lundi 9 juin 2014

Les ennuis romanesques S01EP01

"Il y a dans ma tête une présence
Comme un ver frais, une nuisance...

Je n'arrive pas à faire ce dont j'ai envie. J'essaie tous les poisons pour l'extirper de mon cerveau, cette chose, pour la broyer ou faire d'elle mon amie. Seulement ça ne paie pas. Alors les heures s'accumulent et passent devant moi, vêtues d'un sourire long comme l'aileron d'un requin, elles vont, accoucher des nuits et mettre à sac des jours, elles vont, dessiner des rides et creuser des amours. Elles ne m'enverront pas de carte postale, pas même vierge, elles ne reviendront pas les heures, elles demeureront loin, là où je ne peux ni les toucher, ni les étreindre. Leur absence me tuera un de ces quatre, j'en suis quasiment sûr. 

J'aurai, à ce moment-là, fracassé mille fois mon crâne contre ce mur. Et j'aurai, ramassé mille fois ces morceaux d'os laissés derrière. Et j'aurai, trempé mille fois ces morceaux d'os dans de l'encre de Chine. Et j'aurai, mille fois écrit ma destinée putride."

- Il est fou c'est certain.

0 - Justement non Gustav, un fou n'aurait pas été capable d'écrire aussi distinctement, c'est quelqu'un qui prend plaisir à côtoyer la folie, à lui donner de grandes claques au visage en espérant qu'elle réagisse mais ce n'est pas tout à fait un fou...En revanche, c'est peut-être pire puisqu'on pourrait bien avoir à faire à un artiste.

Gustav - Je ne vous suis pas, pourquoi serait-il pire pour nous que notre suspect soit un "artiste" ?

0 - Parce qu'ils sont devenus la lie de notre humanité, son plus bas peuple. Parce qu'ils sont passés en quelques siècles de l'aigle royal à la buse variable, de l'or magique et pur à la boue dégueulasse et que cette déchéance a dû laisser des traces et même pire, des béances énormes, des crevasses absolues au cœur de leurs esprits. Selon quoi, ils ne sont pas devenus fous mais probablement incroyablement vicieux et prêts à tout et à n'importe quoi.

Gustav - Mais ne l'étaient-ils pas déjà ? Il me semble avoir entendu cela souvent au cour de mon éducation, que les artistes étaient, sont et seront des gens désespérément arrogants et mauvais, capables des ignominies les plus affreuses pour leur seul intérêt, qu'il s'agisse de voler l'assiette dans le pain de l'honnête ou de déchirer la toile d'un frère concurrent.

0 - C'est vrai que les artistes ont de tout temps eu cette réputation mais malgré tout...certains jouissaient, à l'origine, d'un respect sans pareil puisqu'ils étaient capables...comment dire...de grandes choses.

Gustav - De grandes choses ? Vous voulez dire de belles choses ?

0 - La beauté n'a rien à voir avec ces gens-là. Du moins avec ces gens dont je te parle de mémoire...et qui, aujourd'hui, ne sont plus connus que par quelques vieillards en plus de moi.

Gustav - Ne dites pas de bêtise, vous n'êtes pas si vieux ! Vous avez à peine 53 ans.

0 - Oui, en soi il me reste peut-être cent ans à vivre...mais pour quelle vie ? Et puis, de nos jours, tu sais comme moi que les générations se succèdent à un rythme étonnant et que demain, sûrement, je serai mis en retraite. J'ai beau sentir la force dans mes mains, l'énergie dans mes nerfs, on va me demander de ranger mes affaires et partir soi-disant pour mon bien.

Gustav - Mais c'est pour votre bien, véritablement ! Vous préféreriez peut-être travailler jusqu'à vos 70 ans, jusqu'à risquer de perdre la vie sur votre lieu de travail après un coup de sang ?

0 - Vivre, c'est accepter chaque instant le risque de perdre la vie. Imaginer le contraire ou bien tenter de fuir cette réalité en s'installant dans le confort d'un appartement de repos, ça n'est pas ça vivre à mon sens. C'est mourir plus vieux...mais pourquoi ? Si l'on me donne encore cent ans à passer sur cette Terre, je veux en profiter pour me faire des souvenirs, pour voir de mes yeux ces mégacités qui fleurissent au Japon, pour boire le meilleur Gin, pas pour me gaver éternellement d'écrans illuminés ! Je veux autre chose que quatre murs pour après ma retraite, sinon, autant sauter direct dans le cercueil, le décor sera le même et en plus, il fera bon.

Gustav - Pardonnez-moi mais j'ai cessé de vous écouter depuis dix secondes. Vous disiez quelque chose d'important ?

0 - Non...

Gustav - Excellent, dans ce cas nous pouvons retourner à notre affaire.

0 - Oui, retournons-y...

Gustav - J'ai une question à son sujet. Si, comme vous le dites, le crime est, pardonnez-moi l'expression, l'oeuvre d'un artiste, est-ce-que vous savez comment l'on s'y prend pour arrêter ce type d'individus ?

0 - On ne les arrête pas.

Gustav - Plaît-il ?

0 - Ils ne sont pas comme nous. Ils obéissent uniquement à l'aléatoire et ce même quand ils ont de grands plans qui durent des années. Par conséquent, il paraît tout à fait vain de songer à les arrêter classiquement, par la logique ou l'étude mentale.

Gustav - Alors comment ?

0 - Par hasard, par chance, par prédestination. C'est là le seul moyen de mettre la main sur eux. Après, nous pouvons toujours tenter d'en interroger quelques-uns et prier pour tomber sur le bon.

Gustav - Pourquoi pas oui, cela fait longtemps que je n'ai pas fait d'interrogatoire mais...dites-moi, comment fait-on pour trouver des artistes en grand nombre ?

0 - On cherche dans la nuit avec les yeux fermés.

Gustav - Vraiment, vous êtes sérieux ?

0 - Non, je ne le suis pas. En vérité, il suffit de monter au Nord, c'est là qu'ils se terrent tous.

Gustav - Au Nord ? Mais il y fait effroyablement froid et ennuyeux...

0 - Exact et c'est justement pour ça qu'ils y sont, le froid et l'ennui étant leurs nourritures favorites !

Gustav - Euh...Vous êtes bien sûr qu'ils ne sont pas fous ?

0 - Sûr de sûr. Allez, venez avec moi, je vais vous montrer par A+B pourquoi ils ne le sont et ne peuvent pas l'être.

Gustav - Brrrrr. Soit.

*

Moebius - Cité



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