mardi 8 janvier 2019

Namakubi

C'était comment son nom déjà ? Louise ou Luisa ?
Elle ne venait pas d'ici.
Rien d'infamant. Ceux qui viennent d'un point fixe et qui de lui se réclament sont ceux qui vont nulle part. Papillons baîllonnés et dragons de terrasse...(Je les conchie ces raciaux phasmes faussement enracinés dans de la terre grasse, leur possession depuis un bail ! Mais si la marée passe ? Que feront-elles ces ligneuses lignées sinon demander qu'on ramasse aidé d'une serpillière avant de constater l’entièreté de l'enfer ?)

Luisa-Louise, pas d'ici, d'un continent guerrier plutôt. D'une Russie qui s'assume, loin d'hésiter, guérissant ses sabirs en découpant la langue directos au gosier ! Louise-Luisa, sa langue elle y tenait, car elle faisait des choses avec...Des choses d'hôtesse de l'air : des allers-retours dans les travées. Et ça mettait du ciel, en nuages rouges et chauds, dans l'encéphale aimée...malgré mille embargos, mille empêchements d'armées et de barjos souhaitant se taper une tranche de ce Moscou-Mexico (l'aimée naquît là) mais pas pouvant, alors les contrôlant par la force uniforme, au poste, aux frontières, via la norme macho...jamais en berne comme drapeau, le pavillon noir à tête de cons ! Mais tout de même elles s'aimaient et merveilleusement. Baisant, faisant les courses, au cinéma sortant, elles s'aimaient comme les gens, en tricotant un pull duquel juraient les manches...pour que ce soit marrant.

Est-il d'autres façons d'aimer réellement ? Si oui, je ne les pas connais ni ne veux les savoir, la beauté chiante, la grâce rasoir, l'idéal d'albatros, c'est pas là ma gentiane, ce cahin-caha bien gentillet d'hommes et femmes douloureux dans l'orgasme, jutant phlegmons et mouillant mozarelles, entre deux lectures du réel via la bouée de plastique noire trônant sur les vaguelettes de leurs très calmes soirs, un petit coït qu'on se rappelle, méthodique passe-temps, peu pratique crasse-aisselles, toutes ces douches qu'ils passèrent seuls...à se questionner en se frottant sur ce qu'ils loupent...de l'écran aux bords couleur linceul.

Qu'on me dise pas que j'ignore l'obligatoire ennui ! Il frappe à toutes les portes ! Il, tous les couples réduit. Je le sais et c'est pas mon message ! Je dis seulement qu'il y en a qui s'emmerdent dès le premier passage ! Duos d'aérophages, paires de bagages...avec des étiquettes...même dans les trains, les gares...et qui jusqu'aux toilettes vont se tenir la main. Des prises d'otages du coeur humain, placé dans une glacière, une cagoule sur la tête, des ficelles à ses chevilles, en attendant le waterboarding et que débarque, sous la houle purpurine, un coeur neuf à pétrir.
Leur enfant putain !
Un petit d'endoctrine, un mouflet comme une bille, mignon blondin qu'ils noirciront à force de coller leurs éteintes poitrines contre son gent front.

Louise, elle, avec sa mexicaine, c'était biscuiteux davantage, et pas que des langues de chat, et pas que des boudoirs. Y avaient aussi du mascarpone, du mascara, des frusques au ras de l'étoile qu'elles portaient en riant, en se doutant des doigtages qu'elles se rendraient radieuses rien qu'en levant la jambe. Mais c'était pas le moment pour la dégustation, ça les faisait juste monter en neige, en incolores flocons, début de clefs de Si, d'arpèges éventuelles qu'elles tournaient à l'envi en se culottant légères.

Luisa et ses tee-shirts et ses seins y rôdant, comme des verbes irréguliers...
Puisque nécessaires au souvenir.
Puisqu'obsédant ce huit en ombre...en impressions trottant sous le vêtement et qui parfois au bénéfice d'un très discret frisson s'exhaussait d'un bouton, dur et tendre, fruit de saison si jamais la saison est celle des mûrissements et des myrtilles, irrésistibles...des baies à prendre sans craindre aucun poison.

Luisa-Louise, la fusion, le métal des bretelles parvenant quasiment à tatouer ses anneaux quand elles s'alignent sens dessus-dessous, quand elles salivent à l'unisson, et que ça bout passionnément, et que ça coud en succions de ces bombes à rebours qui explosent uniquement une fois qu'on les entend, et qu'on rattache le bruit à sa pure sensation...quand ça explose ensuite, en dominos, en plein dans le subconscient...quand elles comprennent qu'on ne peut pas tout comprendre et à quel point cela tient de l'intéressant, quand elles s'abîment l'intelligence, en se frôlant, en se flirtant, en se vociférant d'aurifères grognements qui comme ils s'accompagnent de petits coups de dents, paraissent vrais comme les diamants cognant à leurs bassins...parfois entrant, parfois sortant, sans cesse souverains ! Ces saphirs, ces florins, ces diamants s'écoulant sans pause ni comptage - pas de répit pour l'Etat quand l'état est sauvage - ce sont d'autres bijoux qui s'écaillent aux épaules et aux cous, calissons transpirants qu'elles lèchent par connaissance du goût...

Celui de l'effort
De l'effort fou
Si rarement synonyme d'une quelconque récompense
Quand les hommes sont là-dessous.
Pourtant elles se dépensent, les sucent et les subjuguent
Mais que voulez-vous donc
Les hommes sont des clous
Et les femmes des tableaux
Du Christ sur la croix !

Ce que je veux dire par là, c'est que Louise-Luisa, avant qu'elle se déplore, vécut une parfaite manche - dépareillée mais victorieuse - un buffet de dimanches et de franchissements...d'îles en îles heureuses...de sa langue pagayant.

*

...

Et puis tu sais le nénuphar de Vian ? Et bien il prit la mexicaine.

Et puis tu sais la dépression ? Et bien elle toucha Louise et ce à pleine puissance, comme un clampage total des sangs, plus rien ne battait en elle, à part "rios", à part torrents.

Et puis tu sais les hommes ? Et bien ils tentèrent héroïques de la réconforter, échouèrent parce que des branques en heaumes de chevalier et enfin la laissèrent lentement agoniser, non sans l'agonir d'anathèmes en partant.

Et puis tu sais la vie ? Et bien elle continua, transportant sur son dos le corps meurtri de Louise jusqu'à le déposer au derrière d'une vitrine.

Et puis tu sais moi ? Et bien moi, timide comme je suis, j'ai jamais trop osé aller lui parler...surtout quand elle était amoureuse, Luisa-Louise, je sentais bien que j'étais de trop, que j'étais pas demandé. Mais maintenant qu'elle est basse, je compte bien le lui dire et si elle m'entend pas, je compte au moins y passer : derrière ses jambes, entre ses bras. C'est pas criminel si je paie...elle assumera !

Mais je vais quand même le lui dire, on sait jamais !

*

Luisa pourtant savait.
Elle avait su l'essentiel.
L'essence-même,
Elle l'avait bue,
Elle l'avait miel, elle l'avait sienne,
Elle l'avait ciel.
Avant que le cancer s'en mêle.

Depuis, c'était comme un vieux rêve
Qui se répétait pour elle
Un rêve d'adolescente
Qu'on baise
Sans qu'elle ressente.

C'était ça sa "vida".

"L'amor" à froid, la morale sèche :
Ce qui vit mourra et ce qui meurt ne peut revenir...

*

Qu'une fois...


*

Ce soir-là, cette nuit
Elle trembla comme jamais
Tenant dans ses deux mains la tête d'un homme mort
A l'air familier

Elle sentit sur ses hanches
D'autres mains
D'autres forces
Des forces du passé

Comme des oaristys
Des fandangos, des jarabes,
De moscovites arabesques
Aux doigts de lingots faits

Comme si elle était là
Pour elle
Et pour l'aimer encore
Car toujours n'est qu'une fois

Et qu'éternel est l'or
Quand il porte
La soie
Du choix d'être d'Accord

Plutôt que d'être appât.

*

Luisa ne venait pas d'ici
Mais revenait de là.

Brisée mais forte
"Si, mi vida !"


Jean Delville - La mort d'Orphée