mardi 12 mai 2015

Mais son corps est couvert de fleurs sauvages et mauves

Nozy Coffee, Tokyo, un jour d'Avril 



Akiko - Alors, tu vois pas Eikichi aujourd'hui finalement ?

Tomoe - Nan ! Ce gars, de toute façon, c'est rien d'autre qu'une mauviette...

Akiko - Une mauviette ? T'étais pas amoureuse de lui genre jusqu'à la fin du temps il y a de ça même pas dix jours ?

Tomoe - Si ! Et c'est pour ça que c'est qu'une mauviette, parce qu'il est incapable de tenir ses engagements.

Akiko - C'est-à-dire ?

Tomoe - Ben tu sais vis-à-vis du sexe et tout.

Akiko - Attends, tu veux dire qu'il a...?

Tomoe - Nan ! Bien sûr que nan ! Mais c'est parce que j'ai insisté pour qu'il arrête...il avait déjà sa main dans ma culotte ce monstre.

Akiko - Vraiment ? Il a fait ça ?

Tomoe - Oui...c'était l'autre soir, on était dans le petit parc pas loin de chez moi, assis au sommet du toboggan et c'est là qu'il a glissé ses...enfin, je lui ai dit d'arrêter et d'aller se faire foutre par la même occasion.

Akiko - Vraiment ? C'est...t'y es peut-être aller un peu fort, je veux dire, je sais bien qu'un gars n'a pas le droit de mettre sa main dans la culotte d'une fille surtout en haut d'un toboggan mais quand même...

Tomoe - J'ai mal agi, je sais, je sais que j'aurais pas dû l'insulter mais c'était plus fort que moi...tout allait si bien entre nous et il a fallu qu'il gâche tout en précipitant les choses et en se comportant comme un vulgaire pochtron sortant d'une boîte de nuit !

J'étais prête à...tout pour lui...mais il a fallu qu'il la joue direct gros pervers. D'autant que derrière il ne s'est pas excusé ni rien, il s'est contenté de me regarder avec stupeur avant de me balancer à son tour un beau paquet d'insultes. Comme quoi j'étais qu'une cinglée et tout.

Mais bordel, on était dans un lieu public, tu imagines, si untel ou untel nous avait surpris...si mon père par exemple avait décidé de sortir le chien à ce moment-là...il lui aurait coupé la main...non, mon père, il aurait coupé directement sa tête avant de me la donner à manger pour les trois semaines à venir...

Akiko - T'exagères, ton père n'est pas dur à ce point.

Tomoe - Nan, c'est vrai, t'as raison. Il se serait contenté de lui interdire à tout jamais de m'approcher.

Chose que j'ai faite par moi-même tu me diras...alors même que j'aime Eikichi encore plus que ma vie.

Akiko - Tu peux toujours tenter de le rappeler...essayer de t'excuser, je pense qu'il a compris que ça ne se faisait pas et que s'il t'aime lui aussi, il sera prêt à être plus patient.

Tomoe - Tu plaisantes ? Revoir Eikichi serait la honte ultime. Je lui ai montré mon visage mauvais, je l'ai engueulé pire qu'une truie, je suis sûre que s'il acceptait de me revoir, ce serait uniquement pour se foutre de moi avec ses copains..."Regardez les gars, c'est elle ! Celle qui vous insulte et vous crache en pleine face dès lors que vous la touchez un peu !"

Akiko - Tu lui as craché dessus ?

Tomoe - Ce n'était pas dans mon intention...j'étais pas dans mon assiette ce soir-là et disons que sa main a été la goutte d'eau qui a fait déborder mon vase. Nan mais c'était qu'un petit crachat de rien du tout...

Akiko - Quand même Tom', t'es bizarre parfois ! Je comprends qu'il ait pu flipper sévère !

Tomoe - Ah, tu vois, c'est bien ce que je dis. Je me suis mise la honte pour mille éternités ! Alors, jamais, jamais, je ne le rappellerai, adieu, Eikichi, adieu, et sache que je t'aimais !

Akiko - N'en fais pas des tonnes non plus, m'est avis que si tu laisses passer encore dix jours, c'est lui qui finira par te rappeler et par s'excuser pour toute cette drôle d'histoire.

Tomoe - Tu parles, il ne le fera jamais, les hommes quand ils partent, partent toujours pour de bon.

Enfin je crois...non...mais il ne me reste plus qu'à l'oublier...et j'ai déjà trouvé comment.

Akiko - Si tu le dis. Et comment tu vas faire pour l'oublier ton Eikichi chéri ?

Tomoe - Et bien je vais me faire une après-midi ou deux dans une Crying Room ! Tu sais ce que c'est ?

Akiko - Euh...non...c'est quoi ?

Tomoe - Ce sont des chambres dans un hôtel de luxe où tout est réuni pour que vous pleuriez. Pour cela, on peut demander à la réception d'agencer les portraits et les objets des êtres aimés dans la pièce de façon à ce que l'émotion soit maximale. Ou alors, on peut simplement se regarder un tire-larmes classique...Et l'objectif derrière tout ça...c'est de pleurer, de pleurer le plus puissamment possible jusqu'à épuiser son chagrin.

Je me disais que c'était une option intéressante. Deux petites sessions là-bas et pouf, plus d'Eikichi, plus de main baladeuse et à moi la tranquillité du cœur célibataire.

Akiko - ...Euh...très bien ! Euh...Non, non, n'y va pas !

Tomoe - Je te demande pardon ?

Akiko - Oui, n'y va pas enfin, voyons, c'est débile, déjà on oublie pas les gens comme ça en quelques heures et quatre cinq crises de sanglots, et puis, et puis, Eikichi, tu veux pas l'oublier au fond de toi, tu veux qu'il te pardonne et qu'il se remette avec toi. Tu veux toujours "tout" lui donner, je le sais. Je le sais.

Tomoe - Ouais mais nan. Je suis fatiguée de cette histoire à la noix avec Eikichi, c'est trop compliqué et puis, il y a de grandes chances pour qu'ils partent vivre en province l'année prochaine alors...

Akiko - Je te le dis en tant qu'amie, Tom', vraiment, ne va pas là-bas. Ce n'est pas la bonne solution et puis, je viens de me souvenir d'un truc...je, euh, j'ai lu un article comme quoi dans cet hôtel on avait retrouvé une fille morte y a pas longtemps...

Tomoe - Morte de pleurs ? Morte de rire !

Akiko - (...) Non je te jure je plaisante pas, elle sortait d'une de ces sessions comme tu dis et elle était encore toute tourneboulée...et en voulant aller aux toilettes pour se rafraîchir un peu...elle n'a pas fait attention et s'est trompée de porte. Or, cette mauvaise porte était une porte donnant directement sur le vide...et comme elle était trop faible du fait d'avoir pleuré, cette cliente est tombée la tête la première...du 17ème étage...

Et elle est morte donc.

Tomoe - Bah, c'est encore une de tes légendes urbaines ça, m'enfin comme tu veux, si tu me dis qu'il ne faut pas y aller, j'irais pas, j'ai pas envie de casser ton plan avec le joli réceptionniste que t'as rencontré là-bas héhé !

Akiko - Quoi...? Hm, non, il n'y a pas de réceptionniste...c'est juste que c'est bête d'aller pleurer dans des lieux spécifiques en espérant pouvoir oublier l'Autre. Les choses ne se passent pas comme ça, je crois, les larmes sont imprévisibles, ainsi que le souvenir...

Tomoe - Tu finis pas ton latte ?

Akiko - Hein ? Hum, non, vas-y, fais-toi plaisir.

Tomoe - Merci infiniment mon Akiko d'amour !

Akiko - Si je peux rendre service...

Tomoe - Merde, v'là mon portable qui sonne.

Gloups.

Hypa gloups.

Akiko - C'est qui ?

Tomoe - C'est lui ! !!!

/

Tomoe et Eikichi se marièrent quelques années plus tard.
Ils ne vécurent pas tout à fait heureux mais néanmoins suffisamment au-dessus du seuil de pauvreté pour s'assurer quelques étés joyeux.

Quant à Akiko, elle continua d'aller chaque semaine dans sa chambre réservée où, absolument seule et entourée de différents clichés, elle faisait tout son possible pour ne pas oublier son père disparu il y a six ans de cela.

C'était un père loin d'être parfait.
C'est sans doute pour cela qu'elle le regrettait tant, parce que les instants dans ces bras furent rares comme les roses en hiver, parce qu'il n'y en eut qu'une faible poignée avant que plus jamais.
C'était un père loin d'être parfait qui laissa dans son ombre
Une jeune fille en pleurs.

"Les hommes quand ils partent, partent toujours pour de bon."

à Monsieur Dupont


Edward Hopper - Gas



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