lundi 1 juillet 2013

L'économie du suicide

Marcher avec les loups.

Vous rencontrez une inconnue. Elle pleure. Elle étrenne un de ces mouchoirs verts tout imbibé de menthe, elle a des yeux dont Picasso n'aurait su faire ni le portrait, ni le profil.

Un autre jour, fenêtre ouverte et grand ciel bleu.

Des murs blancs terrifiants. Galeries d'images toutes plus inquiétantes les unes que les autres, des gouttes de sang agrandies à l'extrême et une paraphe légère, celle de l'auteur, à l'encre noire.

Un peu plus tard, dans une pièce voisine, quelques bruits de pas se font entendre. Le bruit des talons qui claquent sur les planches fades du parquet. Une nuque se crispe, des veines apparaissent, puis disparaissent.

La nuit sans maquillage, simplement éclairée au néon, à la bougie future, qui ne coule pas, qui ne coule plus. Monde entier de lumières, d'ampoules et de lustres, de flammes et de gaz nocifs. Ensemble, collier bouillant d'une ville pour qui la chaleur s'est changée en souvenir.

Nous fûmes ridicules à fabriquer ainsi ces cités gigantesques, nous fûmes ridicules de penser la Terre comme un papier buvard, parfaits pour nos déchets, nous fûmes ridicules, ridicules et prodigieux.

Deux trentenaires se tiennent la main. Ils circulent dans la rue claire à la recherche du temps qui passe, ils semblent heureux malgré les rides, à peine visibles, sur leurs fronts nus. Le silence se rapproche, les trentenaires l'ignorent, ils sont trop occupés à s'inventer des lacs là où il n'y a, pourtant, que de la neige fondue. Le silence s'est invité, précédé juste avant par les rances cris de la stupéfaction. L'un des trentenaires est au sol et l'autre le recouvre, interdit. Une fine tige d'acier soutenue par une poignée d'un plastique rouge et transparent, un poumon perforé. Et le silence, désormais omniprésent, grise vedette sur la scène de crime. De l'envie d'adopter à la déposition au commissariat, les deux dans une seule et même après-midi, un cauchemar illimité. Une journée de travail ordinaire pour la plupart des gens. De la volonté de s'aimer au désir d'en finir, selon la bonne santé d'un proche, selon les battements d'un ami. Des détails importants.

De la corde. Un pistolet chargé. Des anxiolytiques. Une bassine d'eau froide. Le vide intégral. Des milliards de courts morceaux de verre reproduisant avec exactitude chaque regret, chaque inassouvissement, chaque Joconde oubliée.

La mer, plage, écran, sable puissant. L'impression que des nuées d'étoiles sont venues s'échouer. Elles forment le grain, cette toile de fond magnifique à cette sorte d'éternelle paresse qu'est la caresse des vagues. Sauf que ce grain est en souffrance, il est enseveli sous les hommes, sous les peaux en sueur et sous les cigarettes.

Bénéfices en veux-tu, en voilà. Cathédrales, éoliennes, plates-formes pétrolières. Grands rassemblements sur des places historiques, forces policières et bombes lacrymogènes. Un mouchoir vert à la menthe fraîche. Des carcasses s'endorment ou meurent, indifféremment. Carcasses revendus sur les marchés, carcasses extirpés des trous et de la boue. On se frotte les mains, tant qu'elles sont encore là.

Soit pour se donner chaud, soit pour se féliciter.
Soit pour éviter d'avoir à se payer des gants, soit pour ne pas avoir à ouvrir les yeux.

Il n'y a pas de petites économies, il n'y a que de vastes illusions.


Patrick Zoroddu - Sunset





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