mercredi 18 mars 2020

Sourire

Le sourire qu'elle avait, qui se voyait en vérité plutôt depuis ses yeux puisqu'ils s'excroissaient (tapissant au passage sa cornée de vermicelles en fleurs) qu'à partir de sa bouche, mettait à jour chaque fois mon aigreur. Il me rembobinait, plantant partout sur moi des oasis nouvelles, des puits d'eau fraîche, des fontaines éclairant d'un seul coup l'horrible noircissement installé sous mes veines, sang de terre, glacier immobile et fort sombre obtenu à force de prendre à mon compte tous les malheurs environnants.

Son sourire avait donc plus de pouvoir que tous les pleurs occidentaux.

Evidemment j'en dépendais, esclave à joue osseuse tendant une langue mauve près d'un mur où filtrait une goutte de ce rictus... et qui, une fois rasséréné par lui, écartait d'une main ferme la pierre afin que ce petit point aléatoire d'amour se transforme en filet puis en flux concentré colorant mes babines au point que toute ma soif pour quelques heures s'éclipse. Mais bientôt j'y retournais et désirais un fleuve, de quoi continuellement baigner dans l'oeuvre offerte par ses traits.

Sourire remplissant d'or ma catacombe intime, je t'espérais ensuite susceptible de fondre ce jaune sucre en un métal encore plus précieux, en un plus puissant luxe...
En lave paradisiaque lavant de tout péché, en d'adamantins cours sans cesse renforcés, en des chemins floraux aux couleurs impossibles, sentiers fluo, routes étoilées, Elysées invincibles où nul n'était allé étaler sa poitrine. Lit de rivière, sourire, où j'escomptais dormir des rêves dînatoires, festins hallucinées de raisins et de poires. Ce sourire, ma boisson, mon vin, mon hostie, mon histoire... sans fin, sans crainte qu'il fasse noir, parce que ça je connaissais alors que l'encensoir, l'opium ostentatoire qu'arrangeait son visage à chacun de ses regards quand il se décrassait, chassait ses scories déplorables au profit d'un lacet touchant au vertical... c'était un inédit vital, inévitable volupté maintenant que j'avais eu la chance de croiser, ce froissement de la gloire. Sourire, grâce, bien sûr mais davantage, lampe géniale à l'huile d'argane, je ne pouvais m'en passer.

S'en passer cependant s'annonçait au programme. Pas par plaisir, volonté de sa part, mais parce que d'autres, alités et esclaves, aspiraient à le voir. Comme ils étaient malades, comme elle était une sainte, il était à prévoir qu'elle réponde à leurs plaintes. Sourire partageur car malheur est mondial et qu'il est nécessaire, en ces temps de nuits froides, que la chaleur des lèvres éponge au maximum la fièvre de ces âmes.

Sourire, sésame, à peine ouvert déjà fermé. Comme il est rare d'aimer et de planer et boire. J'allais ainsi tomber au fond du purgatoire, retrouver ma cellule, mon glacier, mon cauchemar. Mais... sourire... j'allais aussi à l'intérieur du trou, sous peu tout te revoir...

D'ici dix jours tu miroiterais, miroir liquide cassant l'espace, et j'avalerai ton verre et je verrai, beauté, ce que la Beauté cache dans tout ce qu'elle dévoile.

A mon tour de sourire
Voire de vivre

Oui, grâce à toi je vivrai et ce jusqu'à plus soif !


Dorothea Tanning - Cinquième Danger

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