jeudi 28 février 2013

La perte des cinq sens


Un diable d'Asturie est venu sous mon toit. Il m'a parlé de son pays, de comment la cendre, là-bas, ressemblait à la neige et de comment la neige était inexistante. J'avais de la peine pour lui et puis pour son pays...
Ensuite il m'a parlé de sa passion pour l'opéra, il m'a raconté, les instruments, les musiciens mais jamais la musique. Il m'a dit qu'il ne connaissait pas la musique et que seul le bruit sourd d'une tête écrasée le réveillait parfois. Cela me rendit triste comme un vinyle qui joue trop loin de son patin.
Après quoi, nous avons discuté des affaires amoureuses, des joies de deux mains qui se frôlent, de deux joues qui s'empourprent, de quatre iris qui s'embrasent. Cependant, là encore, c'était pour lui évoquer un bûcher inconnu, comme son coeur, fruit noir et prune desséchée, ne pouvait caresser que les fleurs aux épines et les lèvres cousues. Quand il me détailla les cruels contours de son séjour ici, quand il me raconta que pour lui le baiser se résumait à mettre un coup de dent et de gencive sur du fil barbelé, je fus pris de pitié et bientôt d'amitié.
Devant cette affection nouvelle, il m'ouvrit de longs yeux aveugles couleur de réséda et promit de m'offrir, sous peu, un bracelet fait de camélia. Il adorait cette plante à l'odeur transparente, il l'adorait autant qu'un morceau de métal, chauffé à blanc, enfoncé sous sa peau.

La nuit tombait, j'avais l'âme fendue par toutes ces découvertes et il fit d'elle son dîner.
J'acceptai volontiers, en gentleman, de finir dans son ventre, car ce diable d'Asturie m'avait, à dire vrai, ému au point de me démotiver...
Et puis il semblait si frustré, il méritait bien ça !

Alors qu'il m'avalait, je pleurais à chaudes larmes,
Non pour moi mais pour lui puisque mon âme, à son palais, devait avoir un goût de rien.


Gustave Doré - Jésus tenté par le diable





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