mardi 9 juillet 2013

La main tranchée (rallonge de la cinquième partie)

Rétablie, Esther sortit de la salle de bain et rejoignit Valentin qui s'était allumé une cigarette. Lorsqu'il la vit, il fut frappé par la pâleur extrême de son visage, encore accrue par son épisode nauséeux. Transformée de la sorte, fatiguée et vulnérable, elle donnait l'impression d'être un flocon de neige d'1m70 et ce flocon de neige, en apercevant cet homme qui venait, pour elle, de quitter son orgueil, fut pris d'un rougissement. Un contagieux rougissement puisque Valentin, fumant et l'admirant, sentit ses joues se teindre.

Ils revenaient l'un vers l'autre à armes égales, c'est-à-dire sans armes aucunes et la gêne qu'ils ressentaient, délicieuse à présent, les fit sourire tout deux. S'en suivit un dialogue fait d'anecdotes et de partage, de gestes caressants et d'envoûtants regards. Se désintégrant progressivement dans un apaisant pétillement, l'aspirine fut bientôt bue et les fièvres calmées.

Finalement, à trois heure et quelques du matin, ils furent trop exténués pour parler davantage et naturellement mais non sans une infinie pudeur, ils allèrent ensemble, main dans la main, se coucher dans le lit. Ils ne se déshabillèrent qu'à moitié, préférant un jour meilleur pour une complète découverte. Néanmoins, leurs peaux nues se touchaient ça et là et racontaient à la fois les furies des braseros ardents et le calme jouissif d'un foyer lumineux qui crépite et nous berce. Ils s'endormirent dans les bras l'un de l'autre et eurent le sentiment, sous cette sérénité, de se reposer véritablement pour la toute première fois de leurs vies.

Ils ne se réveillèrent qu'en début d'après-midi et, après un petit-déjeuner excellent, Esther dût repartir chez elle comme nous étions dimanche et que le lendemain, elle devait être d'attaque pour une nouvelle semaine de cours. Ils s'embrassèrent longuement sur le pas de la porte, avec une liberté qui donnait à ces baisers un goût différent de ceux d'auparavant, un petit goût de rêve sur le point d'être exaucé. Esther aurait aimé être raccompagnée au moins jusqu'au bas de l'immeuble mais Valentin, qui ne cachait plus ses préférences, même exotiques, refusa en lui disant qu'il voulait la voir partir pour l'observer depuis sa fenêtre, qu'il voulait la voir immergée dans la réalité pour être sûr et certain qu'il n'hallucinait pas quant à sa perfection.

Et, en effet, il n'hallucinait pas, Esther était gracieuse, sa silhouette était un ensemble de lignes de fuite et d'aériennes courbes affolantes en diable. En la regardant, il se remémorait aussi son parfum délicat et l'impact brûlant de ses lèvres charnues. Il revoyait surtout ce que tout le monde ignorait à propos d'elle : son invincible humanité, sa troublante répartie, son humour surprenant, sa bonté redoutable.

Valentin était aux anges, d'autant plus qu'avant de s'engouffrer dans la bouche du métro, Esther lui adressa un ultime sourire et un signe de main léger et adorable. Tandis qu'elle osait ce doux adieu, qu'elle envoyait comme une dernière caresse, Esther n'en revenait pas. Elle venait de passer la nuit avec le seul être capable de ne pas se soumettre entièrement aux bassesses du désir, le seul être capable de céder au cyanure qui colorait sa bouche sans finir par le regretter, par la maudire ou par sombrer dans le pathos d'un romantisme exacerbé. Elle se sentait à ce point de comble et de vivacité où le corps s'efface devant les émotions pour ne plus être enfin qu'un intense enthousiasme...



Caspar David Friedrich - Femme à la fenêtre



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