leur tour avec plus ou moins d'originalité.

Parmi ces commentaires, il y en a notamment un qui aujourd'hui fait froid dans le dos. Il a été écrit par "Charlie0" le 19 juin et il dit, dans le style des affiches des films catastrophe :

"Les écrans tuent ! Attention ! Ne restez surtout pas chez vous, ne mangez pas de pop-corn et ne regardez rien ! Ou vous mourrez et ce sera le clap de fin ! Les écrans tuent...bientôt sur vos écrans !"

Malheureusement, Charlie avait raison, à part pour le pop-corn, encore qu'on en mange plus tant il rappelle la mort.


Mark Gertler - Vie avec Autoportrait



dimanche 21 février 2016

Fire-crackers

"Aimons le soleil tel une partie de nous
Et tant pis s'il est fait d'ombres indisposées" < devise d'un incendié, quelques amputations plus tard


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Ceux qui ne sont pas restés ne savent pas tout à fait d'où vinrent les premières flammes. Elles venaient peut-être de ces cimetières où seuls les rois s'endorment ou bien de ces montagnes conçues tout à l'envers dont les pics s'abreuvent aux mares des sauterelles. L'origine, réelle, de ces flammes mondiales est purement inconnue. Certains prétendent pourtant la connaître par cœur. Ils racontent que c'est la faute des voitures, du gaz et du pétrole. Ou alors qu'elles ont jailli de la forêt pour la protéger des haches, des sillons et des fouets. Toutes ces versions se mentent entre elles. Pas une n'est pas trouée, ne serait-ce qu'un peu, par une incohérence. Pareillement ces chiffres, en nombre impressionnant, qu'ils ont intégré dans leurs différentes commissions d'enquête et qui n'ont plus l'allure d'ondine ou d'épée douce, ils ne sont plus que des taches dissemblables les unes des autres.

8 millions est comme quarante et 1.

Les flammes ont dirait-on brûlé jusqu'à l'encre pompée par le cerveau. L'alphabet est en fauteuil roulant depuis qu'une poutre, rouge pire que l'aube, a écrasé ses jambes. De fait, les quelques millionièmes humains ayant survécu aux dramatiques explosions balsamiques ne s'expriment désormais plus que par énigmes. Que par questions, comme un Enfant. Les flammes ont effacé dans la foulée l'affirmation et son pouvoir, brutal, sur les êtres. De là, en dehors des raconteurs qui théorisent le début de la fin ou la fin du début du haut de leurs trente-2 dents sévèrement ébréchées, il n'est plus sur la Terre que des marcheurs aux mains ouvertes et noires.

Leurs mains sont noires de cendre et ouvertes à cause de l'amour fou. C'est que, quelque part, les flammes ont fait du bien. Elles ont dépossédé. Tous et toutes choses. Les meubles, les courts de tennis, les installations de dépeçage du bœuf à peine née, toutes ces sphères éloignées de l'eau et de la vérité ont été reprises, vertement, par le sarcle igné. Certes, une immense partie de l'humanité en a payé le prix et on ne compte plus - faute de chiffres - les foyers désunis et autres nourrissons engloutis sous les braises. Mais, cette immense partie de l'humanité n'était-elle pas au fond qu'un chœur robotique ? Qu'un assemblage terrible de tuyaux malfaisants aux indignes préoccupations, sans désir de plage ni d'entraide, et rien que guidé par l'éventuel profit et son probable impact sur l'ouverture disciplinée de cuisses adolescentes ?

En clair, les flammes ont permis, qu'on se le dise, à la Terre de se défaire de plusieurs millions d'animaux aux costumes et tiares bien taillés et dorés. Des Fils de. Mortellement blancs et incapables de lire le miracle d'un œil avec le cœur battant. Et aujourd'hui, grâce à ces territoires de lave survenus sans qu'on sache, nous sommes débarrassés de ces chiens de l'enfer que sont les téléticiens, et bizarrement, le coeur bat de plus belle. Et les mains, sauvées et noires, observent le soleil - ses rayons, son univers, sa floraison - avec les larmes aux yeux tandis qu'une tête amie rêve sur leurs épaules.

"Nous ne savons pas d'où viennent les flammes mais nous les remercions.
Similairement pour tout, ainsi faire, nous devrions." < devise d'un incendié, quelques tendresses plus tard


Hans Ruedi Giger - Biological Landscape

mercredi 3 février 2016

Prêcher le feu dans l'espoir du vrai

Après notre coup de foudre, Nous passâmes un nombre fort aigu d'heures sur le flanc malade de sentiments courbés. Sans doute ignorions-nous ce qui s'enclenchait là, dans ces rues pleines d'amour où aucun coeur ne bat. Toujours est-il que les champs lexicaux de la dévoration et de la franche peine étaient devenus nos quartiers généraux, nos places bruxelloises, où nous marchions sans nous tenir la main malgré les baisers fauves patientant sur nos lèvres. Les pommes pourrissaient comme les fronts sous la fièvre et nous les consommions, avec une outrageuse régularité et l'audacieuse croyance que leurs goûts reviendraient.

Mais l'amour n'est pas de ces recettes qui, bien que ratées, demeurent justes et bonnes. Elle n'est pas non plus de ces pièces de faible valeur ayant pris toute la rouille du monde en gardant cependant leur fonction. L'amour, s'il est, se doit d'avoir un visage clair et d'être une monnaie fraîchement sortie des forges. Ainsi, à persister crânement dans notre histoire où la passion se tenait sur une jambe, nous perdions finalement notre temps. Encore une fois, nous l'ignorions car l'ignorance se confond avec la nouveauté quand on est soi-même neuf. Et puis, il faisait cette année-là terriblement froid, douloureusement humide. Et les couettes manquaient, alors nous mîmes sur nos chairs nos chairs en pensant que c'était là bien faire.

Sauf que le coeur est un mécanisme bien plus subtil qu'un thermomètre, qu'il est à rapprocher plutôt du soleil que du mercure liquide, et que vite va le bonheur quand il se ment au fond. Cette fois, pour nous, pour nos deux corps ayant pris le vain halètement pour de la pure jouissance, il dura trois mois. Une saison, aussi séminale et scalpante que l'ouverture en plans fixes du grand Breaking the Waves.

Qu'il y eut des bains où quelquefois la chaleur existât, ce n'est pas à redire, tout comme il n'est pas nécessaire de préciser que tous ces bains furent vides. De cette patte mal trempée, hésitante, comme du temps des gangrènes inconnues, notre couple avança, invinciblement, vers sa dislocation.

Nos yeux se vidèrent bientôt comme le bain. Tu compris qu'il fallait partir et tu partis, sans même une lettre, dans ce Paris à peau de lèpre. Sans le savoir, tandis que nous pleurions ce futur qui nous ne relierait plus, nous venions malgré tout de découvrir une chose décisive...

Que le feu, même quand on est en plein dedans et que ses flammes en écharpes nous pendent dans la cendre, peut avoir plusieurs intensités, chacune mesurable uniquement à l'aune de ce qui nous manquait, soit la sincérité.

Casper David Friedrich - Sonnenuntergang