jeudi 5 décembre 2013

Sept.6.

12h34. Snowden a posté un commentaire : "N'importe quoi vraiment n'importe quoi. Quand on voit ce genre de trucs, on ne peut que comprendre pourquoi nous marchons sur la tête. Ce film est un absolu non-sens et son réalisateur devrait être condamné aux travaux forcés pour avoir osé travestir autant son support de base !"

Sam s'éloigna de son ordinateur puis se dirigea vers la cuisine où son fils, âgé de neuf ans, l'attendait. Sam sortit du four les rouleaux de printemps qui y doraient ainsi qu'une trentaine de pommes noisette jaunes et brûlantes. L'enfant mangea le tout avec bon appétit et remercia son père pour le repas en lui donnant un rapide baiser. Sam était ému par la joie de vivre immanente à cet être qu'il avait lui-même conçu. Il pensait parfois à Nancy, la mère du jeune garçon, mais sans jamais parvenir à aucune conclusion à son sujet. Il ne savait pas s'il l'aimait encore ou même s'il ne l'avait un jour aimé, il s'avait seulement qu'elle s'appelait Nancy comme la ville lorraine et qu'une semaine sur deux, elle venait prendre Sam.

13h23. Snowden a posté un commentaire en réponse à LuciusM : "Je te demanderai de rester courtois et surtout, de te mettre bien profondément où je pense toutes tes remarques à deux écus. La Gauche nous prend pour des imbéciles depuis trop longtemps, il n'y a qu'à voir ce que leurs dirigeants disent de nous dans cette vidéo pour s'en rendre compte. Que cette dernière ait été volée et prise sur le vif ne change rien à l'affaire ni à sa gravité, bien au contraire !"

Son fils était monté dans sa chambre pour faire ses devoirs, laissant Sam à ses habituelles distractions. C'était un mercredi et un autre jour passé à la maison pour lui. Sam n'était pourtant pas sans emploi, il travaillait même beaucoup en réalité mais toujours de chez lui. Il était designer sonore pour une société indépendante basée en Angleterre et avait préféré la France à une mutation au pays de la gelée. Il gagnait bien sa vie, avait des amis qu'il voyait régulièrement et deux ou trois connaissances à son charme sensibles. Il avait des économies de côté et donnait à sa progéniture quasiment tout ce qu'il voulait sans pour autant le gâter trop. Il était un bon père, un amant pas mauvais et un ami constant.

15h37. Snowden a posté un commentaire : "Que viennent faire tous ces gens sur notre territoire ? Sont-ils nés ici ? Ont-ils fait la guerre pour nous ou quoi que ce soit du même genre ? NON ! Alors qu'il s'en aille, foutrement vite et par la petite porte ! Nous n'avons pas besoin d'eux et encore moins de leurs problèmes et de leurs maladies !"

Sam passa le reste de son après-midi a tenter de créer un thème musical destiné à une entreprise partenaire spécialisée dans les transports maritimes. Ce thème devait être diffusé lors d'un meeting très important pour la dite compagnie et il devait sonner à la fois "digne, puissant et feutré". Sam s'arrachait les cheveux sur cette composition depuis plus de vingt jours désormais et nombre de ses nuits avaient blanchi durant cette tâche. De son côté, son fils termina ses devoirs, se servit une tasse de chocolat bien chaud et se flanqua devant la télévision où plusieurs spirales colorées défilèrent aléatoirement tout en étant entrecoupées à certaines occasions par le rire d'une speakerine aux yeux hallucinés.

18h37. Snowden a posté un commentaire : "Que cette sous-merde de danseuse argentine se trouve un autre club et fissa ! Avec le salaire qu'il se tape uniquement pour pousser un ballon au fond d'une cage, il pourrait au moins mettre un peu de cœur à l'ouvrage et nous planter une ou deux banderilles par match ! Mais non, au lieu de ça, ce paria nous gratifie à chacune de ses apparitions d'une moue semblable à celle d'un tétraplégique - qui marquerait, soit-dit en passant, sûrement plus de buts que lui en l'espace d'une saison - et d'une nonchalance crasse, signe sans doute de sa débilité profonde. M'enfin, ce n'est pas étonnant quand on vient d'une cité et qu'on prie le mauvais Dieu, on ne peut pas être une lumière, loin de là !"

Ce fut l'heure du dîner, un pot-au-feu avec carottes, navets, pommes de terre et tranches de lard fumées. D'abord dubitatif car espérant quelque chose de moins rustique, son garçon une nouvelle fois absorba l'ensemble avec un plaisir non dissimulé qui sous-entendait que sa Nancy de mère le nourrissait moins qualitativement. Sam, lui, piochant dans son assiette assez timidement, était concentré sur la nuit de travail qui l'attendait et sur cette histoire de "digne, puissant et feutré". Il se représentait ses trois mots et tentait de les associer d'une manière ou d'une autre à un concept musical. Il échouait malheureusement dans cet effort et l'antinomie apparente entre ces différents termes y était certainement pour grand chose. Sam était nerveux, son fils le sentait alors il lui proposa de prendre une glace avec lui parce que la glace, disait-il, apaisait les soucis. Ce slogan, simple et diablement efficace, dérida Sam qui descendit à la cave chercher les précieux bacs pleins à craquer de glace aromatique. Vanille et fraise des bois pour Sam. Vanille, vanille et vanille, avec une bonne dose de chantilly pour l'écolier.

20h53. Snowden a posté un commentaire : "J'aurais fait exactement la même chose que ce bijoutier. Si personne n'est capable d'assurer la justice ici alors autant la faire soi-même. Et puis, il a tiré en position de légitime défense. Son geste était digne, son geste était puissant. Il l'a tué sur le coup et il a bien fait, il n'avait rien volé au final mais était venu pour ça alors pour moi c'est la même chose. J'espère que les autorités sauront le remercier pour avoir fait le travail à leur place et qu'il ne sera pas inquiété. Quant au criminel, bien fait pour lui, rien à dire de plus."

Sam souhaitait se remettre le plus tôt possible à la composition de ce maudit thème mais son enfant, rassasié et lavé, désirait passer la soirée avec lui devant l'un de ses films d'animation favoris. Sam aurait aimé dire non mais comme il avait déjà passé la majeure de sa journée loin de son fils, il acquiesça et retira de sa boîte le film en question. Il s'agissait d'une histoire à la structure des plus classiques et des plus éculées. Il s'agissait d'un prince orphelin et d'une princesse guerrière, au début ennemis avant de devenir amis et d'enfin, après une ultime épreuve riche en rebondissements, s’amouracher l'un l'autre sous les applaudissements d'une foule bienveillante. Au milieu du film, Sam prétexta de devoir vérifier quelque chose de crucial pour son travail en cours afin de s'éclipser.

21h56. Snowden vous a envoyé un mot doux : "Bonjour. Comment vas-tu ? Si tu vas bien, sache que moi aussi (j'ai même mangé de la glace à la fraise aujourd'hui, si ça ce n'est pas un signe de bonne santé, je ne m'y connais pas). Si tu vas mal, sache que je te trouve très jolie (hm, et si ce n'est pas suffisant pour te faire retrouver le sourire, sache que tu me plais vraiment, je ne sais pas, je sens qu'il y a comme quelque chose qui s'est déclenché quand j'ai vu ta photo pour la première fois. Ah oui, je sais ce que c'était maintenant, c'était ma chasse d'eau ! En même temps, j'avais bien besoin d'elle après avoir vu ta gueule ! Nom de Dieu comme tu es moche ! Plutôt que de t'inscrire sur un site de rencontres, t'aurais mieux fait de contacter un bon chirurgien esthétique ou de te renseigner sur les meilleures façons de se suicider !)(à ce sujet, je peux te donner un conseil, évite la pendaison parce que bon, je suis pas sûr qu'une corde aussi longue soit-elle d'être attachée à ton cou de grosse vache en manque d'amour, avec tes yeux débiles et tes photos qui ont sûrement été prises par ton salopard d'oncle le jour de ton anniversaire, tu sais c'était le même jour où il avait décidé de te montrer un truc au fond du garage en profitant de toi et ta naïveté) Oui, suicide-toi et arrête de rêver parce que le seul homme qui risque de vouloir de toi, c'est bien ton oncle et Dieu sait qu'il picole !"

Sam revint près de son fils, d'ores et déjà endormi tandis que le film n'était pas fini. Il éteignit l'écran et porta son fils jusqu'à son lit avant de le border avec délicatesse. L'enfant, entre son sommeil et sa réalité, se fendit d'un merci qui mit énormément de baume au cœur de Sam. Pendant les cinq minutes qui suivirent, il resta là au-dessus du lit, à observer tendrement ce jeune morceau de lui. Il était beau avec ses cheveux blonds, avec sa joie et avec son visage, calme tout en étant étrange puisqu'il pénétrait on le sentait dans de profonds royaumes dessinés par ses soins. Sam finalement quitta la chambre pour de bon et ce, à pas feutrés et retrouva son ordinateur où son labeur l'attendait.

00h41. Snowden a rédigé un brouillon : "76. Ils étaient 76 à guetter avec moi ce qui venait du ciel. Était-ce des navettes pour le transport venues de ces planètes encore inconnues ou seulement de lourds obus rocheux s'étant détaché de la lune suite à une catastrophe ? Nous ne le savions pas. Tout ce que nous savions c'est qu'ils étaient d'une vélocité sans précédent...*********** !
//balise:html.sublinks//
C'est nul ! C'est nul ! J'arrive à rien...Je suis un moins que rien...et moins que rien ! Pas étonnant que tout le monde rit à mon passage ! 76 passagers...Je vais nulle part avec cette histoire ! Nulle part et les autres passent leur temps à se moquer de moi, ici et jusqu'en Angleterre ! 
Thème musical sur des fonds marins, perles aux pourceaux ! Je devrais être au cœur des aurores boréales plutôt qu'ici à ne rien faire ! La ville me manque, ma vie d'avant me manque. Ils vont m'entendre. Ils vont me sentir avec leur thème marin. On va voir qui est nul. On va bien voir." 



4h07. Snowden a posté un commentaire : "Last !"


Le lendemain, Sam eut du mal à se réveiller de sa dernière nuit blanche mais prépara tout de même un vrai breakfast anglais à son fils, avec ses œufs brouillés, son bacon rosé et son jus d'orange pressée. Sans se faire prier, le garçon avala l'ensemble frénétiquement et en souriant. Sam répondit à cet appétit d'ogre et à ce sourire par un rictus similaire accompagné, plus étonnamment, par une phrase qui vint se poser directement au fond de l'âme du bambin. Ce matin-là, ayant à peine dormi et des cernes qui ne dépareilleraient pas d'avec ces gorges du désert californien, Sam dit à son fils qu'il l'aimait plus que quiconque au monde et ce, pour la toute première fois. 


Winsor McCay - The Children of Ignorance


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