mercredi 13 février 2013

La main tranchée (troisième partie)

Ils entrèrent enfin dans l'appartement. Grâce à la bonne situation de ses parents, conjugué à plusieurs placements immobiliers assurément judicieux, le jeune homme avait la chance de résider dans un trente mètres carré tout à fait confortable dont le plafond jouissait de précieuses moulures. Esther les adorait. Elle adorait également l'intimité proposée ici, un calme à mille lieux de son foyer familial où trop souvent elle se faisait surprendre, par les cris de sa mère ou les rires de sa soeur, en plein rêve érotique.

Valentin avait fait à dîner, deux plats assez sommaires d'origine italienne qu'il avait préparés sans une once de folie ni de virtuosité. Il avait suivi la recette à la lettre, là où la cuisine réclame justement, plus qu'un esprit mathématique, un esprit d'ouverture, une fantaisie aux fausses allures de science au sein de laquelle nous fusionnons avec les aliments et avec leurs épices. C'est un chaud récital que la cuisine vraie, un récital composé de moitié par improvisation, cette même improvisation que l'on retrouve ensuite, en cas de réussite, au bout de sa fourchette lorsque nous mélangeons au son des accords savoureux, sauces, pains, vins et plats comme un bouquet d'arômes fondant sur le palais. Quoi qu'il en soit, le manque d'expertise gastronomique de notre hôte importait peu pour ce soir car Esther n'était pas venue pour manger mais pour boire, et les alcools forts, et les liqueurs légères...

A table, la vigne quintessenciée, pieusement embouteillée, fut donc absente et remplacée par l'alcool blanc des russes qu'on noya dans différents sodas, outrageusement sucrés et riches en vitamines. Néanmoins, malgré le peu de recherche comprit dans son menu, le dîner se passa bien et rapidement, l'ivresse fit poindre l'appel des baisers après chaque bouchée. Comme ils étaient beaux nos deux jeunes amants pendant que s'unissaient leurs bouches joyeusement conquises ! Ils incarnaient à merveille le mythe de l'idylle, cette dévorante passion des corps follets et désarmés qui ne peuvent plus s'arracher l'un à l'autre sous peine de faillir, à l'instar des grands brûlés que l'on priverait de leurs compresses trempées.

Il serait cependant maladroit de penser que leur histoire dépendait uniquement de ce dialogue sensuel puisque, bien qu'assez peu rieurs une fois placés en dehors du cercle des gâteries, ils partageaient tout de même un fort lien spirituel. Ce bondage avait beau prendre ses racines au coeur du mystique et de l'invisible, et non faire suite à de longues heures passionnantes de discussions poussées, il n'en était pas moins incontestable.


Le Tintoret - Tarquin et Lucrèce

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