mercredi 25 février 2015

Schématiser les serpents

Parfois la vie fait tout pour nous mener sous terre.
Sous la mer pareillement.
Elle fait tout son possible pour que bue soit la tasse, avec ses morceaux d'eau, de sel et de sable croquant.
C'est souvent quand on approche d'une jambe tremblotante du square des trente ans qu'elle exécute son plan.
Méthodique comme l'est un renard en terrain lièvre poivre, elle place ses pions discrètement et en trois temps distincts :

D'abord, elle vous inflige un rhume de voyageur marin. De ces rhumes qui obligent à compter sur nos manches pour éponger le fluide.
Ensuite, elle annonce un décès parmi la famille proche. Un oncle, une tante, une cousine encore jeune...
Enfin, elle force nos employeurs à se passer de nous. "Vous ne faites pas vos heures. Vous ne valez pas le coup."

Et la vie, sans rien dire, de ses deux bras musclés, vient nous jeter du quai.
Le gravier gifle notre front nu avec l'appétit d'une longue pluie battante.

Le brouillard est dans nos yeux, il dîne en nous, à l'instar d'un singe en face d'une poire jaune.
Nos boyaux ont pour lui la tendresse du veau et nos poumons sont doux comme une gaufre liégeoise.

On se souvient quasiment tous et toutes d'un moment où, sortant d'un puits de ronces, on a pu se retrouver avec le corps largement tailladé. Tout comme on se souvient des onguents distribués par la mère dès qu'elle sut.
Et bien, quand on a la trentaine, maman a disparu et notre peau s'infecte.
Alors, en trois temps là aussi, on cherche seul à se soigner :

D'abord, on se traîne vivant-mort jusqu'à la pharmacie. Des fois qu'ils auraient de quoi.
Ensuite, on appelle un à un ses amis. Le temps de comprendre qu'ils ont pour la plupart changer d'opérateur.
Enfin, on fait chauffer l'eau pour les torsades, on meurt...

L'affliction, à l'infini, nous repasse les échos de nos meilleures soirées.
C'est vrai qu'on était beau, on aurait dû le croire, et profiter pleinement des merveilles thérapeutes que sont la baise et l'art.
Aller au musée par exemple, ne demande pas tant d'efforts que cela.
Aimer non plus tant qu'on s'y prend à temps.

La sagesse, c'est savoir jouir le plus obstinément...

Schématiser les serpents sans attendre leur mue, pour - une fois hors du dessin - pouvoir les manger crus.

Trois temps : La mort, l'inconnu et la mort.
Entre deux le printemps et tant pis s'il nous tue.

 *

Revenu sur le quai des fines libertés, on s'aperçoit que les serpents sont des trains déguisés, et que ceux-ci nous mènent là où tu t'es glissée.
- Ou bien vers un camp noir parlant un bon allemand.
- Ou bien vers le terrier des lièvres survivants.

Après tout, qu'est-ce que j'en sais
Sinon qu'on aura toujours qu'un seul foutu essai ?


Kitawaki Noburo - For a sleepless night

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