samedi 6 avril 2013

La main tranchée (suite de la suite de la cinquième partie)


A l'intérieur, les croassements congestionnés d'Esther continuaient de plus bel et c'est depuis la porte que son hôte lui adressa ces quelques mots de réconfort : " Euh...tout va bien ?", c'était une question dont la réponse, négative, pouvait aisément se deviner mais il est difficile, dans ces instants spéciaux, d'en prononcer une autre. "Non, tout ne va pas bien...je suis malade et puis, et puis, il faut que je te dise quelque chose...", sa voix tremblait, sa respiration était chaotique, alors Valentin reprit pour un peu la parole tandis que les borborigmes de supplice d'Esther recommençaient :


" Je suis désolé de te voir dans cet état, j'aurais dû faire plus attention, te faire boire moins et manger davantage...enfin, je t'écoute et j'ai aussi quelque chose à te dire...". Une pause se fit durant laquelle résonnèrent des râclements de gorge et des relents acides démesurément sombres. Enfin, Esther put recouvrer la parole et de sa voix la plus claire possible, elle murmura : " Voilà Valentin, il s'avère que je suis vierge...et je crois aussi que je ne tiens pas bien l'alcool !". L'eau du robinet coulait encore et avait retrouvé sa force d'origine, sur son passage, elle tractait et éclaircissait les débris peu avenants qui surgissaient régulièrement des entrailles d'Esther. Au bout d'un moment, le jet d'eau n'eut plus rien de solide à balayer et la faïence du lavabo récupéra son initiale blancheur. Esther allait un peu mieux, l'orage stomacal était passé, tous les noirs poisons avaient quitté son corps et les seules toxines qui persistaient en elle étaient celles relatives à sa trop grande et criminelle beauté. Esther allait un peu mieux, aussi, grâce à ce que Valentin venait de lui dire, en réponse à son aveu gêné sur sa virginité. Pour commencer il avait ri, car la marque d'humour qu'Esther avait osé dans la foulée de sa révélation l'avait, par son caractère inattendu, heureusement séduit. Ensuite, il s'était exprimé, calmement et en ses termes précis : "Esther, tu me plais...cela semble aller de soi parce qu'on a fait que s'embrasser de toute la soirée mais tu me plais vraiment, pas seulement parce que tu es jolie et que je te désire mais parce qu'en t'observant ce soir avec toute mon attention, j'ai compris qu'avec toi je ne voulais pas feindre. J'ai compris qu'avec toi je ne pouvais pas faire semblant de ne pas avoir peur, que je ne voulais pas te mentir, quand bien même cela signifierait que tu ne me considères plus comme quelqu'un d'attirant. Avec toi, je me sens prêt à retirer mon masque comme tu viens de le faire en m'annonçant que tu étais v*** - ici, par pudeur, Valentin s'interrompit une seconde - d'ailleurs, si ça peut te rassurer, sache que moi non plus je ne suis pas très expérimenté."

"Tu veux dire que tu es puce..." - ici, Valentin la reprit de volée, poursuivant son discours - "Je suis vierge oui. J'ai eu des occasions, je ne suis pas passé loin mais quelque part peut-être que j'attendais quelque chose de particulier. Pourquoi les premières fois devraient-elles toujours être des expériences ratées ? Je déteste cette idée d'échec inévitable, comme si la laideur devait quoi qu'il arrive l'emporter, j'ai horreur de cette façon de penser...Alors, Esther, à vrai dire, ça m'arrange presque que tu sois v*** et légèrement malade car je redoute, et j'espère, ce moment autant que toi. Maintenant, si tu te sens vraiment mal ou si tous ces mots t'ont déplu, je peux t'appeler un taxi pour que tu puisses rentrer. Sinon, si cela va vraiment mieux, je peux te donner un cachet d'aspirine et un morceau de pain et l'on peut, paisiblement, discuter jusqu'à trouver le sommeil...".

Esther allait mieux, elle avait pourtant craint ce type de déclaration où l'idéal, devenu sentimental, pose un genou à terre et perd de sa superbe. Mais Valentin, bien qu'il eut retiré son armure, avait dévoilé un torse tout aussi élégant. Il n'y avait pas une once d'apitoiement ou de ruse au sein de ses paroles, rien que de l'honnêteté. Il n'y avait pas une once d'apitoiement ou de ruse quand Esther évoqua sa virginité, rien que de l'honnêteté. Et, au détour d'un imprévu et près de la balance qui penchait vers l'absurde, ceux qui se désiraient, commencèrent à s'aimer.


http://www.artclon.com/uploads/111125/1-111125114Z25H.jpg
Alfons Mucha - Spring Night