dimanche 3 janvier 2021

Morgenstern

Des terres très anciennes, verglacées depuis toujours par un blanc vent que nulle fourrure peut vaincre, existent paraît-il. Des terres très anciennes, constamment illuminées et constamment désertes, sur lesquelles rien ne pousse sinon la fleur solaire pour un peu moins d'une heure. Des terres très anciennes, ignorant tout du monde et de la sophistication sans cesse creusée, améliorée, perfectionnée jusqu'à l'extrême, en matière de violence vis-à-vis des plus pauvres. Des terres très anciennes qui, isolées grâce au climat défavorable, n'ont jamais vu couler le sang d'un peuple que l'on chasse. Des terres très anciennes, débarrassées et de Dieu et du Diable, uniquement caressées par une aurore rare, survivent m'a-t-on dit à l'ombre des boussoles. Des terres très anciennes, pures comme une main qui s'ouvre pour nourrir un enfant, sont là, belles et bien là, à moins de mille miles du gaz de nos villes, selon ce qu'on raconte. Des terres très anciennes, sans églises, sans usines, sans l'insomnie logique survenant par ici où l'électricité, immuablement mobile, fait rempart à la nuit. Des terres très anciennes, plaines de gel et de lumières, qu'aucune chaussure n'est venue compromettre. Des terres très anciennes, plates et protégées par la griffe impeccable du froid, et qui sous elles n'ont ni racines ni corps. Des terres très anciennes, là-bas où j'aimerais être car elles ressemblent un peu, en beauté à ta joue sur laquelle seuls et exclusivement, les baisers savent parler. Des terres très anciennes, avec en guise de bouche un jour intermittent portant en lui pourtant toute la joie possible. Des terres très anciennes, de nuit noire et soleil, d'amour fou et de mort où les câbles verts que sont les veines jamais n'arrivent à terme et où le coeur et sa cage d'os ne voient pas, comme cela arrive si souvent par chez nous, une pioche la briser. Des terres très anciennes, éternelles, invincibles, que je visite en rêve en rêvant près de toi. Des terres très anciennes existent entre tes bras. Paraît-il... si j'en crois, tes douceurs d'iris, sombres et gigantesques, où invariablement, dès lors que je t'observe, une fleur solaire se lève et me coupe la voix. Des terres très anciennes, des terres qui sont des mers préservées du combat, du remuement interne qu'oblige autrui sournois. Des terres très anciennes, océans innocents, bassins grâcieux et ras où mon âme se baigne, cristal de premier choix. Des terres très anciennes, où si jamais je saigne, ce n'est que du diamant, des sanglots, des exploits. Des terres très anciennes, disparues semble-t-il, que je croise cependant, recroise, temps, dentelles et fil,

et file

l'étoile 

voile de soie. 


Alfred Kubin - Cataclysme



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