jeudi 27 juin 2019

Les lunes à l'intérieur ///////////////

Assez du bruit régurgitant de l'ombre.
Et des formes en silence.
Assez des chambres closes...
Tendres étendues de membres que le Temps fauche roses.

Assez de ces maisons,
Médicales et poignantes
Qui maudissent d'absence
Tant de passées saisons.

Assez d'aberrations courant dans tous les sens,
Et de ces projecteurs sur des rivières d'écrans
Et de ces projections de planètes en souffrance...
Qu'on se défie de voir par peur d'avoir mal
Comme à la vue du sang.

Assez de pattes blanches
Montrées
Avant d'être griffées par des coffrets de dents.

Assez d'asservissement
Sans rébellion
Ni transe
Assez des lions bêlants tandis qu'on les balance
Sous des perceuses ardentes.

Assez d'aimer immense
Doué du baiser géant
De caresses et séquences
Enchantant puissamment
Le puits des puits de songes

Et puis sans gants d'apprendre
Que cette eau, ce mélange
De rivières et d'Orient
N'est en fait qu'une goutte
Au goût raté d'outrance.

Assez des séductions
Des apparences.
Des apparentes célébrations,
De l'extinction des chances
En séances tenues par la stupéfaction.

Assez qu'on nous étende
Les amours sur des draps
Où les soifs s'étanchent
Et que ces mêmes draps servent lâches à nous pendre.

Assez des pierres précieuses,
Des claires évidences
D'abord portées comme des prothèses
Avant d'être jetées
Dans le dos de nos têtes
Sur une place marchande.

Assez du merveilleux marchant voûté, étrange,
Comme s'il cherchait ses yeux dans cet asséché Gange
Que sont de fait ses yeux
De quand volait l'enfance.

Assez du souvenir et des sourdes violences.
Assez d'adieux des lyres aux radieuses dansantes,
Licencieuses bacchantes
Dont les rires à présent
Chantonnent à mi-voix
L'hymne lésé des voies où vont les délivrances.

Assez de ne plus entendre
Et de ne plus ressentir,
L'oiseau parmi les arbres
L'arbre parmi zéphyrs
Et zéphyrs parmi vent.

Assez d'appartenir à cet appareillement
D'armées se déplaçant
Du ciel à l'océan
Avec la même aisance...
Là et ici tuant,
Paisibles
Et paysans
Comme s'ils plantaient des graines
Et que ce blé faisait sens.

Assez des champs de bennes
Acheminant sous terre
Des mille et des cents
D'épouvantes humaines.

Assez des guerres,
Des garçons s'épuisant
Et des femmes qu'on perd
Sous le plomb ou les bites
De garçons s'épuisant
Par devoir militaire.

Assez de ce qu'on sait et de ce qu'on ignore...
Et que l'or est rincé et qu'il tient au corps...
Quand on l'obtient d'une dent.

Assez des revirements
Des rêveries d'antan

Synonymes de mort
Lorsque vient le printemps...

Parce qu'il fait chaud ici
Et que cela commence
A taper sur les mers...
Sur ces glaçons luisants
Garantissant l'hiver...

Parce qu'il fait chaud ici

Assez de l'incendiaire !

Et vivent les vivants,
Les récits d'icebergs
Des poètes froidement
Ressuscitant
La plaine
Où la neige va pissant...

Ressuscitant la grêle
Pour qu'elle casse les écrans
Les pares-brises, les usines,
Ces nids de revolvers pour la ruine s'artisant.

Assez qu'on préfabrique du bruit se vomissant
S'écoulant sur la brique
La frappant d'un serment,
D'un cauchemar magnétique.

Assez qu'on les attire les étoiles avec ça
Et le soleil
Et ses plans,
Assez d'assassinats * pour qu'arrivent
S'accouplant
Chaque constellation
En concerts d'éclats...

Assez de l'opéra
Cosmique et meurtrissant
Annoncé depuis là
Où plus rien n'est cru grand.

Repoussons ces trépas que nous fîmes pousser
A coups de repas blancs,
De trémails glaireux épousant nos deux doigts
Quand sous la pollution,
Nous crachions notre Foi.

Repoussons ces climats
Bientôt engloutissant
En nous revigorant
Du goût des nuages lents...

Du goût des rageurs pas
Des petits s'affalant
Sur du sable encore gras
De l'écume l’amarrant...

Du goût d'amoureusement
Revenir vers toi
Soit l'étoile filante
Qui le demeurera
Alors que tu t'approches
Et qu'une croche à ton bras
Inaugure une aria...
Une musique de roche
Que déride des soies,
Des rideaux de galoches
Des cascades d'émois !

Assez de bruit et d'ombre
Et de nuits aux lourds poids
Allégeons-les, allongeons-la
Et nageons dans son songe
Dans son monde framboise
Où l'angoisse flamboie

Et où la joie, en fin de conte,
N'en a jamais assez
D'asséner ses leçons

Ou d'éclaircir l'ardoise
Ou d'embrasser la proie
En proie à la passion,
Fut-elle source de noises
Ou d'électrocution

Sous les joules d'un visage
Et les joues de l'orage
Où s'écoule l'union
Des lois fondamentales :

Il faut aimer et l'astre
Et l'âme qui le garde

Assez
Au moins

Pour que l'astre se sache
Et poignarde la main...

D'une ligne ou d'une tache
D'un fils ou d'un chagrin

Assez
Au moins

Pour quand l'ombre s'acharne
Pouvoir lui dire "Regarde !
J'ai serré mon prochain comme tu serres mes entrailles !"
Et que la nuit s'en aille

Assez
Au moins

Pour que les journées passent...

(Et massent tant bien que mal

Les fruits, les orphelins

Et les tueurs mémorables.)


Merci à Misha Mishenko pour son aide secrète.


Zdzisław Beksiński - Painting AE78




* d’ingénieries et d'industries