dimanche 18 avril 2021

L'autre côté de la beauté (1)

Les sacrifices consentis chaque jour, par l'homme s'illuminant en marchant dans la nuit, 
Ne génèrent, en dehors des poèmes, rien d'extraordinaire. 
Car l'homme qui s'illumine en marchant dans la nuit est foncièrement mauvais. 
Gardant ses fleurs pour lui à l'exception des bouquets littéraires, il rend très difficile l'effort d'amour à son égard. C'est que, vivant dans les souvenirs autant que dans des mondes non encore advenus, il est rare de le croiser réellement, de savoir ce qu'il pense. 
Certes il œuvre aux étoiles, minant dans un ciel invaincu ces gros blocs de glace afin qu'ici sur Terre, ils restent remarquables. Certes il pleure souvent, énormément, beaucoup, quant à sa vanité et presque aussi souvent, énormément, beaucoup, quant à la vanité générale. 

Né du néant... non, du passage de témoins d'un million de cadavres, il meurt à l'idée de s'échiner pour rien, sinon un rire, une larme, perdue au fond d'une chambre qu'il ne visitera pas. Il meurt de ses lecteurs futurs, l'arrachant des poussières d'une bibliothèque pour tendrement, comme l'abbé de sa Bible, l'effeuiller en recueil. Il meurt d'être ainsi mis à nu pour du beurre, car il sait ses mensonges et il sait qu'il n'y a là-dedans que quelques vers de bons. Et c'est sachant cela : sa vanité, la vanité générale, les étoiles, les lecteurs futurs et les bon vers rares, qu'il fait du mal autour de lui. 

Il hait par extension de sa propre limite. Il hait et répudie dans l'espoir de grandir, quitter à passer par l'ombre et non par la lumière. Un mètre est un mètre... Et il se veut golem gigantesque, colosse qu'un titanide regarderait d'en bas. 
S'il s'espère si gratte-ciel, c'est pour pouvoir OEUVRER plus facilement à la taille des étoiles. Car pour lui, bien, mal, bonheur ou malheur, sont en vérité des notions tout à fait secondaires. Il se soucie aussi peu des autres qu'il ne se soucie de lui-même. Car ce qui compte pour lui, c'est que ses sacrifices génèrent des poèmes. 

(En dehors, rien d'extraordinaire. Un quidam bougon, méchant et solitaire. 
A l'intérieur ? Des hordes et des hordes 
Et des hordes
Et des hordes 
Et des hordes
Et des hordes
Et des hordes 
De morts-nés et peut-être... 

Avec sous cette armée follement décomposée, aux yeux et corps affreusement translucides, sous cette nation de vies rejetées dans le vide, 

Une cave invisible excepté pour lui seul. 

Cette cave contient toutes les richesses jamais forgées par l'Homme. 
Cette cave est de mots pleine. 

C'est à partir d'eux, et faisant fi des hordes infinies d'interrompus marmots dont les pas frappent, agacent, à son oreille, qu'il tire un outil digne de sculpter météore. 

Un outil inutile qu'il recherchera qu'importe le péril
Et au risque de nuire à ceux qui le chérissent. 

Car ce qui compte pour lui 
C'est que ses sacrifices

Génèrent des poèmes...

Et tant pis pour les aubes qu'il se refuse à voir en marchant dans la nuit
Et tant pis pour les lèvres qu'il met de côté, en embrassant plutôt sa prose 
Et tant pis pour sa mère, sainte femme s'il en est, qu'il n'appelle qu'une fois l'an quand il manque d'argent
Tant pis pour elle, tant pis pour eux, 
Tant pis pour tous les autres 

Son amour n'est pas assez puissant
Pour affronter à la fois le froid des galaxies 
Et celui d'une amante à qui il faut dire "oui,
Je t'écoute, je t'entends, 
Tu m'intéresses et je te veux."

Pourquoi mentir ? 
Seul l'outil l'intéresse
Et c'qu'accomplir il peut. 

Tant pis donc tant pis. 

L'autre côté de la beauté 
C'est qu'il est laid d'écrire 

Et que ça rend idiot
Même si c'est notre vie 

A nous s'illuminant en marchant dans la nuit 
En rêvant qu'un beau jour 

Il fasse beau une nuit. 

(ce serait alors la preuve que notre outil fonctionne
 et qu'enfin les étoiles ont gagné ces couleurs - ces verts, ces bleus, ces mauves -
 que tout auteur malheureux ambitionne))


Max Ernst - Femme-fleur (extrait d'une Semaine de bonté)


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