vendredi 18 avril 2014

L'Amour au temps de l'angine blanche

Sérieusement.
Des villes, compositions florales de gratte-ciels étonnants, gris et sphériques, noirs et tendus, subissent chaque jour les assauts de tanks monstrueusement armés.
Ainsi, sous l'impulsion d'une volonté humaine, un ballon de football fondu dans le métal et chargé à ras bord d'explosifs mortels est expulsé d'une tige creusée vers les fenêtres d'un bâtiment civil.
Ainsi, les jouets et les pianos qui occupent cet espace tranquille sont transformés, en un jet de ballon, en flammes et en éclats.
Ainsi, Tibor, Esther, Lionel, Johann, Séverine, Michelle, Alain et Hubert doivent abandonner leurs rêves.
Ils ne seront pas de grands scientifiques ni de grands sténographes, pas même de grands chômeurs.
Ils ne seront pas.
Ils ont été changé en nombres.
8 morts dans un échange de coups de feu dans la région Est de la capitale.
Leurs cadavres déchiquetés par différents obus sont placés sous des draps que personne n'osera jamais soulever.
On met leurs cadavres sous la terre, rapidement, pendant que la lune brille encore.
On paie une pièce l'heure celui qui a creusé le trou.
On brûle immédiatement les draps tachés de sang.
La neige et l'Histoire s'occupe du reste. Ne vous en faites pas, ils disparaîtront.

8 morts.
Tibor savait pertinemment que tout cela finirait mal, il le sentait dans l'air, le devinait entre les lignes des journaux nationaux et avait, par conséquent, commencé à économiser pour son déménagement.
Esther était trop occupée par son travail à la manufacture pour se douter de la proximité d'un tel danger.
Lionel, lui, peignait des nus.
Johann s'inquiétait pour Séverine qu'il avait mis enceinte, il n'avait pas beaucoup d'argent mais il l'aimait tellement.
Michelle donnait des cours particuliers à quelques écoliers petit-bourgeois qui, souvent, la mettaient mal à l'aise.
Alain buvait comme un évêque et n'avait pour la vie que peu de considération.
Hubert était un résistant. Il avait la veille, participé à un meeting important duquel il était revenu avec précaution. Il était certain de ne pas avoir été suivi et puis, quand bien même, il était loin d'être un chef de file et il n'avait pour le moment rien fait de trop incriminant.

8 morts.
Des pas se font dans la neige. Sous la statue d'un immense philosophe, un homme fait les cent pas. Il attend la venue d'Emilie. Rousse, aux courbes miraculeuses et aux yeux de verdure, elle est la promesse de passer pour de sûr une douce nuit.
Dans quelques secondes, l'homme ressentira une énorme douleur sous la poitrine. Puis encore deux autres jusqu'à ne plus rien sentir. Il ne verra pas le visage de ses agresseurs mais il saura pourquoi il fut poignardé.
Ce jour-là, il n'avait pas reçu l'ordre d'ouvrir le feu, il l'avait fait instinctivement.
Emilie était belle, c'est si triste de ne pas la revoir !

9 morts.
Les funérailles du jeune homme furent un moment d'accalmie bienvenu.
Ici, hommes et femmes festoyèrent joyeusement, riant au visage de l'absurde et dansant ivres et beaux au bras de la fatalité. La vie continuait, les comptes étaient réglés et le vin était bon.

La police militaire, bien aidée par ses indicateurs, retrouva trace, le lendemain, des deux potentiels agresseurs. Ceux-ci, peu coopératifs, furent battus à mort avant d'être jetés dans la rivière voisine. La nuit, pendant que la lune brillait encore. L'hère qui balança leurs corps dans l'eau froide fut payé une pièce.

11 morts...


Unsider - Ouroboros



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