jeudi 7 février 2013

La main tranchée (deuxième partie)

Ses mains, voilées par de blancs gants de soie, pianotèrent sur l'interphone à la recherche du nom de leur élu.  Elle mit le doigt dessus au bout de quinze secondes, il se tenait entre un certain M. Sanogo et une certaine Mme Savisevic, lui, Valentin Savarov ou la promesse d'une douce soirée et d'une émouvante nuit. Alerté par cet appel, il descendit chercher Esther avant qu'ils ne prennent, ensemble, l'ascenseur où, quelque peu gênés, ils échangèrent diverses politesses.

Ils étaient dans cette saison du couple où la fidélité demeure un souhait non officiel, car rien n'a été posé, excepté les douceurs auprès des membres humides et les fureurs au creux des ouvertures. Pour le reste de leur relation, seule la plaisanterie trônait, dissimulant à l'aide de son rire les sentiments profonds. Arrivé au quatrième étage, le monte-charge fit tinter sa cloche et ses portes s'ouvrirent. Une fois sortis de ce dernier, Esther et Valentin se dirigèrent tout de go vers l'appartement du joli garçon.

Alors qu'il faisait tourner sa clef dans la serrure, il eut l'agréable surprise de sentir sur sa main libre, celle, électrique, d'Esther ; immédiatement, le parme grimpa sur son visage.
Ce rose éclair était l'un des seuls émois qu'il ne maîtrisait pas devant autrui, l'un des seuls émois échappant à son contrôle permanent. A la vérité, cette sorte de perpétuelle stoïcisme n'était pas chose naturelle chez lui, il l'avait exercé quotidiennement uniquement parce qu'il avait été, de tout temps, dégoûté par l'extravagance et ses frilosités. A la vérité, Esther ignorait tout des efforts consentis par Valentin pour paraître imperturbable, elle le pensait de marbre de toute éternité et cela l'attirait. Pour elle, il n'y avait pas de miroir ni de travail sur soi ou sur son élégance dans la vie de Valentin. Pour elle, Valentin était une entité inaltérable, puissante du lever au coucher et invariablement cajolé par la grâce. Elle n'imaginait pas ces perles de perplexité qui brillaient à son front tandis qu'en l'attendant, il avait, gravement angoissé.

Si elle ne venait pas ? S'il perdait de sa superbe à cause d'un détail, d'une parole mal assurée ? Si son manque d'esprit était finalement découvert par Esther, ce délice, ce crime humain, qu'adviendrait-il de lui ?


Phlip Burne-Jones : The Vampire

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