dimanche 25 avril 2021

L'autre côté de la beauté (3)

Comme il se prouve, jour après jour, que l'échec est l'étoffe dans laquelle mon corps se sent le plus à l'aise, 

Je me demande, au-delà du pourquoi que je connais très bien - ayant tissé avec acharnement et même le sourire ce douloureux costume - quelle diversion aurait pu ou pourrait le déchirer un peu. 

L'idée qui me vient immédiatement est qu'un second soleil fasse son apparition. 

Ainsi doublement brûlé peut-être que le ciel, aube crépusculaire étayant un haut jaune au brillant perpétuel, verserait sur mes joues autre chose que des pleurs, et dans mon crâne, autre chose qu'un désir que de frapper avec les murs et les fenêtres. 

Peut-être oui qu'alors que l'océan sera devenu un bain doré bouillant, un horizon de citrons frits, 

Peut-être oui qu'alors reparaîtront chez moi des élégances perdues... 

Où était donc passé cet homme qui traversa tout un train en courant, de la tête à la queue, pour le simple plaisir de prolonger, par le mouvement, un banal baiser reçu trois heures plus tôt ?

Il était là non loin, tout comme était là non loin l'homme que je suis aujourd'hui, hier, tandis que j'agonissais d'injures et noms d'oiseaux la femme que j'aimais, en ce premier matin de l'année 2015, car elle n'était pas en France et que, décalage horaire oblige, sa soirée à elle ne commencerait qu'une poignée d'heures plus tard et que je ne serai pas là, car dormant, et que du coup j'imaginerai le pire, comme souvent, et que c'était sa faute et non celle du fuseau, et non celle du temps. 

Il était là non loin, l'homme que je suis aujourd'hui, quand, décor ferroviaire toujours et jalousie encore, j'avais jeté sur les rails une bouteille de bon vin pour je ne sais plus quelle raison exactement sinon que j'allais mal et qu'au lieu de le dire, j'avais été méchant.

Un deuxième soleil donc pourrait faire l'affaire. Enflammant mes trente-trois ans ainsi que mon trente-et-un en un clin d'œil ou deux...

Dire que j'ai tout raté, quand même, c'est dingue ! Certains, même parmi les pires, réussissent au moins un petit truc : un enfant, une tarte, une poterie... Mais moi j'ai tout raté ! 

Ce n'est pas faute d'avoir essayé... j'en ai fourné et renfourné des tartes poétiques, j'en ai modelé des glaises, j'en ai vêlé des strophes, des virgules, des rimes truffées d'hypothèses. 

Mais trop salé, trop sucré

Mais mou comme boue ou cassant en un souffle

Mais à peine un sabot sur la paille que déjà le cœur lâche. 


*


L'étiquette de l'échec, cette étiquette qui gratte et qu'on s'empresse de découper une fois rentré chez soi, je l'ai découpé bien sûr. Sauf que le souci ne venait pas de l'étiquette mais de tout le costume. Or pour moi, c'était soit ce costume, soit la nudité mortelle. J'ai donc choisi de vivre au chaud de mon échec. 

*

Après qui sait... 

S'il y a pu avoir David Lynch et Baudelaire, il se peut bien qu'un jour 

Ce deuxième soleil 

Ait lieu ailleurs que dans ma tête. 

Auquel cas c'est à poils, et vivant finalement auprès du côté clair, 

Que je passerai le reste de mes années sur Terre. Même si ce n'est qu'une seule

Pourvu qu'elle soit solaire

Et qu'elle n'ait plus la gueule 

Que je vois en ce moment, le matin quand je me lève

Mais reste à l'intérieur d'un antérieur rêve. 


*


Refuser le présent 

Ce gâteau de lumière 

Voilà le véritable échec. Oh oui, il est triste également que de ne pas recevoir toutes les récompenses, tous les galons ni toutes les épaulettes.

Mais refuser le présent 

Est plus grave à mon sens 

Que de louper Goncourts, Baftas et prix Nobel. 


Car des Goncourts et des Nobel 

Il y en aura encore des pelletées et des pelletées à gruger d'ici la fin du siècle 

Alors que le présent ne se présente qu'en un seul exemplaire. 


Idem le soleil.


Voici pourquoi il vaut mieux que je me taise et sorte prendre l'air. 

Qu'au moins cette promenade

Relâche cette cravate qui sans cesse me serre.


Odilon Redon - Bouddha


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