jeudi 14 juin 2012

Favorite

Paris. Dans une de ces après-midi à l'atmosphère criblée, sous un soleil mi-clos. Sans interruption, d'aléatoires véhicules tournent sur la place, ils freinent et accélèrent, là aussi, aléatoirement. A quelques mètres de là, sur une table où un café se fait toujours attendre, des mains écrivent. Le font-elles par hasard ou avec maîtrise ? Sont-elles les maîtres ou les esclaves de ces éclairs impulsés par l'esprit ? 


La question se pose, comme une mouche au bord d'un cendrier, puis s'envole, et l'écrivain reprend. 


Secrètement, sur le flanc et dans l'ombre, le Temps spectateur voit la vie s'incliner, sans cesse, et se relever, à l'aube, sous la lumière de néons surpuissants. Des pléiades d'enfants hurlent chaque matin, ils crachent des larmes, ils pleurent intégralement. Ce ne sont pas de beaux sanglots de joie, ils pleurent parce qu'ils ont peur, et, cette impression, perdurera jusqu'à la fin. 
La peur dans toutes les entrailles, au bout de tous les corridors, la peur immarcescible, définitive et infinie. 


Alors, pour la tromper ou la comprendre mieux, les mains écrivent, certaines cependant d'échouer en fin de compte. Rien n'est immortel, ni les hommes ni les arts, pas même les yeux de femme. Les hommes et les arts brûleront au cœur de fours trop grands, quant au yeux de femme, ils se couvriront de maquillage, de rides, et de terre finalement. 


Nous sommes tous voués à l'anéantissement, aux cris terribles dans la nuit, à la moisissure et aux regrets. Nous sommes tous voués à l'échec, à finir la bave aux lèvres, avec un bout de cadavre entre les dents, celui de l'âme vieillie qui cherche à s'échapper...


Pourtant les mains persistent à baiser le papier, les bouches à s'embrasser, les promesses à se faire. Pourquoi ?


Je n'ai pas la réponse mais je sais que, lorsque mes mains vont, je vis la majesté, le temps décomposé, la force illimitée. 
Je n'ai pas la réponse mais je sais que, lorsque je te regarde, ta beauté talentueuse offre l'éternité et que tes yeux, d'un noir spirituel, sont deux vraies pierres philosophales.


Benjamin Constant - La favorite de l'émir

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