dimanche 26 avril 2015

Le carnaval du sang

Sur son avant-bras droit, on pouvait voir trois marques circulaires et rouges. Une grosse, une moyenne, une petite. Comme les traces d'un galet qui filerait sur l'eau claire. C'était autre chose pourtant que ces cercles passants, c'étaient des traces de dents. Des morsures faites avec la volonté d'arracher toute la peau. De s'en repaître, comme on le ferait d'une cuisse de canard mal cuite ou trop grasse.

Mais quelle bouche au juste était derrière tout ça ?

VY Canis Majoris.
C'est ainsi que je l'appelle.
Je.
Il faut être un sacré quelque chose pour être capable de dénicher la plus grosse étoile de l'univers connu. 
Elle porte désormais le nom que je lui ai choisi.
L'astre le plus gigantesque jamais aperçu par l'homme porte ma marque, tel un vulgaire roquet.
Cette boule, concentration certaine d'énergies terrifiantes capables de détruire toute forme de vie en un éclair, est quelque part ma créature.
C'est tout de même merveilleux.

Un million de personnes écriront sans doute jusqu'à la mort des âges des opéras ou des sonnets et il est fort probable que dans cinq mille ans, par le jeu des hasards, un inverti réécrive Hamlet mot à mot sans jamais n'avoir rien su, pourtant, du sieur William Shakespeare.

Parce que l'alphabet est limité et que l'art en dépend. 
En revanche, il n'y aura qu'une personne responsable du nom de la plus forte étoile et ce sera moi jusqu'à la fin des temps !
De plus si jamais, par quelque magie de l'air ou de la condensation, on parvient à se transporter dans l'espace dans les siècles à venir et à aller jusqu'à la surface de cet ogre rougeâtre. Si jamais ça. Et bien c'est à moi que l'on pensera en tout premier lieu. Pas à un autre ! 

J'appartiens à une caste géniale, à cette catégorie de gens pour qui le paradis serait légèrement décevant en comparaison de ce qui s'anime dans leurs cerveaux gracieux.
Il doit y avoir une substance particulière présente au cœur du réseau temporale qui fait que nous percevons mieux et pour ainsi dire, plus fréquemment les choses. 
Notre toile intérieure est plus riche, elle attrape plus d'insectes que tous les filets vendus à prix coûtant sur les marchés bourgeois.

On pourrait hausser les sourcils devant une telle démonstration d'orgueil 
Mais ce serait s'épuiser les paupières pour rien
Parce que je ne suis pas orgueilleux
Je suis seulement certain, d'avoir comme un don, comme une prédestination, une vive inclination à la brillance sous toutes ses coutures.

Bien sûr, j'ai beaucoup étudié pour en arriver là mais même si ces heures auprès des maîtres et des livres râpés furent parfois ennuyeuses, elles ne furent pour moi difficiles jamais. Car tous les savoirs allaient directement dans les tiroirs les plus pratiques de mon anatomie, bien aidés en cela que j'étais par l'araignée s'agitant sous mon front qui, grâce à ses huit pattes, s'adonnait au rangement avec facilité.

J'adore les araignées. 
Pas jusqu'à la chair non, mais je les adore vraiment. 
Ce sont des animaux tellement rapides, tellement organisées qu'il n'est pas rare que je fantasme un monde où elles nous remplaceraient. 
Un monde calme, avec à sa surface de la soie, des chrysalides et de longs océans qui les embrasseraient. 

On en aurait fini avec cette société d'épées et de vinasse, fini avec ces enjeux politiques dont le seul motif directif est l'accaparement du pouvoir au détriment du progrès véritable. On en aurait fini également avec la pudeur, la politesse, ce contrôle de soi-même qui nous oblige à faire des courbettes même face à des ignares complets uniquement pour ne pas tacher l'ignoble tapisserie mondaine. 

Si les araignées étaient aux premières loges, mes bras seraient sereins et blancs.
Je n'aurais plus à les croquer afin de me contenir. 
Afin d'affaiblir ce bras pour ne pas qu'il attrape à la gorge l'un ou l'autre de ces savants de pacotille qui croient m'apprendre la vie en me présentant leurs "Nouvelles" théories...
Théories qui sont sans doute venues en eux au moment précis où leurs pots à merde se remplissaient.
"Je me suis vidé, il faut que je me remplisse et que je remplisse idem de mes paroles ineptes les oreilles de quiconque a tympans !"

Les bouffons.
Ils ont toute une palanquée d'observations et de démonstrations, sur les fluides et leurs effets, sur la lune, les marées, la forte teneur en fer du sang et tout un tas de jurinismes à la mode anglaise et ils font tout ça avec l'aide de Dieu ! 
Enfin...ils veulent amener sur Terre des vérités profondes tout en s'inscrivant dans la prolongation d'un mensonge millénaire (et ce seulement pour s'assurer d'obtenir de l’Église toutes les bourses nécessaires  - non à l'accomplissement de leurs travaux les plus coûteux...mais à la prolongation de leur quotidien d'hommes de bordel)...
Les bouffons.
Il y a vraiment quelque part des forces supérieures à nous et il ne serait d'ailleurs pas surprenant que l'une d'entre elles parfois se glisse sous mes yeux mais bon Dieu, enfin, sérieusement, les églises, l'Apocalypse, la sainte Vierge...voyons, c'est du passé.

Aujourd'hui

Alors que des bourdons de la taille d'une cité nous frôle chaque année
Alors que j'ai prouvé qu'un monstre stellaire nous attend à l'autre bout des cieux
Est-il sérieux de croire en Dieu ? 
Car même s'il existait
Que pourrait-il devant l'explosion d'un tel astre ? 
Pourrait-il davantage que devant l'arrivée de la peste noire ? 
Pourrait-il davantage que devant l'éclatement des hivers les plus froids ? 

Si VY Cma tout à coup libérait tous ses rayons les plus impressionnants

Telles des mains infinies venants masser le crâne de la planète Terre
Que pourrait Dieu pour éviter que notre chère planète se désagrège et meurt ?

Rien, évidemment.

Comme il ne peut rien pour empêcher que je me morde chaque matin, comme il ne peut rien pour empêcher le sang de couler, un peu partout dans le monde, comme si c'était du vin.

Ce n'est pas du vin, mon Seigneur, c'est de la vie humaine. C'est du contemporain qui s'éteint, qu'on fait taire, qu'on éradique. Ce n'est pas du vin mon Seigneur, c'est la dure maladie qui fait tousser des caillots lourds comme des langues, qui crée des veuves, des orphelins. Non, ce n'est pas du vin, ce sont vos soldats qu'on tue pour même pas vingt pièces d'or. Ce n'est pas du vin non plus quand on tranche la gorge d'une femme parce qu'elle ne dit pas oui. Et ce n'est jamais du vin quand un Noir est battu sur la place publique comme s'il s'agissait d'un chien ami avec la rage. Ce n'est pas du vin, mon Seigneur, c'est de la vie humaine qui se déverse aussi vite que le temps, aussi froid que le coeur, sans que vous ne fassiez rien.


Je me mords aussi pour tout cela.

Pour éviter de sauter par la fenêtre à cause de cet alcool perdu éternellement. 
Tant et tant d'alcools...d'ivresses, d'espoirs...gâchés à cause de quelques-uns parce que bêtes et violents. 
C'est une perte plus grande que si ma grosse étoile disparaissait demain. 
C'est tout l'univers déjà et plusieurs fois, qui fut perdu à cause de ces gens-là...ces scélérats.
Ce sont des Hamlet bleus, oranges et carmins qui furent ôtés au monde par tous ces policiers, tous ces gendarmes et tous ces fantassins. 

Il n'y aurait pas tous ces problèmes avec mes soeurs aux 8 pattes mises au sommet du monde.

Il n'y aurait plus d'autre problème que celui du silence et de la majesté, 
Que celui de la geste où le rêve nous envoie ces vagues, d'amour, précises, profondes, 
A l'instar des étoiles et de mes longues plaies. 



J.J.L.L.


Goya - Atropos o Las Parcas


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