jeudi 26 novembre 2015

Sperme et Dictature du feu

La beauté, ce jour, paraît fort dérisoire.
Puisqu'elle a, à dire vrai, pris tous les atours du vice.
De l'élégante cocaïnomane puisant dans son crâne de lacustres explosions
Au vigile s'adonnant à la lacération.
Nul n'y échappe, il faut se faire souffrir pour être beau.
La torture comme mode de vie, dans ces régions que la Terre tente vainement d'enfouir.
Et puis ces poches de sang, toujours plus pleines et noires
Et toujours plus promptes à se faire vider par de jeunes agonies.
L'absence d'emploi, de culture et de buts.
Société moderne dans toute sa modernité.
La fée des dents porte un dentier
Et tous les philosophes repassent à la télé.

C'est une époque où l'on s'exhibe.
Un temps de débilité promue et d'encouragements lourds envers le ridicule et toute sa soumission.
C'est une époque où l'évocation, naïve, d'une quelconque harmonie est tout de suite ravalée dans un rire.
Où l'amour est un gros mot.
Où l'éjaculateur mène la danse tant qu'il en est capable.
Balançant dans la poussière des morts, des milliers et des milliers de femmes.
S'infligeant des piquettes qu'il estime aussi bonnes que l'eau.
C'est une époque en drame.
Où la permanence des cris rend inaudible les chants disséminés
Un peu partout
Dans les sous-sols.

Seule la beauté parvient à les entendre
Tous ces beaux orphelins
Et tous ces beaux cœurs tendres
Ces musiciens à la peau noire, ces saltimbanques
Qui continuent de croire à Noël en décembre.

Quand on pense, et cela peut encore arriver si le climat est doux,
Que tout ou presque, dans nos gestures, tourne autour d'une fable
Ça ne donne pas envie de penser davantage.

Cramés
Mains cramées
Mains et têtes cramées
Mains, jambes et têtes cramées
Mains, jambes, têtes et yeux cramés
Mains, mollets, os, têtes et yeux cramés
Mains, souvenirs, jambes, souvenirs de mollets, os, ossements, têtes et yeux bleus cramés.
Mains, doigts, cartilages, genoux, genoux de jambes et genoux de bras, bouches, yeux bleus ou verdâtres selon l'heure, os, langues et têtes cramés.
Mains, avec paumes, avec ongles, avec phalanges serrés avant un examen, avec moiteur, avec rides et pâleurs parce qu'à soixante-treize ans, tout de même, on devient vieux, avec angoisses, dans les mains, dans les têtes, dans les yeux et poumons, dans les poumons et dans les yeux aussi, dans les yeux des poumons, ceux qui s'ouvrent par le souffle, et dans les poumons des yeux, ces émotions, par le temps, par l'obligation funéraire, cramés.
Mains et mondes y reposant, cramées.

Sous les yeux d'infinités de mains, avec des genoux posés à quelques mètres, et des prothèses de genoux, et des dents, pas tellement blanches mais disons regardables, et des paumes, introverties, touchées, par d'autres paumes selon la chance, et des soucis, les fleurs et les cerveaux, et dans les cerveaux des fleurs, celles qu'on rêve d'offrir ou bien de recevoir, dans les cerveaux aussi, des obsessions, avec leurs propres mains, leurs propres désillusions et leurs propres talent.

Sous ces yeux, non finis, nombreux de par leur multitude, se trouvent des crânes.
Et ces crânes, en voyant ce cadavre mordu obstinément par ces serpents de feu, ont déjà chaud
Et savent
Qu'un jour
Peut-être pas ici
Dans le même cimetière
Peut-être même dans l'espace ou sur quelques parties aménagées du territoire lunaire
Ils vivront la même chose et que ça ne sera pas drôle.

*
La beauté, à côté de la mort, paraît fort dérisoire.
Mais elle a et aura, soyez en sûrs, jusqu'à la fin sa place.
Parce que les grandes brûlures savent aussi guérir certaines plaies
Et que la joie, quand elle a ton regard, sait tout pareillement faire s'aplatir la glace.


(...à tous ceux qui font la guerre, je vous souhaite de reposer en paix)


Tamara de Lempicka - Surrealist Landscape


mercredi 11 novembre 2015

Icy

Un Paris où le soleil a lâché la rampe depuis étonnamment longtemps. Un Paris noir et sans littérature, peuplé de gens terrés chez eux et de cris sans réponse. Un Paris que les femmes ne peuvent traverser seules dès lors que la nuit tombe, parce qu'il y traîne toujours, derrière les pavés ou sous les gris trottoirs, quelques énergumènes prêts à les insulter ou à leur proposer l'amour avec un coutelas. Un Paris que la télévision continue de décrire comme onctueux voire paisible, malgré les bombes qui s'y plantent et les mains qui s'y perdent. La ville Lumière n'éclaire plus que les corps dénudées et marquées de jeunes filles battues.

Le vin, historique joie française, a lui aussi perdu sa robe et s'est changé en une eau noire, ferreuse et balayée d'alcools. Et les gens la consomment. Ils l'ingurgitent en la faisant chauffer puis couler lentement entre leurs pâles dents. Et les gens, modifiés, sortent ensuite à la poursuite d'un cul qu'ils rêvent de posséder. Ce cul n'est pas très différent du cul de leur jeune soeur, cette même jeune soeur qu'ils rabroueraient durement si jamais elle osait fréquenter qui que ce soit d'inconnu. Ce cul n'est vraiment pas très différent, il a presque la même masse, presque les mêmes ennuis. Mais, en aucun cas, cela n'empêche ces gens - issus pourtant de bourgeoises anciennes et copieusement éduqués par les presbytériens - d'hâter leur pas et d'ouvrir leur bouche à la vue d'un de ces culs.

C'est qu'ils ont lu Stendhal ces gens-là sûrement et qu'ils savent grâce à lui que plus une histoire est longue, moins elle peut finir bien. Alors ils sprintent vers son raccourcissement, ils interpellent ces culs semblables à ceux de leurs jeunes soeurs et leur parlent d'amour avec d'horribles mots. Naturellement, ils se font repousser et rentrent seuls chez eux ; à part s'ils sont suffisamment rodés par le vin et la nuit et, dans ce cas, ils prennent ce refus pour un "oui" clair à souhait ou joignent leur discours de plusieurs coups au ventre et d'attouchements violents.

Tous ces culs sont pour eux de toutes les façons, sinon pourquoi occuperaient-ils autant tous les espaces publics, toutes les façades d'immeuble et toutes les vitrines ? Ces culs sont leurs cadeaux de Noël dans ce 25 décembre permanent où la pluie chaude a pris le pas sur la neige sereine. Mieux encore, quand ces gens sont trop frêles (ou honnêtes ?) pour obéir à tous leurs voeux barbares, ils vont tout de même raconter après coup aux divers camarades qui partagent leurs verres, que tel ou tel cul fut sublime avec eux. Aussi, que les blondes sont des truies qui s'ignorent et que les fines brunettes, une fois décoincées, sont au moins aussi bonnes qu'un rôti dans le filet.

De fait, ils s'entraînent vers ces lieux fort obscurcis de l'âme où une soirée parfaite consiste à prendre sa voiture, avant d'aller héler, sans ménagement, les passantes obligées de passer dans leur champ de vision.
Généralement, les passantes et leurs culs réussissent à s'enfuir mais quelquefois, on les fait monter de force avant de les violer. Ces filles et ces culs sont à ce moment détruits, puis plongés dans un abysse tellement profond, qu'aucun baiser de mère, qu'aucune psychanalyse, ne peut plus les sauver.

Alors elles se suicident et leurs corps, marqués et désarticulés, atterrissent sur les trottoirs voisins, aux pieds de ces gens-là qui relèvent cette apparition crue d'un : "Quand je te dis que toutes les femmes sont folles."

C'est un Paris comme ça, ma foi, le Paris d'aujourd'hui. C'est un Paris où tous les éventreurs ont comme pignon sur rue et où toutes les femmes ont peur dès qu'elles sont vues.

*

Si seulement...la police ou l'armée pouvaient, plutôt que de chercher à concevoir l'arme la plus létale et silencieuse qui soit, conduire tous ces gens vers des camps d'harcèlement afin de leur apprendre le sens, entier et douloureux, de ce qu'il nomme frustration...

Si seulement ce texte n'était qu'un cauchemar et non un constat simple, réaliste et glaçant.


Artemisia Gentileschi - Susanna et les Anciens