lundi 26 avril 2021

Le salon de silence (3)

Quand, fatigué que d'aller là où la terre n'est plus, l'homme s'arrêtera

Ils seront nombreux à lui demander un récit, même court, de son voyage dans le désert.

Mais l'homme, la peau sur les os et les lèvres très blanches, n'aura rien à leur dire. 

Il ne pouvait en être autrement : On ne raconte pas l'aube et le froid de la nuit.

C'est là quérir une explication nulle, un retour non avenu. 


Se perdre alors en mots reviendrait à décrire, par le langage, la musique de Chopin ou l'œuvre de Varo,

Impossible désir pour peu qu'on se respecte et n'ait pas fait tout cela dans un geste hypocrite. 

Qui manque d'âme à ce point n'a jamais marché un seul pas en dehors du cercle.

Qui manque d'âme à ce point ignore tout du sentiment intact, du sentiment réel éprouvé au milieu d'un monde indéfini.


Les familles ont beaucoup de choses à se dire ainsi qu'à partager car elles en ont besoin.

Mais l'homme du désert, précisément parce qu'il est l'homme de cet espace délaissé par les autres, n'a plus aucun besoin. Il est libre grâce à sa solitude et il l'est d'autant plus à chaque pas qu'il fait en direction du sud. 


Il est l'homme qui autrefois quitta, de force ou par faiblesse, sa longue plaine glacière où il devait mourir, pour rejoindre un asile dérangé par les fruits. 


Il est l'homme de la première fraise, celle-là qui, non contente d'être fraîche, contenait la fraîcheur sous sa forme primaire. Un goût libérateur comme l'est un regard, une main, au moment où l'espoir, lassé d'inadvenir et de rester toujours à l'état de mollesse, se transforme soudain en une goutte chaude, puis en un plafond blanc vaporeux et splendide avant d'aller au ciel et que d'en redescendre dans une pluie violente. 

Il est l'homme de ces pluies qui frappent au plein cœur d'un été rigoureux 

Et qui sauvent des vies. 

Et vous, vous voudriez encore qu'il parle ? 


Il a vu l'invisible avant que l'invisible ne se mette à devenir quelque chose d'impalpable. 

La montagne colline, la mer à l'état de misérable flaque. Il aurait pu la boire ! 

Il aurait pu aussi écraser facilement l'Himalaya enfant. 

Mais vous voulez qu'il parle...


Vos yeux auraient fondu mille fois devant ces paysages qu'il domptait d'un seul œil, cachant l'autre pour rire. Vos paumes, simples paumes d'humains, auraient gelé jusqu'à la cendre dès le demi contact avec un de ces grains de sable dont il se servait, semaine après semaine, région après région, pour bâtir sa maison. 

Mais vous exigez malgré tout qu'il quitte sa réserve et vous serve des phrases, des messages, des leçons ?

Et ce pour quelles raisons autre que la paresse ? 

La vérité c'est que vous avez peur et que vous espérez que sa voix vous soulage.


Mais n'avait-il pas peur lui-même ? 

Il ne s'est pas fait d'un jour et des décennies passèrent, des décennies... des siècles ! Avant qu'il ne se débarrasse de son immense envie de vomir en présence de ce monde franchement inamical. 

Mais il a tenu bon. Il a su accepter qu'il faut être malade avant la guérison. 


Et c'est pourquoi il ne dit rien. Et c'est pourquoi, tous les prophètes véritables étaient de muette race. 


"A vous votre langage, à vous votre voyage"


Voilà ce que murmure le fond de ses yeux clos que vous embarrassez. 

Voilà là son credo, son nindo, son adage. 

Inutile encore de chercher. 


Marchez, et peut-être un beau jour, sous le désert comme lui

Vous y verrez la plage (et les fruits, les grappes de sonates et baies de Remedios 

Mannes inexplicables mais qui coupent la soif de la soif d'Eros...

Puis vous verrez aussi Apollon sur son char 

Ainsi qu'assis sur le soleil qu'il tracte 

Le beau sourire du diable...

Vous verrez, vous verrez, tout ce qu'il y a à voir 

Si vous marchez 

Comme seul l'esprit marche). 


Odilon Redon - Réflexions


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