mercredi 6 mars 2013

La main tranchée (cinquième partie)

Les aiguilles chevauchaient les crans sous leur cadre de verre, les sables s'égrenaient en chutant frénétiquement au fond de la bouteille, et, imperturbable, notre couple de son côté livrait silencieusement son duel aux extrêmes enjeux.

Minuit approchait, la raréfaction des moyens de transport était en marche. A cause d'elle bientôt, ils allaient devoir se rendre à l'évidence : cette nuit était pour eux. Elle n'allait pas se finir par un rapide adieu sur un quai de métro mais par un pieux baiser échangé lentement au creux des oreillers.
La tension grandissait, sa nature était sexuelle tout autant que nerveuse, les échappatoires diminuaient à vue d'oeil et déjà, Esther pressentait à la hauteur des hanches, une chaleur inconnue.

Dangereusement troublée par cette troublante prémonition, elle demanda un bref congé à Valentin afin de remettre en ordre ses esprits. Elle s'enferma dans la salle de bain et tourna à fond le robinet d'eau froide. Là, sous le bruit assourdissant de l'eau, elle fit face à un nouveau miroir qu'elle traversa pour se revoir quelques heures plus tôt.

Elle revit alors son index glisser sur sa lèvre inférieure, elle se revit fatale, fatale et désirable. Cependant, cette impression fit long feu, bousculée qu'elle était par ce type de trop forte ivresse qui nous trimbale des pics euphoriques aux fins fonds du malaise, elle se sentait complètement désemparée et son oeil, quand elle l'examinait, lui paraissait vidé de toute sa lueur. Seule devant ce miroir, elle se trouvait creuse et bêtement apprêtée, en un mot, superficielle. Elle désirait pleurer ou bien asperger son visage d'eau fraîche pour éloigner ce progressif dégoût d'elle-même mais un détail l'en empêchait.

Son maquillage, étudié et plaisant, ne pouvait être ruiné, ses efforts de parure devaient tenir le choc, Valentin l'attendait et elle ne souhaitait montrer aucun signe de faiblesse, aucune marque d'affectation. Tant bien que mal, elle essaya donc de retrouver un semblant de sourire et de naturel. Tant bien que mal, elle essaya de retrouver la lame et le poison disposés sous sa peau.


William-Adolphe Bouguereau : Biblis 



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