dimanche 8 mars 2015

You're not safe at home

We're surrounded by all kind of bugs, some uncommon jellyfish and no damn clue about fucking anything.

Pourtant on suit des cours pendant des années et des années. On s'enferme dans des classes où l'on nous force à rire même quand la pluie tombe. Quelle belle affaire ! Pendant qu'autour de nous la roche se lézarde et que la banquise fond, on s'obstine à nous apprendre rigueur et discipline. Il y en a même, parmi nos instituteurs, qui apprennent à courir. Et d'autres qui nous apprennent à sentir correctement les fleurs. On trouve également des professeurs pour l'observation attentive des étoiles ou le don d'un baiser sur la joue d'une amie. 

Des professeurs de viol collectif. 

Toute une caste d'enseignants triés sur le volet pour que rentre dans notre boîte crânienne l'idée selon laquelle la femme est inférieure à l'homme. Et ils engagent des femmes pour cela, pour que ça semble justifié.

Dans certaines autres classes, on apprend à faire la guerre le matin et à croire en Dieu l'après-midi. 

Dehors, derrière la fenêtre, la roche fond et la banquise se lézarde. Mais pas d'inquiétude, des économies d'énergie vont être faites bientôt...au moment où des milliers d'hommes et de femmes périront sous les eaux. Faudra trouver des boîtes pour les faire tenir tous mais une fois que ce sera fait, quel soulagement ! Nous pourrons reconstruire les maisons une à une, y placer des souvenirs aléatoirement en sortant de nos malles des photos noires et blanches. 

"Tu te souviens de Zelda ? Elle n'a jamais vécu ici. C'était une chouette gamine, vraiment douée une fois vissée sur des patins à glace et avec un sourire à faire pâlir Marceau. C'est ta nouvelle voisine, elle vient tout juste d'arriver. Tu te souviens d'elle maintenant ?" 

Et l'enfant ne saura pas quoi dire, il se posera durant vingt ans la question de savoir s'il fallait dire oui ou s'il devait dire non. Il passera dans les rues sans relever la tête. Il aura peur des goules, des vagues et des imperfections. Il fuira les miroirs comme on fuit les volcans. Il s'en moquait bien de Zelda et de ses patins à glace, lui, il n'en aimait qu'une seule mais elle était partie. 

"Je pars avant que ce pays ne tombe pour de bon." 
"Je t'écrirai, ne t'inquiète pas."
"Je...je...je t'écrirai...à très bientôt !"

Mais ses lettres jamais n'arrivèrent à bon port. La faute à un postier du genre cancérigène. Surgras, sur-laid, sûrement mal intentionné. Un postier qui avait dû passer son enfance sous un lit à essayer de faire peur aux enfants et qui aujourd'hui s'amusait à intercepter le courrier des coeurs tendres. 

Un postier monstrueux qui avait pris des cours en twist poétique. 

La neige s'écrasait sur Paris à la même vitesse que la mélancolie. Encore une fenêtre et Greta derrière elle, les cheveux coupés courts et les yeux argentiques. Greta ne correspond pas tout à fait au cliché en ceci qu'il lui manque un béret sur la tête mais pour le reste...elle dessine souvent depuis les mansardes de sa chambre de bonne, le soir, en fumant des cigarettes roulées soigneusement et ce jusqu'à l'aube parfois. Après quoi, elle prend quelques affaires et s'en va suivre en dilettante ses cours de culture latine à la Sorbonne Nouvelle. 

Les garçons quand elle passe regrettent d'être si peu et de n'avoir qu'une vie pour tenter de l'aimer. 

Ses amis pensent d'elle qu'elle est très talentueuse et qu'elle doit continuer, ses eaux-fortes sont sensationnelles, il n'y a pas de raison pour que la réussite refuse de la comprendre. 

Greta, à l'instar d'une lune constamment à l'arrêt, rêve de révolution. Elle ne rêve pas d'un succès qui ferait de sa vie quelque chose d'encore plus plaisant, avec beaucoup de vins à table et des rencontres avec ce qui se fait de mieux en matière de savants. Elle rêve de quelque chose d'autrement plus délicat, d'un déferlement, d'une glaciation, d'on ne sait pas quelle catastrophe exactement mais d'un chambardement capable de ramener, au premier plan, l'élémentaire vertu. 

Greta rêvait d'un incendie aux flammes salvatrices, d'un bûcher où toutes les pourritures engendrées par les différentes faillites humaines se rendraient la tête haute. Elle rêvait d'une secousse sismique susceptible de foutre sur le cul tous les mâles qui tuent, excisent et humilient et d'en faire de même avec toutes les femelles qui...

Greta ne savait pas trop bien quoi reprocher aux femmes mais elle savait que dans le lot il y en avait des mauvaises.

Greta rêvait d'une tornade, d'un typhon surpuissant, d'une tempête grandissime suffisamment violente pour arracher les pylônes électriques et faire s'échouer du ciel les toiles de satellites. Elle rêvait que les écrans finissent, par bonté d'âme, par s'ôter la vie et qu'on les utilise pour peindre par dessus. Peindre le monde tel qu'on le voit quand on y bouge un peu. Le mouvement des moustiques et l'harmonie du vent. Le vent est le serpent qu'Eve et Adam ont vu. Il souffle pour nous rappeler qu'il existe et qu'il faut, surtout, ne jamais l'oublier. 

Le vent est l'énergie qui fait marcher les Hommes vers leur destin funeste. 

Dernière fenêtre en date, celle du postier disgracieux. Sa langue lèche les timbres rouges tandis que le vent, léger, caresse ses narines. Il fait son travail assez convenablement. Certes, il vole toutes les lettres d'amour mais pour le reste, les factures, la paperasse grisâtre et les arrêts maladie, il est nickel. Cela fait quinze ans qu'il travaille ici et treize qu'il chaparde les missives enflammées. Le vent, après être passé par ses narines, remonte jusqu'à ses yeux dans l'espoir d'y trouver un asile confortable. 

Mais le vent est bloqué. Il adorerait vicier ces yeux déjà fort abîmés mais il ne le peut pas. Quelque chose bloque. Un énorme barrage bleu. Une digue de larmes accumulées depuis près de treize ans.

Notre postier a dans le fond des yeux de quoi faire refleurir l'Australie toute entière. 

La faute à une habitude, comme la plupart du temps. Il pensait que ça ne serait rien de plus qu'un jeu, piquer une lettre ou deux, les ouvrir pour voir les démarches de flamands délavés qu'ont les jeunes amants. Mais ça a continué, dès qu'il voyait sur l'enveloppe la moindre marque d'affection, le moindre petit surnom ou la moindre lettre tracée comme une caresse, il ne pouvait s'empêcher de la garder pour lui. Et ces lettres, comme ses jours à la Poste, se sont accumulées. Alors, notre postier avait fini par les compter. Et comme ça ne suffisait pas, il avait ajouté une touche d'intime à son étrange manie.

Il s'était demandé combien de lettres il devrait chouraver avant d'en trouver une lui étant destinée. 

Cela faisait treize ans et 5676 lettres qu'il attendait une réponse à sa question. 

D'où les larmes en suspens. 

*

Il n'y a que dans l'espace que l'on peut assister à quelque chose d'aussi particulier. Imaginez, nous parlons là d'une infinité territoriale, d'un océan de nuit plus que vertigineux et qui va même plus loin que tout l'illimité. 

Et malgré tout...

Deux astres lancées éternellement dans ce fin fond noiraud finissent par se croiser. L'air appelant l'air, une bulle de gaz se forme à la suite de cet effleurement. Et la bulle, poussée par les vivas des naines blanches et noires, éclate en un million d'années. Puis elle revient et comme un téléviseur qu'on rallumerait immédiatement après l'avoir éteint, elle gonfle et se pare de couleurs grotesques et admirables. 

Les moustiques ne vont pas tarder à se mettre en mouvement. Pareil pour le vent. 

Quelques singes. Le fracas de la foudre sur un arbre isolé. Le goût du lait de coco et de la première plaie. 
Quelques hommes. Se dire que la lune n'est pas qu'un œil pour nous. Le goût de la ciguë et du pain que l'on scinde pour le donner aux autres.
Quelques hommes plus nombreux. Quelques hommes plus nombreux. L'élévation des tours. Des machines. Des machines plus nombreuses. Le goût du gaz moutarde et de la liberté durement obtenue.

Des ruelles, des passes, et des concerts philharmoniques à s'en fendre le cœur.  

Un postier, Greta et un américain. 
Des mots répétés cinquante millions de fois pour se donner de la force. 
"Je suis sûr que la prochaine lettre sera écrite pour moi..."
"Je suis sûre que le siècle qui vient signera la fin des inégalités."
"Je suis sûr que Greta existe et je suis sûr de l'avoir aimé."

"Si je l'aime, je dois aller la voir. Et lui dire."
"Je ne peux pas être laid au point de n'être aimé par rien."
"J'espère que ce garçon, sous ses airs charmeurs, n'estime pas secrètement qu'il vaut mieux que moi."

"Ce sera la prochaine...c'est certain"
"Je me moque de la célébrité, je dois être ce foutu typhon."
"Paris, me voilà."

C'est en arrivant à l'aéroport de Roissy qu'il apprit la nouvelle. 
Tous les écrans ne diffusaient que ça.
L'image de cette étudiante ayant sauté nue depuis la Tour Eiffel.
Ce n'est pas sa nudité qui attira toutes les caméras mais ce qu'il y avait inscrit sous sa poitrine déchirée çà et là. 
Une phrase, écrite à l'encre noire - cela commence toujours par une phrase écrite à l'encre noire :

Si j'étais une bombe, vous seriez tous morts. 

Le typhon.
Le raz-de-marée qui nous fait sentir extrêmement idiots et donc, extrêmement humains. 
Le typhon.
Notre postier tombe sur le certificat de décès à envoyer à la famille de Greta restée aux Etats-Unis. 
Ce nom frappe le haut de son torse sans aucun doute et avec insistance. 
Il se souvient de la première lettre, 13 ans plus tôt.
Lettre de Greta à un certain Steven. 
13 ans pour en arriver là. 
Les gens ont eu le temps de mourir sans que notre postier ne fasse quoi que ce soit. 
Le typhon.
Il se met à pleurer.
Des flaques puis des rivières s'échappent de ses paupières. 
Le bureau de Poste est sous les eaux. 
Le matériel informatique est foutu, pareil pour les imprimantes. 
Le quartier entier est sous les eaux. 
13 ans pour en arriver là. 
Le typhon.
Piégée sous une très vieille construction, la sirène parvient enfin, grâce à la légèreté de ce déluge soudain, à se libérer et à reprendre vie. 
Rassérénée comme jamais, elle traverse les flots à la vitesse du son.
Le typhon.
Arrivée à la source, elle découvre le visage épais de notre postier pleurant.
Elle sourit.
Ses lèvres sont comme une phrase écrite à l'encre noire.

Le typhon.

Steven est effondré.
Steven est très heureux.
En voyant partout le nom de son amour d'enfance, celui de Greta, de sa Greta, il sait désormais qu'elle existe bel et bien. 
Et si elle existe, peut-être que lui aussi ? 
Oui, peut-être bien...


FIN





1 commentaire:

  1. Clap clap clap!
    Bravo bravo bravo!
    Excellent texte Dimitri.
    Je me suis imaginé devant ma TV à tomber sur cette nouvelle d'une jeune femme suicidée depuis la Tour Eiffel. Je me suis pris pour Steven.
    Continue à écrire.

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