mardi 6 octobre 2015

(panting)

Une forme. Un fauteuil. Quelques ombres, sans doute générées par des arbres. L'écran de télévision qui reste bloqué sur la neige. Au loin, le bruit d'une pendule ancienne. Puis, en surimpression, celui du vent, de la pluie, du soir couchant. La pluie qui tape contre le velux. Le vent qui fait que quelques branches frôlent les murs. Le soir couchant qui ressemble, de plus en plus, à la nuit finalement.

Quelque chose, à l'intérieur d'un des meubles de la cuisine, est en train de gratter. Est-ce un insecte, est-ce un félin, est-ce une peau ? La forme glisse de son fauteuil et rejoint la cuisine. Elle observe le bruit, le grattement indistinct mais ne fait rien. Elle est comme prostrée. Elle pourrait allumer la lumière si lumière il y avait. Elle reste là. Avant de retourner à son fauteuil et à ses ombres.

Il s'agit d'un soir, d'une nuit, tellement sombre qu'en fin de compte la lune est avalée. Le vent siffle désormais. Des restes de forêt noire fourmillent sur la table. Cela fait un certain temps que ces restes sont là. Les verres dans l'évier sont sales. Et dans la chambre à l'étage, plusieurs malles pleines de jouets demeurent fermées à clef. Des polaroids datant de 1978 sont posés sur le lit. Sur ceux-ci se devinent des visages d'enfants. Se devinent car ces enfants sont costumés de la tête au pied. Ils sont vêtus d'étoffes cramoisies et portent sous les yeux du maquillage noir.

A la cave, quelques araignées circulent. Leurs corps bombés et gris pensent sensitivement. Ils ressentent chacune des aspérités de leur parcours vital. Ils ploient sous la poussière et sont comme écrasés par l'humidité. Des magazines de cinéma aux couvertures défraîchies tiennent dans des étagères faites d'un mauvais métal. Des tournevis aux manches transparents jonchent le sol froid.

Une rumeur, un fond de rumeur plus précisément, repêche dans ce lieu des fragrances passées. Odeurs de rires et de bougies soufflées. Pour ses treize ans, ce fut ici. La somme de ses amis et lui qui ne pensait qu'à elle. Et elle qui ce jour-là n'avait pas pu venir. Des traces, sous les arrêtes d'une table aux pieds attaqués par les mites, paraissent signifier que de la fraise, et de la menthe, auparavant, furent ici consommées.

L'escalier craque dans une espèce de reconstitution, tragique, du pas des occupants. L'air, étouffant, tente tant bien que mal de rejouer les scènes qui firent l'autrefois. Mais les éclairs d'une soirée d'automne ne vaudront jamais les feux articifiels d'une soirée printanière. Et le souvenir, toujours, échouera à reconstruire le vrai.

Quelque chose, à l'intérieur d'un des meubles de la cuisine, a cessé de gratter. La forme a quitté son fauteuil, cette fois perpétuellement. Tandis que le vent, la pluie, la nuit se sont tous inclinés devant un bruit plus fort.

La sirène, même trente ans plus tard, continue de régner sur la ville. Qu'importe si cette dernière est vide et si aujourd'hui, tous ses habitants sont en âge de mourir mollement. Qu'importe si son signal n'a plus de sens qu'auprès des araignées, des mouches et des cochons errants.

Les bombes ont épargné la sirène.
Les bombes ont épargné certaines habitations.
Mais pas les coeurs, qui, à la première déflagration, ont sauté de chaque bouche.

C'étaient des coeurs avec beaucoup d'amour, d'enfance et d'innocence.
Ce devinrent des coeurs qu'on balaye en se bouchant le nez pour trouver où marcher.

Quelque chose, à l'intérieur d'un des meubles de la cuisine, grattera bientôt de nouveau. Chat, scarabée ou squelette, on en sait rien. Tout ce que nous savons c'est que cela grattera, comme un corps enseveli qui cherche le soleil.

*

Dans certains autres villages, il n'y a pas eu de bombe ni de sirène mais les maisons sont les mêmes. Vides et désespérées. A cause de la perte d'emploi ou des tabous que créent la vie en société. Toutefois, dans ces cas-là, nous n'ignorons pas ce qui gratte au fond des vieilles armoires...
Médicaments pris en masse
Noyade
Ou couteau pour le pain qu'on réserve à la gorge de son maudit mari.

Le Nord est ainsi fait de catastrophes intimes qu'aucune sirène au monde ne saurait prévenir.

*

Quant à celle qui n'était pas venue pour son anniversaire, nous n'avons pas de nouvelles d'elle.
Il se murmure seulement qu'elle n'aimait pas Chopin et qu'en Autriche-Hongrie, une femme douée de thérianthropie lui ressemble gravement.


Simon Hollosy - La Marche Rakoczi

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