lundi 25 novembre 2013

Sept.4.

Les trains n'attendent pas.

Des bals populaires, des robes de dimanche printanier, des lanternes allumées lentement par des hommes à la carcasse droite et des femmes avec du rêve coincé dans leurs cheveux. C'était un temps d'autrefois, un temps de guerre et de province, un temps où certains puisaient encore l'eau et où d'autres, mieux fortunés, goûtaient à peine aux joies de l'électricité. On travaillait dur alors, bras dessus dessous, au sein de mines pleines à craquer, dans les profondeurs de caves faiblement éclairées par quelques chandeliers, au dedans de rivières où reposaient en nombre les ors et les diamants. On était pas payé large pour autant mais ça n'était pas grave, la préfecture était bonne avec nous et il y avait les bals comme dit avant. Il y avait le pain aussi et les nuits blanches, les nuits d'alcool et de festivité, les nuits où l'on sortait tous saouls, tous et tout d'un coup, histoire de prendre l'air, d'y mâcher le tabac et de fixer langoureusement un beau ciel étoilé. On avait l'impression en regardant cette longue écharpe noire et bleue criblée de pointes blanches, d'assister au meilleur des spectacles, de fouler du pied à la fois les jardins irakiens et le lumineux sol de l'Artémision. On se sentait chanceux comme ces hommes qui, à l'aide d'un simple morceau de bois, dessinaient des pays et des visages d'un insoutenable attrait. Chanceux comme ces lords de l'autre côté des mers qui du brouillard voyait venir maintes annonciations, maints esprits revenants et maints témoignages luminescents des gloires précédentes. Chanceux comme eux vraiment qui voyaient ces fantômes, ces morts ressortis des tombeaux aux teints superbes cependant et aux paroles sages, ces Alexandre et ces Arthur, ces Augusta et ces Elisabeth reparaissant au monde histoire de caresser, de leurs mains chaudes et blanchissimes, le menton de ces nobles à qui ils laissèrent le jeu des destinées. Là, ivres d'un vin mauvais, le dos démoli par ces efforts faits du lever au coucher, le ventre un peu vide parce que privé de viande, nos pupilles éprouvaient le plus grand des plaisirs, elles se délectaient à chaque seconde de l'immensité belle proposée par le ciel, elles s'y noyaient, s'y dilataient, y jouissaient extrêmement jusqu'à presque se fendre afin de la saisir dans son entièreté. Nous vivions un prestige égal certainement à celui rencontré par le premier des Hommes lorsqu'il vit, après quatre jours de marche au milieu d'une morte forêt, la première nuque au monde, la première chevelure sur celle-ci posée, comme une vague noire à l'allure de feu, la première des Femmes, la première nudité.

Les trains n'attendent pas.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire