samedi 19 octobre 2013

Unter Hacking / Jeune homme de son temps

Ce qui figurait alors au sein d'une recherche esthétique, profonde et désabusée, n'est plus désormais qu'une sorte de crasse parade dédiée à la répétitivité . Les pleurs du diable, les joues forcément rougies des anges, la nervosité des femmes, tout concourt à faire de cet éloge à l'aléatoire qu'est l'existence, un orchestre puant.

Auparavant la caméra filmait directement les corps avec intensité, elle était lourde et laissait derrière elle des bleus sur les épaules des différents cadreurs, saisissant ainsi l'indéterminé, ces ombres dispersées qui se dénudent en arrière-plan, et ces poussières parfaites entourant le cadavre.

Il y avait de la robotique, des carcasses de chiens mécaniques partout dissimulés, sous les tapis et sous les trappes, des policiers aux visages émaciés, métamorphosés par la drogue qu'ils prenaient quotidiennement, dans des bouges près des climatiseurs.

C'était l'époque des lasers, ces rayons rouges ou bleus qui pouvaient au choix, transpercer la peau ou la guérir de quelques apories, l'époque de l'horizon fendu par l'électricité, des collants arrachés et des cheveux pérox' éternellement en train d'onduler, tandis que la musique, posait ses deux mains douces sur nos chairs captivées.

On savait s'amuser, ça oui, on faisait pas les choses à moitié, on rentrait à cinq dans des véhicules touchés par le guépard, on y ramassait tout ce qu'on trouvait, aiguilles, poudres et méthylènes. On s'en mettait plein la tronche, tant et si bien que nos fronts grossissaient quand on revoyait le soleil, tant et si bien que parfois nos caboches explosaient et qu'en-dessous, on découvrait ces fleurs, ces luxuriances inouïes, cachées en nous par l'Etat tout puissant.

Il y avait l'art de bien s'habiller, de tanner le cuir et de se le faire briller, l'art de la vitesse et de la maniaquerie, nous étions de véritables petites starlettes ! Extrêmement désagréables avec nos proches, extrêmement futiles, mais avec de la vie et du néon suintant de tous nos membres. Nous étions lumineux. Lumineux et formidablement idiots.

La rue crachait chaque jour son lot croissant d'intestins grêles. Il faut dire que nombreux étaient ceux qui, à force de se charger dès le lever du jour, finissaient en vrac total. J'ai vu pas mal de mes amis mourir de cette façon, c'était pas beau à voir, ils dégueulaient leurs foies d'abord, leurs pancréas ensuite et enfin, l'ensemble gluant de leur réseau intestinal. Une fois que le dernier mètre était déroulé, ils s'étalaient sur le sol et guettaient la faucheuse. Et il y avait toujours, une espèce de magicien qui s'agitait au-dessus d'eux et qui leur disaient, avec ces mots à lui, que ce n'était pas grave. Alors, ils crevaient et devenaient plus blancs encore qu'ils ne l'étaient la veille.

Ils ne restaient plus d'eux en fin de compte, que des brèves tracées malhabilement dans des journaux à un sou. Ça, et leurs cœurs, le seul organe qu'ils n'avaient pas dégluti et qui demeurait intact malgré les multiples heurts faits à son endroit, que ce soit par les romances à la flotte ou les trop longs massages à coups de poignard. Leurs cœurs, à mes amis, ils étaient magnifiques, on aurait dit de minces batraciens trempés dans du sherry. Leurs cœurs, on en tirait facilement quatre briques à la revente, et de ces briques, on en tirait bien deux ou trois sachets de pur en moulant bien. On s'en voulait un peu de se livrer à un commerce aussi funeste mais on était certains que les partants auraient aimé voir ça, nous voir tous ensemble en train de communier et de défier l'Aurore.

Un de ces jours-là, en juillet, quand la route nous restait sous les chevilles à force d'avoir erré, Margreth m'a dit au revoir. C'était une chouette fille, diplômée en chimie, jambes pareilles au fuselage d'avions conceptuels, sens de l'humour digne des meilleurs british et lèvres surabondantes. J'avais mangé en elle pendant près de six mois, on allait parfois chez elle, parfois dans des hangars, parfois même on s'offrait des promenades en apnée, là, dans le fond bleu de la piscine municipale. Dieu que le maire nous haïssait pour ça, d'autant qu'on était si beaux, si merveilleusement charpentés par rapport à lui...Il devait rêver de nous voir avec la gorge tranchée ou espérer que l'un de ses dragons nous décapite salement.

L'alcool était pas cher, le soleil était au rendez-vous, elle avait des yeux comme des guides et nous batifolions avec suavité. Un matin de juillet, pourtant, elle m'a dit au revoir. Elle devait finir ses études ou quelque chose comme ça, ou alors c'était une histoire d'enterrement, ou alors son père, encore une fois, avait eu un foutu malaise cardiaque, la maladie des ignorants. Elle est partie mais avant cela, nous sommes allés nous faire tatouer, de la tête aux pieds, des cartes de pays inexistants. On douilla sacrément mais toutes ces formes, tantôt rondes, tantôt acérées, sur nos corps décharnés, valaient la peine de souffrir un peu. Elle partit par le prochain subway, superbement colorée qu'elle était par notre amour et tous ses tatouages. Quelle beauté lord ! Quelle éminence !

C'est sûr, la gamine rivière qui lui succédera devra être un morceau, sinon, j'aurais tôt fait de l'oublier.

Le bruit des moteurs était sur nous, cette fois, c'était en novembre, il pleuvait beaucoup, j'avais très faim et dans les poches tellement rien. Les policiers, après avoir interdit à peu près tout, d'abord le rire, puis le trafic de dures, enfin l'orgasme, avaient fini par filer notre trace.
J'ai presque rien senti quand le commissaire en chef a planté son cutter au dedans de mes os.
C'était comme un chatouillis sauf qu'à la fin j'étais mort.

C'était la vie.


Henry Darger - "Allégorie de la caverne"



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire