lundi 28 décembre 2020

LMDLJB

 Il y a, ici où je dois être avant que de descendre encore, une fenêtre donnant sur une portion de ciel. Je peux y voir s'y promener librement les nuages, morceaux choisis d'un Dieu pulvérisé. Aussi, deux colonnes de fumée, l'une suivant la lente marche des restes consacrés, l'autre immobile, invariable et gelé, s'y lisaient de tout temps. Pendant une longue période de ma vie ordinaire, durant laquelle les allers et retours n'étaient pas un problème, je me suis senti proche de la première colonne. Maintenant qu'enfermé, si la seconde me parle, bien sûr, davantage, ce n'est qu'avec regrets que je constate notre gémellité. 

J'ai couché nu, par le passé, avec une dizaine de femmes dont au moins la moitié, dans mon esprit, étaient pensées comme la dernière. Mais les aléas, allant de la perte du désir à l'éclat particulier d'une matinée délivrant sous ses plis jaune cire un message d'abandon ou de fuite, décidèrent mon erreur et j'ai donc continué à rencontrer et à séduire. L'ultime femme qui me quitta, ou que je quittais selon qui contrôlait les circonstances de la discorde, me laissa en cadeaux deux tapis de valeur. Elle aurait aimé les prendre mais l'idée d'une énième confrontation avec moi sur la base de ses seuls tapis lui était impossible, il ne valait pas pareil sacrifice, bien que subtilement tissés et coûtant chacun beaucoup. Je peux comprendre son refus. N'ai-je pas laissé moi-même des livres et des vestes dans des chambres non par dégoût pour eux mais défiance à l'égard de leurs gardiennes d'un soir ? 

Ces tapis sont dominés, en plus des fleurs et étoiles d'usage, par la figure du losange. Le losange, montagne dans un miroir, m'a toujours poursuivi où que j'aille et sans que je le cherche : là présent à l'encre sur le front d'une amie, ici sur la porte d'un frère désormais disparu. Losange, losange, losange. Il doit sûrement y avoir dans un ouvrage, chinois ou scandinave, une explication concrète quant à la permanence de ce symbole pour moi. Je veux dire, au-delà de cette notion de reflet et de sa ressemblance, évidente, avec l'entrée du temple de Vénus, peut-être rhombe ailleurs équivaut à la puissance d'un lion ou à celle d'un torrent, et peut-être que grâce à ce savoir, j'aurais pu mieux me préparer à pénétrer l'arène ou veiller à bien avoir sur moi mon gilet de sauvetage en cas de cataracte. Je ne le sais pas mais les tapis cependant restent là.


Le mythe de la jambe brisée

 Des incendies d'un vert immonde se déclaraient perpétuellement

Tandis qu'alité, calfeutré dans mon grand rêve, j'imaginais différemment la surface de la Terre.

Et si, au lieu des cendres glauques, vivait, avait vécu, une figure de peintre suffisamment charismatique pour imposer aux villes le fond de sa vision. Et si du rouge s'était grâce à ça emparé de tout ce qui désormais gît sous un feu de jade. Je l'imagine très bien : des yeux à n'en plus finir et des mains compliquées par une série de bagues, chacune portant sur elle, d'une façon discrète ou significative, la trace d'un douloureux souvenir. Il aurait également sous le front deux grosses veines se joignant à la manière d'un caducée puis explosant, entre ses fins sourcils, comme une plante grasse. Ce serait là le symbole d'une pensée toujours extrêmement vivace et cherchant, malgré les innombrables contrariétés du monde et de l'époque, une issue positive aux absences préoptées. Faire de la mort un terrain cultivable, voilà ce qu'il souhaitait et d'où ce rouge exceptionnel devait finalement venir. Rouge coeur, rouge rire, rouge de l'enfant à peine sorti des pistons maternels. Rouge vie que seul l'amour sait peindre, en vérité, par-delà nos frontières. 

Dehors pourtant les brancards se remplissent et sur eux des mutants de la couleur de l'herbe voient leurs organes couler au travers de la toile, telle la boue et l'or d'une modeste écumoire ; batée d'homme où l'on discerne grossièrement le corps du cadavre. 

mardi 8 décembre 2020

Un enfant criait, malheureux qu'on lui refuse un jouet et dans les faits, auditivement parlant, on aurait dit une mouette prise au piège. Si j'avais pu, je serais descendu lui prendre sa peluche mais descendre, pour moi, prend énormément de temps. Il y a d'ailleurs fort à parier qu'arrivant dans la rue afin d'acquiescer au caprice, sûrement légitime, de ce gosse inconnu, il soit devenu homme hurlant pour autre chose qu'un animal bourré de fibres creuses. 

Il pleurerait d'amour, des causes d'une rupture, ou bien par anxiété en face d'une existence avare en ors et lauriers. Il pleurerait d'autre chose que cette fois quelques sous ne sauraient pas résoudre. Il crierait d'un manque immense de considération ou parce que ses deux mains, autrefois si précises à cueillir et capter la chair d'une orange tout comme celle d'une joue, se refermaient maintenant toujours avec retard, laissant tomber le fruit et flétrir le charme. Il crierait, mouette engluée dans du fil, parce que la mort - l'honteuse mort qui se cache sous une cape histoire qu'on ne voit pas à quel point elle rougit d'accomplir une telle tâche - auparavant lointaine et basée sur une île minuscule d'Asie ou dans les Appalaches, venait de s'établir à moins d'une centaine de petits kilomètres, parce qu'elle se rapprochait, soit en covoiturage, soit en prenant des trains et des navettes, et qu'il n'y avait plus moyen à présent d'éviter sa rencontre, même en tentant de partir à la dernière minute pour une sombre ville russe. Car la mort allait plus vite que lui, tant et si bien qu'admettons qu'il s'essaie malgré tout au voyage, à peine aurait-il posé le pied sur les dalles bicolores de la gare d'Irkoutsk, il verrait l'attendant au sortir de celle-ci, la faucheuse en pleine forme et tout sauf essoufflée par l'imprévu périple. C'est pour ça qu'il crierait tandis qu'enfin rendu à son niveau, je le verrai ensuite se mettre pieusement à genoux attendant qu'on l'emporte. Et les pièces dans ma poche prévues pour la peluche, ne seront rien qu'oboles, et la mouette des os étalés sur le sol. 

Cet enfant mis à part, il me tardait d'avoir des nouvelles du fantôme. Lui seul savait un temps semblable au mien, c'est-à-dire une durée où un siècle voire deux passent entre chaque matin. Lui seul savait la non fragilité des dates et que cet appareil qu'est le calendrier, en vérité, n'est qu'une grossière farce au regard du réel de la flèche temporelle. Lui seul savait qu'hivers durent des années. Lui seul savait et je voulais, avec lui, ce vertige partager. 


Adolph von Menzel - Intérieur d'église


lundi 7 décembre 2020

I-I

La disparition des contrastes

L'affadissement total 

La chute

Et l'envie de chuter là-bas où les trains passent...

Telle est ma vie ces temps-ci d'isolement 

entre ces mêmes murs qui autrefois pourtant m'apparurent aussi beau que le marbre romain. 
Mais vous savez comment c'est, comme on se lasse de tout

Et qu'il y a des gens écœurés par la mer et d'autres qui somnolent en face des montagnes. Vous savez ça, et des laideurs bien pires encore... 

vendredi 4 décembre 2020

Les fleurs s'ouvraient...

Les fleurs s'ouvraient

Et des rasoirs, à la place du cœur, tenaient dangereux l'avant-scène. 

Les fleurs s'ouvraient

Et les mômes y perdaient, par pure curiosité, des bouts de pouce, morceaux d'index, des ongles et tendons que déchiquetait cet acier naturel. 

Les fleurs s'ouvraient

Et du sang - celui des peaux jeunettes - coulait se faire boire par une terre où l'herbe n'agissait pas encore. 

Les fleurs s'ouvraient

Et un second printemps bientôt bouscula le premier, puisqu'aidé du sang et des bouts d'ongles aussi, ferments magiques, du vert s'était mis à hurler hors du sol. 

Les fleurs s'ouvraient

Et les arbres naissants, tornades de racines et cyclones de lianes, les gardèrent en colliers et bijoux de cheville. 

Les fleurs s'ouvraient

Et l'hiver, le pénible, l'alluvion, arriverait dépourvu cette fois en face de ces colosses colorés et solides, que sont les arbres s'ils sont fleuris. 

Les fleurs s'ouvraient

Et au printemps d'après, une meute d'adolescents bizarres aux mains prises dans des châles s'attacheront à tout bien arracher, des lames et des pétales.

Les fleurs s'ouvraient

Et ne s'ouvriront plus maintenant que vengeance fut rendue par ces mâles. 


Frantisek Kupka - Printemps Cosmique


lundi 23 novembre 2020

 Les vagues reculaient, refluaient, rebroussaient, refusaient la logique inscrite sous leurs ventres.

Et moi je regardais, abasourdi, ce spectacle impossible d'une mer se retroussant. 

Les boules à neige doivent faire le même effet aux rennes vivant à l'intérieur. 

Et peut-être capte-t-on phénomène comparable lorsque, dormant d'un mauvais sommeil, une chauve-souris pleure. 

En dehors de ces désordres ahurissants, il n'y a que la musique qui fait cet effet-là.

Il n'y a qu'elle qui dérange l'âme à ce point et qui en quelques accords peut la rembobiner. 

Les vagues reculaient et j'écoutais... Glass... Nyman... Preisner, Arnald et Johansson...

Et je voyais la neige brûler le front des rennes

Et j'entendais le sanglot inconscient des bêtes ultrasonores. 

J'étais alors à deux doigts de verser à mon tour, histoire ironiquement de reremplir la plage. 

Mais une forme d'espoir, toujours cachée dans la moindre note jouée, m'en empêcha doucement. 

Seule restait l'émotion sans les larmes, sans les rires non plus. 

Seule restait la musique soit cette émotion pure, supérieure en son calme à tous les paysages 

Mais plus vive pourtant qu'aucun battement de cœur. 

Les vagues reculaient et j'écoutais... Glass, Nyman, Arnald, Preisner...


Jakub Schikaneder - Contemplation, moine au bord de la mer







vendredi 13 novembre 2020

Disons que tout a commencé quand mon bras a cessé de répondre.
Ou quand mon visage se figea. Ou quand mourut ma langue.
Disons que tout a commencé.

Je n'en veux pas au fantôme qui, lui aussi, ne m'a pas répondu.
Je n'en veux pas à la silhouette pour être silencieuse. 
Qu'il serait délicieux cependant d'accéder à quelque voix nouvelle ! 
C'est pourquoi je descends chaque matin, quand bien même celui-ci se répète.
Pour la voix et la vue directe du soleil. 
Mais évidemment, et ce depuis maintenant deux tiers d'une semaine, la chute ensuite m'empêche. 

Je n'ai pas toujours tombé. 

J'étais plutôt oscillateur. 
J'allais de glacis en glacis, de butte en butte.
Pour illustrer, voici un souvenir : 

En ville, avec un ami, nous entrâmes à minuit dans un de ces dancings que la jeunesse prise, curieux chacun de la prendre peut-être. Mais tout ce que nous y vîmes furent de la bière vendue au prix d'un bon champagne ainsi que l'anus éberlué d'un chien. Longtemps, j'ai veillé jusque tard histoire de mieux comprendre l'attraction titanesque des trous des bêtes sur nous, qu'il s'agisse d'orifices de chiens, de chats ou d'animaux encore moins ordinaires. Est-ce l'œil qui d'instinct se cherche dans cette copie sombre ? Ou est-ce concupiscence ? Aujourd'hui encore que j'y pense, je n'ai pas la réponse.

Fin du souvenir. Puisez en lui que j'ai eu des attentes et des déceptions, des glacis et des bosses, et des répétitions. Puisez en lui qu'avant de descendre quotidiennement les étages à pas fixes, avant de m'étaler et de pulvérisé revenir, je fus autre et semblable. 

Je pense aussi à Léonard...
Enfant, morceau de sucre, dont les yeux détenaient d'après moi toutes les teintes connues. 
Un vrai regard d'arc-en-ciel, Léonard...
De butte en butte avec Léonard, le petit Léonard, l'adorable. 
Le soleil à l'époque se voyait à toute heure du jour et de la nuit. 
Et aux immeubles, au lieu des balcons et du fer, au lieu des couteaux pour pigeons et des échafaudages, s'achalandaient des merveilles de fruits. Des grappes coulaient de chaque fenêtre, des pamplemousses fuyaient des vasistas, et des grenades et des grenades...

Désormais mon genou la grenade, ouvert il dévoile tout un tas de carrés rouges
Avec en-dessous un os comme une flèche. 
Je suis tombé énièmement. 
Mais cette fois, à la place d'hurler, j'ai fait choix de me taire.
Tout sauf envie de faire fuir le fantôme, d'effrayer la silhouette. 

De la sueur de douleur me repeignait en statue italienne mais je tins une minute,
Une minute trente.
Avant de remonter,

Absence contre absence.

...
Pourtant je sais que tu es là pas loin 
Dans une rue traversière
Je sais que tu m'observes 
Qui que tu sois, 
Au lieu de voir viens,
Tu n'as que peu à perdre. 


Plautilla Nelli - Extrait de la Cène avant réparation




jeudi 12 novembre 2020

 Qu'on se blesse aisément dès lors que l'on descend ! 

Trottoir encore, troisième glissade, la cheville a dérapé et fait déraper tout pareil tout le reste du corps

Et me voilà par terre. Par terre encore, trottoir troisième.

J'avais déjà cru mourir les deux premières fois mais là 

Là, tandis que mes tendons dégueulaient comme du fil et que pour pas changer, mon tibia s'hérissait

Là, je me suis vu vert tout à fait

Avec par-dessus moi le gros couvercle

Et autour

Peut-être

Quelques humains aimés. 

Je me suis représenté comme jamais la terre et son silence

Bruyant de mille et un insectes

Et de racines en croissance. 

Comme jamais, j'ai aperçu la couleur dissolue 

- Lavée machine à des températures qu'enfers jalouseraient -

Du Noir original.

Sur ce trottoir, ensanglanté by myself,

Je m'y suis blotti presque

Dans ce Noir catacombal, cavernissime et phréateux ! 

Dans ce Noir si noir qu'il blanchit comme l'azote liquide en vérité réchauffe...

Je me suis senti lilial 

Dans ce Noir.

Et puis des forces sont revenues, par petits jets intermittents. 

Et ces forces ont donné naissance à des embryons, à des fœtus de sensation, 

Et de la sensation est venue le Cri, cette orange qu'on ouvre en face du soleil et dont du jus éclaire sa surface.

Et du Cri ma cervelle s'est remise dans ma tête et ma tête sur mon corps éclaté à la jambe en poussière. 

J'étais donc vivant.

Sur quoi, puisque de ce statut, j'ai ramené vers moi mes liens pulvérisés, tibia de sable, cheville de gelée, et je les ai fourré au grain près dans ma bourse.

Puis je suis remonté

Constatant malheureux

L'absence aux alentours.

...

Excepté...

Une silhouette ?

...

"Qui êtes-vous fantôme ? Qui êtes-vous qui êtes ? Parlez-moi je vous prie, sans l'exiger mais avec insistance, ici, je n'ai que le soleil et la douleur pour vivre, le soleil et la douleur, et la nuit, et le froid qu'elle déverse, alors une parole me sauverait beaucoup... ça me fluidifierait... je ne demande qu'un mot, non, une note suffirait !"

...

"Un la, un do, un mi, tel ou tel bémol, un fa qu'il soit dièse ou pas... Même un silence m'irait s'il était différent, musicalement écrit et prémices d'un si...."

...

"Une note putain, une seule ! Sache fantôme qu'ici je dégringole, c'est-à-dire que je tombe, jour après jour et seul. C'est pourquoi, un petit signe, un mot, une musique, un cri, me feraient un bien fou. Je ne sais pas si tu manges mais ce serait comme manger une moitié d'abricot. Ici, je n'ai que les noyaux, les pépins et les yeux des poissons. D'où ma requête actuelle. Parle-moi fantôme, exprime-toi silhouette !"

...

Ainsi c'était un rêve ?

Une machination de ma boîte crânienne. Ainsi c'était un rêve. Pour un peu, le trottoir, le tibia, le lilial et le Noir et le froid, c'étaient aussi des rêves. Tout rêve sauf le soleil. Tout rêve sauf sa lumière, son feu entraperçu au travers des étages au cours de ma descente et qui, malédiction, demeure inaccessible dès lors qu'au dehors à cause des immeubles et de leurs mauvais sorts, qu'ils jettent, comme ils jettent des hommes. Tout rêve. 

Il faut que je remonte, quitte à ce qu'elle soit du chiquet l'ascension.

Il faut que je remonte

"Silhouette,

Saurai-je un jour ton nom ? 


Remedios Varo - Voyage en spirale




 

dimanche 8 novembre 2020

Cette fois l'os et le rouge tatouage l'entourant ont gelé à même le sol. 

Il faisait froid ! Un froid de cathédrale éventrée au vitrail. 

Je crois même avoir saisi, tandis qu'il, aussi, me saisissait

Des figurines lumineuses étalées près de moi,

Comme un jeu d'or et de tarot. 

Je dis je crois car vite, bien plus rapidement qu'hier, 

Mes nerfs firent feu 

Et ma bouche devint, déformée par un cri que seule une forêt peut entendre sans être déchirée,

Une blessure à son tour. 

Pour en revenir aux figurines, elles avaient sur la joue deux fraises semble-t-il, et sur le front une croix profonde, insupportable et métallique. Mais parce que jaune cette croix sortait de l'ordinaire et paraissait avoir quelque qualité d'astre, le Soleil étant l'unique étoile de tout notre système. 

Losanges et octaèdres figurant suppliciés 

Et moi 

Et ma jambe sortie

De ma jambe

Assis jusqu'à côté

Attendant qu'on m'entende. 

Encore une fois personne n'est venu me chercher, 

Le froid, l'algue de sang produite teintant d'un vin de glace l'os matinalement surgit,

N'y changèrent rien. 

Je remontais seul.

Avant demain. 



Georgia O' Keeffe - Une rue


mercredi 4 novembre 2020

 L'os sous la chair perce

Comme si les poils, la graisse

= La glace

Et l'os, un talon de jeune femme. 

Cependant cela saigne. 

Un geyser s'inaugure 

Repeignant dans sa chute

Le trottoir d'un rouge de ces rouges méconnus qu'on évite toute la vie. 

Je suis tombé malheureusement.

Mes nerfs se plaignent, ils hurlent largement

A mes oreilles. 

Tandis que cela saigne... je saigne, je me répands, déverse ! 

Ce cauchemar extérieur, je l'ai vécu d'avoir voulu encore aller trop vite. 

Dehors...

Mais c'est qu'intérieurement, j'étais déjà panique. Pic apeuré, pâlot sommet.

La cause ? Les murs de ce crâne qu'il faudrait tous casser...

Parce qu'il ne sait plus ouvrir de paysages 

De derrière ses fagots, ce perdu salon, saoulot ratatiné. 

Alors je suis sorti

Histoire de voir

Et j'ai vu :

L'os percer la chair 

Et le rouge, de ces rouges méconnus qu'on évite toute la vie, 

Dégueulasser le trottoir. 

Que dire d'autre ? Rien.

Je ressaierai demain 

(même si sur les cuisses

Même si illicitement, 

Cul-de-jatte et clandestin). 


Adolph Menzel - Chambre avec balcon


jeudi 15 octobre 2020

 Ils meurent et moi je reste

Ils meurent

Des petits corps, des gros, des rêveurs pour la plupart, qu'importe le contenu du dit rêve,

Ils meurent

Par infinies centaines, par milliers, millions, milliards si l'on compte bien, 

Ils meurent et moi je, rien

Non mais imaginez-vous vraiment les quantités de torses, d'yeux, de cartilages et coeurs qui sont quotidiennement transformés en autels 

Pour que leurs mères y pleurent ?

Elles-mêmes torses pas mal s'effilochant

Et cicatrices nombreuses au ventre et au dos...

Les imaginez-vous, ces colonies cadavériques qui partout nous entourent

Qui partout nous poursuivent ? 

Elles sont des têtes avec des expressions significatives, des fatigues, des sourires, des encouragements, elles sont, ces personnes, des gens... avec une bouche capable d'embrasser

Et des poings capables de faire mal 

Mais ont-ils fait tant de mal, avec leurs poings généralement très maigres, pour mériter de crever à cause d'une simple fièvre ? Ont-ils fait tant de mal ? Pour qu'un couloir, une rue, et des poubelles peut-être abritant nourriture, constituent les soleils s'agitant dans leurs crânes ? Ces mêmes crânes qui, ailleurs, autrement accompagné, aimé, désiré et soutenu, pourraient vivre de jardinages et de lectures, de baignades et de noces. Ces mêmes exacts crânes.

Ils meurent...

Ils meurent...

Par brouettes malgré le monde associatif, la croix rouge, médecins sans frontières, l'abbé Pierre et je ne sais quels encore communions d'âmes douces...

Mais ils meurent ! 

Et ça continuera jusqu'à ce que ce soit mon tour 

Et le tour également d'autres milliards de femmes, d'hommes et d'enfants...

Des corps, des crânes, des cerveaux s'éteindront d'avoir faim, d'avoir froid, de recevoir en pleine tronche un coup de botte ou une balle d'un quasiment voisin, d'un qui mourra aussi, quelques semaines plus tard sur un nouveau champ de bataille, et qui sera pleuré pareil, par une mère similaire, ressemblante en tous points à moins que morte elle-même, courtisée par les vers, par l'herbe, par la fin de la plaine, celle qui pousse en-dessous, toujours, toujours, galaxie de racines, de cendres et d'abandon,

La terre...

La Terre ! 

Elle meurt

Et vous, nous tous, 

Nous assistons... nous constatons, nous colmatons, nous...

Non, on...

On s'en bat les couilles au fond...

La famille d'abord

Ou si l'on est idiot, d'abord la nation...

Mais l'autre ? Secondaire, tertiaire, tréfonds ! 

J'arrête ici l'humaniste clairon.

Ils meurent

Nous mourrons 

Et pendant tout ce temps, excités, nous travaillons à leur ensevelissement. 

Oui, nous y œuvrons

Non pas en ne faisant rien, mais en faisant précisément

En produisant

Avec une cadence, une bêtise, surpassant aisément les plus fous des fantasmes des russes staliniens ! 

Et tout ça, toute cette production, c'est pas cette fois pour la guerre, 

Pas non plus pour la paix 

Non, c'est pour... 

On ne le sait toujours pas...

C'est pour... travailler, donner du sens sûrement aux néons ainsi qu'une raison d'exister aux chaises inconfortables et salles de conférence... c'est pour... travailler qu'on travaille...

C'est même pas pour l'argent, c'est pour garder la face 

Parce qu'au fond à quoi servent les deux-tiers des actuels métiers de production de masse ? 

Au plaisir et au divertissement ? 

Certes ! mais aucun film au monde, aucun livre, aucune toile, n'a égalé jamais l'extrême délicatesse du ciel quand à l'automne le jaune vient s'asseoir, comme s'il discutait, prenait le thé avec nous et les nuages, ce jaune, cet or fondamental... 

Il suffit de lever les yeux pour le voir 

Mais nos yeux...

Dans quel état ils sont maintenant

Je ne préfère pas savoir. 

Mais je suis sûr qu'ils meurent. 

Les yeux

Tous 

Ils deviennent des petits objets poisseux vaguement colorés...

Alors qu'avant, il y a une minute à peine, 

Ils faisaient tout les yeux. 

Ils faisaient tout, ils étaient tout, 

Comme les oreilles, comme les joues, 

Comme la voix, comme la boucle de nos doigts...

Quand ils se serrent chers 

Quand ils s'aiment, s'espèrent, s'estiment, se cherchent, se perdent et se retrouvent, quand ils s'ouvrent au-dessus d'un sucré fruit de chair, quand ensuite ils se ferment, et que cela descellent d'autres sorties, sublimes, incertaines issues sources de vie...

Quand on existe...

On ne sauve pas les autres qui à quoi ? Cinq cents mètres ? Continuellement décèdent.

On ne se sauve même pas nous-mêmes...

Mais on existe ?!

Ils meurent et moi 

Je t'aime.  


P-S : En vrai c'est la faute intégrale des vieux et des élites. 

mardi 29 septembre 2020

Madame L.

La salle d'attente de mon médecin traitant donne sur une large cour qu'encadrent des arcades vieilles comme le monde. Derrière elles, une rue plus loin, se tient l'école primaire dans laquelle j'ai appris le nom de toutes les capitales d'Europe avant d'en oublier certaines. Et puis, il y a une cour encore, un terrain de jeu pour enfants où d'innombrables buts et paniers furent inscrits chaque année. Chaque année également, des amitiés naquirent dont quelques-unes surent tenir bon malgré la grande diversité d'avenirs que la province propose. D'autres se heurtèrent au mur de l'âge adulte brisant un à un les repères pris. 

Ma maîtresse d'alors est morte récemment d'un cancer. Elle était jeune. Moins jeune qu'à l'heure où je l'écoutais religieusement mais jeune tout de même. A-t-elle pensé à moi ou à tel ou tel camarade durant ses mois de souffrance ou n'avait-elle plus en tête que des images, soucis et soifs débarrassés de nos visages ? J'ai de mon côté vécu sans elle parfaitement, je ne lui en voudrais donc pas d'avoir privilégié des pensées neuves. C'est ma mère qui me l'a annoncé, entre deux pommes épluchées. Les corps se dégradent si vite. 

J'espère que des lèvres l'ont embrassée jusqu'à la toute fin. Ce serait affreux sinon, devenir pestiférée pour les siens sous le simple prétexte d'une déveine immunitaire. Je me demande combien de ses élèves ont pleuré ce jour-là et l'ont emporté avec eux, comme un livre lourd et beau, dans le cartable de leurs crânes. Moi, je n'y pensais plus car je l'avais su par ma mère, entre deux pommes épluchées, avec du délai, mais d'autres sûrement, piqués au vif par l'impossible, ont dû beaucoup pleurer. Et ses collègues... des enseignants, des enseignantes tout comme elle... quel choc d'imaginer qu'elle parte et que ça aurait pu leur arriver aussi, tout affreusement pareil ! 

D'abord on n'ose y croire. On se dit qu'un remède ou qu'une témérité, un courage, suffiront à ce qu'on passe l'obstacle. Ce sera long bien sûr, épuisant d'évidence, mais dans six mois, un an, on reprendra nos forces, domptera l'existence. Mais le corps se dégrade... et l'esprit... outil d'une puissance implacable, finit par suivre... 

Je pense aux films qu'elle n'a pas eu le temps de voir. Aux amis, aux faire-part de mariages futurs de sa fille... 

Moi, je les verrai ces papiers harmonieux alors que je m'en moque mais elle, pour elle, c'était trop tard. 

La salle d'attente de mon médecin donne sur une cour qu'encadrent des arcades...


Edvard Munch - Sans nom


lundi 28 septembre 2020

**

 Mes yeux brûlaient. 

Enième symptôme. Désagréments comme s'il en pleuvait. Cependant qu'à côté, sans se douter du calvaire de son père, la petite dormait. Un ange, mon ange ! Descendu du hasard, d'une poupée russe dédaléenne, d'un labyrinthe en escaliers donnant sur un miroir, sur un miroir, sur un miroir... 

Tant de choses auraient pu t'écarter ma petite... et tant de choses le pourront...

Mais tu es là 

Et je regarde

Ce que la chance produit de mieux. Pureté petite immense. Je n'ose imaginer ma vie sans la tienne observable. Serait perte de temps, tour pendable. Serait souffrance inexorable, moments ouvrant thorax, mains pleines de cœurs serrés au point qu'ils éclatent. Sans toi. Sans ma bannière, flottante flamme derrière ton noir d'encre et de jade. 

Tes yeux brûlaient... aussi mais pas parce que malades. Parce que tout le contraire. Parce que chauds d'enthousiasme, d'un appétit, d'une joie envers le banal comme envers l'au-delà. Ils brûlaient de connaître, ils brûlaient d'apprendre où la grâce est maîtresse, où l'amour peut se rendre. Ils brûlaient également pour une lampe, un insecte ou une tasse. 

Fermés, désormais, calmes, je les caresse de toute mon âme... Ces yeux, tes yeux. Les miens en moins verdâtre ou en plus bleu. Je les caresse en rêvant de pouvoir m'incruster dans tes rêves pour en conter l'histoire. Si je pouvais contrôler ta nuit et ce qu'elle garde, je te filerais du rab de couleurs, d'animaux et climats. Soleils violets et chats. Et des pirates, quelques-uns, car je sais que tu les aimes. 

Si je pouvais soigner tes rêves...

Si je pouvais soigner les miens. 

Je ne peux qu'espérer finir la semaine.

Le mois,

L'année ! Une année encore à te perdre...

A te voir évoluer en sachant que ça s'arrête. 

Le problème, c'est que je t'aime et que c'est sans limite. Or, la vie m'en impose une. 

Chiens grisonnants et lunes. 

Mes yeux venaient de rafraîchir. Chaque fois ça quand je pleure. Chaque fois je pleure quand je réfléchis. A la douleur. De ta beauté. Bientôt partie.

Mon cœur

Ma petite

Ma vie. 

lundi 7 septembre 2020

Synchrones

 "Papa, t'as vu le but qu'a marqué Denilson hier ?" 

Frédéric me tendit sa montre au-dessus de laquelle bougeait gracieusement une dizaine de bonshommes plongés dans un brouillard vert. A la base de la montre clignotait un signal bleu que mes lunettes traduisirent, avec un peu de latence par rapport aux modèles actuels, et qui ouvrit un onglet sur ma propre montre m'invitant à transférer l'image. Je refusais la transaction. 

"Non, Frédéric, je regarde plus de foot depuis un certain temps tu sais. Je commençais même à m'en désintéresser avant l'accident de Londres alors..."

Je n'en voulais cependant pas à mon fils de ne pas avoir suivi. Nous nous voyons rarement et le sujet de mon rapport au sport n'avait rien de crucial. En revanche, le fait que l'épisode londonien n'ait pas du tout entaché sa passion m'inquiétait quelque peu. Je le pensais plus sensible. 

"Je vois ! Après, c'est sûr que ce qui s'est passé à Londres est terrible mais bon la fédération a dédommagé une grande partie des familles ainsi que certains spectateurs s'étant plaints a posteriori. Ils ont fait de leur mieux et puis il y a certaines équipes qui ont observé une minute de silence toute la semaine qui suivit."

Je faisais partie des spectateurs ayant assisté en direct au spectacle. Sur une action anodine aux abords du point de corner, un ballon avait rebondi à pleine puissance sur la jambe d'un des joueurs avant d'aller s'écraser sur le plexiglas des tribunes. Après quoi, la structure s'était légèrement soulevée, laissant apparaître un point noir sous le panneau publicitaire pourtant solidement fixé devant les sièges où, par le passé, du public en chair et en os exultait chaque week-end. Chair et os, c'est précisément ce que ce point noir révéla une fois analysé en profondeur par un droit-de-l'hommiste spécialisé dans ces problématiques. 

Il s'agissait d'une tête, d'une tête de cadavre exactement, celle d'un père de famille qui comme tant d'autres s'était réfugié dans un stade faute de logement. Rapidement, l'affaire prit de l'ampleur et il fut mis à jour qu'un demi-millier de personnes mourait de faim à ciel ouvert derrière ce plexiglas épais où l'on projetait sans arrêt tout un tas de logos. Tous, des présidents de franchise aux joueurs en passant par les fans retranchés chez eux se doutaient bien que de tels drames se jouaient - après tout, ils en pressentaient des similaires émanant d'anciennes stations de métro quand les souffleries dysfonctionnaient et que montait d'un coup une odeur surhumaine - mais c'était la première fois qu'une preuve aussi flagrante était diffusée de la sorte. Il y eut enquête et le lendemain, une partie des matchs prévus ne furent pas joués. Mais, sous la pression des enjeux économiques, dès le surlendemain, le stade fut vidée en catimini et le tournoi reprit son cours normal. 

Denilson venait de marquer d'une reprise acrobatique et célébrait à présent son geste en pointant ses deux index en direction du ciel. 

"Quel joueur quand même !" reprit Frédéric dont la montre diffusait désormais un chant de Noël entrecoupé du slogan d'une de ses marques favorites. I'll be home for Christmas

You can plan on me
Please have snow and mistletoe
And presents on the tree... sponsorisé par les Biscuits "Riviera".

Dehors, le thermomètre affichait vingt-et-un, un temps plutôt frais pour la saison. 
C'était notre premier Noël ensemble depuis la mort de Mary. Elle nous manquait. Peut-être que si elle était partie plus tard, elle aurait su lui faire changer d'avis quant à sa carrière. Je ne sais pas.

"Et ton travail, comment ça se passe ?"
"Oh !"

Ce fut là toute sa réponse. Il n'avait jamais été particulièrement bavard mais depuis qu'il était à moitié orphelin, sa capacité au développement semblait avoir totalement disparu. J'espérais qu'avec sa psy, il se montrait plus disert mais les consultations en Blitz s'étant multipliés au détriment des séances horaires, je ne donnais pas cher de cette perspective. 
Ma montre sonna, les plats étaient arrivés. J'ouvris la porte au couloir désert et scannais la boîte soigneusement emballée avant d'effectuer le paiement à l'aide de ma montre, offrant au passage un pourboire décent au livreur, saison de fêtes oblige. 

"Miam miam ! T'as bien commandé indien comme je te l'ai demandé ?" s'impatientait Frédéric tout en écrivant un message à sa petite amie, du moins le supposais-je. A qui d'autre aurait-il pu écrire ? J'étais là, mon père était à l'hôpital et Mary était morte. Quant à ses amis... 
Quand je repense à la dureté avec laquelle je l'ai traité lorsqu'il rentrait affreusement ivre... 
Je le regrette maintenant. Certes, il se détruisait mais au moins vivait-il. 

"Indien parfaitement ! Je t'ai pris des pakoras comme tu aimes et même quelques sushis, ils en ont sur la carte."

Sushis était à vrai dire un bien grand mot. La texture, l'aspect et la couleur collaient mais question goût, faute de poissons frais, cela ressemblait plus à de la purée aromatisée qu'à un plat raffiné. Qu'importe il mangea tout. 

"Tu m'aimes papa ?" s'enquit-il, l'estomac plein et comme prêt à partir. 

"Absolument mon fils !"

"Cool !"

Nos deux montres, attentives à la discussion, jouèrent alors un air plaisant. Puis trois petits airs tristes destinés à nous émouvoir et à encourager quelque accolade filiale. Nous nous y prêtâmes confusément.

"Demain, j'irai voir ton grand-père. Tu sais qu'il aura 103 ans le mois prochain, ce n'est pas rien."

Sur cette déclaration, après avoir levé un pouce approbateur, Frédéric s'éclipsa. 
Quelques jours plus tard, sa montre sonna, annonçant avec une voix d'enfant, d'une douceur d'ange, que son grand-père avait succombé. Heureux évidemment. 
Je n'ai eu pour ma part ma notification que le lendemain matin, désactivant par habitude l'objet au moment de dormir. Mon message à moi était plus sobre, son texte étant lu par une voix de femme adulte. Elle me fit penser à Mary. L'instant d'après, la montre s'éclaira de nouveau, me proposant ou de voir mon accolade avec Frédéric ou de revoir le but marqué par Denilson. 

Le choix fut vite fait. 
Cette fois, je le regardais avec attention. C'est vrai qu'il était beau !  

L'exposition universelle pékinoise de 2135

 Le nombre de visiteurs sur la quinzaine s'élevait à quarante, quarante un, soit dix de plus qu'il y a vingt ans. Le président de l'exposition se félicita, intérieurement, d'un tel succès. Elle s'était tenue en plein été, du premier au quinze août, dans l'arrière d'un magasin de souvenirs et de rafraîchissements situé souterrainement à la station "Sunhe", juste à côté d'une machine à souvenirs Apple et du commissariat encore en construction. Là-bas, entre quelques photos dégriffées et quelques cartes postales impossibles à envoyer car démagnétisées. Dans un petit cagibi, de quoi faire rentrer une personne mais pas deux. Cinq mètres carré, six ? 

Là-bas, en profitant du commissariat inachevé donnant l'illusion de la police sans pour autant qu'elle se soit installée, les visiteurs - des curieux souvent amputés quelque part - avaient vu ce qu'il y avait à voir : des bites partout et des fentes de femme, toutes en latex, en silicone mais réalistes et mieux encore, "réelles". Aussi, placés sur une étagère : une pile de faux billets de banque, un œuf véritable, un compact-disc, une lettre d'amour manuscrite. C'était à peu près tout que cette collection d'objets rarissimes, en plus des fentes et bites dégoulinant de la table centrale. Un vrai petit trésor !

La prochaine édition devait avoir lieu en hiver dans la ville de San Francisco et ses moins trente degrés, sous l'ancien Golden Gate reconverti, depuis l'effondrement, en musée-patinoire. Là, là-bas, dans un autre tout petit cagibi, une autre arrière-boutique, on trouverait ce qui a existé et non plus ce qui n'existait pas. La nostalgie, même si bonne d'intention cette fois, avait définitivement remplacé tout le reste. Au grand plaisir du patronat qui, si devenu pauvre dans les faits de par l'épuisement général des ressources, avait enfin pour lui l'impression de comprendre. 



Muriel Carpentier - à 7345 mètres de profondeur





mardi 1 septembre 2020

 Le vide il faut le regarder

Attentivement 

Avec les yeux les plus ouverts possibles

Afin qu'ils s'habituent à son obscurité

Et qu'ils puissent finalement

Voir les rayons d'échelle

Qui le zèbrent en tout sens.


Le vide il faut le regarder

Très attentivement.

lundi 10 août 2020

Comme un œil qui dans une larme emporte sa couleur
Je participe malgré moi à la farce nocturne
Où par milliers les hommes font des misères aux femmes ainsi qu'aux autres hommes
Dans des rues pourtant pleines, aux heures ensoleillées, d'histoires belles à souhait.

A quel point j'aimerai la nuit rayée des cartes
Et que Paris emprunte, aux pays scandinaves,
Sa lumière exclusive.
Alors il n'y aurait plus à craindre, quand je te tiens la main, qu'une troisième s'intéresse à ton sac.
Alors il n'y aurait plus à craindre de tomber sur des flaques, rouges et fraîches, de vomi ou de sang.

Cela serait si simple dans ce cas de se voir
On ne raserait pas les murs ni fuirait les trottoirs.

Nous serions comme des yeux méconnaissant la larme.


Cybèle Varela - Le Passage

samedi 23 mai 2020

Uno scherzo / "Sans musique, les oreilles se décomposent"

Tu m'as fait part ce jour du désir d'acquérir une lampe-papillon. Tu me l'as montré depuis le trottoir car j'avais préféré rester à l'extérieur, en connaissance, et de ma maladresse, et de ma tendance à l'achat compulsif face aux jolis objets. C'est à cause d'elle, par exemple, que ma chambre est remplie de livres en tout genre. ///


Si j'étais fatigué, l’œil vide et les paumes harcelées de moiteurs, c'était dû sûrement au manque de sommeil. Et si je dormais mal, c'était à cause du bruit, de sa perpétuité dès lors qu'une ville vit et qu'on ne peut s'isoler grâce au double-vitrage. Je prenais tout d'emblée : cris, tristesses, ivresses et dérapages. En temps normal, c'est-à-dire avant, j'arrivais à faire fi d'un tel remue-ménage...

Mais tu m'as habitué comme qui dirait au calme. De par ta peau, abri phonique pour le moins impeccable. De par aussi ta voix qui forçait via ses charmes la venue d'un silence... enfin pas d'un silence mais d'une tendre musique en provenance des arbres : pépiements,
mouvements des feuilles qui se détachent
parce qu'une fleur s'y fabrique
ou des fruits les remplacent.

J'avais pris l'habitude de ton sucre entourage, quand bien même, si j'avais jeté l'oreille hors de cet apanage, j'aurais saisi pareil les bruyants abattages éclatant des carrières que la cité ouvrage. Les marteaux, les autos, les badauds, les vacarmes, tout ce méli-mélo de misères et dos-d'âne. Mais j'avais heureusement l'oreille déjà prise, et par ton opéra, miniature mais réel comme mer dans coquillage, et par certains baisers qu'entre deux tours de chant tu m'adressais en nage. C'étaient ça des bouquets, comme si non contentes d'illuminer la scène, tu faisais le public au moment du final quand celui-ci se lève et s'allège de pétales. C'était, un roman de poèmes, anthologie de courts-métrages, que de t'avoir parmi ma pièce, alors hôtel, villa, palace, Versailles dont mille fontaines berçaient la pierre lâche.

Car oui l'amollissement s'étendait jusqu'aux marbres, jusqu'à l'âpre ciment censé avoir pris place au-dedans de mon âme. Je fondais sous ton art, glace d'enfant renversée que beau temps accapare, la transformant d'une boule, savoureuse mais contrainte d'être vite avalée, en un disque durable, une rose, un miroir, aquarelle que les chiens goûteront tout d'abord avec hésitation avant que d'y plonger la langue jusqu'au fond. Et de là ce bestiaire, efflanqué, dérisoire, deviendra une meute capable de faire fuir les chasseurs de l'histoire.

Tu avais ce don-là d'adouber, de rouler dans l'étoile le ciel le plus noir afin qu'il puisse, aidé de ce haut-phare, guider les percées barques en dehors de ces rocs qui les croquent en épaves. Tu savais inverser le dessein quand maussade, rassurer d'un refrain, d'un mot, d'une sérénade histoire que le Tessin s'insinue dans les rades et qu'ainsi revêtu de ce plein paysage, le cœur souvent malade des hommes de ce monde, passe du sale au sage, et du toussant, permanent salopard, à ces agneaux touchant couchant dans la blonde paille.

T'étais miracle ! Et c'est pourquoi, maintenant qu'acté paraissait ton départ, je ne dormais que d'un œil écrasé par les larmes. Et c'est pourquoi, je frissonnais d'angoisse, j'avais chaud, j'avais soif, et comme, des visages de sueurs enfoncés dans les pognes. Et c'est pourquoi, étant monté aux branches de tes bronches mariales, je tombais dans les pommes sans l'ombre d'une idole, rien que compotes et baves.

Et du bruit à n'en plus finir, à s'en embrocher le pavillon, à se le détruire à l'aiguille, à l'ongle, à tout ce qui peut blesser ce conduit dégueulasse ! Pour ne plus rien entendre ton souvenir sinon...

Quand tu étais chez moi
Que j'étais à ma place
Et qu'il n'y avait qu'à rire
A la barbe du Mal
Inoffensif ici

Auprès de ton Image

Soit dans ce lit de lieds
Et de vives aubades
Que celle-ci composait

En à peine une parole

Complaintes se taisaient
Devant la barcarolle,

Ballade de baisers,
Chorale d'auréoles...

T'étais ce que j'étais quand ma vie était folle
A raison
De t'aimer
Malgré la clef au sol

Et porte de beauté
Fermée
Condamnée
Infiniment ignoble
Désormais que c'est seul
Que je pense aux saisons
A la ronde

Aux accords
De ta main
Qui chuchote
Emporte l'adhésion,

Cependant qu'elle dénote
Dans mon teint
Un frisson...

C'était la peur d'échouer en dehors du son
En dehors du blé
Musicien bondissant
Au rythme du vent frais,

C'était la peur de l'abandon
De ne plus être en mesure
De transi t'écouter
Jusqu'à l'exténuation.

...
Je l'avais tellement cette peur
Au corps enchevillée
Qu'elle avait tout fini par me désaccorder
Déjà quand t'étais là
Voix à forte portée.

Alors maintenant qu'ailleurs (pâle écho de murmure, ruine à nouveau ruinée)
J'entends encore moins rien
Du précédent bonheur.

Mais les voitures, elles,
Et les bruits claquants des fenêtres qu'on ferme,
La tonitruance de l'isolement,
En somme, le Nibelung de la défaite (en un seul set et sans entracte)
Je le captais parfaitement !

...
Sourd amour désormais
J'imaginais revoir
Le contour d'un sonnet
Ecrit grâce à ta lèvre,
Tombé de ton espoir.

C'était peine perdue s'entend
Car cent ans nous séparent
Depuis que j'ai pris part
Au brouillard du printemps
Que cache toute histoire

Depuis que j'ai bâillonné
L'idéal
De mon suintant mouchoir

A cause d'une peur idiote
Une jalousie du noir
Face au blanc de la note

Comme si la lenteur, la langueur, le confort
Risquait en quelque sorte
De rétrécir l'ampleur ancienne de mes forces
En gros que m'affaiblissent
Oaristys et noces.

Je le sais c'est débile
Comme il était débile
De débilement craindre
Tandis que tu chantais
L'instant de l'extinction de cette sérénité,

Mais je n'ai jamais dit briller d'intelligence
Tout du moins il me semble.
Et si jamais c'est le cas
Je n'aurais fait que feindre
Une qualité sans bras, un génie sans étreinte.

Car je suis inutile comme les bruits alentours.

Les gosses peuvent bien danser
Et les bagnoles aller à la vitesse du jour
Et les outils construire
Des serres où se masseront des masses jasminées
Aux parfums de griseries à la fois vifs et lourds

Ils sont tous inutiles autant que mon reflet

Qui
En silence
Et en sang
En entier dégouline
Contre cet évier blanc
Imitant ta poitrine.

En ceci qu'il est froid
Mais que ma tête humide
Doucement le réchauffe.

En ceci qu'il boit, qu'il évide
Tout ce que j'ai en trop.


Dorothea Tanning - Jardin Secret




lundi 18 mai 2020

Hors de ma vue

Un morceau de tomate baignait dans de la vinaigrette. Je l'observais attentivement comme on le fait d'une plaie. Ce qu'elle venait de dire, avec un œil méchant que je n'avais jamais vu, me sortait par les yeux. Qu'elle peste contre moi, j'entends, je considère, m'en agenouille poliment dans ma tête. Mais qu'elle le fasse ce soir et avec un tel œil, c'était inadmissible *. Pourtant, au fil des ans, j'avais à l'occasion songé à ce final, l'ayant moi-même donné. Mais l'action dans ce cas paraît toujours plus tendre, plus digne, mieux mesuré qu'elle ne l'est réellement. On imagine très mal tout le mal qu'on peut faire par l'arme du regard, se figurant que la parole fait en fin de compte l'essentiel du travail. En vérité la langue est très inoffensive, elle égratigne au pire, tandis que l’œil, cet organe ausculté tant de fois avec exaltation, curiosité fascinée ou calme d'aquarelliste touchant à son sujet, possède la destruction, le moyen, s'il le souhaite, d'entier annihiler. Et ce instantanément, je le sais à présent d'expérience.

Quelques semaines plus tôt, nous dansions cousus mains, entité réunie malgré l'ennui qui nous prenait, parfois, comme tout à chacun. Malgré également certains pas maladroits, portions d'orteils honteusement écrasées à cause que déjà notre disque se jouait sur deux platines lointaines et séparées. Des erreurs de la sorte existèrent aussi par le passé, mais jeunes, mais se méconnaissant, nous les accueillîmes en ce temps-là avec un rire puissant supplantant la douleur. L'hilarité s'étiolant à force de maîtriser, et non de deviner, cette mignonne désynchronisation devint une forme de torture nous obligeant, pour ne pas ruiner nos pieds et nos chaussures, à espacer de plus en plus ces douces sessions de danse. Nous nous en décousions, perdant le fil d'une fusion auparavant quotidienne, attendue, espérée, comme mer et soleil.

Concernant l'origine du triste désaccord, l'apparition de la routine, je dois dire que je l'ignore. Je n'avais pas changé, elle non plus, ou du moins, dans mon cas comme le sien, pas dans des proportions visibles ou pouvant facilement fournir explication. Nous n'avions pas vieilli ni essuyé de revers personnels, nous n'avions pas grimpé, insolidaires, à la sociale échelle. Nous avions nos métiers, nous avions nos collègues. Alors ? Miser sur le hasard ou sur l'insu total ? J'étais idiot mais pas brutal, je savais les racines nécessaires à toute fanation, y compris pour les fleurs d'apparence idéale. Il n'empêche que je ne saisissais pas d'où celles-ci venaient, depuis quelle nappe ancienne et nocturnale, et pourquoi maintenant, et pourquoi précisément ce soir, elles bouleversaient mon nez d'un si maltraitant poivre.

Je sais que j'en pleurais car les sanglots, sauf pour les généraux bouffis par le pouvoir, sont des incontestables, et je sais que j'étais seul, prostré sur ma salade. Elle était partie sans prévenir, un choix définitif comme l'éclat d'une grenade. Son œil ! Son regard qui n'en était plus un, ça je le sais, je m'en souviens. Mais pourquoi telle horreur l'avait soudainement peint ? Pourquoi de compagnon, cherché, voulu, suivi, avais-je été rendu à cette demi-vie infoutue de soigner, de choquer, d'embrasser ou guérir ? Certes, certes, un peu partout surbrillaient dans la pièce des espèces de signes. Mais de là à les voir au point de les comprendre ? Il m'aurait fallu de l'éclipse la science, or pour moi l'éclipse, et c'est pareil j'imagine pour beaucoup de monde, m'était définissable qu'à partir de légendes, tantôt l'attribuant au fait d'un crocodile mangeant l'astre ascendant, tantôt à de la boue venue tachée le disque par maladresse du ciel ou à cause de Rahû et de sa grande ivresse. Réaliser cette éclipse en détails, en analyses, calculs et diagrammes, demandait davantage qu'un simple quart de siècle d'études des étoiles, voilà pourquoi cet œil, noir mais pas noir uniquement car le blanc du Léthé s'y dessinait poignant au-dessus de l'iris, m'était indéchiffrable, qu'importe les atomes d’œillades similaires disposés çà et là aux quatre coins de l'espace.

Elle est partie, et la tomate, rouge, continue de baigner dans la vinaigrette tiède. Elle m'a tué d'un seul coup, ayant choisi de ne plus me voir en me saignant de cet œil fou. Et je sais mes recours condamnés à l'échec. Je le sais pour avoir, je le répète, donné par le passé une sanction jumelle. Et cela me rend d'autant plus malheureux, tragique, inconsolable car bien que théoriquement, cette technique ressemble trait pour trait à la haine, je sais qu'on s'y emploie seulement par amour... et que c'est pour lui et parce qu'il est cassé, qu'on utilise cette flèche pour s'en débarrasser. C'est un second coup de foudre, sauf que l'arbre, au lieu que de brûler et d'éclairer la plaine, n'est plus qu'un tas noirci de cendres ramassées.

Reste à savoir si ces cendres, grâce aux pluies, grâce aux vents, sauront disséminées refleurir quelque part. C'est un pari osé mais je le tente encore ! Avalant cette tomate au goût sucré de mort. 

Qu'on ne peut admettre ou accepter, que l'on rejette parce que contraire à une norme, un idéal, un         intérêt.
Arnold Böcklin - Fir trees at sunset

dimanche 10 mai 2020

Rien à faire

Le soir avait tout bu de la ville où j'étais, noircissant jusqu'aux eaux les plus rances et anciennes irriguant la vieille pierre de relents de cachot. Personne du pouvoir ne savait sa provenance, à peine les députés étaient-ils au courant qu'une ombre potentielle patientait aux frontières. Cependant, ils la jugeaient lointaine et pas assez formée pour casser la barrière. Minimisant son importance, ils nous encouragèrent dans la continuation de travaux secondaires, construction des moteurs pour bateaux de croisière. Ces chaloupes à pont double étaient attendues toutes en même temps que l'été, quand les vacances viendraient pour ceux qui s'en achètent. Certains, en ce qui nous concernait, de ne pas gagner assez pour goûter aux couchettes de ces vaisseaux racés (c'est-à-dire conçus pour qu'une seule race y siège), on tentait néanmoins d'espérer le contraire, quand bien même juillet serait encore l'hiver. Alors d'efforts, comme au collège, on redoublait, terminant des semaines avec le corps en fièvre et l'âme dépareillée. Nous n'étions plus nous-mêmes, enveloppes lacérées par l'assaut de la chaîne et signant d'un crachat, la rousseur du cachet où tremblait notre paye. Usés, utilisés, tandis qu'à quelques pas, le spectre mortifère s'apprêtait à surgir de derrière son bois.

Pour ce qui était des rois, il le voyait déjà du haut de leurs tourelles, ce paria gigantesque tracé dans l'encre tiède, colosse crépusculaire à face de corneille bientôt ouvrant son bec sur toutes nos artères. C'est pourquoi ces régents urgemment prétextèrent avoir affaire ailleurs et s'exilèrent au sein des nacelles érigées par nos soins en direction des mers, des lueurs inoxydées de l'océan voisin. Nous, bêtement, nous restèrent, nourriture pour cet aigle aux ailes trempées du vin s'échappant de nos pères, de nos mères, de nos charmants bambins. Il ne mit pas longtemps à pleinement nous soumettre, soumis que nous étions, premièrement déjà, à la promesse de lendemains meilleurs où bonheur serait là, accessible, factuel, possible pour nos bras.

Maintenant que nos chairs n'ont même plus d'épaules et que c'est sur le ventre que s'avancent nos foules, de l'usine à la fosse que l'oiseau tient sous serre comme un gâteau sous cloche, on comprend que ce rêve était un lien fantoche, effiloché bouquet d'une soie mensongère cachant en vérité du barbelé féroce, de la ronce policière, une prison, piège moche. Pourtant nous continuons, quitte à relier ensemble les dépouilles de nos proches, à souder caravelles grâce à elles et au fond de nos poches.

Peut-être quelques-uns s'en iront pour de bon du côté du grand air, peut-être même qu'ils verront le délicieux ponton de la cité princière.

Où on les abattra, parce qu'il n'y a rien à faire.


Alfred Kubin - Vers l'inconnu

La chambre du premier

Il était sur son lit. La matinée était bien avancée et en bas, au salon, sa mère écumait le catalogue de son fournisseur favori de produits surgelés. Dans les toilettes, desquelles la poignée, bon marché, demeurait fonctionnelle alors qu'exorbitée, son père consultait les résultats sportifs. Dehors, son frère s'entraînait aux lancers francs grâce à l'arceau fixé sur la porte du garage. Quant à lui, il était sur son lit. Il comptait y rester. Dans le tiroir supérieur de sa table de chevet reposait son téléphone, depuis maintenant presque dix heures. Il était éteint. Il était sur son lit, et faisait de son mieux pour ne pas se relever, pour laisser le temps fuir. Chaque minute un supplice, aussi, une possibilité. D'ici moins d'une dizaine, sa mère se mettrait au travail, cuisant riz et légumes sous l’œil faussement complice de son oisif mari. Il ne l'aiderait pas. Vingt ans plus tôt pourtant, il se vantait d'une certaine expertise dans le domaine de la gastronomie et puis...

Son frère mettrait la table et serait ensuite chargé de le faire descendre. Il n'irait pas de gaieté de cœur mais il irait, quitte à risquer l'engueulade. Nous en étions pas encore là, sa mère étant toujours penchée sur le catalogue et son père aux toilettes, lorsque l'aîné ouvrit, inconsciemment, le tiroir supérieur. Il ralluma le téléphone mais attendit une bonne centaine de secondes avant d'entrer fébrilement son code. Il allait savoir... Allait-il déjeuner ou passer à nouveau une journée dans le noir ?

Entre lui et Emilie, c'était du sérieux, mais quelques quiproquos, amplifiés par la distance, exaspérés par elle, avaient jeté un froid. Il avait dès lors essayé de l'appeler, en vain, et s'était du coup rabattu sur les messages écrits. Un jour et demi qu'elle n'y répondait pas, tenant dans son silence son sommeil et ses nerfs. Était-elle au courant de l'étendue tragique d'une telle décision, souhaitait-elle qu'il souffre et qu'il réfléchisse, se remette en question ? Il voulait la rappeler. Il voulait sa voix et retrouver par elle une partie de l'âme échappée d'Emilie. Un message cependant aurait suffit pour qu'il s'apaise. Il débloqua son téléphone et attendit qu'une lumière vienne.

Les oignons doraient, le riz devenait comestible et son père s'était posé devant le journal télévisé. On y annonçait des morts en nombre conséquent, mais des morts secondaires car lointaines après tout, morts du Moyen-Orient, attentats habituels. Son frère frappa. L'aîné demeura sans réponse. Il était sur son lit, les yeux traversés d'envies que ça finisse, tout ça, l'adolescence, Emilie, son silence, le supplice, l'existence.

D'ici deux mois, sur une plage, la gorge toujours pleine du regret que de l'avoir perdu, Dieu sait comment, par quel miracle demeuré dans sa manche, s'initiera chez lui l'amorce d'un sourire. Emilie ne sera pas revenue, ni même aucune autre, du moins à cet instant, mais le sourire s'initiera. L'effet des vagues peut-être, mécanique idéale pour relativiser. Ou bien l'idée qu'à la rentrée il retrouverait Thomas. Ou bien cette résurrection infime du rictus s'expliquerait-elle par l'enthousiasme qu'il éprouvait à se plonger dans la lecture, toujours plus vorace, d'un tome de fantasy. Tout cela ensemble, qui sait, toujours est-il qu'il sourirait et ne penserait plus à ces temps de panique. En attendant, il était sur son lit et dans la cuisine, son frère se resservait une seconde assiette. Sa mère l'encourageait, soucieuse qu'il mange à sa faim au risque qu'il grossisse. Son père avait fini et guettait d'une oreille la clôture du journal. Des tigres dans un zoo venaient d'avoir un fils... Il songea au sien avant de se demander quel était le nom exact d'un animal si rare... Tigron ? Tigreau ? Tigret ? Il vérifia sur son portable tandis que de mémoire, sa femme, elle, savait.


Alphonse Osbert - La solitude du Christ

mardi 28 avril 2020

La variété...

La variété, réduite à peau de chagrin à cause du ressenti psychique et corporel d'une dépression de plus en plus accrue, coulait des rêves de béton sans saveur, trottoirs d'une ville qu'on arpentait aveugle et dont toutes les fontaines, comme tous les édifices autrefois enchantés par du lierre d'exception, déversaient une similaire grisaille, blocs d'eaux arrêtées, ôtées du musical les ayant enfanter.

Lumière avait péri de sa merveille native, heureuse issue d'un baiser qui gracie, libère et labellise d'une énigme discrète : comment était-ce possible qu'autant d'attraits s'unissent sur une seule corniche ? Et qu'elle-ci nous mordille, nous grille de salives ? C'était avant qu'elle déglutisse. Qu'incidemment tout y flétrisse, incendie blanc de l'appendice. Lumière avait péri de l'appareil du vice.

Et jaune, mais de maladie, elle n'allait plus aux yeux, grâce au ciel duquel elle était sise, mais tout au bas du ventre, chaleur entre deux cuisses d'une vieille incontinente.

C'est que le pays tout entier était mort, à bien y réfléchir...


Jan Toorop - Le chevalier, la Mort


mardi 14 avril 2020

Venusian wound

L'air du Midi, parce que rôti ici sans qu'aucune brise ne vienne l'équilibrer, infligeait à Barbey des maux de ventre affreux. Habitué des vieilles pierres et des taillis chaussés de touffettes spongieuses, il ne s'y retrouvait pas en dehors de ses brumes et face au soleil cru des terres méridionales, véritable assassin pour qui privilégie, dès que l'horizon s'ouvre, sa totale embrassade plutôt qu'une retraite sous l'ombre artificielle d'une coiffe. Inadéquat bétail au cuir finalement trop mince, l'écrivain saint-sauverais se découvrait des fièvres étonnamment bavardes maintenant qu'à l'hôpital plongé sous des draps jaunes. Quelques jours plus tôt, il semblait jouir pourtant de sa santé classique, celle-là même qui lui avait permis de résister aux chancres et aux grippes, à l'insomnie comme au diabète, et d'achever correctement une dizaine d’œuvres nettes. Mais sa gaillarde exposition au jour ainsi qu'une faiblesse hépatique qu'il connaissait sans craindre l'avaient séché d'un coup, scotchant sa verve et diminuant un à un ses nombreux appétits. Avant de recourir aux soins organisés, il n'avait en effet pas écrit une seule ligne, sinon des bribes déboussolées recouvrant avec peine une page de son journal intime. Autour de lui, on n'osait croire au caractère sérieux de cette affliction, l'ayant tant de fois vu se relever d'ivresses prodigieuses qui auraient pu coucher, à dose égale, des athlètes impeccables. Ses amis et sa femme continuaient donc leur cours et s'ils le visitaient travaillés d'inquiétude, ils n'avaient pas encore le sommeil douloureux à l'idée qu'il s'en aille. Tous parlaient d'une passade et Barbey le premier dont l'occupation principale était de garder, outre la vie et la raison, un jeune sourire sur son visage aux heures de leurs présences tandis que tout son corps, lorsqu'ils s'éclipsaient pour regagner l'hôtel ou les verdis sentiers d'une calme promenade, rétrécissait comme celui d'un vieillard. Quelle eau, quelle citerne, s'écoulait de ces murs d'alarmées épidermes ! De quoi sûrement mouiller plusieurs forêts voisines, éponger un enfer... et si la sueur n'y pas suffit, il aiderait à l'urine, au vomi, à la glaire, tant ces trois sécrétions en plus de l'ordinaire environnaient l'Auteur de leurs sorties soudaines. C'était bien plus qu'un coup de soleil mais alors qu'était-ce ?

Les médecins sont formels... Ils ne savent pas. Des pistes certes existent mais elles mènent la plupart vers des explications d'origine animale : piqûre d'araignée loup ou morsure de lézard, or Barbey était sûr de n'avoir rien rencontré d'inhumain depuis son arrivée dans le Sud, exception faite des créatures verniennes peuplant à présent ses cauchemars.

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S'arracher les deux joues, le nez, la langue. Donner un de ses reins pour que l'autre le mange. Je sens mes os noircir. Dire que nous devions aller ailleurs...
Les roses de sucre du passé, squares caramélisés. Un commerçant jadis s'était épris de mes fictions, il avait cinquante ans et moi juste une dizaine, je ne composais que des bêtises mais Dieu sait comment, il les monta en passion... ça devait l'amuser de m'entendre mentir, inventer à vue d’œil, en tout cas il m'en remercia avec profusion... si j'avais su que j'y étais, au comble, avec mes beautés millifères et qu'après ce serait rideau pour soixante ans, peut-être que j'aurais accordé à cet homme un peu plus qu'une grimace...
...................................................................................................................................................................La solitude est souvent un mot creux, surtout vis-à-vis de ce qu'elle peut engendrer en états progressifs dès lors qu'elle est nourrie. Je suis mort par sa faute à d'incessantes reprises... en seulement trois jours. Quant aux nuits ? On en a déjà dégusté des tombereaux de ces particulières... Nous devrions savoir qu'elles se débrouillent sans nous. Et formidablement !
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J'ai souvenir d'une verrée hivernale durant laquelle un groupe d'enfants distingués épluchèrent l'une après l'autre les pâtisseries de choix disposées sur leur table. Et désormais que le temps manque, je rêverai d'avoir près de moi un de ses criminels histoire de m'assurer qu'eux aussi s'en souviennent.
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La nécessité des personnages et des situations les capitalisant ne me vient pas du goût éditorial mais du bloc de grisaille que serait mon esprit s'il n'avait pas la chance de les imaginer, c'est-à-dire d'un iota partager, par la coulisse ou bien en subissant tout au-dessus de moi le tonnerre de la scène, l'aventureux élan animant leurs ficelles. L'électricité de l'impossible geste.
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Si le sang s'en mêlait, se décolorait ou prenait la texture compliquée de la graisse, aurais-je en moi assez d'armure, d'immunité native ou cheminant acquise, pour le désépaissir avant que mes organes n'aient été dévorés par son bain ? Il est possible que déjà toute guérison soit compromise, tout rouage intérieur sérieusement brisé, et qu'aucun traitement, même les plus neufs et fous, ne peut plus inverser cette dégradation. Possible que je ne sois qu'un cadavre en retard...
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La femme de Barbey, qui ne l'était pas tant de noce que selon l'amitié énorme qu'elle lui vouait, vint ce vendredi soir - le lendemain signant une semaine complète de ce malheureux tour - dans l'intention de rester avec lui jusqu'à ce qu'aube se fasse. Déconseillant telle charité comme étant incertains des contagiosités, les médecins durent malgré eux laisser faire une fois mis en face de l’œil transi, enragé de colère, de la simili-comtesse qui ne comprenait pas ces discours d'infinie précaution alors même que ces blouses paradaient par wagons dans cette chambre et que zéro d'entre-elles ne paraissait avoir hérité de symptômes. Elle n'allait, après tout, que le veiller de loin, assise à quelques mètres, et non pas se lover aux tumeurs de sa couette... ainsi, les risques étaient discrets, quant à ceux potentiels siégeant dans l'atmosphère, ils seraient diffusés par l'espace de la fenêtre, lucarne ouverte sur le vent frais quelquefois chuchotant derrière le champ et chant, du thym et des insectes.

C'est comme un encensoir, un flottement subtil aux contours d'un bleu clair, qu'elle s'installa enfin auprès du pieux normand. Il ne la vit pas tout de suite, persuadé d'assister à quelque menterie peinte, quelque toile fausse créée par ses nerfs trop sensibles. Le crépuscule, par ses manières aurifères, n'aidait pas il faut dire à bien se figurer les frontières légitimes, entre réel et rêve. Ce n'est qu'après son rire, si manifestement facétieux que nul diable l'oserait sous peine de se trahir, qu'il comprit sa présence et sa véracité. Ainsi elle était venue, ainsi elle avait préféré aux moulures et verres teints du grand hôtel central la vétusté sanieuse de son pauvre mouroir. Il voulait lui parler mais de ses lèvres en terre battue ne fuyaient que des bulles. Il voulait la serrer mais ses bras et ses jambes battaient comme des poissons tenus hors du bocal. Alors il se contenta d'observer, fasciné, l'élégance de cette femme grâce aux dernières forces précisant son regard.

Elle était belle comme une étable quand elle fait un abri, combiné au paisible de mille nuées d'étoiles, pour le fils du miracle. Elle était fabuleuse, un nez simple au comparo d'une bouche volumineuse et suave. Un portrait italien prolongé par une masse de courbes scandinaves, c'est-à-dire tendues, entraînées par la glace, d'une fermeté tranquille de manoir. Et ses cuisses, et ses pieds, des puissances et ovales d'une splendeur implacable.

Bientôt tous ces détails, parce qu'exhibant une cohérence d'ensemble digne des origines, d'une Ève donatrice de l'irradiant savoir, soulevèrent par-delà son physique massacre d'exclamatives grâces. Comment s'y prenait-elle pour déjouer l'air de rien l'attention des charognes affairées à ses reins, il ne le savait pas, il ne savait que l'Art et l'effet zénithal que son corps suscitait sur ses corps souterrains.

Sa vue se troublait... avait-il aperçu, entier et véritable, ce sein s'échappant de l'étoffe ou se le songeait-il, avide que se décroise de ce tissu le fil ? Et l'arrière du mollet, fruit rare et magnifique, comment l'avait-il vu allongé de la sorte et sans aucun miroir pour que l’œil s'en rapproche ? Et ses baisers qu'il ressentait, charges toniques, vaccins, par quels ensorcellements sautaient-ils à son cou, parcouraient sa poitrine ? Il l'ignorait encore cependant qu'insoucieux des lois de la nature, son bassin rédigeait une violente aventure... un si extrême périple que ses états seconds en devenaient tertiaires, et la fièvre une broutille devant ces francs éclairs.

Il était quasiment aveugle lorsqu'il eut la certitude de la voir se lever, contemplant la langoureuse panique agitant son équerre. Elle approchait... oui, elle bravait l'interdit pour constater au mieux les tremblements saillants de ce maudit totem. Elle était presque là quand il fut totalement... relâchant un geyser d'énamourés diamants. Sur quoi, épuisé, ravi, parti puis revenu, il s'endormit sans plus attendre.

Au matin, retraversé de vivantes émotions, vainqueur de son cancer qui n'avait plus alors qu'une valeur d'angine, il la remercia avec un grand sourire. Elle parut stupéfaite. Elle avait roupillé à peine dix minutes après s'être adossée à sa spartiate chaise.

Barbey fit de son mieux ensuite pour camoufler la tache et son embarrassement. Ce n'était donc qu'un rêve... mais il l'aimait vraiment. Lui dirait-il une fois ressourcé et remis à Paris ? Peut-être, en attendant, il gardait un souvenir, chaleureux et charmant, de cet air du Midi autrefois criminel.


Léonor Fini - Colloque minéral



mercredi 8 avril 2020


C’est mon anniversaire ! Et, comme chaque fois à cette date, je n’ai pas réussi à fermer l’œil de la nuit. Dehors, il fait déjà jour mais si faiblement que les oiseaux n’ont pas encore commencé à chanter. Dans la chambre, étrangement, le lit de mon frère est vide. Il se vante souvent d’être un grand garçon courageux mais j’imagine qu’il est parti dormir en bas à cause d’un cauchemar. Je descends l’escalier. La maison est chaude, plus que d’habitude, on a dû oublier d’éteindre les radiateurs car j’entends celui de l’entrée crachoter, brumisant au passage de son souffle toutes nos paires de chaussures. De derrière la porte de mes parents, j’entends mon frère et mon père ronfler, le tout en rythme comme une sacrée machine. 

J’avance ensuite vers la cuisine où je retrouve ma mère, également debout dès l’aube et sûrement dérangée par leurs respirations. Elle regarde au loin, et même si je ne la vois que de dos, j’arrive à en déduire que ses yeux sont très tristes. J’hésite à la surprendre. Finalement, conservant une respectueuse distance, je lui dis simplement : « Maman ? » alors elle se retourne et dans un geste mal maîtrisé, elle renverse une tasse posée en équilibre sur le plan de travail. L’objet éclate, provoquant une détonation qui, par réflexe, me fait reculer et refluer au niveau de l’entrée. Réveillé par le bruit, mon père accourt, je le vois passer devant moi sans me voir puis se jeter dans les bras de sa femme. « Que se passe-t-il, Lise, tout va bien ? » ; « Oui, j’étais ailleurs et j’ai juste fait tomber une tasse, rien de grave. » répond-elle d’une voix entamée par les larmes. « Ne bouge pas, je vais ramasser les morceaux. » Et mon père s’exécute mais lui aussi semble distrait puisqu’au moment de rassembler tous les fragments pour les jeter à la poubelle, il se coupe légèrement au niveau du pouce droit. Il saigne un peu mais surtout, plus inquiétant, il paraît sangloter lui aussi. Je ne le vois que de dos là encore de l’endroit où je suis mais, grâce au langage du corps, je le devine très bien. 

Puis, quittant un instant mes parents des yeux, je remarque que parmi les chaussures disposées sous la bruine brûlante du radiateur, les miennes sont absentes. J’entends alors ma mère dire, d’une voix calme et résignée : « Elle aurait eu huit ans. »

Mon père acquiesce, lentement, comme une machine épuisée, avant de se rapprocher d’elle. Dans les bras l’un de l’autre, ils forment comme un tout et, avec le sentiment de gêner si jamais je les avais rejoint, je décide, silencieuse et polie, de remonter dans ma chambre. Je m’allonge dans mon lit, essayant, malgré cet incident, de vite me rendormir. Le jour est maintenant levé et les oiseaux aussi. Ils chantent… « Happy Birthday ».


Simon Stalenhag - Crossing




dimanche 29 mars 2020

Les lunes à l'intérieur IIIIIIIIIIII (Nuit n° ?)

La pluie creusait la ville ici.
On raconte pourtant que dans d'autres, lointaines certes mais pas inaccessibles, le soleil est nombreux.

Chaque dalle mouillée devenue impraticable au risque d'y tomber, c'est dans les profondeurs qu'on a fini par être, et par chercher, l'âme des corps célestes. Mais même dans ces caves s'il y a des étoiles, celles-ci sont si pointues qu'on obtient l'impression d'une atroce mise en scène, comme si jetés en contrebas d'une malle constellée de poignards...
Ne plus bouger est alors le conseil sous peine de coupures.

Quelques-uns osent cependant de danser : ils saignent sur les murs, peignent de râles, colorent de crachats ce gros ventre investi... et les enfants s'amusent à compter les victimes, leurs cadavres d'amis pris au piège de la mine.

Je me demande comment c'est là où le printemps s'ouvre comme si de rien était.
C'est sans doute plus joyeux, plus nimbé de fillettes et de roses aux cheveux.
Je la suppose ainsi la vie pour ces chanceux, hors de la pluie, proche du feu.
Et je m'endors en y pensant, lorsque je dors, lorsque je peux faire fi de ce tranchant.

Cela dure trois minutes mais c'est déjà joli, fermer les yeux, taire la scie qui m'en signent de neufs... ouvertures difficiles et pleines de plaies veuves, d'un pansement, d'une bande, d'un ciel pour l'appétit apprêté de couleurs.
Goûter encore la lande au gré d'ocrées verdures par un matin parti radoucir le tableau, voici ce dont je rêve assis dans ce tombeau...
Qui crève sous les gouttes m'asphyxie comme seau.



Remedios Varo - L'architecte des rêves




vendredi 20 mars 2020

Propre surmoi

Dormir nous épuisait et la vaisselle était devenue un loisir appréciable.

C'est que la mousse conversait joliment, hissant à l'intérieur des bulles d'intenses messages d'espoir. Dieu que cela changeait ! Partout ailleurs tremblait, claquait grandement des dents, chacun feutré mais sans la volonté, le désir musculaire d'attendre. Alors les assiettes, les bols, les couteaux et même ces plats garnis de brûlures qu'on avait mis de côté les estimant perdus, tout ce décor d'aciers et porcelaines, jusqu'aux verres de plastique gardés au fil des fêtes selon de vieux réflexes d'existence, prenait actuellement, bouilli par les grumeaux chimiques forçant l'assainissement, une importance de cathédrale, de ces édifices levés face au soleil et demeurant puissants, stoïques refuges des âmes, lorsque la nuit s'arroge le fond du territoire. Frotter à l'éponge ces angles et ces courbes, ces rebords, ces murailles de tasses importées, d'activité retorse souhaitée à l'ennemi, était aujourd'hui la tâche la plus sublime et voir (après combien de grattages inconscients ?) le blanc renaître ici, un soulagement féroce comparable en jouissance, vide fait, résolution du monde, avec ce que le lit fort rarement descelle. Et c'était sans faire cas, pour revenir au geste précédent, des murmures enthousiastes de l'eau transfigurée, désormais enflement joyeusement neigeux, gratin de montagnes en cours d'élévation, galaxies d'archipel affleurant à vue d’œil tandis que tout l'évier, par des bruits de gorge et de rongeurs, avalait lentement une masse similaire d'horizons inédits... bientôt fuyant, par maints tuyaux, boyaux correspondants, vers des stations de traite où un milliard de ces miracles crèverait à l'unisson, là-bas dans une cave, une marmite d'exception elle-même redirigeant, après plusieurs calculs, ces bassins raplanis au sein de nos ballons aimants.

Jamais magie n'avait été plus simple, plus accessible l'effarante sorcellerie d'habitude possession des hirsutes et des moniales contorsionnées. Il suffisait de nettoyer, quotidiennement avec entrain, et ces douceurs rhétoriciennes, ces langages neufs d'inconnues destinées, perlaient en nombre sous nos yeux, parlant de lointains latins grecs transportant avec eux des défilés d'océans et transepts. Il suffisait de nettoyer, pour à défaut d'enfin trouver le sommeil, se remettre à rêver...

Moutons blancs sur la haie caquetant des "peut-être", appétissants cortèges d'animaux délivrés dont nous ferons partie, c'était sûr... éventuel... dans pas tellement longtemps à l'échelle du péché, et donc d'Adam et Ève, et donc du serpent sur la pomme lovée...

Il suffisait de nettoyer et, en patients magiciens, il était très certain que l'on s'en sortirait.


Artiste flamand ? - Sirènes mises au ciel