vendredi 20 mars 2020

Propre surmoi

Dormir nous épuisait et la vaisselle était devenue un loisir appréciable.

C'est que la mousse conversait joliment, hissant à l'intérieur des bulles d'intenses messages d'espoir. Dieu que cela changeait ! Partout ailleurs tremblait, claquait grandement des dents, chacun feutré mais sans la volonté, le désir musculaire d'attendre. Alors les assiettes, les bols, les couteaux et même ces plats garnis de brûlures qu'on avait mis de côté les estimant perdus, tout ce décor d'aciers et porcelaines, jusqu'aux verres de plastique gardés au fil des fêtes selon de vieux réflexes d'existence, prenait actuellement, bouilli par les grumeaux chimiques forçant l'assainissement, une importance de cathédrale, de ces édifices levés face au soleil et demeurant puissants, stoïques refuges des âmes, lorsque la nuit s'arroge le fond du territoire. Frotter à l'éponge ces angles et ces courbes, ces rebords, ces murailles de tasses importées, d'activité retorse souhaitée à l'ennemi, était aujourd'hui la tâche la plus sublime et voir (après combien de grattages inconscients ?) le blanc renaître ici, un soulagement féroce comparable en jouissance, vide fait, résolution du monde, avec ce que le lit fort rarement descelle. Et c'était sans faire cas, pour revenir au geste précédent, des murmures enthousiastes de l'eau transfigurée, désormais enflement joyeusement neigeux, gratin de montagnes en cours d'élévation, galaxies d'archipel affleurant à vue d’œil tandis que tout l'évier, par des bruits de gorge et de rongeurs, avalait lentement une masse similaire d'horizons inédits... bientôt fuyant, par maints tuyaux, boyaux correspondants, vers des stations de traite où un milliard de ces miracles crèverait à l'unisson, là-bas dans une cave, une marmite d'exception elle-même redirigeant, après plusieurs calculs, ces bassins raplanis au sein de nos ballons aimants.

Jamais magie n'avait été plus simple, plus accessible l'effarante sorcellerie d'habitude possession des hirsutes et des moniales contorsionnées. Il suffisait de nettoyer, quotidiennement avec entrain, et ces douceurs rhétoriciennes, ces langages neufs d'inconnues destinées, perlaient en nombre sous nos yeux, parlant de lointains latins grecs transportant avec eux des défilés d'océans et transepts. Il suffisait de nettoyer, pour à défaut d'enfin trouver le sommeil, se remettre à rêver...

Moutons blancs sur la haie caquetant des "peut-être", appétissants cortèges d'animaux délivrés dont nous ferons partie, c'était sûr... éventuel... dans pas tellement longtemps à l'échelle du péché, et donc d'Adam et Ève, et donc du serpent sur la pomme lovée...

Il suffisait de nettoyer et, en patients magiciens, il était très certain que l'on s'en sortirait.


Artiste flamand ? - Sirènes mises au ciel

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