mardi 19 novembre 2013

Sept.3.

Martha m'avait choisi, moi et nul autre homme au monde. J'étais son idéal, sa perle rare, le baiser à son front quand celui-ci remuait à cause de la fièvre. Martha et moi, on s'était rencontré comme font les bonnes gens, chez un libraire à quelques pas du "C" building. C'était, plus précisément, un libraire spécialiste en incunables, il faisait chaque mois des voyages vers l'Europe et chaque mois il revenait avec de vraies trouvailles qu'ils vendaient à prix d'or. Martha, elle, était là à la fois pour les livres et pour la conservation de cet aventurier lettré. Quand je l'ai remarqué, la première fois, j'ai tout de suite compris qu'elle devait beaucoup s'ennuyer à la maison pour boire avec autant de soif les paroles de ce savant ailurophile - deux beaux persans traînaient en effet toujours dans son office et ça semblait miracle qu'ils n'abîmassent jamais les œuvres précieuses entre lesquelles ils se faufilaient gracieusement - à la voix de ruban. Alors, flairant sa solitude, j'avais fait mine de m'intéresser à la même Bible qu'elle.

Martha m'avait choisi, moi et nul autre homme au monde . J'étais son génie, son grand blanc, la chaude main à ses joues roses quand celles-ci frémissaient trop. Nous avons discuté ce jour-là pendant près d'une demi-heure, avant toute chose sur les livres anciens et ensuite sur des sujets plus légers. Martha était belle comme un ouragan posté au-dessus des flots, ses cheveux avaient l'air d'être le prolongement de quelque frise peinte adorée des flamands et ses yeux étaient pareils, en bleuté et en intensité, à ces panneaux réfléchissants que l'on trouve parfois au milieu des déserts. Et Martha, en plus d'être très belle, avait un sens de l'humour à la fois noir et subtil qui m'embrasa sur place de par ses airs d'orfèvrerie profonde.
A la suite de cet élégant échange, comme elle ne pouvait pas rester éternellement, elle s'était éclipsée en me faisant un signe qui voulait dire non pas "adieu" mais "à bientôt", soit un mouvement d'espoir dans ma vie désolée.

Immédiatement après son départ, j'allais enquêter auprès de Werner, le libraire aux deux félins, afin d'en savoir plus sur cette apparition aux envoûtants contours. Il ne fut malheureusement pas très loquace, se contentant d'hocher la tête avec force désapprobation, et de me conseiller dans la foulée de ne plus m'approcher d'elle parce qu'elle était mariée à un ponte, soi-disant...


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